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Date : 20050719

Dossier : IMM-7281-04

Référence : 2005 CF 999

OTTAWA (Ontario), le 19 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

                                                           PETRO VERO

                                                         ARSIDA PETRO

                                                                                                                            demandeurs

ET :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 28 juillet 2004, dans laquelle il a été statué que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.


[2]                Petro Vero (le demandeur principal) est un Albanais de 47 ans qui allègue craindre avec raison d'être persécuté en raison de son affiliation politique au Parti démocratique d'Albanie. Sa fille, Arsida Vero (la demanderesse mineure), qui est présentement âgée de 18 ans, fonde sa demande d'asile sur l'engagement de sa famille en faveur du Parti démocratique et sur une tentative d'enlèvement.

[3]                Au cours de l'audience, l'avocat de Petro Vero a déclaré, si je l'ai bien compris, que même s'il n'abandonnait pas la demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Commission, il ne présenterait aucune observation au sujet de Petro Vero.

[4]                Je peux très bien comprendre les raisons qu'il a d'agir ainsi. Pour ce qui est de la revendication du statut de réfugié de Petro Vero, je serais en effet incapable de trouver un motif juridique suffisant pour renvoyer l'affaire en vue d'une nouvelle audience.

[5]                L'avocat des demandeurs n'a donc présenté ses observations qu'en rapport avec Arsida Petro, qui, au moment de l'audience devant la Commission, était mineure et, en fait, il m'a demandé de traiter à part sa revendication.


[6]                Devant la Commission, les demandeurs ont prétendu que leur famille était depuis longtemps associée au Parti démocratique et qu'elle avait fait l'objet de persécutions tant de la part du régime communiste que du régime socialiste. Ils prétendent également avoir été persécutés par des membres d'une famille voisine, qui sont des partisans du Parti socialiste. En 1993, cette famille a reçu l'ordre de restituer des terres qui avaient auparavant été confisquées au demandeur et à sa famille. Les demandeurs allèguent qu'à la suite de cette restitution, ils ont fait l'objet d'attaques répétées de la part de leurs voisins. En 1995, le demandeur principal a été battu par des hommes masqués et sa nouvelle maison a été complètement détruite par le feu. L'épouse du demandeur principal a été attaquée et son frère a été blessé par balle. En outre, en 2003, la demanderesse mineure a été victime d'une tentative d'enlèvement qui, au dire des demandeurs, a été orchestrée par leurs voisins.

[7]                Les principales questions qui m'ont été soumises par l'avocat des demandeurs ont trait à Arsida Petro. Si je comprends bien, les questions sont les suivantes :

1. Y a-t-il eu manquement à l'équité procédurale du fait que la demanderesse mineure a été renvoyée de la salle d'audience et qu'elle n'a pas eu un résumé des témoignages qu'elle n'a pas entendus?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l'allégation de tentative d'enlèvement?


[8]                Au cours de l'audience relative au statut de réfugié, l'avocat des demandeurs a réclamé que la demanderesse mineure, alors âgée de 16 ans, quitte la salle d'audience. Le commissaire a accepté d'exclure la demanderesse mineure parce qu'elle avait à plusieurs reprises interrompu le cours de l'audience malgré qu'on lui ait demandé de garder le silence. Les demandeurs prétendent maintenant que cela a entraîné un manquement à l'équité procédurale parce que la demanderesse mineure n'a pas entendu la partie du témoignage de son père traitant de l'enlèvement allégué et qu'aucun résumé de la preuve ne lui a été fourni avant qu'elle soit appelée à la barre.

[9]                Je suis convaincu qu'il n'y a pas eu de manquement à l'équité procédurale. Bien qu'en temps normal, on ne puisse pas exiger d'un demandeur qu'il quitte la salle d'audience, en l'espèce il y avait des raisons de le faire. La demanderesse mineure avait interrompu la séance à plusieurs reprises et avait été avertie qu'elle devrait quitter la salle si elle continuait ses interruptions. Ce qui est plus important, c'est son propre avocat qui a demandé à ce qu'elle quitte la salle. Le demandeur principal, qui avait été désigné comme représentant de sa fille, ne s'est pas opposé à ce que celle-ci quitte la salle. Qui plus est, quand la demanderesse mineure est revenue dans la salle d'audience pour témoigner, ni son avocat, ni son représentant désigné n'ont demandé qu'un résumé du témoignage de son père lui soit remis. Je suis convaincu que, non seulement cette exclusion était justifiée, mais que la conduite des demandeurs au cours de l'audience équivaut à une renonciation à leurs droits concernant l'exclusion et qu'il ne leur est pas loisible de soulever cette question dans le cadre du contrôle judiciaire.


