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Date : 20050607

Dossiers : T-2075-03

T-2076-03

T-2077-03

T-2078-03

Référence : 2005 CF 813

ENTRE :

1144020 ONTARIO LIMITED

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

THEMISTOCLES SAYSON

ALICE SHIELDS

défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                La question en litige dans les présentes demandes de contrôle judiciaire est celle de savoir si trois demandes péremptoires de production de renseignements et de documents, faites en vertu du paragraphe 231.6(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), chap. 1 (la Loi), et une demande péremptoire de production de renseignements et de documents, faite en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi, devraient être annulées ou modifiées parce qu'elles sont déraisonnables ou inappropriées.

LES FAITS

Les parties

[2]                Pendant toute la période pertinente, la demanderesse 1144020 Ontario Limited, possédait et exploitait les hôtels Inn On The Park Hotel et Holiday Inn Toronto - Don Valley (ensemble, l'hôtel). M. Allibhai est le comptable agréé de la demanderesse.

[3]                Pendant toute la période pertinente, le défendeur M. Sayson était vérificateur à la Direction de la validation et de l'exécution de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). La défenderesse Mme Shields était directrice des Services fiscaux de Toronto Centre de l'ADRC.

Première vérification


[4]                M. Sayson s'est présenté au bureau de la demanderesse à Toronto à diverses reprises entre juillet et octobre 1999 pour y effectuer une vérification de trois années d'imposition de la demanderesse, depuis celle se terminant le 31 janvier 1996 jusqu'à celle se terminant le 31 janvier 1998. M. Sayson a examiné tous les livres et registres de la demanderesse disponibles pour 1996 à 1998, y compris un contrat de gestion, des factures et des dossiers concernant les paiements effectués relativement aux services fournis à la demanderesse par Thistlefield Ltd. (Thistlefield) au cours des années d'imposition 1997 et 1998, et les listes des administrateurs, les résolutions et les relevés d'appels téléphoniques de l'hôtel, dont des documents qui indiquaient que M. Andrew Paraskeva avait participé à la gestion et à la direction de la demanderesse pendant les années d'imposition 1997 et 1998.

[5]                Le 14 mai 2001, le ministre du Revenu national a établi des avis de nouvelle cotisation pour chacune des années d'imposition 1996 à 1998 et a refusé notamment la déduction des honoraires pour services de gestion payés à Thistlefield pour les années d'imposition 1997 et 1998. La demanderesse a déposé des avis d'opposition le 1er juin 2001 relativement aux trois années d'imposition 1996 à 1998 et a contesté le refus de la déduction des honoraires de Thistlefield. La Division des appels de l'ADRC a finalement annulé le refus de la déduction des honoraires de Thistlefield et a conclu que la demanderesse avait déduit ces honoraires à juste titre. Dans son rapport en réponse aux avis d'opposition de la demanderesse, la Division des appels de l'ADRC a exposé les motifs de sa décision :

[traduction] La raison principale par laquelle le vérificateur a refusé la déduction des honoraires pour services de gestion n'est pas fondée. Comme l'indique l'accord de consultation en date du 1er février 1996, la société de gestion, Thistlefield Limited, serait une personne morale constituée sous le régime des lois des îles Vierges britanniques.

[...]

De plus, le vérificateur déclare [...] « nous doutons fortement que des services ont été rendus par Thistlefield Limited. Par ailleurs, nous pensons qu'il s'agit peut-être d'un simple stratagème de l'unique actionnaire visant à détourner des fonds de la société canadienne pour son usage personnel » . L'agent d'appel n'a constaté la présence au dossier du vérificateur d'aucune preuve confirmant ces soupçons ou cette hypothèse [...] Si une preuve confirmant ces soupçons du vérificateur devient plus tard disponible, il sera possible de rouvrir et de réévaluer le dossier concernant ces années d'imposition, car l'existence d'une faute lourde et d'une fraude aura alors été démontrée.


Deuxième vérification

[6]                M. Sayson s'est présenté au bureau de la demanderesse à diverses reprises en avril et en mai 2002 pour y effectuer une vérification des années d'imposition de la demanderesse depuis celle se terminant le 31 janvier 1999 jusqu'à celle se terminant le 31 janvier 2000. M. Sayson a encore une fois examiné tous les livres et registres de la demanderesse disponibles pour les années d'imposition 1999 et 2000, y compris un contrat de gestion, des factures et des dossiers concernant les paiements effectués relativement aux services fournis à la demanderesse par Thistlefield au cours des années d'imposition 1999 et 2000, les listes des administrateurs, les résolutions et les relevés d'appels téléphoniques de l'hôtel, dont des documents qui indiquaient que M. Paraskeva avait participé à la gestion et à la direction de la demanderesse pendant les années d'imposition 1997 à 1999, et un contrat, des factures et des dossiers concernant les paiements effectués relativement aux services fournis par Sedko Investment Services (Sedko) à la demanderesse pendant les années d'imposition 1997 à 1999.

[7]                Le 28 octobre 2002, M. Itwar de la Direction de l'impôt international de l'ADRC a envoyé un courriel à M. Sayson; en voici un extrait :

[traduction] Vous craignez qu'il y ait prescription pour l'année d'imposition 1999 le 6 décembre 2002 et vous pensez que l'ADRC devrait protéger ses intérêts et établir une nouvelle cotisation pour l'année 1999. Vous avez envisagé de demander une renonciation au contribuable. Votre chef d'équipe, Charles Thompson, a cependant déclaré que l'ADRC n'a pas pour politique de demander une renonciation afin de prolonger la période de vérification.

Par conséquent, la décision d'établir une nouvelle cotisation pour l'année 1999 sera prise par votre BSF.


Cependant, les faits n'ont pas changé depuis la précédente vérification (1996 à 1998) et [...] le contribuable a eu gain de cause devant la Division des appels, notamment parce que le montant des honoraires pour services de gestion payés par le Canada au non-résident était raisonnable.

Nous croyons particulièrement qu'il serait inutile de proposer que soit établie une nouvelle cotisation pour 1999. [Non souligné dans l'original.]

[8]                Néanmoins, au début de novembre 2002, l'ADRC a exigé que la demanderesse dépose une renonciation relativement à la période normale de nouvelle cotisation pour son année d'imposition 1999. La demanderesse a déposé la renonciation le 6 novembre 2002 mais, le 25 novembre 2002, elle l'a révoquée. En conséquence, le ministre avait un délai de six mois pour établir un avis de nouvelle cotisation.

[9]                Dans une lettre datée du 5 mai 2003, M. Sayson a expliqué à M. Allibhai que le ministre estimait que la demanderesse n'avait pas fourni des renseignements et/ou des documents complets et suffisants. Le vérificateur, M. Sayson, a notamment fait les commentaires suivants :


1.         En ce qui concerne les honoraires pour services de gestion et/ou de consultation payés à Thistlefield (qui s'élevaient à 1 119 394,19 $ en 1999 et à 1 210 995,16 $ en 2000), le vérificateur a dit que la demanderesse n'avait pas produit une liste détaillée des fonctions et responsabilités réellement assumées par Thistlefield. Il a souligné qu'il semblait, d'après les renseignements fournis précédemment, que des gestionnaires clés de la demanderesse s'acquittaient, collectivement, des tâches suivantes : finances, achats, planification stratégique, gestion générale, liaison, examen des états financiers et exploitation générale. Pourtant, c'étaient les tâches ou services que la demanderesse a prétendu avoir obtenus de Thistlefield. Le vérificateur a aussi noté une information de la demanderesse selon laquelle le consultant principal de Thistlefield venait au Canada une fois par an pour fournir certains de ces services. Le vérificateur a exprimé l'avis que les fonctions ou services dont Thistlefield était censée s'occuper ne pouvaient pas avoir été fournis à partir de l'étranger, ou en une seule visite au Canada, parce qu'ils exigeaient une présence physique dans les locaux de l'entreprise. Le vérificateur a fait remarquer que la demanderesse n'avait donné aucune indication sur la manière dont elle avait rencontré le consultant principal de Thistlefield et ne lui avait fourni aucune « preuve » lui permettant de déterminer si les transactions avaient un lien de dépendance ou si les honoraires étaient raisonnables. Le vérificateur a conclu ses commentaires sur Thistlefield en soulignant que la contribuable n'avait produit aucune preuve corroborante pour établir que les services avaient effectivement été fournis.

2.         En ce qui concerne l'allocation de présence de 600 000 $ payée à M. Paraskeva, le vérificateur a souligné que la demanderesse n'a fourni aucun document expliquant la nature des services fournis ni la base sur laquelle cette somme de 600 000 $ a été calculée.


3.         En ce qui concerne la déduction d'une somme de 700 000 $ payée à Sedko, le vérificateur a souligné que, jusqu'à présent, quatre noms différents lui ont été indiqués relativement à la personne morale qui a reçu ce paiement et que la demanderesse ne lui a pas remis de copie signée de l'entente en vertu de laquelle l'argent a été versé ni des documents indiquant que les services ont effectivement été fournis.

