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Date : 20050822

Dossier : T‑2072‑04

Référence : 2005 CF 1135

Ottawa (Ontario), le 22 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

BIOVAIL CORPORATION

(exerçant son activité sous la dénomination de Biovail Pharmaceuticals Canada)

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN‑ÊTRE SOCIAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social a refusé à Biovail Corporation la protection spéciale du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement), qu’elle avait demandée pour un de ses brevets. Biovail conteste la décision du ministre selon laquelle ce brevet n’est pas admissible au bénéfice de ladite protection.

[2]               À mon avis, la décision du ministre est correcte. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.  La question en litige

 

Le ministre a‑t‑il commis une erreur en décidant que le brevet de Biovail n’était pas admissible au bénéfice de la protection du Règlement?

 

II.  Analyse

 

[3]               Les parties reconnaissent que la décision du ministre ne commande pas un degré élevé de retenue judiciaire; je devrais donc l’infirmer si je concluais qu’elle est incorrecte : Eli Lilly Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 24, [2003] A.C.F. no 75 (C.A.) (QL).

 

(a) Le brevet de Biovail

 

[4]               Biovail détient un brevet sur des « compositions à libération régulée utilisant des polymères intelligents » (brevet canadien no 2286684). Elle a demandé l’inscription de ce brevet au registre sous le régime du Règlement à l’égard de deux drogues : WELLBUTRIN SR et TIAZAC XC. La première est à base de chlorhydrate de bupropion et est utilisée pour le traitement de la dépression; la seconde est à base de chlorhydrate de diltiazem et est employée contre l’hypertension.

 

(b) Les conditions de l’inscription au registre des brevets

 

[5]               Le Règlement protège les brevets sur les médicaments en soi et sur l’utilisation des médicaments (article 4; voir le passage du règlement ci‑annexé). Toutefois, il ne s’applique pas aux dispositifs ou systèmes destinés à faciliter l’administration des médicaments. Une jurisprudence récente a permis de préciser la distinction entre un médicament et un dispositif d’administration.

 

[6]               Quiconque souhaite faire protéger par le Règlement un brevet sur un médicament doit démontrer que ce brevet comporte une revendication pour « le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament » (alinéa 4(2)b)). Le brevet qui comporte une revendication pour un ingrédient actif déterminé ou pour une formulation réunissant un ingrédient actif et d’autres substances entre dans le champ d’application du Règlement : Eli Lilly, précité. C’est par exemple le cas d’un brevet sur un aérosol nasal contenant à la fois un ingrédient actif et d’autres substances qui rendent plus efficace et plus agréable l’action de cet ingrédient actif sur la zone atteinte : Hoffman‑La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 985 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

[7]               Les titulaires de brevets ont essayé d’étendre à d’autres combinaisons brevetées d’éléments actifs et inactifs le raisonnement appliqué dans Hoffman‑La Roche et Eli Lilly, précités. Cependant, la Cour a statué que n’est pas admissible au bénéfice de la protection du Règlement le brevet portant sur la combinaison d’un ingrédient actif et d’un dispositif dont la fonction est d’administrer cet ingrédient au patient. Le brevet de cette nature ne comporte pas de revendication pour un médicament en soi ou pour l’utilisation d’un médicament. En conséquence, les brevets sur des dispositifs comme les inhalateurs ou les timbres cutanés ne sont pas admissibles. Voir Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd., [1998] A.C.F. no 155 (1re inst.) (QL), où il est question d’un inhalateur; Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CFPI 1248, [2002] A.C.F. no 1704 (1re inst.) (QL), qui porte sur un implant; et Novartis Pharmaceuticals Canada Incc. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 299, [2003] A.C.F. no 1065 (C.A.) (QL), où il s’agit d’un timbre cutané. Pour reprendre les termes de M. le juge Brian Malone, la question est de savoir si les inventions « sont administré[e]s aux [patients] ou [si elles] administrent des substances à ces [derniers] » (Novartis, précité, au paragraphe 18).

