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Date : 20050816

Dossier : IMM-4520-05

Référence : 2005 CF 1107

Ottawa (Ontario), le 16 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                                CALIPH KAHN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                      LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                 ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Caliph Kahn (le demandeur) demande qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui, fixée au 20 août 2005, jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire et, si l'autorisation est accordée, jusqu'à ce qu'une décision soit rendue relativement à sa demande de contrôle judiciaire.

[2]                Dans sa demande d'autorisation, M. Kahn, un citoyen de l'Inde, demande que soit annulée la décision de l'agente de renvoi Sindi Pannu, datée du 14 juillet 2005, de refuser de reporter son renvoi jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande d'établissement au Canada fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, laquelle aurait été déposée le 19 janvier 2005.

LE CONTEXTE

[3]                Le 19 juillet 1997, M. Kahn est entré au Canada à partir des États-Unis, où il résidait depuis 1971 et où il avait étudié le cinéma avant de devenir producteur de films.

[4]                En mai 2000, il a été reconnu coupable d'avoir dirigé un complot en facilitant l'importation au Canada de 327 kilogrammes de hachisch. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de quatre ans et quatre mois, un crédit de huit mois lui ayant été accordé pour la période qu'il avait passée en détention avant son procès.

[5]                Une mesure d'expulsion a été prise contre lui le 19 février 2001.


[6]                En 1998, il avait rencontré une étudiante en médecine, Celeste Thirlwell. Mme Thirlwell était une mère célibataire de deux filles, Constance (âgée de deux ans) et Natasha (âgée d'un an). Le demandeur et Mme Thirlwell vivent aujourd'hui en union de fait et ils ont eu deux autres enfants (Sara, née le 9 février 2001, et Dara, née le 27 décembre 2002). En date du 21 janvier 2005, le docteur Thirlwell était résidente en psychiatrie à l'Université McMaster, à Hamilton. Sa résidence se terminera dans trois ans. Elle fait chaque jour la navette entre Hamilton à Toronto avec M. Kahn, lequel a la charge quotidienne de la famille.

[7]                Le 5 septembre 2002, l'avocate du demandeur a écrit une lettre au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de Vegreville, en Alberta, à laquelle elle a joint une « Demande de résidence permanente présentée au Canada » - M. Kahn pouvait présenter une telle demande car il était le conjoint de fait d'une citoyenne canadienne - pour laquelle des droits de 1 525 $ ont été payés. L'envoi renfermait également une entente de parrainage.

[8]                Dans cette lettre, l'avocate indiquait que M. Kahn demandait un permis de séjour temporaire et voulait faire approuver en principe sa demande d'établissement au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire en attendant d'obtenir le droit d'établissement grâce au parrainage de sa conjointe de fait. Elle ajoutait que, pour le moment, M. Kahn était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, qu'il bénéficiait d'une semi-liberté et qu'il pourrait obtenir une libération conditionnelle totale le 3 novembre 2001. Elle précisait que M. Kahn n'était admissible à une réhabilitation qu'en septembre 2009 et qu'il serait interdit de territoire jusqu'à ce qu'il obtienne cette réhabilitation. Par conséquent, il demandait un permis de séjour temporaire afin de pouvoir demeurer au Canada jusqu'à ce qu'il puisse obtenir une réhabilitation et que sa demande d'établissement présentée avec le parrainage de sa conjointe de fait puisse être traitée.


[9]                Le 19 février 2003, le bureau de CIC de Vegreville a envoyé au docteur Thirlwell une lettre faisant référence à sa demande [traduction] « de résidence permanente en qualité de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada » et l'avisant que cette demande était rejetée parce que M. Kahn n'avait pas le statut de résident temporaire au Canada.

[10]            Lorsqu elle a appris que CIC avait écrit à Celeste Thirlwell, le 19 février 2003, pour l'aviser du rejet de sa demande de parrainage, l'avocate du demandeur a écrit au gestionnaire du Centre de traitement des demandes d'immigration de Vegreville, le 8 septembre 2003, pour lui rappeler que M. Kahn avait déposé une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire afin d'obtenir un permis de séjour temporaire et de faire approuver en principe sa demande d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire et pour lui faire savoir qu'elle n'avait reçu aucune réponse de CIC concernant cette demande. Elle voulait savoir si la demande du demandeur était examinée à Vegreville ou si elle avait été transmise à un bureau local pour que son traitement se poursuive. Différents suivis ont ensuite été faits.


