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                                                                                                                                 Date : 20050214

                                                                                                                         Dossiers : T-1195-04

                                                                                                                                           T-1196-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 235

ENTRE :

                                              MEAD JOHNSON NUTRITIONALS,

                              une filiale de BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

Introduction

[1]                Il s'agit de deux demandes de contrôle judiciaire faites en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi). Comme elles ont été plaidées conjointement, je me prononcerai sur les deux demandes dans un seul exposé de motifs.


Les faits

[2]                En mai 2004, la demanderesse (Mead Johnson) a reçu deux lettres de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) l'informant que l'ACIA avait reçu deux demandes de communication par l'ACIA de certains documents, dont certains concernaient Mead Johnson. L'ACIA a indiqué à Mead Johnson les documents qu'elle avait l'intention de communiquer et lui a donné la possibilité de lui faire part de son point de vue. Après un échange ultérieur de correspondance qui a amené l'ACIA a accueillir un bon nombre des objections de Mead Johnson, l'ACIA a finalement fait savoir à celle-ci quels documents elle avait toujours l'intention de communiquer. Mead Johnson s'y est opposée et elle a introduit la présente instance en invoquant les dispositions suivantes de la Loi.


20.(1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20.(1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

                                    * * * * * * * * * *

                                    * * * * * * * * * *

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;....

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party;....


Comme les assertions relatives aux différents documents en litige dans les demandes T-1195-04 et T-1196-04 sont quelque peu différentes, je vais les examiner séparément.


[3]                Bien entendu, la présente audience a été tenue à huis clos et on y a examiné les documents dont la demanderesse prétend toujours qu'il faut en protéger la confidentialité. J'éviterai de porter atteinte à cette confidentialité au cas où il y aurait appel.

                                                                      T-1195-04

[4]                Dans ce dossier, la demanderesse, dans son mémoire public, prétend que les renseignements en question :

_TRADUCTION_

_..._ ont trait à ses plans ou activités de marketing relatifs à ses produits, notamment Enfamil A+, et ont trait à sa position juridique relative à certaines affirmations touchant les avantages de Enfamil A+, notamment à l'interprétation et à l'application de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d'application dans le contexte des activités commerciales de Mead Johnson _..._(version publique du mémoire de la demanderesse, à la page 14, au paragraphe 14).

En ce qui concerne ces documents, Mead Johnson prétend que l'ACIA a commis une erreur en n'y appliquant pas l'exception énoncée aux alinéas 20(1)b) et c) de la Loi.


[5]                Le paragraphe 2(1) de la Loi dit que la Loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale; les exceptions indispensables doivent donc être limitées. Le droit est fixé depuis longtemps : c'est aux tiers, comme la demanderesse en l'espèce, qui s'opposent à la divulgation qu'incombe la charge de prouver que le document en litige est visé par l'une des exceptions prévues par l'article 20 : voir Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (C.A.). En l'occurrence, je ne peux pas conclure que la demanderesse s'est acquittée de cette charge. Dans ses observations écrites, la demanderesse affirme que ces renseignements sont _TRADUCTION_ « forcément de nature commerciale _..._ car ils ont directement trait aux activités commerciales de Mead Johnson et à certaines de leurs raisons d'être » . Dans l'affidavit qu'elle a produit à l'appui de ses prétentions, elle n'étoffe pas ses affirmations, dont le défendeur conteste le bien-fondé. Pour les besoins de la cause, je me contenterai de prendre pour hypothèse, sans me prononcer sur son bien-fondé, que les documents en question sont de nature commerciale, au sens de l'alinéa 20(1)b) de la Loi. Je suis aussi disposé à prendre pour hypothèse l'affirmation de la demanderesse que les renseignements provenaient d'un tiers, à savoir de la demanderesse, comme il s'agit de documents contenant des communications auxquelles la demanderesse aurait pris part. Cependant, je ne peux pas conclure qu'il a été prouvé que le document en question est « confidentiel » . Comme cela a été établi dans la décision Air Atonabee Limited c. Canada (1989), 27 F.T.R. 194, à la page 210, l'un des éléments exigés en matière de confidentialité est que :