 

[8]               Même le brevet portant sur un produit à ingérer par le patient peut ne pas entrer dans le champ d’application du Règlement. C’est ainsi, par exemple, qu’un brevet sur une capsule conçue pour permettre la libération contrôlée d’un médicament destiné au bétail a été déclaré inadmissible au bénéfice de l’inscription au registre sous le régime du Règlement. Mme la juge Eleanor Dawson a constaté que, selon le brevet lui‑même, cette capsule pouvait être utilisée avec de nombreux ingrédients actifs différents et que, par conséquent, il ne s’agissait pas d’un brevet comportant une revendication pour un médicament en soi (Eli Lilly Canada Incc. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 676, [2003] A.C.F. no 866 (1re inst.) (QL)). M. le juge Richard Mosley est arrivé à la même conclusion touchant un brevet sur un comprimé capable d’assurer la libération lente d’un médicament au moyen d’une combinaison de couches actives et inactives. Il a conclu que le brevet ne revendiquait pas en fait la protection du médicament contenu dans le comprimé, mais qu’il protégeait plutôt le dispositif d’administration de ce médicament (c’est‑à‑dire le comprimé ainsi conçu) (voir Pfizer Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 370, [2004] A.C.F. no 438 (C.F.) (QL)).

 

[9]               Dans une affaire très récente, sur laquelle il a été statué juste avant que soit rendue la décision qui fait l’objet de la présente espèce, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un brevet portant sur une capsule à libération contrôlée n’entrait pas dans le champ d’application du Règlement : GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 197, [2005] A.C.F. no 915 (C.A.) (QL). Mme la juge Alice Desjardins a noté que le brevet ne faisait même pas mention d’un médicament déterminé contenu dans la capsule, mais seulement d’une « substance active ». En conséquence, on ne pouvait dire que le brevet revendiquait la protection d’un médicament. M. le juge Marc Nadon a souscrit à cette conclusion.

 

[10]           Dans un exposé distinct de motifs concordants, M. le juge Denis Pelletier a analysé l’ensemble des décisions et arrêts précédemment mentionnés et a formulé (aux paragraphes 43 et 44) un critère utile pour établir si un brevet déterminé est admissible au bénéfice de la protection du Règlement :

 

En effet, le brevet protège‑t‑il le dispositif ou la charge utile?

 

Si le brevet protège le dispositif, il ne contient aucune revendication pour le médicament en soi ou pour son utilisation, même s’il mentionne ce médicament comme étant la charge utile.

 

[11]           Pour répondre à cette question, il faut examiner soigneusement le libellé du brevet en question. Dans la présente espèce, Biovail soutient que son brevet revendique la protection de deux médicaments déterminés. Elle affirme en outre que son brevet est similaire à celui qui faisait l’objet de la décision Hoffman‑La Roche, précitée, en ce qu’il décrit une méthode de combinaison des ingrédients actifs avec d’autres substances pour créer une drogue efficace.

 

[12]           Le ministre, quant à lui, soutient que le brevet de Biovail est plutôt similaire à ceux analysés dans Pfizer et GlaxoSmithKline, précités, au motif qu’il protège un type de capsule pouvant servir à administrer de nombreuses sortes de médicaments.

 

[13]           C’est à mon sens le ministre qui propose la caractérisation la plus exacte du brevet de Biovail.

 

(c) L’objet du brevet de Biovail

 

[14]           Comme je l’ai précédemment mentionné, le brevet de Biovail est intitulé « Compositions à libération régulée utilisant des polymères intelligents ». On y propose une définition générale de l’invention dans les termes suivants :

[TRADUCTION] [L]a présente invention est une composition pharmaceutique à libération contrôlée facilement absorbable, utilisant des groupes de polymères intelligents aux caractéristiques de mouillabilité opposées.