[11]            Le 31 janvier 2005, l'avocate du demandeur a envoyé au bureau de CIC de Vegreville une lettre dans laquelle elle indiquait que CIC avait demandé des renseignements et des documents à jour concernant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de M. Kahn. Elle a joint ces renseignements à sa lettre, ainsi que des demandes de résidence permanente présentées de l'intérieur du Canada, des formulaires de renseignements additionnels, des consentements à la divulgation de renseignements et une demande de permis de séjour temporaire à jour.

[12]            Il y avait dans la documentation une lettre datée du 21 janvier 2005 adressée par le docteur Thirlwell à l'agent d'immigration, dans laquelle elle expliquait que la famille dépendait de M. Kahn depuis qu'elle et les enfants avaient eu, à l'été 2004, un accident de la route dans lequel ils avaient bien failli perdre la vie. Leur fille aînée, Constance, avait alors subi un traumatisme crânien qui exigeait une longue réadaptation, des séances hebdomadaires d'orthophonie, de la physiothérapie et de l'ergothérapie. Le docteur Thirlwell décrivait également les exigences du programme de résidence à l'Université McMaster et soulignait que, sans le soutien affectif et financier du demandeur, elle devrait mettre fin à ses études.

[13]            Si je comprends bien, on a demandé à M. Kahn de prendre des dispositions en vue de son renvoi peu de temps après l'accident et le renvoi a été repoussé de six mois à cause de l'état de Constance.

[14]            Le 23 mai 2005, l'avocate du demandeur a écrit au bureau de CIC d'Etobicoke pour faire savoir que la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de M. Kahn - qui avait été déposée à l'origine en septembre 2002 - avait été transférée du bureau de CIC de Vegreville à celui d'Etobicoke en février 2005. Elle a ajouté que la demande ne devait pas être traitée comme une nouvelle demande et qu'une décision devait être rendue rapidement.


[15]            Au début de juin 2005, on a de nouveau demandé à M. Kahn de prendre des dispositions en vue de son renvoi. Le 8 juin 2005, l'avocate du demandeur a écrit à une agente de renvoi, Sindi Pannu, pour lui demander de reporter le renvoi du demandeur jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Elle a fourni des documents démontrant que c'est surtout M. Kahn qui prenait maintenant soin des enfants et que son aide avait fait partie intégrante de la réadaptation de Constance puisqu'il s'occupait de la coordination de ses multiples traitements et rendez-vous.

[16]            Le 8 juillet 2005, l'avocate du demandeur a reçu une lettre de Sindi Pannu indiquant que l'article 48 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés obligeait CIC à exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettaient et que, ayant examiné la demande de report, elle ne pensait pas qu'il était approprié dans les circonstances de reporter l'exécution de la mesure de renvoi.

[17]            Le 14 juillet 2005, M. Kahn s'est rendu à un rendez-vous avec Sindi Pannu concernant les directives relatives au renvoi. Le technicien juridique de son avocate était aussi présent. On a demandé à l'agente de renvoi de reconsidérer sa décision de ne pas reporter le renvoi, mais sans succès.

[18]            Le défendeur a déposé deux affidavits au soutien de sa thèse selon laquelle la Cour ne devrait pas accorder de sursis : l'un de Sindi Pannu et l'autre d'un technicien juridique secondant son avocate, Tom Heinze.

[19]            Dans son affidavit, dont l'admissibilité a été contestée par le demandeur, Sindi Pannu déclare que le 8 juin 2005, ou vers cette date, elle a reçu une demande de report du renvoi de M. Kahn et que les motifs justifiant cette demande n'avaient pas trait uniquement à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de celui-ci et à l'intérêt supérieur des enfants dont il s'occupait. Elle déclare qu'en rendant sa décision, elle a confirmé que de 12 à 18 mois s'écouleraient avant qu'il soit statué sur cette demande, que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et qu'il ne pouvait pas encore demander une réhabilitation. En ce qui concerne l'intérêt supérieur des enfants, elle a souligné que le demandeur s'occupait des enfants, que Constance Thirlwell avait été grièvement blessée dans un accident survenu en 2004 et qu'elle recevait toujours des traitements mais qu'elle n'était plus dans un état critique. Elle a ajouté que le docteur Thirlwell s'était suffisamment remise pour prendre soin des enfants et que le renvoi du demandeur ne laisserait pas ces derniers sans parent pour s'occuper d'eux. Elle a conclu en disant qu'après avoir soupesé tous les facteurs, elle arrivait à la conclusion qu'il n'était pas approprié de reporter le renvoi en l'espèce.


