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     Date : 19981222

     Dossier : T-969-97

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29,

     ET un appel interjeté de la décision

     d'un juge de la citoyenneté,

     ET

                     FADILA OVCINA,

     appelante.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU

[1]          Appel est interjeté de la décision en date du 3 mars 1997 par laquelle le juge de la citoyenneté a refusé d'accorder la citoyenneté canadienne à l'appelante. Le juge a conclu que Mme Ovcina n'avait pas respecté l'alinéa 5(1)d) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29. Il a décidé de ne pas faire une recommandation favorable sous le régime des paragraphes 5(3) ou 5(4) de la Loi. Mme Ovcina a interjeté appel le 28 avril 1997. Elle prétend que dans son cas, on aurait dû recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire.

[2]          Mme Ovcina est née à Bileca (Bosnie-Herzégovine) le 8 mars 1941. Le 18 février 1993, elle et son mari sont arrivés au Canada en tant qu'immigrants ayant obtenu le droit d'établissement. Leur fils les a rejoints en 1996. Elle est femme au foyer et sa langue maternelle est le serbo-croate.

[3]          Mme Ovcina prétend avoir connu des difficultés et des traumas sérieux à cause de la guerre. Son mari avait été incarcéré dans un camp de concentration, où il avait été soumis à la torture mentale et physique. Ils étaient sans abri et sont devenus des réfugiés au Monténégro. Par l'intervention du gouvernement canadien et la Croix-Rouge internationale, ils ont été admis au Canada. Ils vivent actuellement à Burnaby (C.-B.).

[4]          Elle prétend que ces difficultés ont affecté sa santé. Elle souffre de maux de dos chroniques, et elle a subi plusieurs opérations, dont elle s'est remise difficilement. Des médecins lui ont dit qu'elle avait une incapacité de 50 pour cent et, en conséquence, l'a dispensée de suivre des cours d'anglais. Elle n'a pu trouver un emploi à cause de son âge, de sa santé et de la barrière linguistique. Tant elle que son mari vivent de sa prestation d'aide sociale de 953 $ par mois.

[5]          Mme Ovcina a demandé la citoyenneté le 18 mars 1996, et elle a comparu devant un juge de la citoyenneté le 3 février 1997. Elle n'a pu répondre aux questions suivantes :

     1.      Où êtes-vous née?
     2.      Quand êtes-vous née?
     3.      Quand êtes-vous arrivée au Canada?
     4.      Où vivez-vous?
     5.      Avez-vous des démêlés avec la police ou avec Immigration?
     6.      Avez-vous un emploi?
     7.      Travaillez-vous?

Par l'entremise d'un interprète, l'appelante a pu convaincre le juge qu'elle satisfaisait à la partie connaissance du critère, mais le juge n'a pas accordé la citoyenneté à l'appelante puisqu'elle n'avait pas observé l'alinéa 5(1)d), qui exige qu'un requérant ait une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada. Le juge de la citoyenneté a également refusé de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi sur la citoyenneté. Il était d'avis qu'il n'existait pas de preuve de l'existence de problèmes de santé, d'une situation particulière et inhabituelle de détresse, ni de services exceptionnels rendus au Canada.

[6]          Au moment de l'audition tenue devant la Cour, l'amicus curiae a posé en anglais un certain nombre de questions à l'appelante et, sans l'assistance d'un interprète, elle a pu dire son nom, son adresse et son numéro de téléphone. Elle a également pu dire à la Cour qu'elle était mariée, avait trois enfants, deux garçons et un fille, qu'elle était arrivée au Canada en 1993 et y vivait depuis cinq ans.

[7]          Son fils, agissant comme interprète, a expliqué qu'elle n'avait pu suivre des cours d'anglais (ALS) donnés dans sa région pendant le jour en raison de la gravité de l'état de santé de son mari.

[8]          Dans Re Koo, [1992] 1 C.F. 286 (C.F.1ere inst.), Madame le juge Reed a dit qu'il était loisible aux juges de la Cour fédérale de censurer un juge de la citoyenneté pour avoir omis de recommander au ministre d'attribuer la citoyenneté en application du paragraphe 5(4), et bien des juges n'hésitent pas à faire des recommandations à l'exécutif. Dans re Karroum (1990), 39 F.T.R. 116, le juge Pinard a recommandé que le pouvoir discrétionnaire ministériel fût exercé relativement à l'exigence linguistique de la Loi. L'appelante était une personne âgée de 61 ans, analphabète, qui était malade et qui avait de la difficulté à marcher. Lui refuser la citoyenneté ne servirait pas l'intérêt public.