 

[15]           Cela veut simplement dire que le brevet décrit un comprimé à libération contrôlée consistant en un ingrédient actif et en deux « polymères intelligents » qui réagissent avec l’eau de manières opposées. Lorsque le patient ingère un comprimé consistant en une combinaison de ces polymères avec un ingrédient actif, ce comprimé se décompose de façon à permettre la libération lente de l’ingrédient actif dans son système sanguin.

[16]           Le brevet met manifestement l’accent sur ce dispositif de libération contrôlée. Les ingrédients actifs sont d’une importance secondaire.

 

[17]           Le brevet mentionne d’abord l’importance des techniques de libération lente sur le marché des produits pharmaceutiques. On y fait ensuite observer que de nombreux brevets existants décrivent des dispositifs qui ne peuvent être utilisés qu’avec un seul ingrédient actif, tandis que d’autres décrivent des dispositifs de fabrication difficile ou coûteuse. Le brevet de Biovail décrit au contraire [traduction] « un dispositif efficient d’administration de drogues », relativement facile et peu coûteux à produire, et pouvant être utilisé avec de nombreux types d’ingrédients actifs.

 

[18]           L’examen des revendications proprement dites du brevet révèle qu’il y en a quatre principales, qui servent de thèmes à de nombreuses variations. Chacune des quatre revendications principales spécifie les ingrédients du comprimé, selon diverses proportions. Ces ingrédients comprennent une substance active, ainsi que les deux types de polymères (revendications 1, 13, 18 et 31). La plupart des autres revendications ne portent que sur des additifs, des lubrifiants ou des enrobages.

 

[19]           Une seule des 32 revendications du brevet (la revendication 30) mentionne les drogues en question dans la présente espèce (le chlorhydrate de diltiazem et le bupropion). Ces deux drogues y sont citées, avec quatre autres, en tant que substances actives susceptibles d’être incluses dans le comprimé à libération contrôlée. D’autres substances actives potentielles sont citées dans d’autres revendications (28 et 32). Selon mes calculs, 41 substances actives potentielles différentes sont ainsi mentionnées dans les revendications du brevet. La partie descriptive de celui‑ci en cite de nombreuses autres.

 

[20]           Biovail souligne deux aspects de son brevet. Premièrement, elle fait observer qu’il décrit manifestement [traduction] « une formulation » ou « une composition » et que, par conséquent, on devrait le considérer comme les brevets en cause dans Hoffman‑La Roche et Ely Lilly, précités, et accepter de l’inscrire au registre sous le régime du Règlement. Cependant, le fait que le brevet porte sur une formulation ne suffit pas à le rendre admissible au bénéfice de l’inscription au registre. La question est de savoir si cette formulation consiste en un médicament déterminé. À mon sens, Biovail a breveté une formulation consistant en un dispositif d’administration qui peut être utilisé avec de nombreux médicaments différents. Certes, le comprimé qu’elle a conçu n’est pas de même nature que ceux dont il était question dans Glaxo ou Pfizer, précités. L’invention de Biovail met en jeu le mélange d’un ingrédient actif avec d’autres substances, et non l’insertion d’un ingrédient actif dans une capsule mécanique ou son enrobage par des couches et des parois inactives. Toutefois, l’objet principal du brevet est manifestement de protéger le dispositif d’administration plutôt que la charge médicamenteuse.

 

[21]           Deuxièmement, Biovail souligne que le brevet mentionne expressément les deux drogues utilisées dans ses comprimés WELLBUTRIN et ZIATEC. Cependant, ces mentions sont manifestement accessoires à l’orientation principale du brevet. Il n’est accordé d’importance particulière à aucune de ces deux substances actives parmi les nombreux ingrédients potentiels énumérés dans le brevet. En outre, comme le faisait observer le juge Pelletier dans GlaxoSmithKline, précité, la simple mention d’un ingrédient actif particulier dans un brevet ne suffit pas à faire entrer ce dernier dans le champ d’application du Règlement. Pour le dire encore une fois, la question est de savoir si le brevet protège le dispositif d’administration ou la charge médicamenteuse. Le brevet peut protéger celui‑là même s’il mentionne expressément celle‑ci.