[20]            M. Heinze a joint à son affidavit un certain nombre de documents, notamment des extraits du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (le SSOBL). Selon l'un de ces extraits, on a écrit, le 12 mars 2003, qu'un agent d'immigration avait téléphoné à l'avocate du demandeur pour lui faire savoir que CIC n'avait pas le dossier relatif à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et que l'avocate a répondu que la lettre d'envoi indiquait que la demande était fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Il était indiqué dans le SSOBL : [traduction] « ai avisé l'avocate que la demande devait être présentée sur le formulaire approprié; nous aurions dû plutôt demander que le bon formulaire soit déposé et traiter ensuite l'ensemble comme s'il s'agissait d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire » . Une autre inscription faite dans le SSOBL le 4 février 2005 indique ce qui suit :

[TRADUCTION] À l'époque de la demande, en septembre 2002, compte tenu de la confusion découlant des nouvelles dispositions législatives, si un dossier renfermait des renseignements contradictoires, nous communiquions avec les clients afin que la bonne demande soit déposée. En l'espèce, la REP et le client invoquaient des raisons d'ordre humanitaire, mais, comme ce dernier vivait en union de fait, il a déposé le formulaire de demande d'un époux ou d'un conjoint de fait. Après avoir parlé à l'avocate, il est évident que le client entendait présenter une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, notamment parce qu'il vivait en union de fait [...] Les droits de 550 $ rattachés à la DRP qui a été rejetée sont maintenant utilisés à l'égard de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire parce que la demande antérieure n'aurait pas dû être rejetée; nous aurions dû plutôt demander que le bon formulaire soit déposé et traiter ensuite l'ensemble comme s'il s'agissait d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire [...]. [Non souligné dans l'original]

L'ANALYSE

[21]            Je ne pense pas que l'objection du demandeur à l'affidavit de Sindi Pannu soit fondée. L'affidavit confirme en grande partie les notes que cette dernière a prises et qui ont été versées au dossier.

[22]            J'estime que le demandeur a satisfait au critère à trois volets qui est employé pour déterminer si un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi doit être accordé.

[23]            Le demandeur a démontré que l'affaire soulevait un certain nombre de questions sérieuses à trancher.

[24]            En premier lieu, l'un des facteurs que l'agent de renvoi doit prendre en compte lorsqu'il décide s'il reporte l'exécution est le fait qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en instance a été présentée en temps opportun (voir la décision Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (C.F. 1re inst.)). La première question sérieuse est celle de savoir si Sindi Pannu a commis une erreur en ne reconnaissant pas que le demandeur avait déposé une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en septembre 2002, laquelle est toujours en instance à cause d'une erreur administrative.

[25]            La deuxième question sérieuse consiste à savoir si l'agente de renvoi a mal interprété la preuve comme quoi c'est surtout le demandeur qui prenait soin des quatre enfants du couple et que le docteur Thirlwell pouvait raisonnablement s'en occuper si le demandeur était renvoyé.

[26]            La troisième question sérieuse est de savoir si l'agente de renvoi a tenu dûment compte de l'intérêt supérieur des enfants.


[27]            Je suis convaincu que la preuve d'un préjudice irréparable a été faite. Comme l'avocate du demandeur l'a soutenu, le préjudice causé à la famille est un facteur à prendre en compte. C'est d'ailleurs ce qui était en cause dans l'arrêt de principe Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.). En l'espèce, le couple vit ensemble depuis sept ans maintenant. Les répercussions sur la résidence du docteur Thirlwell, tout comme celles du renvoi de la personne qui s'occupe des enfants la plupart du temps, sont évidentes.

[28]            Compte tenu de mes conclusions concernant les questions sérieuses et le préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients est favorable au demandeur.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre le demandeur jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire et, si l'autorisation est accordée, jusqu'à ce qu'une décision soit rendue relativement à sa demande de contrôle judiciaire.

                                                                            « François Lemieux »                   

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                            IMM-4520-05

INTITULÉ:                                                             CALIPH KAHN

c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                   LE 8 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                       LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                          LE 16 AOÛT 2005

COMPARUTIONS:

Barbara Jackman                                                  POUR LE DEMANDEUR

Janet Chisholm                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Barbara Jackman                                                  POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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