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Date : 20040310

Dossier : T-2080-99

Référence : 2004 CF 367

Montréal (Québec), le 10 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

ENTRE :

                                                               THOMAS ZINCK

                                                                                                                                          demandeur

et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par la défenderesse en application des règles 213, 221 et 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), afin d'obtenir une ordonnance rejetant sommairement la réclamation du demandeur au fond ou une ordonnance radiant en totalité la déclaration de ce dernier au motif qu'elle est frivole, vexatoire ou préjudiciable.


Contexte

[2]                Le demandeur, qui se représente lui-même, purge une peine de 12 ans pour homicide involontaire coupable dans un établissement correctionnel fédéral depuis janvier 1998.

[3]                Avant sa plus récente incarcération, il a subi de graves blessures qui ont limité ses activités et entraîné des douleurs chroniques.

[4]                Peu après le début de son incarcération, on a graduellement cessé de lui donner du Percocet, un narcotique, pour le remplacer par un médicament antidouleur n'appartenant pas à la famille des stupéfiants.

[5]                Le demandeur a intenté la présente action en déposant une déclaration le 26 novembre 1999. Il allègue d'abord, dans cette déclaration, que la défenderesse a été négligente en ne lui donnant pas le médicament dont il avait besoin, à savoir le Percocet. Il allègue ensuite qu'il a été victime d'un délit constitutionnel, en particulier parce que la défenderesse l'a soumis à une peine cruelle et inusitée en ne le traitant pas au Percocet.

[6]                Les choses ne se sont pas déroulées simplement en l'espèce.

[7]                Le 27 février 2001, la Cour a délivré un avis d'examen de l'état de l'instance demandant au demandeur d'expliquer par écrit pourquoi son action n'avançait pas. Le 8 juin suivant, le demandeur a été autorisé à poursuivre la procédure et, par une ordonnance datée du 27 novembre 2001, l'action est devenue une instance à gestion spéciale.

[8]                Entre juin 2001 et la requête en l'espèce, la Cour a régulièrement imposé des échéances au demandeur. Elle a fixé le délai de dépôt de sa liste de documents, des limites concernant la fixation d'une date pour les interrogatoires préalables et la date à laquelle il devait déposer son mémoire aux fins de la conférence préparatoire. Plus souvent qu'autrement, le demandeur n'a pas respecté ces échéances et a compté sur la coopération et la compréhension de la défenderesse ou de la Cour.

[9]                La conférence préparatoire a eu lieu le 2 avril 2003. Compte tenu de ce qui s'était passé, la Cour s'est donné beaucoup de mal, lors de cette conférence, pour expliquer au demandeur qu'il devait se conformer aux conditions de fond des Règles concernant la preuve factuelle et la preuve d'expert qu'il devait produire.

[10]            Le 8 avril 2003, la Cour a rendu une ordonnance qui prévoit ce qui suit à cet égard :

[traduction]

Nature et portée de la preuve

2.             Comme il a été indiqué et discuté lors de la conférence préparatoire, il s'agit d'une action simplifiée et les deux parties doivent satisfaire aux conditions prévues par les Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles).


(1)           Dans le cas du demandeur :

a)             sauf pour ce qui est de la preuve d'expert principale visée à la règle 279, l'ensemble de sa preuve, y compris le contenu de cassettes audio, doit être signifié et déposé conformément aux Règles, en particulier l'alinéa 299(1)a). Cette disposition fixe l'échéance à soixante (60) jours avant l'instruction;

b)             en ce qui concerne la preuve d'expert principale visée à la règle 279, tout affidavit d'expert doit être signifié au moins quatre-vingt-dix (90) jours avant l'instruction;

c)             s'il appert que le demandeur ne s'est pas conformé dans une large mesure aux échéances indiquées aux alinéas a) ou b) ci-dessus ou aux conditions de fond de la règle 279 et de l'alinéa 299(1)a) des Règles, la défenderesse pourra présenter par écrit à la Cour, en vertu de la règle 369, une requête visée à la règle 221 ou 213.

(2)           Dans le cas de la défenderesse, l'échéance est fixée à trente (30) jours avant l'instruction aux fins de l'alinéa 299(1)b) des Règles et à soixante (60) jours avant l'instruction aux fins de la règle 281.

[11]            Le demandeur n'a pas porté cette ordonnance en appel et n'a pas demandé que les conditions indiquées ci-dessus soient modifiées.

[12]            Une ordonnance datée du 4 décembre 2003 a fixé l'audition de la réclamation du demandeur au 14 avril 2004. Le demandeur, qui savait depuis le 2 avril 2003 qu'une preuve d'expert était nécessaire, avait donc jusqu'au 15 janvier 2004 pour signifier cette preuve. Or, il n'a pas respecté cette échéance. Il n'a pas non plus signifié et déposé sa preuve par affidavit conformément à l'alinéa 299(1)a) des Règles et aux conditions établies dans l'ordonnance de la Cour du 8 avril 2003.

