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Date : 20020328

Dossier : IMM-2648-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 28 MARS 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W.P. McKEOWN

ENTRE :

                                                  RESUL SENLIK, FATMA SENLIK,

                                                    UNAL SENLIK, ORHAN SENLIK

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision de la Commission en date du 30 avril 2001 est annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission, pour nouvelle décision.

                                                                                                                                      « W.P. McKeown »          

                                                                                                                                                                 Juge                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020328

Dossier : IMM-2648-01

Référence neutre : 2002 CFPI 355

ENTRE :

                                                  RESUL SENLIK, FATMA SENLIK,

                                                    UNAL SENLIK, ORHAN SENLIK

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision datée du 30 avril 2001 de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a jugé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 Il s'agit de savoir si la Commission s'est égarée lorsqu'elle a tiré quatre conclusions se rapportant à la crédibilité.


[3]                 La première conclusion contestée concerne la manière dont la Commission a traité l'affirmation du demandeur selon laquelle il avait été arrêté par la police à proximité de son atelier de soudure le 1er mai 1999. La Commission a erronément affirmé que la date était le 1er mars 1999, mais il ne s'agit pas là d'une erreur substantielle. À propos de cet incident, la Commission s'est exprimée ainsi, à la page 6 de ses motifs :

Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le revendicateur principal a prétendu que son fils observait la parade May day, qui passait devant l'atelier de soudure, lorsqu'un affrontement a éclaté entre deux groupes de travailleurs opposés armés de couteaux et de bâtons. Lorsque la police est arrivée pour mettre fin aux troubles, elle a arrêté le revendicateur et l'a détenu et battu pendant quatre jours. Dans son témoignage de vive voix, le revendicateur a indiqué que ce n'étaient pas deux groupes de travailleurs qui s'affrontaient, mais plutôt des partis de gauche et des nationalistes extrêmes turcs. Lorsque le tribunal lui a demandé d'expliquer cette contradiction entre l'exposé circonstancié de son FRP et son témoignage de vive voix relatif aux groupes concernés, le revendicateur a prétendu qu'il ne savait pas d'où venaient les groupes et qui ils étaient parce qu'il travaillait dans son atelier lorsque la bataille avait éclaté. Après avoir examiné toutes les preuves, le tribunal n'est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que cet incident du 1er mars 1999, qui a conduit à l'arrestation du revendicateur principal, avait eu lieu comme il le prétend.

Il importe de considérer ce que le demandeur a effectivement déclaré lors de l'audition de sa revendication. La Commission a convenablement décrit ce que le demandeur avait déclaré dans son FRP, mais il est très difficile de voir comment elle a pu conclure que le demandeur avait dans sa déposition indiqué que la bagarre avait éclaté entre des gauchistes et des ultranationalistes turcs et non entre deux groupes de travailleurs. Comme on peut le voir à la page 359 du dossier du tribunal, le demandeur a d'abord été prié de préciser ce en quoi consistaient les deux groupes de travailleurs qui avaient pris part à la bagarre. Il a répondu :

En général, le 1er mai est la fête de tous les travailleurs de Turquie, mais en Turquie il y a des groupes de gauche et des groupes de droite. C'est entre ces groupes que la bagarre a éclaté.


On lui a ensuite posé la question suivante :

Il y avait donc des groupes de droite dans le défilé du 1er mai?

LE REVENDICATEUR : Oui, tous les travailleurs y prenaient part.

Puis le membre a dit :

Si je comprends bien la célébration de la fête du 1er mai, il s'agit en réalité d'une manifestation gauchiste.

LE REVENDICATEUR : Non. C'est un défilé de travailleurs. Ce sont tous des travailleurs.

Puis le membre a dit :

Bien. Alors, si j'ai bien compris, ce sont des groupes ultranationalistes ou quelque chose du genre qui ont perturbé le défilé.

LE REVENDICATEUR : C'est ça. Lorsque les manifestants se sont mis à chanter, les droitistes sont intervenus, ils ont semé la confusion, et c'est là que la bagarre a éclaté.

Puis le membre a déclaré :

Mais l'affrontement survenu durant le défilé du 1er mai opposait généralement les manifestants et la police ou des gens extérieurs à la manifestation. La manifestation a dégénéré, ou quelque chose du genre, ou bien la police a tenté d'y mettre fin.

LE REVENDICATEUR : Je ne sais pas. Je n'étais pas là à observer en détail l'événement. J'étais dans mon atelier. Je travaillais. Je ne sais donc pas d'où venait le groupe.


Hormis les mots « C'est ça » du revendicateur, le reste de sa déposition montre clairement qu'il parlait d'un affrontement entre deux groupes de travailleurs, des gauchistes et des droitistes. Il y a certainement lieu de se demander si la Commission était fondée à résumer comme elle l'a fait la déposition du revendicateur. Cependant, il y a un problème plus grave : selon la Commission, le demandeur s'est contredit dans la partie narrative de son FRP et dans son témoignage à propos des groupes concernés. Comme on peut le voir d'après ce qui précède, le demandeur ne s'est nullement contredit sur ce point. La Commission avait raison de dire que « il ne savait pas d'où venaient les groupes » , mais elle ne pouvait certainement pas ajouter « et qui ils étaient » , car le demandeur a toujours dit qu'il s'agissait d'un affrontement entre deux groupes de travailleurs. À mon avis, la Commission n'a pas fait une bonne lecture de la preuve évoquée dans le paragraphe ci-dessus, et cela constitue une erreur sujette à révision.