[9]          Dans Re Ngo (1986), 6 F.T.R. 81 (C.F.1re inst.), la Cour a recommandé que le ministre renonçât aux conditions des alinéas 5(1)d) et e). L'appelant avait connu des difficultés lors de la prise du pouvoir par les communistes au Viet-nam. Sa famille s'est installée au Canada , où il l'a rejointe deux ans plus tard. Ses enfants se sont bien intégrés dans la vie canadienne, et ont fait des contributions pour subvenir aux besoins de leurs parents. l'appelant a fait peu d'études, et il avait de la difficulté à apprendre une langue officielle, mais il pouvait faire des courses et utiliser le transport en commun sans avoir besoin d'aide.

[10]          En dernier lieu, dans Re Adèle Goshgarian (3 février 1978), T-4025-77 (C.F.1re inst.), l'appelante était une femme au foyer âgée de 59 ans et analphabète, qui souffrait de diabète, d'hypertension et d'obésité. Elle était venue au Canada avec son mari, qui est décédé depuis. Son monde se limitait à sa famille et à la fourniture des besoins quotidiens pour celle-ci. Le juge Décary a estimé qu'une telle personne ayant une connaissance extrêmement limitée d'une langue officielle pouvait fonctionner dans le milieu sans parler l'une ou l'autre langue. En conséquence, l'appel a été accueilli.

[11]          Mme Ovcina est une femme au foyer âgée de 57 ans; elle a un niveau d'études de la classe 11; elle avait fui les horreurs de la guerre des Balkans. Elle avait respecté toutes les autres conditions de la citoyenneté. Elle est au Canada depuis 1993, et il semble qu'elle ait pu communiquer avec des médecins et le ministère des Services sociaux. Son mari est devenu citoyen canadien.

[12]          Je suis convaincu que l'appelante souffre d'un trouble médical qui l'empêche d'avoir un emploi rémunéré ou de prendre des cours d'anglais. Mme Ovcina a produit trois certificats médicaux. Une note en date du 4 juin 1993 du Dr John McMorran révèle que l'appelante avait une incapacité de 40 %. Elle souffre du syndrome lombo-sacré et ne peut s'asseoir longtemps. Le 5 février 1994, Le Dr McMorran a certifié que Mme Ovcina souffrait de maux de dos chroniques et que son état l'empêchait de chercher un emploi pendant 6 mois. Le Dr P. Jaffer a certifié le 21 février 1996 que Mme Ovcina souffrait de maux de dos chroniques, et que son état l'empêchait de chercher un emploi. La durée attendue de son état est sujette à réexamen.     

[13]          Devant la Cour, l'appelante a effectivement convaincu l'amicus curiae qu'elle avait fait des progrès en anglais, et ce dernier était bien disposé à l'égard de son sort et était persuadé qu'elle pourrait communiquer suffisamment si elle rencontrait des problèmes à l'extérieur de la maison.

[14]          Il faudrait se rappeler que l'appelante avait connu des atrocités dans les Balkans, que son mari souffre encore des séquelles de ses jours d'internement et d'incarcération, qu'il était devenu citoyen du Canada, qu'elle était venue dans ce pays grâce à l'assistance de la Croix-Rouge internationale, et a été acceptée comme immigrante ayant obtenu le droit d'établissement par les autorités canadiennes dans un pays où elle avait été une réfugiée.

[15]          Je recommanderais l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel en l'espèce. Il semble que Mme Ovcina peut fonctionner dans son milieu restreint en tant que femme au foyer inapte au travail.      Lui refuser la citoyenneté ne servirait aucun intérêt public.

[16]          L'appel est accueilli.

                             (Signé) P. Rouleau

                                     Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 22 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      T-969-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ, L.R.C. (1985), ch. C-29,
                             ET un appel interjeté de la décision d'un juge de la citoyenneté,
                             ET
                             FADILA OVCINA,

     appelante.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.B.)

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ROULEAU

en date du 22 décembre 1998

ONT COMPARU :

    Fadila Ovcina                      appelante
    Julie Fisher                      amicus curiae

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Julie Fisher                      amicus curiae
    Wtason, Goepel, Maledy
    Vancouver (C.-B.)
    Fadila Ovcina                      pour son propre compte
    Burnaby (C.-B.)
   
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