[10]             Dans la réponse à cette lettre qu'il a envoyée pour la demanderesse le 8 mai 2003, M. Allibhai dit que les renseignements demandés avaient déjà été fournis. Il a aussi demandé que toute nouvelle cotisation établie pour l'année d'imposition 1999 de la demanderesse permette [Traduction] « les déductions maximales pour DPA, MCIA et pertes autres que des pertes en capital » .

[11]             Le 16 mai 2003, le ministre a établi pour l'année d'imposition 1999 de la demanderesse, un avis de nouvelle cotisation dans lequel il a rejeté notamment la déduction des honoraires de Thistlefield, l'allocation de présence versée à M. Paraskeva et les honoraires de consultant payés à Sedko. De plus, en dépit de la demande faite à cet égard par la demanderesse, le ministre n'a pas permis les déductions maximales possibles pour la déduction pour amortissement (DPA) et le montant cumulatif des immobilisations admissibles (MCIA), et il n'a pas appliqué les pertes autres que les pertes en capital disponibles pour les années d'imposition 2000 et 2001 de la demanderesse.


[12]             M. Allibhai a alors averti M. Sayson du refus du ministre d'établir une nouvelle cotisation conformément à sa demande. M. Sayson a répondu que les déductions maximales pour la DPA et le MCIA n'avaient pas été autorisées [traduction] « parce que la renonciation de 1999 avait été révoquée » . Il a aussi indiqué que lorsque l'année d'imposition 2000 ferait l'objet d'une « nouvelle cotisation » , il n'y aurait aucune perte autre qu'une perte en capital à reporter à l'année d'imposition 1999. Plus tard, cependant, dans une lettre datée du 29 juillet 2003, l'ADRC a confirmé que les montants maximaux de DPA et de MCIA seraient autorisés et que ces rajustements seraient traités dès que possible.

[13]             La demanderesse a déposé un avis d'opposition le 6 août 2003.

[14]             Jusqu'à présent, aucune nouvelle cotisation n'a été établie pour l'année d'imposition 2000.

Troisième vérification


[15]             M. Sayson s'est présenté au bureau de la demanderesse à diverses reprises en septembre et en octobre 2003 pour y effectuer une vérification de l'année d'imposition de la demanderesse se terminant le 31 janvier 2001. Il a examiné tous les livres et registres de la demanderesse disponibles pour l'exercice 2001, y compris un contrat de gestion, des factures et des dossiers concernant les paiements effectués relativement aux services fournis à la demanderesse par Thistlefield pendant l'année d'imposition 2001, et les listes des administrateurs, les résolutions et les relevés d'appels téléphoniques de l'hôtel, indiquant la démission de M. Paraskeva comme administrateur de la demanderesse.

Demandes péremptoires de production/Lettres de demande de production

[16]             Le 6 octobre 2003, Mme Shields a évoqué quatre lettres (lettres de demande ou demandes de production). La première lettre de demande exigeait que la demanderesse produise, dans les 92 jours, les renseignements ou documents étrangers relatifs aux services de gestion/consultation fournis par Thistlefield. La deuxième lettre de demande exigeait que la demanderesse produise, dans les 92 jours, les renseignements ou documents étrangers relatifs à l'allocation de présence versée à M. Paraskeva. La troisième lettre de demande exigeait que la demanderesse produise, dans les 92 jours, les renseignements ou documents étrangers relatifs aux services de consultation fournis par Sedko. La quatrième lettre de demande exigeait que la demanderesse produise, dans les 62 jours, les renseignements ou documents relatifs aux services de gestion/consultation fournis par Thristlefield, à l'allocation de présence versée à M. Paraskeva et aux services de consultation fournis par Sedko pour les années d'imposition 1999 et 2000 de la demanderesse.

[17]             Ces demandes de production étaient les premières demandes de renseignements faites à la demanderesse conformément aux paragraphes 231.2(1) et 231.6(2) de la Loi.


[18]             Le 29 octobre 2003, l'avocat de la demanderesse a écrit à Mme Shields. Il a indiqué dans cette lettre les dates auxquelles les renseignements et documents exigés dans les lettres de demande avaient été antérieurement fournis à l'ADRC. (À cet égard, au cours de chacune des vérifications, des représentants de la demanderesse ont répondu aux questions du vérificateur et MM. Sayson et Allibhai ont échangé des lettres dans lesquelles la demanderesse a fourni des renseignements et des documents à M. Sayson.) L'avocat a également fourni aux questions contenues dans les lettres de demande des réponses auxquelles, selon lui, la demanderesse n'avait pas encore répondu.

[19]             La demanderesse affirme maintenant qu'il est impossible, pour les motifs qui suivent, de fournir les renseignements ou documents qui sont exigés dans les lettres de demande et qui n'ont pas déjà été fournis à l'ADRC :

1)          la demanderesse n'est pas au courant des renseignements demandés;

2)          les renseignements ou documents demandés, s'ils existent vraiment, ne peuvent pas être obtenus de non-résidents sans lien de dépendance;

3)          les renseignements ou documents demandés n'existent pas sous la forme détaillée demandée;

4)          les renseignements ou documents demandés n'existent pas.


[20]          Le contrôleur de la demanderesse a été contre-interrogé sur l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de la présente demande. En contre-interrogatoire, il a reconnu ce qui suit :

1.          Les demandes de production étaient les premières demandes de renseignements et documents étrangers faites à la demanderesse par le ministre.

2.         Certains renseignements et documents exigés dans les demandes de production n'avaient jamais été exigés auparavant. Les renseignements qui n'avaient encore jamais été exigés comprenaient le budget d'exploitation de la demanderesse pour 1999, son budget d'exploitation pour 2000 et son plan quinquennal d'exploitation pour 1999-2004.

L'ORDONNANCE DEMANDÉE


[21]          Dans l'avis de requête contenu dans son dossier de demande, la demanderesse sollicite l'annulation des lettres de demandes ou, subsidiairement, elle demande à la Cour : i) de modifier les lettres de demande afin d'y supprimer toutes les questions déjà posées par l'ADRC auxquelles elle a déjà répondu; ii) de déclarer qu'elle s'est conformée pour l'essentiel aux exigences de production des documents étrangers; et iii) de rendre une ordonnance interdisant au ministre de prendre contre elle toute action ou procédure prévue notamment dans la Loi parce qu'elle n'a pas répondu aux demandes de production. Dans ses observations écrites, la demanderesse sollicite une ordonnance interdisant au ministre d'envoyer d'autres demandes de production en vertu des paragraphes 231.2(1) ou 231.6(2) de la Loi relativement aux questions qui sont visées par les lettres de demande.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[22]          Comme il a été mentionné ci-dessus, les demandes de production ont été faites en vertu des paragraphes 231.2(1) et 231.6(2) de la Loi. Le paragraphe 231.2(1) et l'article 231.6 de la Loi sont reproduits en annexe des présents motifs.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]          La demanderesse demande à la Cour de trancher les questions suivantes :

1.          La Cour devrait-elle annuler ou modifier les lettres de demande parce qu'elles sont déraisonnables et inappropriées?

2.          Subsidiairement,

a)           La demanderesse s'est-elle conformée pour l'essentiel aux lettres de demande?


b)           Devrait-il être interdit aux défendeurs de prendre toute action ou procédure contre la demanderesse parce qu'elle n'a pas répondu aux demandes de production ou de faire d'autres demandes de production en application des paragraphes 231.2(1) ou 231.6(2) de la Loi relativement aux questions qui sont visées par les lettres de demande?

ANALYSE

(i) Le régime législatif établi pour les demandes de production faites en vertu du paragraphe 231.6(2) de la Loi (demande de renseignements étrangers)

[24]          Le paragraphe 231.6(1) de la Loi définit l'expression « renseignement ou document étranger » (pour l'application de l'article) : « un renseignement ou document étranger s'entend d'un renseignement accessible, ou d'un document situé, à l'étranger, qui peut être pris en compte pour l'application ou l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi » [non souligné dans l'original].

[25]          Par conséquent, la loi exige que le ministre, pour obtenir des renseignements ou documents étrangers, établisse qu'ils peuvent « être pris en compte pour l'application ou l'exécution de la [Loi] » . La nature exhaustive du pouvoir conféré par l'article 231.6 de la Loi a été décrite de la manière suivante par le juge Cullen dans la décision Merko c. Ministre du Revenu national, [1991] 1 C.F. 239 (1re inst.), au paragraphe 24:


[...] La Loi ne prévoit aucune période pour la demande de renseignements et manifestement le Ministère n'est pas obligé de faire la mise en demeure au cours de l'établissement de la cotisation ou de la nouvelle cotisation du contribuable, malgré l'argument vigoureux présenté par l'avocat du requérant et l'emploi du mot « cotisation » dans les copies des notes techniques publiées par le ministère des Finances au moment de l'adoption de l'article 231.6 de la Loi. Si le législateur avait voulu limiter l'emploi de ce pouvoir considérable à la période comprise entre la date de l'établissement de la cotisation (ou de la nouvelle cotisation) et celle de l'avis d'opposition (ou de la décision de confirmer ou de rejeter l'opposition), il lui aurait été facile de l'exprimer. Il ne l'a pas fait. Même si le contribuable a déjà engagé des procédures judiciaires, Revenu national peut toujours exiger que le contribuable ou un tiers fournisse des renseignements ou des documents étrangers, s'il peut soutenir que ceux-ci sont nécessaires à l'application ou à l'exécution de la Loi.

