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Date : 20210223

Dossier : IMM-7880-19

Référence : 2021 CF 165

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2021

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ALABI ADAM SABITU

MARIAM AROMOKE SALIU-ADAM

SUMAYYAH TIWATOPE ADAM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 13 décembre 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) a confirmé le refus de leur demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (SPR), cette dernière ayant conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Port Harcourt et à Ibadan (Nigéria).

[2] Pour les motifs qui suivent, notre Cour a décidé d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[3] La demande d’asile du demandeur, de son épouse et de leur fille mineure, des citoyens nigérians, repose sur la crainte d’une mutilation génitale féminine (MGF), de rituels tribaux nuisibles ou d’autres préjudices graves de la part du grand‑père et de la famille élargie du demandeur. Les demandeurs adultes ont également une fille née au Canada qui n’est pas visée par la demande d’asile.

[4] Les demandeurs adultes ont fait des études universitaires. Le demandeur est ingénieur civil et la demanderesse, microbiologiste. Ils parlent yoruba et anglais. Le couple s’est fiancé en juin 2012. En octobre suivant, le demandeur a quitté le Nigéria pour le Qatar, où il a travaillé dans une entreprise de construction comme ingénieur en contrôle de la qualité; ce poste est devenu permanent en août 2014. Ils se sont mariés en juin 2013.

[5] Comme le demandeur n’a pas pu emmener son épouse au Qatar, celle-ci est restée avec sa belle‑famille au Nigéria. Durant cette période, elle travaillait, semble‑t‑il, dans une clinique Ilorin.

[6] Le grand‑père du demandeur pratiquait la médecine traditionnelle dans sa ville natale et assumait à ce titre le rôle dominant de chef de famille. Lorsque la demanderesse mineure est née en 2015, il a informé ses parents qu’elle serait soumise à une MGF et arborerait une cicatrice de coupe tribale au visage.

[7] Les demandeurs adultes n’approuvaient ni la MGF ni les coupes tribales, mais ils ne l’ont pas exprimé publiquement car il aurait été contraire à leur tradition et à leurs coutumes de se quereller avec les aînés de la famille. Cependant, la pression s’est intensifiée pour que la date des interventions soit fixée et ils ont été menacés de voir la demanderesse mineure leur être retirée s’ils ne choisissaient pas une date. Les demandeurs ont décidé de quitter le Nigéria en 2017.

[8] Comme la demanderesse et sa fille mineure n’avaient pas de visa pour le Qatar, la famille a pris l’avion pour les États‑Unis et a traversé la frontière à Lacolle (Québec) quelques jours plus tard pour demander l’asile au Canada en septembre, présentant une demande à cet effet en 2017 à Montréal.

[9] Bien que la SPR ait soulevé des préoccupations en matière de crédibilité, celles‑ci n’ont pas été jugées déterminantes. Les demandes d’asile ont en fin de compte été rejetées en raison de l’existence de PRI viables à Ibadan ou à Port Harcourt. La SPR a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que la famille élargie ou la communauté tribale ‑ des acteurs non étatiques ‑ réussirait à retrouver les demandeurs dans les PRI et à leur nuire. Par ailleurs, vu les circonstances de la présente affaire, la SPR a jugé qu’il n’était pas objectivement déraisonnable que les demandeurs cherchent refuge dans les PRI d’Ibadan ou de Port Harcourt, compte tenu de leur profil, de leurs études, de leurs emplois, de leur logement, de leur langue, de leur identité autochtone et de la violence ethnique invoquée. La SPR a rejeté la demande d’asile, car les demandeurs disposaient d’une PRI fiable. La SAR a confirmé la décision.

[10] En appel, la SAR a jugé que la SPR avait mal compris le témoignage du demandeur concernant la raison pour laquelle il était allé travailler au Qatar plusieurs années auparavant. Ce facteur n’a toutefois pas eu une incidence déterminante sur l’appel étant donné qu’il ne permettait pas de trancher de manière concluante la question de savoir si le demandeur pouvait trouver du travail dans une profession autre que la sienne dans les PRI. Ayant examiné et évalué le dossier de manière indépendante, la SAR a autrement souscrit à l’évaluation des PRI et rejeté l’appel des demandeurs.

[11] Les demandeurs ont déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 30 décembre 2019 et leur dossier de demande le 6 février 2020. D’après les observations contenues dans le mémoire des arguments, l’avocat qui les représentait devant la SPR et la SAR était incompétent et leur avait notamment déconseillé de présenter des éléments de preuve attestant que la demanderesse souffrait d’une anémie falciforme depuis la naissance.

[12] Le 9 mars 2020, le défendeur a déposé un mémoire dans lequel il prétendait que la loi interdisait aux demandeurs de solliciter un contrôle judiciaire concernant des atteintes à l’équité procédurale alors qu’ils n’avaient pas épuisé leur droit de rouvrir l’appel interjeté devant la SAR conformément à l’article 49 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 (les Règles).