les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués _..._



La question de savoir si un document est confidentiel doit être déterminée selon des critères objectifs, notamment le contenu du document, son objet et les conditions dans lesquelles il a été communiqué : voir par exemple Maislin, précité, Air Atonabee (1989), 27 F.T.R. 194 (1re inst.), Société Gamma Inc. c. Canada, [1994] A.C.F. no 589. Le simple fait qu'une partie affirme que les renseignements qu'elle fournit sont confidentiels n'est pas concluant : voir Ottawa Football Club c. Canada, [1989] 2 C.F. 480. Même si l'institution fédérale convient qu'ils doivent demeurer confidentiels, cela n'est pas déterminant : voir Canada c. Atlantic Canada Opportunities Agency, [1999] A.C.F. no 1723 (C.A.). En l'espèce, les maigres éléments de preuve figurant dans l'affidavit n'établissent pas les éléments de la confidentialité. Dans l'affidavit que Mead Johnson a produit à l'appui de ses prétentions, elle dit avoir traité les renseignements en question sous le sceau de la confidentialité, mais sans expliciter la manière dont la confidentialité a été maintenue. Dans l'affidavit, il est simplement dit que les documents en question ont été fournis à l'ACIA _TRADUCTION_ « dans l'attente raisonnable que la confidentialité sera respectée et que les données ne seront pas divulguées » et _TRADUCTION_ « confidentiellement et dans l'attente raisonnable qu'ils resteront confidentiels » . L'auteure de l'affidavit n'affirme ni avoir elle-même participé à ces communications, ni avoir jamais été renseignée par les personnes qui, elles, y ont participé. Les documents qui sont annexés à son affidavit ne contiennent pas grand-chose tendant à démontrer que la demanderesse avait clairement fait savoir à l'ACIA que les communications étaient faites avec l'intention qu'elles demeurent confidentielles; il n'y a pas non plus de documents provenant de l'ACIA confirmant l'élément de confidentialité. D'après ce que je peux constater, la seule lettre de Mead Johnson à l'ACIA ayant trait à la confidentialité et annexée à l'affidavit a été rédigée le 31 mai 2004, soit bien après toutes les communications que la demanderesse veut maintenant faire protéger. Dans cette lettre, Mead Johnson précise à plusieurs reprises qu'elle considère ces communications comme confidentielles. La seule lettre qui, antérieurement, ait contenu des affirmations semblables, la lettre du 23 janvier 2002, n'a pas été adressée à l'ACIA, mais à Santé Canada et elle concernait des renseignements qui étaient fournis à Santé Canada sur les formulations relatives aux produits, des questions qui pourraient certainement être considérées comme de nature commerciale, technique et confidentielle. Cependant, ces documents ne se sont pas en cause en l'espèce.

[6]                Je suis d'avis que l'on ne peut pas considérer que les documents en cause en l'espèce se rapportent essentiellement aux questions de marketing ou de production; on y fait plutôt état, de manière incidente, du point de vue de la demanderesse au sujet de certaines questions réglementaires - des questions d'intérêt public qui relèvent des attributions de l'ACIA.

[7]                Je ne suis donc pas disposé à annuler la décision de l'ACIA de divulguer les documents visés par la demande T-1195-04.

                                                                      T-1196-04

[8]                Dans ce dossier, le processus de divulgation d'un document a été engagé par la demande présentée à l'ACIA afin d'obtenir la _TRADUCTION_ « copie d'observations faites au nom d'IMS par Sharon Brearley entre le 15 novembre 2002 et le 30 novembre 2002 » . Après un échange de communications entre l'ACIA et Mead Johnson, en fin de compte, l'ACIA a proposé de ne plus divulguer que les observations faites au nom d'IMS par une certaine Nathalie Gagnon le 20 janvier 2003. On remarquera que cela n'est pas ce qui avait été demandé.


[9]                La demanderesse demande à la Cour de déclarer que ce document ne doit pas être divulgué parce qu'il n'est pas visé par la demande qui a été présentée à l'ACIA, qu'il s'agit de renseignements commerciaux qui sont de nature confidentielle et qui ont été traités comme tels de façon constante par Mead Johnson, au sens de l'alinéa paragraphe 20(1)b) de la Loi, et dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes appréciables à Mead Johnson, au sens de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.