[26]          Suivant le paragraphe 231.6(5) de la Loi, le juge de la Cour peut, sur demande de la personne mise en demeure de produire des renseignements étrangers, modifier la mise en demeure « de la façon qu'il estime indiquée dans les circonstances » ou déclarer sans effet la mise en demeure s'il est convaincu qu'elle est « déraisonnable » .

[27]          Ni l'expression « indiquée dans les circonstances » , ni le mot « déraisonnable » ne sont définis. Ce qui est indiqué ou raisonnable dans une affaire est une question de fait qui doit être déterminée en fonction des faits de l'espèce. Voir : Merko, précitée, au paragraphe 19.

(ii) Le régime législatif établi pour les demandes de production faites en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi (demandes de production de renseignements se trouvant au Canada)

[28]          Le paragraphe 231.2(1) de la Loi prévoit que le ministre peut faire une demande de production en vertu de ce paragraphe « pour l'application et l'exécution de la présente loi » .

[29]          L'étendue du pouvoir du ministre a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt James Richardson & Sons Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1984] 1 R.C.S. 614. La juge Wilson a écrit pour la Cour aux paragraphes 14 et 15 :


14. Les termes du par. 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu sont incontestablement très généraux et, à première vue, ils s'appliquent à toute demande de renseignements adressée à quiconque est au courant des affaires d'une autre personne concernant son assujettissement à l'impôt. En d'autres termes, ce paragraphe permet, si on lui donne une interprétation large, d'explorer les affaires d'un contribuable et il enjoint à quiconque est en mesure de contribuer à cette exploration d'y participer. Il n'est pas nécessaire que le ministre soupçonne l'inobservation de la Loi ou encore moins qu'il ait des motifs raisonnables et probables de croire que la Loi a été enfreinte, comme l'exige le par. 231(4). On pouvait se prévaloir du paragraphe pour demander les renseignements en question à la condition qu'ils aient une incidence (ou peut-être même qu'ils puissent simplement avoir une incidence) sur l'assujettissement à l'impôt d'un contribuable.

15. Cependant, l'arrêt Canadian Bank of Commerce établit clairement que le paragraphe en question ne doit pas être interprété d'une façon aussi large. Le jugement de la Cour à la majorité rendu par le juge Cartwright (alors juge puîné) établit ce qui suit:

a)         le critère applicable à la question de savoir si le ministre agit dans un but prévu par la Loi est un critère objectif et cette question doit être tranchée en fonction d'une interprétation juste du paragraphe et en fonction de son application aux circonstances décrites;

b)          l'obtention de renseignements portant sur l'assujettissement à l'impôt d'une seule ou de plusieurs personnes déterminées dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête est une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi;

c)          il n'est pas nécessaire que la personne à qui les renseignements sont demandés soit une personne dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête;

d)         le fait que des renseignements donnés puissent divulguer des opérations confidentielles qui mettent en cause des personnes qui ne font pas l'objet d'une enquête et qui peuvent ne pas être assujetties à l'impôt n'a pas pour effet d'invalider la demande.

[30]                  Cet arrêt a été mentionné et approuvé par la Cour suprême du Canada dans R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, où la Cour a confirmé la constitutionnalité du prédécesseur de l'article 231.2.


[31]                  Dans la décision AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), [1996] 3 C.F. 505 (1re inst.), le juge Rothstein, tel était alors son titre, a examiné la validité et l'applicabilité des avis de demandes de production donnés en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi dans un cas où, notamment, la contribuable a soutenu qu'une bonne partie des renseignements demandés par le ministre n'étaient pas pertinents et où des admissions en ce sens avaient été faites par le témoin du ministre en contre-interrogatoire. Le juge Rothstein a résumé au paragraphe 17 les principes directeurs régissant le paragraphe 231.2(1) :

Compte tenu des arrêts Richardson et McKinlay, je conclus comme suit :

1. L'attente en matière de respect de la vie privée dans le cas des dossiers commerciaux est relativement faible.

2. Dans la mesure où l'objet du ministre est lié à l'administration et à l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, il n'est pas nécessaire que les documents demandés concernent une question particulière pour qu'une demande de production puisse être délivrée aux termes du paragraphe 231.2(1).

3. Des documents peuvent être exigés même si leur préparation ou leur tenue n'est pas requise par la Loi de l'impôt sur le revenu.

4. Il n'est pas nécessaire qu'une demande de production de documents énonce les raisons pour lesquelles les documents sont demandés.

5. Tant et aussi longtemps que les documents concernent une enquête véritable au sujet de la dette fiscale d'une personne, ils peuvent être visés par une demande de production fondée sur le paragraphe 231.2(1).

[32]              La décision du juge Rothstein a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans [1997] 2 C.F. 878. Aux paragraphes 21, 22, 23 et 24 de cet arrêt, la juge Desjardins a écrit pour la Cour :

21. L'appelante soutient essentiellement qu'indépendamment du fait que le paragraphe 231.2(1) de la Loi a été déclaréconstitutionnellement valide, chaque avis de demande de production qui est envoyé en vertu de cette disposition doit satisfaire au critère de l'utilité et du caractère raisonnable.

22. Pour répondre à cet argument, il suffit de dire que, dès qu'une disposition législative est déclarée valide, comme c'était le cas du paragraphe 231.2(1) de la Loi dans l'arrêt McKinlay, l'analyse constitutionnelle prend fin. Seule une analyse législative est ensuite nécessaire. C'est dans le cadre de cette dernière analyse que j'examine maintenant les moyens invoqués par l'appelante au sujet de l'utilité et du caractère raisonnable.


23. Sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, le rôle du ministre consiste à vérifier la dette fiscale du contribuable qui est d'abord révélée dans la déclaration de revenus du contribuable. Il est souvent « impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière » . En raison de la nature de la conduite qui est réglementée par la Loi de l'impôt sur le revenu, il est souvent impossible de déterminer si le contribuable a commis des actes proscrits, à moins d'étudier les moyens que la société ou l'entreprise soupçonnée a utilisés pour prendre sa décision ou pour la mettre en oeuvre. Le recours à des mécanismes d'enquête qui forcent les sociétés et d'autres entreprises à divulguer ce qu'elles et elles seules peuvent connaître au sujet de leurs affaires internes fait partie des droits qu'a l'État de veiller au respect de la Loi.

24. Bien que l'on reconnaisse le droit d'une personne physique ou d'une personne morale à garder confidentielles ses stratégies commerciales, la mise en balance des intérêts en jeu favorise incontestablement l'État. Dans l'arrêt McKinlay, le juge Wilson reconnaît que le ministre « est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d'avoir eu la possibilité de les examiner » . Il existe un dernier mécanisme de protection. Ce ne sont pas tous ces documents qui sont nécessairement admissibles et qui peuvent être opposés au contribuable devant un tribunal judiciaire ou dans le cadre d'une autre instance. Ne sont admissibles que les documents qui sont conformes aux règles de la preuve. [Notes de bas de page omises.]

[33]              Je reconnais que les principes suivants se dégagent de la jurisprudence en ce qui concerne les demandes de production visant des renseignements se trouvant au Canada :

i)            La détermination de la dette fiscale d'un contribuable est un objectif lié à l'application de la Loi.

ii)           Pour que la demande de production des documents soit valide, le ministre n'a pas à établir que les documents seront pertinents; il suffit qu'il établisse que les documents demandés peuvent être pertinents.

iii)          La pertinence s'apprécie en déterminant si le document particulier demandé peut être pris en compte pour déterminer la dette fiscale d'un contribuable et non si le document particulier demandé est pertinent à une question précise faisant l'objet d'une vérification.


(iii) Les demandes de production visaient-elles des renseignements étrangers « pris en compte pour l'application et l'exécution de la Loi » et la demande de production visant des renseignements se trouvant au Canada a-t-elle été faite pour « l'application et l'exécution de la Loi » ?

[34]              Dans l'arrêt Tower c. Ministre du Revenu national, [2004] 1 R.C.F. 183, la Cour d'appel fédérale a dit, au paragraphe 29, que « l'évaluation de l'obligation fiscale d'un contribuable est un objectif lié à l'application et l'exécution de la Loi. Une demande de production est valide si les renseignements demandés peuvent se rapporter à l'évaluation de la dette fiscale du contribuable visé. C'est làun seuil peu élevé » .