[10]            Dans leurs formulaires de renseignements personnels et dans leurs dépositions, les demandeurs prétendent que les membres de la famille voisine ont essayé d'enlever la demanderesse mineure. La Commission a rejeté cette allégation parce qu'il n'y avait pas de preuve crédible permettant de lier le fait allégué aux voisins. Toutefois, la Commission a également noté que, d'après la preuve documentaire, le trafic des femmes et des enfants est un grave problème en Albanie. Par conséquent, la Commission a estimé que si la tentative d'enlèvement avait bel et bien eu lieu, il s'était agi probablement d'un acte criminel perpétré au hasard qui ne serait pas visé par les articles 96 et 97 de la LIPR. En outre, parce que la demanderesse mineure a vécu en toute sécurité dans une autre partie du pays pendant la plus grande partie de sa vie, sinon la totalité, il est peu probable qu'il y ait un risque d'enlèvement partout en Albanie.

[11]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur dans son évaluation subsidiaire de la tentative d'enlèvement. Ils déclarent que le ciblage des jeunes femmes en vue du trafic est manifestement un acte de persécution fondé sur des motifs prévus dans la Convention (le sexe et l'âge) et qu'il tombe donc sous le coup de l'article 96 de la LIPR. En outre, ils contestent la justesse de la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse mineure serait en sécurité dans d'autres régions du pays.


[12]            Je conviens avec les demandeurs que l'analyse faite par la Commission concernant le risque d'enlèvement en vue du trafic est incomplet et problématique. En particulier, la Commission ne se prononce pas quant à savoir si la tentative d'enlèvement a bien eu lieu, elle n'explique pas pourquoi un tel acte ne serait pas visé par la définition de réfugié au sens de la Convention et elle n'évalue pas en détail la possibilité de refuge qui selon elle existait pour la demanderesse mineure dans une autre partie de l'Albanie.

[13]            Bien que les demandeurs aient omis de faire valoir, dans le cadre de leur revendication, le risque d'enlèvement de la demanderesse mineure aux fins du trafic, la Commission mentionne elle-même ce fait en analysant la preuve documentaire et elle aurait dû, dans sa décision, expliquer pourquoi un tel acte ne peut être visé par la définition de réfugié au sens de la Convention; en outre, elle n'a pas pleinement évalué la possibilité de refuge intérieur en Albanie.

[14]            L'avocat des demandeurs a formulé la question suivante aux fins de la certification :

[TRADUCTION]

Dans le cas d'un demandeur qui est mineur et qui est exclu de la salle d'audience (à la demande de son avocat et après un avertissement donné par le représentant de la Section de la protection des réfugiés indiquant que le demandeur risquait l'exclusion) parce que le demandeur perturbait la séance, la Section de la protection des réfugiés est-elle tenue de fournir un résumé des témoignages qui ont été donnés pendant l'absence du demandeur avant que celui-ci témoigne?


[15]            Étant donné que j'ai accueilli le contrôle judiciaire pour la demanderesse Arsida Petro, je ne vois aucune raison de certifier la question exposée ci-dessus.

                                                          ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour la demanderesse Arsida Petro et l'affaire est renvoyée pour un nouvel examen par une formation différente de la Commission.

La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour le demandeur Petro Vero.

                                                                                                             « Max M. Teitelbaum »                    

                                                                                                                                         Juge                                  

OTTAWA (Ontario)

le 19 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   IMM-7281-04

INTITULÉ :                                  Petro Vero, Arsida Petro c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 11 juillet 2005

MOTIFS :                                     le juge Teitelbaum

DATE DES MOTIFS :                 le 19 juillet 2005

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                 POUR LES DEMANDEURS

Kevin Lunney                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat                                            POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)                             POUR LE DÉFENDEUR

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