[13] Le 8 avril 2020, après la clôture des actes de procédure au stade de l’autorisation, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a révoqué le guide jurisprudentiel (GJ) TB7‑19851 sur le Nigéria.

[14] Le 29 juin 2020, les demandeurs ont déposé une demande de réouverture de leur appel devant la SAR conformément à l’article 49 des Règles. Ils invoquaient le même motif de représentation inadéquate que celui avancé dans leur demande d’autorisation devant la Cour fédérale, et affirmaient en plus que la décision de la SAR devait être infirmée en raison de la révocation du GJ sur le Nigéria.

[15] Le 22 septembre 2020, le juge Bell a rendu une ordonnance de production dans le présent litige, puis, le 21 octobre suivant, une autre ordonnance autorisant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[16] Le 2 octobre 2020, un autre commissaire de la SAR a rejeté, dans une décision motivée, la demande de réouverture de l’appel que les demandeurs avaient soumise en invoquant la représentation inadéquate de leur ancien avocat et le fait que la SAR s’était appuyée sur le GJ sur le Nigéria. Les demandeurs n’ont pas contesté devant la Cour fédérale la décision concernant la réouverture. Ils soulèvent toutefois des manquements à l’équité dans la présente demande, ce qui, selon le défendeur, revient à contester indirectement la décision de la SAR concernant la réouverture.

III. Questions à trancher

[17] Voici les questions à trancher :

  • 1) L’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) interdit‑il à la Cour fédérale d’instruire, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les allégations de manquement à la justice naturelle avancées par les demandeurs, sans que ces derniers aient d’abord exercé leur droit de solliciter une réouverture de l’appel de la SAR conformément au paragraphe 49(1) des Règles?

  • 2) Les observations par lesquelles les demandeurs font valoir en l’espèce des manquements à la justice naturelle contreviennent‑elles de manière inadmissible à la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes, étant donné que la SAR a rejeté les mêmes observations contenues dans leur demande de réouverture, et qu’ils n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision?

  • 3) La détermination des répercussions de l’incompétence d’un avocat sur l’issue de la décision contestée doit‑elle être évaluée selon une norme de « probabilité raisonnable » ou de « possibilité sérieuse »? L’ancien avocat était‑il incompétent au point que cela a eu une incidence sur l’issue de la décision?

  • 4) Le fait que la SAR s’est appuyée sur le GJ révoqué constituait‑il un manquement à la justice naturelle? L’obligation de prouver que cette révocation aurait eu une incidence sur l’issue de la décision contestée doit‑elle être évaluée selon une norme de « probabilité raisonnable » ou de « possibilité sérieuse »?

IV. Norme de contrôle

[18] Conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov] rendu par la Cour suprême du Canada, il convient de présumer que la norme de la décision raisonnable doit être appliquée pour contrôler le bien‑fondé des décisions administratives, à moins qu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit n’exige que l’on déroge à cette présomption.

[19] Le cadre qui régit la détermination de la norme de contrôle repose sur la présomption selon laquelle la décision contestée est raisonnable. Une décision raisonnable requiert un raisonnement intrinsèquement cohérent et doit être justifiée compte tenu des contraintes juridiques et factuelles ayant une incidence sur elle, de sorte que la décision dans son ensemble soit transparente, intelligible et justifiée (Ibid, aux para 15, 75, 83, 85‑86, 99). Par ailleurs, la cour de révision ne doit pas s’attendre à une exactitude qui obligerait le tribunal administratif à inclure tous les arguments ou autres détails qu’elle aurait voulu y lire; l’omission d’atteindre une telle perfection ne constitue pas un motif d’annulation de la décision (Ibid, aux para 91‑92). Il incombe à la partie qui conteste la décision de montrer qu’elle n’est pas raisonnable (Ibid, au para 100).

[20] Les questions 1 et 2, qui concernent l’interprétation de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR en ce qui a trait à l’épuisement des voies d’appel et la levée de la règle de l’interdiction des contestations indirectes constituent de nouvelles questions de droit soulevées dans le cadre de la présente demande; elles ne sont soumises à aucune norme de contrôle, mais nécessitent une formulation correcte des principes juridiques.

[21] Les questions 3 et 4 sont quant à elles régies par la norme de la décision correcte. La présomption d’application de la norme du caractère raisonnable ne vise pas les manquements procéduraux à la justice naturelle. De tels manquements sont soumis à la norme de la décision correcte (Vavilov, au para 23), laquelle norme est régie par des principes de common law et exige l’établissement d’une erreur judiciaire.

[22] Plus précisément, la Cour a appliqué la norme de la décision correcte au contrôle des allégations ayant trait à l’incompétence de l’avocat puisque cette question « porte sur le droit du demandeur de présenter l’intégralité de sa cause, ce qui est une question d’équité procédurale » (Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 27; Stephen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1331 au para 10; Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 au para 22; McIntyre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1351 au para 16). De même, l’effet de la révocation du GJ renvoie à une question de justice naturelle procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, et non du caractère raisonnable.