[35]            À mon avis, il n'y a aucun doute que la dette fiscale de la demanderesse faisait l'objet d'une enquête pendant toute la période pertinente. De même, il n'y a aucun doute que les demandes de production de renseignements étrangers et la demande de production de renseignements se trouvant au Canada visaient des renseignements qui peuvent être pris en compte pour déterminer la dette fiscale de la demanderesse. L'avocat de la demanderesse a répondu aux demandes de production et n'a fait aucune objection fondée sur la pertinence des renseignements demandés ou le caractère raisonnable per se des demandes. Les objections de l'avocat aux demandes de production s'appuyaient sur ce qu'il a décrit comme un excès de zèle de la part du vérificateur et sur son opinion que la plupart des questions avaient déjà été posées et avaient reçu une réponse.


[36]            Comme elles satisfont au critère préliminaire, c'est-à-dire que les renseignements sont pertinents pour la dette fiscale de la demanderesse et, par conséquent, pour l'application et l'exécution de la Loi, les demandes de production de renseignements ou documents sont valides prima facie. De même, comme la dette fiscale de la demanderesse était l'objet d'une enquête sérieuse et authentique et comme la demande de production de documents se trouvant au Canada a été faite pour déterminer sa dette fiscale, cette dernière demande est valide prima facie.

(iv) Les demandes de production étaient-elles néanmoins déraisonnables ou inappropriées dans les circonstances?

[37]            La demanderesse prétend que les demandes de production de documents étrangers étaient déraisonnables ou inappropriées, et que la demande de production de documents se trouvant au Canada n'était pas objectivement raisonnable pour les motifs suivants :

a)          les lettres de demande dénotent une attitude qui est loin d'être objective de la part de M. Sayson à l'égard de la demanderesse;

b)          lorsqu'elle a envoyé les lettres de demande, la Division de la vérification avait terminé ses activités de vérification pour les années d'imposition 1996 à 2000 de la demanderesse. C'est pourquoi l'envoi à ce moment-là des lettres de demande ne semble pas avoir eu pour but de favoriser l'application et l'exécution de la Loi par la Division de la vérification de l'ADRC;


c)          les lettres de demande exigeaient la production de renseignements qui avaient déjà été fournis à plusieurs reprises à l'ADRC;

d)          en ce qui concerne la lettre de demande de production de renseignements se trouvant au Canada, les défendeurs ont tenté de contourner les délais raisonnables prévus au paragraphe 231.6(4) de la Loi.

[38]            En outre, la demanderesse affirme que les demandes de production de documents étrangers exigeaient des renseignements ou documents qui étaient sous le contrôle ou à la disposition d'un non-résident n'ayant aucun lien avec la demanderesse.

a)          L'attitude du vérificateur

[39]            La demanderesse prétend que le vérificateur s'est senti personnellement attaqué quand la Division des appels a annulé son évaluation, rejetant les honoraires pour services de gestion de 827 473 $ et de 945 619 $ payés à Thistlefield pour les années d'imposition 1997 et 1998. La demanderesse donne les exemples suivants pour établir l'attitude du vérificateur :

1.          Malgré la teneur du courriel de M. Itwar reproduit au paragraphe 7 ci-dessus, le vérificateur a fait les trois choses suivantes qui entraient en conflit avec les conseils de M. Itwar :

i)           il a demandé la renonciation pour prolonger la période de vérification;


ii)          quand la renonciation a été révoquée, il a établi une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1999;

iii)          dans cette nouvelle cotisation, il a rejeté les honoraires pour services de gestion payés à Thistlefield.

2.          Le vérificateur n'a pas tenu compte de la demande voulant que, dans toute nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1999, la demanderesse puisse déduire les déductions maximales de DPA et de MCIA. De plus, le vérificateur a donné un motif illogique pour ne pas accepter la demande.

3.          Ce refus était malveillant et préjudiciable pour la demanderesse parce que, en tant que grande société, elle devait, en vertu du paragraphe 225.1(7) de la Loi, payer au moins la moitié de l'impôt dû dans les 90 jours de la nouvelle cotisation.

[40]            La demanderesse souligne que le ministre n'a déposé aucune preuve par affidavit pour s'opposer à la présente demande et elle demande à la Cour de tirer de ce fait une déduction défavorable.


[41]            La demanderesse a produit en preuve le rapport de vérification visant la période de vérification relative à l'année d'imposition 1999 (le rapport de vérification). Ce rapport a été signé par le chef de l'équipe de vérification de l'ADRC le 15 mai 2003 et indique qu'il a été remanié par le vérificateur le 22 juillet 2003. La dernière page est une note relative aux demandes de production (qui doit, par conséquent, avoir été ajoutée après le 6 octobre 2003). La demanderesse a obtenu ce rapport en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1. Je n'ai aucune raison de douter de son authenticité et, à mon avis, il constitue la meilleure preuve de ce que croyait le vérificateur et de ce qu'il avait l'intention de faire. À cause de l'importance accordée par la demanderesse à l'attitude et aux intentions du vérificateur, une partie importante de ce rapport de vérification est reproduite ci-dessous. Dans ce rapport, le vérificateur a écrit ce qui suit :

[traduction] Parmi les rajustements faits au cours de notre vérification antérieure, il y avait les sommes de 945 619 $ et de 827 473 $ en honoraires pour services de gestion qui ont été refusées pour 1997 et 1998 respectivement. Ces honoraires auraient été payés à Thistlefield Limited (R.-U.), une société inscrite aux îles Vierges britanniques (IVB), pour des services de consultation qui auraient été effectués à l'extérieur du Canada.

Voici nos commentaires au sujet de notre examen de cette dépense lors de la vérification précédente :

i.               Au cours de la vérification, nous avons constaté la présence de factures relatives à des honoraires pour services de gestion, de consultation et de marketing de Thistlefield Limited, située au 46 Cheyne Court, Royal Hospital Road, Londres, UK SW3 5TS. Thistlefield Limited est une société des îles Vierges britanniques ayant des bureaux à Londres, en Angleterre.

ii.              Les seuls éléments de preuve documentaire produits pour confirmer les services rendus par Thistlefield Limited étaient :

·                des factures mensuelles de Thistlefield, contenant une description des « honoraires pour services de gestion, de consultation et de marketing » et

·                un contrat de gestion.

iii.             Le contrat de gestion prévoyait le paiement des honoraires sur la base d'un pourcentage des recettes brutes de l'hôtel. De plus, le contrat précisait en ce qui concerne les modalités de paiement que les paiements seraient effectués si 1144020 Ontario Limited, à son entière discrétion et agissant de façon raisonnable, disposait de fonds suffisants. Le paiement (par traite bancaire) de la somme de 1 773 088 $ pour les honoraires pour services de gestion de 1997 et 1998 a été effectué le 9 septembre 1998.


iv.             Compte tenu de la nature inhabituelle de cet arrangement et du fait qu'aucun document ou preuve indiquant que Thistlefield Limited a effectivement accompli un quelconque travail n'a été fourni par le contribuable et vu que nous soupçonnons que les fonds ont été simplement soutirés au fisc au Canada,

v.             

vi.             et n'ayant reçu de la contribuable aucune preuve documentaire indiquant qu'un travail quelconque a effectivement été accompli par Thistlefield Limited, nous avons refusé la dépense en raison de l'absence de preuve corroborant que les services ont été réellement fournis et nous avons appliqué l'impôt prévu à la Partie XIII.

La contribuable s'est opposée non seulement à d'autres rajustements, mais aussi au refus de la déduction des honoraires pour services de gestion et elle a demandé au BSF de Vancouver de s'occuper de l'objection. Le refus de la déduction des honoraires pour services de gestion a été annulé par la Division des appels. La Division des appels semble s'être appuyée sur quelques documents intéressés, qui n'étaient pas là au moment de la vérification. Elle semble également ne pas avoir réellement tenu compte de nos inquiétudes concernant le caractère raisonnable des honoraires au sujet desquels on n'avait produit quasiment aucune preuve ou confirmation.

Par la suite, lors de notre vérification de suivi des livres et registres de 1144020 Ontario Limited, nous avons constaté que la société avait déduit à titre de dépenses les sommes de 1 119 394 $ et 1 210 995 $ en 1999 et 2000 respectivement, pour les services rendus par Thistlefield Limited. (De plus, la contribuable a réclamé à titre de dépenses des honoraires de consultation de 700 000 $ payés à Sedko Investment Services, Inc. (U.S.) et une allocation de présence de 600 000 $ payée à Andrew Paraskeva à Chypre.) Nous avons encore une fois demandé à la contribuable de produire une preuve confirmant que ces paiements étaient déductibles. Comme ce fut le cas lors de la première vérification, aucune preuve corroborante et/ou documentation n'a été fournie.