[13]            Par conséquent, il était évident en février 2004 que le demandeur s'était mis lui-même dans la situation décrite à l'alinéa 2(1)c) de l'ordonnance du 8 avril 2003. D'où la requête déposée par la défenderesse sur laquelle la Cour doit maintenant statuer.

[14]            Il faut noter également que, bien que le dossier de requête de la défenderesse lui ait été dûment signifié, le demandeur n'a pas signifié et déposé un dossier de requête pour y répondre.

Analyse

[15]            La défenderesse soutient que, étant donné que le demandeur n'a produit aucune preuve d'expert pour étayer les éléments importants de sa réclamation, celle-ci devrait être rejetée.

[16]            Je suis aussi de cet avis.

[17]            Le demandeur allègue que la défenderesse a été négligente en ne lui donnant pas le médicament dont il avait besoin, à savoir le Percocet. Il affirme ainsi que le Percocet est le seul traitement approprié pour lui et que les traitements n'entraînant pas de dépendance qui ont été prescrits par les médecins de SCC ne satisfont pas à la norme de diligence. Or, le demandeur ne possède aucune formation ou expertise médicale lui permettant d'étayer ces affirmations, et il n'a fait témoigner aucun expert pour son compte.

[18]            Il appert également que le demandeur a consulté au moins 12 médecins depuis 1998 et qu'aucun d'eux n'a recommandé le Percocet. À cet égard, la défenderesse a produit l'affidavit du docteur Camille Haddad, un médecin à son service qui traite actuellement le demandeur. Le docteur Haddad conclut ce qui suit aux paragraphes 22 et 23 de son affidavit :

[traduction]

22.           Ayant consulté la littérature spécialisée sur le sujet et connaissant bien les pratiques acceptées par la communauté médicale, j'estime qu'il est raisonnable de conclure que, de l'avis général, la prescription d'un narcotique créant de la dépendance, en particulier le Percocet, pour le soulagement durable de la douleur (non liée à un cancer) est controversée. En outre, ce traitement ne devrait pas être utilisé dans le cas de M. Zinck. Premièrement, ce dernier n'a pas donné une vraie chance aux autres thérapies et le Percocet n'est prescrit qu'en dernier recours. Deuxièmement, M. Zinck a souffert d'un grave problème d'alcool, et il a démontré qu'il est vulnérable aux substances qui créent une dépendance. Ni moi ni les 11 autres médecins qu'il a consultés n'ont recommandé l'utilisation du Percocet dans son cas.

23.            Il semble que M. Zinck a fait des efforts considérables pour trouver un médecin disposé à lui prescrire du Percocet. Il n'a porté à mon attention aucun avis médical m'incitant à modifier mon évaluation.

[19]            Le demandeur n'a pas démontré qu'il a besoin du Percocet ni même qu'il conviendrait de lui prescrire ce médicament. Il est évident que, en l'absence de cette preuve, on ne peut considérer que le refus de lui donner du Percocet constitue une peine cruelle et inusitée.

[20]            Non seulement le demandeur n'a-t-il pas signifié et déposé une preuve factuelle par affidavit conformément à l'alinéa 299(1)a) des Règles, mais il n'a pas non plus signifié de preuve d'expert.

[21]            Je conviens avec la défenderesse que, sans cette preuve d'expert, le demandeur ne peut étayer les allégations contenues dans sa déclaration. Par conséquent, la réclamation décrite dans cette déclaration est rejetée sommairement car je suis convaincu, conformément à la règle 216, qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à cette réclamation.

[22]            Si je n'avais pas rejeté sommairement la réclamation du demandeur, j'aurais, pour les motifs exposés ci-dessus, rejeté sa déclaration. J'aurais aussi rejeté son action en vertu des alinéas 221(1)c) et d) des Règles au motif qu'elle est frivole et préjudiciable.

[23]            Pour ce qui est des dépens, la défenderesse a droit aux dépens afférents à l'action et à la requête en l'espèce. La Cour fixe ces dépens à 750 $.

[24]            Par conséquent, l'audience fixée au 14 avril 2004 n'aura pas lieu, ni à cette date ni à une autre date.

         « Richard Morneau »          

     Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             T-2080-99

INTITULÉ :                                                           THOMAS ZINCK

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À MONTRÉAL SANS LA COMPARUTION EN PERSONNE DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                       LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

DATE DES MOTIFS :                                          LE 10 MARS 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Thomas Zinck                                                            POUR LE DEMANDEUR

Jake Harms                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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