 

[22]           Après examen de son contenu, je conclus que le brevet de Biovail protège un dispositif d’administration et non un médicament déterminé ou l’utilisation d’un médicament.

 

(d) La décision du ministre

 

[23]           La Direction des produits thérapeutiques (DPT) à Santé Canada a informé Biovail au nom du ministre en août 2004 que son brevet ne remplissait pas les conditions requises pour être inscrit au registre sous le régime du Règlement. La DPT a ensuite donné à Biovail la possibilité de répondre. Celle‑ci a présenté en septembre 2004 des observations écrites où elle contestait que son brevet portait sur un dispositif d’administration, avançant principalement les arguments précédemment mentionnés.

 

[24]           La DPT a donné sa réponse à Biovail en octobre 2004. Elle y répétait sa première conclusion. L’essentiel de la décision de la DPT est contenu dans le passage suivant :

[TRADUCTION] Selon la DPT, l’objet décrit et revendiqué dans le brevet 684 est une composition possédant certaines caractéristiques qui permettent la libération d’une substance active suivant un débit contrôlé et sur une durée déterminée. Contrairement à ce qui était le cas dans Hoffman‑La Roche et Eli Lilly, aucun des deux médicaments ici en question ne joue le rôle d’élément de la composition revendiquée. Le fait que la composition décrite dans le brevet 684 pourrait être utilisée pour administrer du bupropion ou du chlorhydrate de diltiazem (ou encore de nombreuses autres drogues) ne suffit pas, selon la DPT, pour que ce brevet puisse être dit comporter des revendications pour ces deux médicaments en soi ou pour leur utilisation, aux fins d’application de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

[25]           Me fondant sur mon interprétation, selon ce que j’ai exposé précédemment, de la jurisprudence et du libellé du brevet de Biovail, je conclus que le ministre a eu raison de décider que ce brevet ne remplissait pas les conditions requises pour être inscrit au registre sous le régime du Règlement.

 

[26]           Biovail a avancé devant moi, et fait valoir à la DPT, cet autre argument que sont inscrits au registre de nombreux brevets semblables au sien. Elle soutient qu’il serait injuste de refuser à son brevet la protection qu’on a accordée à ces autres brevets. Je souscris à la thèse du ministre selon laquelle il n’est pas pertinent dans la présente espèce de savoir s’il y a d’autres brevets dont la situation sous le régime du Règlement appellerait un réexamen.

 

[27]           En conséquence, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


 

 

Annexe

 

 

 

Règlements sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133

 

4. (1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l’égard de la drogue, accompagnée de l’attestation visée au paragraphe (7).

 

(2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants :

 

 

[…]

 

b) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire ou à l’égard duquel elle détient une licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l’inclure dans la liste, qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament, et qu’elle souhaite voir inscrit au registre;

 

 

 

 

Patented Medicines (Notice of Compliance) Regulations, SOR/93-133

 

  4.4. (1) A person who files or has filed a submission for, or has been issued, a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine may submit to the Minister a patent list certified in accordance with subsection (7) in respect of the drug.

 

 

(2) A patent list submitted in respect of a drug must

 

 

(b) …

 

(b) Set out any Canadian patent that is owned by the person, or in respect of which the person has an exclusive licence or has obtained the consent of the owner of the patent for the inclusion of the patent on the patent list, that contains a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine and that the person wishes to have included on the register;


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2072‑04

 

 

INTITULÉ :                                                   BIOVAIL CORPORATION

                                                                        c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN‑ÊTRE SOCIAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 23 JUIN 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 22 AOÛT 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas N. Deeth                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Heather Watts

 

Frederick Woyiwada                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Deeth Wiliams Wall LLP

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

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