Cependant, la contribuable dispose maintenant comme arme de la décision de la Division des appels, même si cette décision concernait les dépenses de 1997 et 1998.

[...]

a) Les faits :

Les seuls éléments de preuve documentaire concernant les honoraires pour services de gestion/de consultation payés à Thistlefield Limited (R.-U.) étaient les factures mensuelles de Thistlefield Limited, qui contenaient une description des « honoraires pour services de gestion, de consultation et de marketing » , un contrat de gestion (ainsi qu'une entente de modification du contrat de gestion) et les chèques annulés pour le paiement de la traite bancaire en faveur de Thistlefield Limited.

b) Notre position sur la vérification antérieure (1996-1998) :

Lors de la vérification effectuée pour les années 1996 à 1998, nous avons refusé les honoraires pour services de gestion/de consultation payés à Thistlefield Limited (R.-U.) pour les raisons suivantes :


i) Les seuls éléments de preuve documentaire fournis pour confirmer le travail effectué par Thistlefield étaient les factures mensuelles de Thistlefield Limited, qui contenaient une description des « honoraires pour services de gestion, de consultation et de marketing » , un contrat de gestion et les chèques annulés.

ii) La contribuable n'a fourni aucune preuve confirmant que les services ont été effectivement rendus. On a demandé à la contribuable de produire les éléments de preuve documentaire qui devraient normalement être produits, comme les relevés d'appels téléphoniques, les copies de rapports, les noms des personnes qui ont fourni les services ainsi que d'autres documents vérifiables provenant de tiers, mais elle ne l'a pas fait. (Des observations ont été présentées à la Division des appels, après la vérification.)

iii) Dans le rapport de vérification concernant l'année précédente, nous n'avons pas mis l'accent sur le caractère raisonnable du montant versé parce que la contribuable n'a pas démontré que les services allégués avaient « effectivement » été fournis.

iv) Bien que nous n'ayons aucune preuve, nous soupçonnons que les fonds ont été simplement soutirés au fisc au Canada.

v) Nous avons également tenu compte des recherches que nous avons effectuées sur Internet et qui n'ont pas confirmé clairement l'existence de la société (Thistlefield Limited) ni de la personne (M.K. Lakha).

vi) Un autre facteur dont nous avons tenu compte dans notre décision est la remarque précédente de la contribuable, qui a indiqué que Thistlefield Limited est une société internationale de gestion qui fournit des services à l'industrie hôtelière aux É.-U. et en Europe. Cependant, M.Salim Allibhai, le représentant de la contribuable, a confirmé par écrit que Thistlefield Limited n'a pas de site Web. Il est tout à fait inhabituel qu'un organisme international n'ait pas de site Web compte tenu de la nature des activités commerciales.

[...]

Le paiement ci-dessus à Thistlefield Limited est refusé pour les raisons suivantes :

a) Malgré la décision favorable à la contribuable que la Division des appels a rendue relativement à notre vérification des années 1996 à 1998, nous nous intéressons dans le cadre de la présente vérification à la validité des dépenses réclamées. Les documents que nous avons demandés auraient dû être produits. Nous avons demandé à la contribuable de fournir des renseignements pour justifier la dépense, mais elle ne l'a pas fait. Veuillez vous reporter à la partie du présent rapport concernant la correspondance échangée, en particulier à la lettre que nous avons envoyée au représentant de la contribuable le 3 mars 2003.

b) À notre avis, ce qui s'est passé en 1996 et 1998 ne s'applique pas aux années courantes examinées et il convient d'examiner séparément le bien-fondé de la vérification de l'année courante. Encore une fois, la contribuable n'a pas produit les renseignements demandés.

c)


d) La contribuable a été incapable de produire une preuve corroborante qui indiquerait que les services ont effectivement été fournis par Thistlefield Limited (R.-U.). Au cours de la vérification [antérieure (années d'imposition 1996, 1997 et 1998) et actuelle pour les années d'imposition 1999 et 2000], la contribuable n'a fourni aucun document justificatif indiquant que les services ont effectivement été fournis. Elle a uniquement produit les factures, censées provenir de Thistlefield Limited (R-.U.), qui contenaient une description des « honoraires pour services de gestion, de consultation et de marketing » , et un contrat de consultation.

e) Même si ses registres indiquaient que des paiements ont été faits à Thistlefield Limited, la contribuable n'a pas établi que les services, s'ils ont effectivement été rendus, étaient raisonnables dans les circonstances. Il ressort de nos recherche qu'il n'y a pas de dépenses comparables (d'une partie non liée ou indépendante) à cette dépense particulière dans le même secteur d'activité ou catégorie d'entreprises. Les données initiales recueillies pour cette catégorie d'entreprises (code d'activité économique 7011) ne montraient aucune déduction semblable pour des honoraires de consultation.

f) Il y a de nombreuses contradictions ou incohérences entre les registres et les observations de la contribuable : i) Interrogée sur les fonctions des principaux gestionnaires de l'hôtel, elle a indiqué que les fonctions et responsabilités étaient globalement identiques aux services qu'auraient fournis Thistlefield Limited (TL). Ainsi, il est déraisonnable d'obtenir les services d'un consultant pour des services qui sont déjà assurés par les principaux gestionnaires de l'hôtel. ii) Quand on lui a demandé d'identifier le directeur présumé de TL, la contribuable n'a pas pu donner le nom complet ni l'adresse actuelle de M. K. Lakha. iii) Dans la demande de la contribuable, on peut lire que les services ont été rendus à l'extérieur du Canada. Cependant, les services qu'auraient rendus TL n'auraient pas pu être fournis à l'extérieur du Canada, car ces services exigent la présence physique de M. K. Lahka au Canada (veuillez consulter le contrat de consultation ci-joint en date de février 1996). iv) La contribuable a également indiqué dans sa demande qu'il s'agit d'une société familiale. Cependant, le représentant de la contribuable a indiqué que le directeur de TL n'était pas apparenté aux Somani, ni aux Sunderji (les actionnaires de la société). Cela contredisait clairement la déclaration faite au sujet des liens de parenté (soit que l'entreprise est une société familiale).

g) On a demandé plusieurs fois par écrit à la contribuable de produire des preuves corroborantes, qui établiraient que les services ont effectivement été rendus. Cependant, la contribuable n'a pas produit les renseignements demandés. Veuillez vous reporter à la partie du présent rapport concernant la correspondance échangée, en particulier à la lettre de l'Agence en date du 3 mars 2003, qui précisait les documents/renseignements demandés. Comme la contribuable a omis encore une fois de produire les renseignements, nous avons demandé au directeur de faire une demande de production conformément aux articles 231.2 et 231.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Par la suite, notre demande a été approuvée et les lettres de demande ont été envoyées par courrier recommandé le 6 octobre 2003. Veuillez vous reporter à l'annexe jointe du présent rapport T20 pour les mesures supplémentaires subséquentes prises dans le cadre de la vérification relativement à cette question.

[42]       J'en déduis que le vérificateur :

i)           ne croyait pas que la demanderesse avait produit des documents ou des renseignements complets ou adéquats;


ii)          croyait que des éléments de preuve documentaire, qui normalement devraient exister, n'avaient pas été produits;

iii)          ne croyait pas que les honoraires de Thistlefield étaient déductibles, malgré la décision rendue par la Division des appels relativement à d'autres années d'imposition, décision qui reposait apparemment sur des renseignements qui n'avaient pas été fournis au cours de la vérification précédente.

[43]       Il est admis que la demanderesse a fourni certains renseignements et documents nouveaux à l'ADRC après avoir reçu les lettres de demande.

[44]       Compte tenu de ces éléments de preuve, je ne suis pas convaincue que le vérificateur visait un objectif illégitime quelconque ou qu'il a fait du zèle. La position avancée et les questions abordées dans le rapport de vérification et dans la lettre que le vérificateur a envoyée à la demanderesse le 5 mai 2003 dénotent tout autant, à mon avis, un respect rigoureux de son devoir par le vérificateur qu'une vengeance personnelle, de la malveillance ou un excès de zèle. La preuve n'établit donc pas que le vérificateur était motivé par un objectif illégitime.


[45]       Quant à la question de la déduction de la DPA et du MCIA (ou de leur non-déduction), l'ADRC a confirmé dès le 29 juillet 2003 (deux mois et demi après la nouvelle cotisation) que les déductions et les montants maximaux seraient autorisés et que les rajustements seraient traités aussitôt que possible (même si, pour des raisons qui ne sont pas claires, il semble que cela n'avait pas encore été fait le 14 janvier 2005, si bien qu'une mesure de recouvrement a été retardée par l'ADRC).