[4]                 Le demandeur a aussi fait valoir que la Commission a interprété erronément la preuve se rapportant à l'incident du 21 mars 1993, au cours duquel il avait été arrêté par la police dans son atelier de soudage. La Commission s'est exprimée ainsi :

Il a indiqué que la police s'était présentée au moment même où les nationalistes brisaient les fenêtres de son magasin avec des pierres. Le revendicateur principal a prétendu qu'au lieu d'arrêter les nationalistes, la police l'avait détenu pendant trois jours parce qu'il était un Kurde. Le revendicateur principal n'avait aucun profil politique et n'a pas publiquement participé à des politiques ou à des affaires culturelles kurdes.

Le témoignage de vive voix du revendicateur principal ne concorde pas avec l'évaluation du British Home Office et le rapport du Département d'État des États-Unis relatif au traitement des Kurdes à Istanbul et dans les autres centres urbains situés à l'ouest de la Turquie.

S'agissant de cet incident, le membre de la Commission a présenté au demandeur l'évaluation géographique faite en Angleterre par le ministère de l'Intérieur, et je vais reproduire ici les parties de l'évaluation qui ont été lues au demandeur, ainsi que la réponse de celui-ci.

[TRADUCTION]

En dehors de la Turquie du Sud-Est, les Kurdes ne sont pas en général victimes de persécution ni même d'une discrimination bureaucratique, à condition qu'ils ne revendiquent pas, publiquement ou politiquement, leur identité ethnique kurde.

Puis :

Les Kurdes qui revendiquent publiquement ou politiquement leur identité ethnique kurde s'exposent à du harcèlement, à des mauvais traitements et à des poursuites.


Et l'on continue ainsi :

Dans les villes, les Kurdes sont généralement assimilés. Un grand nombre se déclarent ouvertement Kurdes...

INTERPRÈTE : Ils se déclarent tels ouvertement?

WATERS

... se déclarent ouvertement Kurdes et en général se dissocient du séparatisme kurde.

Et, à propos encore des régions urbaines, on peut lire ce qui suit :

D'ailleurs, ils interagissent souvent avec les Turcs, ils se hissent aux plus hauts niveaux de la société et ils sont rarement l'objet d'une discrimination fondée sur leur origine ethnique.

...

LE REVENDICATEUR : Ce qui est expliqué ici diffère largement de ma propre expérience. Ma langue maternelle est le kurde, et il est donc facile, par mon accent, de voir que je suis kurde. Mes enfants n'ont pas l'accent kurde. Eux pourront sans doute s'assimiler et devenir des Turcs à part entière. Ils ne connaissent pas de difficulté parce qu'ils n'ont pas d'accent et qu'ils sont nés à Istanbul. Pour moi, les difficultés sont grandes.


Dans ce document du ministère britannique de l'Intérieur, on peut lire que, dans les zones urbanisées, les Kurdes sont rarement l'objet d'une discrimination, mais le document ne dit pas qu'une persécution est exercée contre les Turcs dans les zones urbanisées. Si l'on se reporte au premier paragraphe, où il n'est pas question de zones urbanisées, on voit que les Kurdes « ne sont pas en général victimes de persécution » . J'observe que les membres de la Commission avaient à l'esprit certaines villes, dont Istanbul, lorsqu'ils ont dit que les documents qu'ils examinaient ne paraissaient pas s'accorder avec la déposition du demandeur. À mon avis, c'est là un point très discutable et, bien que cette erreur ne constitue peut-être pas en elle-même une erreur sujette à révision, elle en devient certainement une si on l'ajoute à la première conclusion de la Commission évoquée plus haut, et l'affaire doit donc être renvoyée à la Commission pour nouvelle décision par un autre tribunal.

[5]                 Quant aux troisième et quatrième points, qui concernent l'incident au cours duquel un voisin turc du demandeur avait en 1992 sorti le fils de celui-ci d'un camion stationné, et quant aux observations de la Commission relatives au refus des autorités turques d'apporter une aide au demandeur lorsque son logement avait été gravement endommagé durant le tremblement de terre survenu le 17 août 1999, il s'agit là de conclusions que pouvait tirer la Commission. Pour ces deux incidents, le point de vue de la Commission s'accordait avec l'une ou plusieurs des interprétations possibles de la preuve, et la Commission n'a donc pas ici commis d'erreur.

[6]                 La demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision de la Commission en date du 30 avril 2001 est annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission, pour nouvelle décision.

                                                                                  « W.P. McKeown »          

                                                                                                             Juge                      

OTTAWA (ONTARIO)

le 28 mars 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


  

                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                            IMM-2648-01

  

INTITULÉ :                                                    Resul Senlik et autres c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Toronto (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 20 mars 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :            Monsieur le juge McKeown

  

DATE DES MOTIFS :                                  le 28 mars 2002

   

ONT COMPARU :

M. Richard M. Addinall                                                          POUR LES DEMANDEURS

M. Marcel Larouche                                                               POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Richard M. Addinall                                                          POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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