[10]            Je conclus que la demanderesse n'a pas qualité pour se plaindre que la divulgation proposée ne correspond pas à la demande de la partie externe qui a engagé le processus de divulgation. Il est manifeste que la divulgation proposée ne correspond pas à la demande d'origine. Cependant, dans l'arrêt Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (1990), 67 D.L.R.(4th) 315, la Cour d'appel fédérale a décidé que le tiers ne peut s'opposer au fait qu'une institution fédérale est disposée à donner plus que ce qui a été demandé. Pour tirer cette conclusion, la Cour d'appel s'est fondée sur le fait que l'article 2 de la Loi déclare que la Loi a pour objet « d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication » , « les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées » . Selon l'article 27, le responsable d'une institution fédérale qui a l'intention de donner communication « d'un document » est tenu de donner au tiers intéressé avis écrit de la « demande » ainsi que de son intention, si le document contient ou s'il est, selon lui, susceptible de contenir des renseignements visés à l'article 20. Il faut conclure que, par « document » , on entend le « document » visé par le paragraphe 27(1) ( « record requested » , dans la version anglaise). En outre, l'article 28 donne au tiers la possibilité de présenter des observations « sur les raisons qui justifieraient un refus de communication totale ou partielle du document » . Là encore, quand on parle de « document » , il doit forcément s'agir du « document » ( « record requested » ) visé par le paragraphe 27(1). Cela veut dire que le tiers ne peut se plaindre si l'institution fédérale divulgue des documents qui n'ont jamais été demandés ( « requested » ), et c'est ce que fait la demanderesse en l'occurrence. À cet égard, j'abonde dans le sens du juge Russell dans l'arrêt Conseil canadien des fabricants du tabac c. Canada, [2003] A.C.F. no 1308 (voir ses conclusions au paragraphe 91).

[11]            La demanderesse a prétendu que le document en question est soustrait à l'obligation de divulgation selon l'alinéa 20(1)b); à cet égard, comme pour la demande T-1195-04, je ne peux pas non plus conclure que les éléments de preuve produits par la demanderesse établissent, selon la prépondérance des probabilités, que ce document peut être objectivement considéré comme confidentiel. Là encore, l'auteure de l'affidavit produit à l'appui de la demande n'y indique pas qu'elle ait pris part personnellement à des communications pertinentes échangées avec l'ACIA. Elle ne présente pas d'observations précises faites par Mead Johnson à l'ACIA selon lesquelles les renseignements fournis devraient être traités de manière confidentielle, ni ne fait valoir des éléments de preuve montrant que l'ACIA les considérait comme tels. Elle se borne à affirmer qu'ils ont été transmis _TRADUCTION_ « dans l'attente raisonnable que la confidentialité sera respectée » . La demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait.


[12]            La demanderesse prétend aussi que l'alinéa 20(1)c) de la Loi soustrait le document à l'obligation de divulgation au motif qu'il s'agit de renseignements dont la divulgation « risquerait vraisemblablement de causer des pertes _..._ appréciables à _..._ » la demanderesse. La Cour d'appel fédérale a conclu que, dans ce type d'affaires, la norme de preuve relative au préjudice est la démonstration de l'existence d' « un risque vraisemblable de préjudice probable » : Canada Packers Inc. c. Canada, [1989] 1 C.F. 47; Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada, précité. Je conclus que les éléments de preuve produits par la demanderesse ne satisfont pas à cette norme. Lorsque l'on se penche sur le document en litige, il ne saute pas aux yeux que sa divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes appréciables à la demanderesse. Elle invoque l'alinéa 20(1)c) et le seul élément de preuve qu'elle a produit à l'appui de sa thèse est le paragraphe suivant qui figure dans le mémoire public et le mémoire confidentiel :

_TRADUCTION_

Les renseignements concernant les plaintes des consommateurs visant les produits de Mead Johnson sont des renseignements que Mead Johnson s'efforce de conserver hors du domaine public et hors des mains des concurrents, qui peuvent s'en servir afin de nuire à la renommée de Mead Johnson et porter atteinte à sa position concurrentielle.

Voilà qui est très vague et qui est loin d'établir, selon la prépondérence de la preuve, l'existence d'un risque vraisemblable de préjudice probable.


Décision

[13]            Pour ces motifs, les deux demandes seront rejetées avec un seul mémoire de dépens.

                                                                                                                             _ Barry L. Strayer _              

                                                                                                                                      Juge suppléant                   

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                         T-1195-04 - T-1196-04

INTITULÉ :                                        MEAD JOHNSON NUTRITIONALS, une filiale de BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO.

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 26 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Catherine P. Coulter

Amy McKinnon                                     POUR LA DEMANDERESSE

Kris Klein                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fraser Milner Casgrain LLP

Ottawa (Ontario)                                                           POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

Ottawa (Ontario)                                                           POUR LE DÉFENDEUR


                                                                                                                                 Date : 20050214

                                                                                                                           Dossier : T-1195-04

                                                                                                                                                           

Ottawa (Ontario), le 14 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER                                                               

ENTRE :

                                              MEAD JOHNSON NUTRITIONALS

                              une filiale de BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande est rejetée, avec un seul mémoire de dépens pour la présente demande et la demande numéro T-1196-04.

                                                                                                                             _ Barry L. Strayer _              

                                                                                                                                      Juge suppléant                   

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

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