[46]       En ce qui concerne l'explication du vérificateur selon laquelle les déductions maximales de DPA et du MCIA n'ont pas été permises parce que la renonciation a été révoquée, je conviens qu'il s'agit d'une explication illogique. Comme la réponse figure dans une lettre que le vérificateur a envoyée directement au comptable de la demanderesse, je ne vois rien de discutable dans cette explication (ce n'est pas une explication que l'on donnerait aussi ouvertement et directement à un contribuable). Il se peut que le vérificateur ait voulu faire comprendre que la révocation de la renonciation a obligé l'ADRC à arrêter définitivement sa décision plus tôt qu'elle aurait pu le faire autrement, de sorte qu'il y avait maintenant des contraintes de temps. Quelle que soit la raison pour laquelle cette explication illogique a été donnée, cela ne suffit pas, à mon avis, pour déduire que le vérificateur a agi pour un motif illégitime.


[47]       Je conviens que l'omission du ministre de déposer en réponse une preuve par affidavit et, en particulier, son omission de produire un affidavit du vérificateur a eu pour effet de soustraire le vérificateur au contre-interrogatoire. Cependant, en droit, une déduction défavorable ne devrait être faite que lorsqu'une partie a établi une preuve prima facie et que l'autre partie omet, sans explication, de fournir des éléments de preuve sur les faits contestés dont la partie a une connaissance personnelle. Mais dans ces circonstances, une partie a le droit de ne pas indiquer au tribunal la source de la preuve. (Voir, par exemple, A.F. Sheppard, Evidence, Revised Edition (Toronto: Carswell, 1996), sections 102 et 103.)

[48]       Comme la demanderesse n'a pas établi prima facie que le vérificateur avait des motifs illégitimes, j'estime qu'aucune déduction défavorable ne devrait être tirée de l'omission du ministre de fournir une preuve contraire.

[49]       Par conséquent, si l'on suppose, en droit, que l'objectif d'un vérificateur peut invalider une demande de production par ailleurs valide, la preuve n'établit pas en l'espèce que le vérificateur avait un objectif illégitime quand il a exigé (vraisemblablement avec l'accord du chef d'équipe) que des demandes de production soient faites et quand le directeur des Services fiscaux de Toronto Centre de l'ADRC a fait ces demandes.

[50]       J'estime à tout le moins que le vérificateur croyait qu'il y avait ou qu'il devait y avoir d'autres renseignements ou documents pertinents à la déductibilité de certaines dépenses et que les divers honoraires ne pouvaient pas légitimement être déduits en vertu de la Loi. Le rapport de vérification contient des motifs crédibles qui étayent cette conviction.


b)          Lorsque les demandes de production ont été faites, la Direction de la vérification avait terminé ses activités de vérification pour les années 1996 à 2000

[51]       La demanderesse affirme qu'en général, les lettres de demande ne visaient pas spécifiquement les années d'imposition auxquelles elles s'appliquaient. Lorsque les lettres de demande contenaient des références temporelles précises, les renseignements demandés concernaient les années d'imposition pour lesquelles la Direction de la vérification de l'ADRC avait terminé la vérification fiscale de la demanderesse. Par conséquent, la demanderesse demande à la Cour d'en déduire que les lettres de demande qui ont été envoyées n'avaient pas pour objet d'assurer l'application et l'exécution de la Loi, comme le démontre la chronologie qui suit.

[52]       En ce qui concerne les années d'imposition 1996 et 1998,

i)           la première vérification était terminée;

ii)          le ministre avait établi des avis de nouvelle cotisation datés du 14 mai 2001;

iii)          la demanderesse avait déposé des avis d'opposition pour chaque année;

iv)         des observations avaient été présentées à la Division des appels de l'ADRC;

v)          la Division des appels avait statué que les premiers honoraires de Thistlefield avaient été déduits à bon droit.


[53]       En ce qui concerne les années d'imposition 1999 et 2000,

i)           la deuxième vérification était terminée;

ii)          le ministre avait établi un avis de nouvelle cotisation pour l'année 1999;

iii)          la demanderesse avait déposé un avis d'opposition;

iv)         M. Sayson a déterminé qu'il n'y aurait aucune perte autre qu'en capital à reporter rétroactivement de l'année 2000 de la demanderesse et c'est pourquoi la demanderesse affirme qu'il est raisonnable de conclure que M. Sayson avait déjà déterminé comment il établirait la nouvelle cotisation pour son année d'imposition 2000;

v)          M. Sayson n'avait pas encore établi de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 2000 de la demanderesse.

[54]       En ce qui concerne l'année d'imposition 2001,

i)           M. Sayson avait terminé l'examen des livres et registres de la demanderesse au bureau de la demanderesse;

ii)          il n'y avait pas de questions différentes de celles soulevées pour les années d'imposition 1996 à 1998 ou pour les années 1999 et 2000.


[55]       La demanderesse affirme que, à la date à laquelle les demandes de production ont été faites, la seule année que devait encore examiner la Direction de la vérification était l'année d'imposition 2001; pourtant, la majorité des questions dans les lettres de demande ne concernent pas cette année. C'est pourquoi la demanderesse soutient que les lettres de demande et leur contenu n'avaient aucun rapport avec l'application et l'exécution de la Loi. Elle croit que la Direction de la vérification de l'ADRC a envoyé les lettres de demande pour la harceler et tenter de faire annuler la décision objective rendue auparavant par la Division des appels.

[56]       Dans Tower, précité, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'argument selon lequel un contribuable n'a pas à produire des documents visés par une demande de production ayant pour objectif d'obtenir des renseignements sur des années d'imposition qui, normalement, ne peuvent faire l'objet d'une nouvelle cotisation parce qu'il y a prescription. En rejetant cet argument, la Cour d'appel a écrit, au paragraphe 32, que :

[...] [Les contribuables] soutiennent qu'ils n'ont pas besoin de produire un document quelconque exigé par les demandes de production, puisque le ministre ne peut plus établir de nouvelles cotisations pour les années en question. Je ne partage pas ce point de vue. Premièrement, les demandes de production de documents ne sont assujetties à aucun délai de prescription. En second lieu, il n'est pas établi au dossier que le ministre n'est pas en mesure de fixer de nouvelles cotisations pour 1997 et 1998. En supposant, sans conclure, que les demandes de production se rapportent uniquement à ces années-là , de nombreuses dispositions législatives autorisent le ministre à établir de nouvelles cotisations au cours des trois années qui suivent l'expiration du délai normal de prescription. D'autres exceptions législatives écartent à leur tour tout délai de prescription.


[57]       De même, comme je l'ai dit au paragraphe 25, le juge Cullen a souligné dans Merko, précitée, au sujet des demandes de production de documents étrangers, que la Loi ne prescrit pas le délai au cours duquel les renseignements doivent être demandés. Par conséquent, si le ministre est en mesure de soutenir que les renseignements ou documents sont nécessaires pour l'application et l'exécution de la Loi, il peut faire des demandes de production de documents étrangers, même après qu'un contribuable s'est adressé aux tribunaux pour obtenir une réparation.

[58]       Si on applique ces principes à la question dont est maintenant saisie la Cour, même si elles ne se limitaient pas à une année d'imposition particulière, les demandes de production de documents étrangers visaient en général des renseignements sur les liens respectifs entre la demanderesse et Thistlefield, M. Paraskeva et Sedko. Elles concernaient particulièrement les honoraires payés à Thistlefield pour les années d'imposition 1999 et 2000, l'allocation de présence payée à M. Paraskeva et les honoraires de consultation de 700 000 $ payés à Sedko en 1999.

[59]       La demande de production de renseignements se trouvant au Canada concernait les années d'imposition 1999 et 2000.


[60]       Dans la mesure où les renseignements demandés dans les demandes de production concernaient l'année d'imposition 2000, la situation factuelle est la même que celle dont avait été saisie la Cour d'appel dans l'arrêt Tower. Dans la mesure où les renseignements demandés concernaient l'année d'imposition 1999, je conviens avec le ministre que, comme dans l'arrêt Tower, il n'est pas nécessairement interdit d'établir de nouvelles cotisations. Il n'y avait donc en soi aucun empêchement temporel aux demandes de production.

[61]       Il y a, à mon avis, deux réponses à la conclusion suggérée par la demanderesse, savoir que les lettres de demande n'ont pas été envoyées dans le but d'appliquer et d'exécuter la Loi, mais plutôt de la harceler.

[62]       Premièrement, comme je l'ai expliqué plus haut, je suis convaincue que le vérificateur croyait que la demanderesse n'avait pas pleinement répondu aux demandes de renseignements et de documents, et qu'il croyait également que les divers honoraires n'étaient pas déductibles à bon droit. La Division des appels n'a pas écarté la possibilité que de nouvelles cotisations soient établies pour les années d'imposition 1996 à 1998. Dans les circonstances, je conclus que les demandes de production ont été faites aux fins de l'application et de l'exécution de la Loi.


[63]       Deuxièmement, la révocation de la renonciation a eu pour effet d'exiger que toute nouvelle cotisation relative à l'année d'imposition 1999 soit établie avant le 25 mai 2003. Le rapport de vérification indique expressément que l'année d'imposition 1999 a fait l'objet d'une nouvelle cotisation établie en fonction des renseignements alors disponibles afin de protéger la position de l'ADRC. J'en conclus qu'il s'ensuit que les demandes de production ont été faites aux fins de l'application et de l'exécution de la Loi, même si elles visaient à obtenir des renseignements sur l'année d'imposition 1999 qui avait déjà fait l'objet d'une nouvelle cotisation.

c)          La plupart des renseignements avaient déjà été fournis

[64]       La demanderesse soutient que l'envoi des lettres de demande était une mesure déraisonnable parce que les défendeurs lui demandaient des renseignements qu'ils lui avaient déjà demandés et qu'elle leur avait fournis à de nombreuses occasions. Comme les questions lui avaient été posées à de nombreuses reprises et qu'elle y avait répondu à de nombreuses reprises, la demanderesse affirme que les lettres de demande pouvaient lui avoir été envoyées dans le but de la harceler. Ainsi, les demandes de production n'auraient pas été faites aux fins de l'application et de l'exécution de la Loi. La demanderesse fournit un exemple d'un renseignement qui a été demandé deux fois dans les lettres de demande de renseignements étrangers et de renseignements se trouvant au Canada, et explique comment ce même renseignement a été fourni à M. Sayson au moins quatre fois pendant la première, la deuxième et la troisième vérification. Elle attire l'attention sur une lettre que son avocat a envoyée en réponse aux demandes de production et qui fournit, en détail, le nombre de fois que chacune des questions dans les lettres de demande a été posée et a reçu une réponse.


[65]       Je retiens l'argument avancé au nom du ministre selon lequel, en l'espèce, le fait déterminant est qu'aucune autre demande de production n'avait été faite auparavant à la demanderesse. Comme l'indique le ministre, il n'a aucun moyen de savoir si les renseignements fournis par un contribuable représentent tous les renseignements demandés, ou tous les renseignements qui peuvent être pertinents pour déterminer la dette fiscale du contribuable. Pour obliger un contribuable à fournir tous les renseignements et documents, le ministre peut faire une demande de production conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi. De même, pour déterminer si tous les renseignements étrangers disponibles ont été fournis, le ministre peut faire une demande de production conformément au paragraphe 231.6(2) de la Loi. Comme mon collègue le juge Rouleau l'a fait remarquer dans la décision Saipem Luxembourg S.A. c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), [2004] 2 C.T.C. 242 (C.F.) au paragraphe 24 :

En l'espèce, la défenderesse cherche à obtenir des renseignements afin d'effectuer une vérification générale des affaires de la demanderesse pour les années d'imposition 1999 et 2000 afin de déterminer sa dette fiscale canadienne. Il est bien établi que l'un des objets visés par une vérification fiscale est la vérification de renseignements. Le fait que certains renseignements aient été fournis par le contribuable ou qu'ils peuvent être obtenus ailleurs n'est pas pertinent. [Non souligné dans l'original.]

[66]       Il est également important de souligner que les demandes de production visaient à obtenir de nouveaux renseignements.

[67]       En conséquence, je considère que les demandes de production n'étaient pas déraisonnables simplement parce qu'une bonne partie des renseignements demandés avaient déjà été fournis par la demanderesse.


d)          Les défendeurs ont tenté, dans la demande de production de renseignements se trouvant au Canada, de contourner le délai de production raisonnable prévu au paragraphe 231.6(4) de la Loi

[68]       La demanderesse soutient qu'il est déraisonnable de lui demander de produire les renseignements et documents mentionnés dans la lettre de demande de production de renseignements se trouvant au Canada dans un délai de 62 jours et ce, parce que l'alinéa 231.6(3)a) de la Loi prévoit qu'une demande de production de renseignements étrangers doit « indiquer le délai raisonnable, d'au moins 90 jours, dans lequel les renseignements ou documents étrangers doivent être fournis » . La demanderesse prétend que cette disposition reconnaît que le délai raisonnable pour la production des renseignements ne peut être inférieur à 90 jours. Elle soutient aussi qu'il y a un chevauchement important entre les renseignements demandés dans la lettre de demande de production de renseignements étrangers et la demande de renseignements se trouvant au Canada, par exemple les renseignements relatifs à l'adresse de M. Paraskeva. Par conséquent, la demanderesse affirme que le défendeur l'oblige à fournir une bonne partie des renseignements étrangers dans un délai de 62 jours, ce qui est contraire à l'alinéa 231.6(3)a) de la Loi.


[69]       Avec égards, je pense que cet argument repose sur une mauvaise compréhension de l'obligation qui incombe à la demanderesse quand elle reçoit signification d'une demande de production de renseignements se trouvant au Canada. Cette demande n'oblige pas la demanderesse à produire des renseignements étrangers, au sens de cette expression dans la Loi. La distinction entre les obligations découlant des demandes de production de renseignements se trouvant au Canada et des demandes de production de renseignements étrangers a été expliquée par le juge en chef MacDonald de la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard dans l'arrêt R. c. Pierlot, [1993] 1 C.T.C. 69 (P.E.I.S.C.T.D.), conf. [1994] 1 C.T.C. 134 (P.E.I.C.A.) où il écrit, au paragraphe 6 :

[traduction] L'article 231.6 définit « renseignement ou document étranger » . L'intiméaffirme qu'il ne cherche pas des renseignements étrangers et qu'il n'est donc pas nécessaire de se conformer à l'article 231.6. Il prétend chercher uniquement des renseignements que l'appelant connaît et a en sa possession. Je souscris à l'argument de l'intimé. L'intiméne demande pas à l'appelant de lui fournir quelque chose qu'il n'a pas maintenant en sa possession. Si l'appelant a effectivement reçu de l'argent d'un héritage, il devrait fournir à l'intimé les détails sur la provenance de l'argent. L'appelant reconnaît qu'il possède certains documents qui indiqueraient la provenance de l'argent et il devrait les fournir à l'intimé. [Non souligné dans l'original.]

[70]       Pour les demandes de renseignements se trouvant au Canada, le paragraphe 231.2(1) de la Loi exige qu'une personne, « dans le délai raisonnable que précise l'avis » , se conforme à la demande. La question pertinente est, par conséquent, de savoir si la demande de renseignements se trouvant au Canada a accordé à la demanderesse un délai raisonnable pour s'y conformer.

[71]       À cet égard, la demanderesse a fourni les renseignements demandés sans solliciter de prorogation du délai. J'en déduis que les 62 jours prévus pour fournir une réponse étaient un délai raisonnable.


[72]       En outre, la mention de l'avis de 90 jours au paragraphe 231.6(4) reconnaît qu'il peut y avoir un retard dans l'obtention de renseignements ou documents se trouvant dans d'autres pays. Par contre, les demandes de renseignements intérieurs ne concernent que des renseignements et des documents se trouvant au Canada, que le récipiendaire de la demande connaît ou a en sa possession. Par conséquent, on peut présumer que ces renseignements peuvent souvent être obtenus plus rapidement que les renseignements étrangers.

e)          Les demandes de production de renseignements étrangers sont-elles déraisonnables parce qu'elles visent à obtenir des renseignements ou des documents qui sont accessibles à une personne non-résidente, non liée à la demanderesse, ou qui sont sous la garde de cette personne?

[73]       Le paragraphe 251(2) de la Loi définit « personnes liées » . La demanderesse affirme que, compte tenu de la preuve non contredite qu'elle a soumise à la Cour, elle n'est pas liée à Thistlefield, M. Paraskeva et Sedko. Par conséquent, elle prétend que le paragraphe 231.6(6) de la Loi prévoit qu'une lettre de demande de production de documents étrangers n'est pas déraisonnable parce que les renseignements ou documents sont accessibles ou situés chez une personne non-résidente qui n'est pas contrôlée par la personne, mais lui est liée, à qui la demande a été signifiée. Il en résulte, d'après la demanderesse, qu'une demande de production de renseignements étrangers qui vise à obtenir des renseignements ou documents d'une personne non-résidente, non liée, est déraisonnable.


[74]       Ici aussi, je crois que cet argument repose sur une mauvaise compréhension des obligations qui incombent à la demanderesse quand elle reçoit signification des demandes de production de renseignements étrangers. Ces demandes indiquent clairement qu'elles ont été faites conformément au paragraphe 231.6(2) de la loi, qui concerne les renseignements et documents étrangers que le destinataire de la demande de production ou une entité liée a en sa possession. La réponse de la demanderesse aux demandes de production de renseignements étrangers est complète lorsqu'elle affirme, si c'est effectivement le cas, qu'elle ne possède pas les renseignements et documents et ne peut pas les fournir parce que c'est une personne non liée qui les a en sa possession. Les demandes de production de renseignements étrangers n'exigent pas la production de renseignements ou documents qu'une personne non liée a en sa possession.

[75]       Compte tenu du paragraphe 231.6(8) de la Loi, il n'était pas, à mon avis, déraisonnable pour le ministre d'obliger la demanderesse à s'engager à déclarer qu'elle n'a pas de renseignements étrangers.

f)           Réparation additionnelle

[76]       Il découle des motifs susmentionnés que je n'ai pas été persuadée que les demandes de production devraient être annulées ou modifiées en tout ou en partie parce qu'elles sont déraisonnables. Cependant, la demanderesse cherche également à obtenir une ordonnance portant qu'elle s'est conformée pour l'essentiel aux demandes de production de renseignements étrangers et une ordonnance interdisant au ministre de prendre contre de toute action ou procédure prévue par la Loi parce qu'elle n'a pas répondu aux demandes de production, notamment de faire d'autres demandes de production de renseignements étrangers ou se trouvant au Canada.


[77]       La demanderesse solliciterait une ordonnance prévoyant qu'elle s'est conformée pour l'essentiel aux demandes dans le but de se soustraire aux conséquences du paragraphe 231.6(8) de la Loi qui prévoit que si une personne ne fournit pas la totalité, ou presque, des renseignements ou documents étrangers demandés et si la demande n'est pas modifiée ou déclarée sans effet, la Cour peut, dans toute affaire civile portant sur l'application ou l'exécution de la Loi, refuser le dépôt en preuve par la personne de tout document ou renseignement étranger visé par la demande de production.

[78]       À mon avis, il ne convient pas que la Cour déclare que la demanderesse s'est conformée pour l'essentiel aux demandes, du moins dans les circonstances de la présente affaire. Bien que la Cour ait à sa disposition les déclarations des témoins de la demanderesse indiquant qu'elle s'est conformée aux demandes de production de renseignements étrangers, il n'y a aucun moyen indépendant de vérifier la justesse de ces déclarations. C'est dans le cadre d'une affaire civile portant sur l'application ou l'exécution de la Loi où la demanderesse tente de déposer en preuve des renseignements ou documents qui, d'après le ministre, sont visés par la demande de production de renseignements étrangers qu'il conviendrait de déterminer s'il y a eu conformité.


[79]       Toute autre conclusion donnerait la possibilité à un contribuable d'omettre de produire des renseignements ou documents en réponse à une demande de production faite conformément au paragraphe 231.6, puis de s'adresser à la Cour afin d'obtenir un jugement déclaratoire portant qu'il s'est conformé en totalité ou en partie à la demande de production. À ce moment-là, le ministre pourrait bien être incapable de vérifier s'il existait d'autres renseignements ou documents de manière à s'opposer à la demande. Si le jugement déclaratoire était accordé, si d'autres procédures étaient engagées et si le contribuable cherchait ensuite à déposer en preuve des documents visés par la demande de production de documents étrangers, un tel jugement déclaratoire antérieur pourrait être opposé comme moyen de défense à la requête du ministre visant à empêcher le dépôt des documents en preuve. Il ne peut pas s'agir d'une conséquence qu'envisageait le législateur lorsqu'il a rédigé l'article 231.6.

[80]       Quant à l'interdiction, j'ai conclu que les demandes de production n'étaient ni déraisonnables ni autrement viciées. Je ne vois aucune raison de priver le ministre des mécanismes ordinaires d'application de la Loi. Si ces procédures sont engagées et qu'il est jugé qu'elles n'étaient pas fondées, tout comportement répréhensible peut être sanctionné, soit par des dépens dans ces procédures, soit par toute autre réparation que la demanderesse peut demander.

DÉPENS


[81]       Les deux parties ont demandé la possibilité de soumettre à la Cour des observations sur la question des dépens une fois qu'elle aurait rendu sa décision. En conséquence, l'avocat des défendeurs aura sept jours à compter de la date de réception des présents motifs pour déposer et signifier des observations écrites sur la question des dépens. Par la suite, l'avocat de la demanderesse aura sept jours pour déposer et signifier ses observations en réponse. Enfin, l'avocat des défendeurs pourra déposer et signifier ses observations en réponse dans les trois jours suivant la réception des observations de la demanderesse.

[82]       Par la suite, une ordonnance rejetant les demandes de contrôle judiciaire et tranchant la question des dépens sera rendue.

« Eleanor R. Dawson »

______________________________

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 juin 2005

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


ANNEXE

Paragraphe 231.2(1) et article 231.6 de la Loi :



231.2.(1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis:

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu'elle produise des documents.

[...]

231.6(1) Pour l'application du présent article, un renseignement ou document étranger s'entend d'un renseignement accessible, ou d'un document situé, à l'étranger, qui peut être pris en compte pour l'application ou l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi.

231.6(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne résidant au Canada ou d'une personne n'y résidant pas mais y exploitant une entreprise de fournir des renseignements ou documents étrangers.

231.6(3) L'avis doit:

a) indiquer le délai raisonnable, d'au moins 90 jours, dans lequel les renseignements ou documents étrangers doivent être fournis;

b) décrire les renseignements ou documents étrangers recherchés;

c) préciser les conséquences prévues au paragraphe (8) du défaut de fournir les renseignements ou documents étrangers recherchés dans le délai ci-dessus.

231.6(4) La personne à qui l'avis est signifié ou envoyé peut, dans les 90 jours suivant la date de signification ou d'envoi, contester, par requête à un juge, la mise en demeure du ministre.

231.6(5) À l'audition de la requête, le juge peut:

a) confirmer la mise en demeure;

b) modifier la mise en demeure de la façon qu'il estime indiquée dans les circonstances;

c) déclarer sans effet la mise en demeure s'il est convaincu que celle-ci est déraisonnable.

231.6(6) Pour l'application de l'alinéa (5)c), le fait que des renseignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés chez une personne non-résidente qui n'est pas contrôlée par la personne à qui l'avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la garde de cette personne non-résidente, ne rend pas déraisonnable la mise en demeure de fournir ces renseignements ou documents, si ces deux personnes sont liées.

231.6(7) Le délai qui court entre le jour où une requête est présentée conformément au paragraphe (4) et le jour où il est décidé de la requête ne compte pas dans le calcul:

a) du délai indiqué dans l'avis correspondant à la mise en demeure qui a donné lieu à la requête;

b) du délai dans lequel une cotisation peut être établie conformément au paragraphe 152(4).

231.6(8) Si une personne ne fournit pas la totalité, ou presque, des renseignements ou documents étrangers visés par la mise en demeure signifiée conformément au paragraphe (2) et si la mise en demeure n'est pas déclarée sans effet par un juge en application du paragraphe (5), tout tribunal saisi d'une affaire civile portant sur l'application ou l'exécution de la présente loi doit, sur requête du ministre, refuser le dépôt en preuve par cette personne de tout renseignement ou document étranger visé par la mise en demeure.

231.2.(1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

[...]

231.6(1) For the purposes of this section, "foreign-based information or document" means any information or document that is available or located outside Canada and that may be relevant to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person.

231.6(2) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, by notice served personally or by registered or certified mail, require that a person resident in Canada or a non-resident person carrying on business in Canada provide any foreign-based information or document.

231.6(3) The notice referred to in subsection 231.6(2) shall set out

(a) a reasonable period of time of not less than 90 days for the production of the information or document;

(b) a description of the information or document being sought; and

(c) the consequences under subsection 231.6(8) to the person of the failure to provide the information or documents being sought within the period of time set out in the notice.

231.6(4) The person on whom a notice of a requirement is served under subsection 231.6(2) may, within 90 days after the service of the notice, apply to a judge for a review of the requirement.

231.6(5) On hearing an application under subsection 231.6(4) in respect of a requirement, a judge may

(a) confirm the requirement;

(b) vary the requirement as the judge considers appropriate in the circumstances; or

(c) set aside the requirement if the judge is satisfied that the requirement is unreasonable.

231.6(6) For the purposes of paragraph 231.6(5)(c), the requirement to provide the information or document shall not be considered to be unreasonable because the information or document is under the control of or available to a non-resident person that is not controlled by the person served with the notice of the requirement under subsection 231.6(2) if that person is related to the non-resident person.

231.6(7) The period of time between the day on which an application for review of a requirement is made pursuant to subsection 231.6(4) and the day on which the review is decided shall not be counted in the computation of

(a) the period of time set out in the notice of the requirement; and

(b) the period of time within which an assessment may be made pursuant to subsection 152(4).

231.6(8) If a person fails to comply substantially with a notice served under subsection 231.6(2) and if the notice is not set aside by a judge pursuant to subsection 231.6(5), any court having jurisdiction in a civil proceeding relating to the administration or enforcement of this Act shall, on motion of the Minister, prohibit the introduction by that person of any foreign-based information or document covered by that notice.



                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                   T-2075-03, T-2076-03, T-2077-03 et T-2078-03

INTITULÉ :                                                    1144020 Ontario Limited c. Ministre du Revenu national et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 7 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Edwin G. Kroft                                      POUR LA DEMANDERESSE

Robert H. Carvalho                                           POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault LLP                                     POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur-général du Canada


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