[23] Il convient toutefois de noter que lorsque les questions d’incompétence de l’avocat et de révocation du GJ sont examinées par la SAR dans le cadre d’une demande de réouverture de l’appel présentée en application paragraphe 49(1) des Règles, la décision rendue par la SAR à l’égard de ces questions est contrôlée selon la norme du caractère raisonnable, comme l’indique la décision Huseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 845 au para 13 :

Une récente jurisprudence a établi que les décisions de la SPR relatives aux demandes de réouverture sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, étant donné que l’évaluation de la SPR est une question mixte de fait et de droit (Gurgus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 9, au paragraphe 19 (Gurgus); Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1270, au paragr. 21).

V. Analyse

A. L’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) interdit‑il à la Cour fédérale d’instruire, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les allégations de manquement à la justice naturelle avancées par les demandeurs, sans que ces derniers aient d’abord exercé leur droit de solliciter une réouverture de l’appel de la SAR conformément au paragraphe 49(1) des Règles

[24] Les demandeurs se retrouvent dans la situation délicate de devoir répondre à un argument concernant la contestation indirecte parce qu’ils ont déduit des observations du défendeur se rapportant à la demande d’autorisation qu’ils devaient demander la réouverture de la décision d’appel de la SAR conformément au paragraphe 49(1) des Règles. Le défendeur fait valoir que, selon l’alinéa 72(2)a) de la LIPR, ils ne pouvaient solliciter le présent contrôle judiciaire concernant leurs allégations de manquement à l’équité sans avoir d’abord épuisé leurs droits d’appel conformément au paragraphe 49(1) des Règles en cherchant à faire rouvrir l’appel de la SAR afin de faire examiner leurs observations concernant la justice naturelle.

[25] Les demandeurs ont donc sollicité la réouverture de l’appel de la SAR conformément au paragraphe 49(1) des Règles, mais ils n’ont pas eu gain de cause. Ayant souscrit aux observations du défendeur concernant la demande de réouverture de l’appel, ils n’ont pas sollicité l’autorisation de faire contrôler judiciairement la décision de la SAR concernant la réouverture de l’appel. Ils ont plutôt décidé de faire valoir leurs préoccupations en matière de justice naturelle dans le cadre de la demande principale de contrôle judiciaire et ont obtenu l’autorisation d’ajouter au dossier des documents pertinents concernant ces questions. Le défendeur affirme à présent que les allégations de manquement à l’équité qui continuent d’être invoquées en l’espèce doivent être rejetées parce qu’elles constituent une contestation indirecte de la décision par laquelle la SAR a rejeté la demande de réouverture.

[26] Comme la prétention relative à la contestation indirecte est déterminante quant à la décision de la Cour, elle s’oppose à l’accueil de la demande, qui repose sur des questions de justice naturelle. La question de la contestation indirecte n’est soulevée que parce que le défendeur affirme que les demandeurs étaient tenus d’épuiser leurs droits d’appel conformément à l’alinéa 72(2)a) et au paragraphe 49(1) des Règles avant de solliciter le contrôle de la décision de la SAR sur le fondement d’arguments de justice naturelle. L’interprétation de ces dispositions est donc une question qui doit être examinée par la Cour : ce sera le point de départ de son analyse.

(1) L’obligation de demander la réouverture de l’appel de la SAR

(a) Deux procédures permettent de contrôler les manquements à la justice naturelle dans les appels instruits par la SAR

[27] La Cour trouve très surprenante la prétention du défendeur selon laquelle les manquements à la justice naturelle récemment découverts par les demandeurs ne peuvent être contrôlés dans le cadre de la présente demande tant que ces derniers n’auront pas épuisé le processus d’appel de la SAR en sollicitant la réouverture de l’appel conformément au paragraphe 49(1) des Règles. Cette prétention revient à forcer tout demandeur à engager une procédure secondaire de réouverture de l’appel et, en cas d’échec comme c’est le plus souvent le cas, d’introduire ensuite une deuxième demande de contrôle judiciaire. Le demandeur devrait ensuite présenter une requête pour que les deux demandes soient instruites ensemble, à supposer qu’il souhaite faire valoir les mêmes questions de justice naturelle dans la demande principale.

[28] Si cette nouvelle proposition est acceptée, elle mettra fin à la pratique courante de notre Cour qui consiste à examiner les allégations de manquement à la justice naturelle dans le cadre de la demande principale de contrôle judiciaire. La Cour examine toujours directement, sans se laisser entraver par d’autres instances, les allégations liées à la justice naturelle en même temps que d’autres questions soulevées à l’égard des décisions de la SPR ou de la SAR dans le cadre d’une demande unique de contrôle judiciaire, en étoffant si nécessaire le dossier. L’imposition d’une procédure supplémentaire et prolongée comme celle qui est proposée désavantagerait probablement le demandeur dont la demande de réouverture est refusée. Elle aboutirait aussi à une multiplicité d’instances, à des retards et à des coûts accrus, lesquels auraient en grande partie été évités par la procédure habituelle d’examen de toutes les questions liées à la décision de la SAR dans le cadre d’une unique demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[29] Voici les dispositions pertinentes de la LIPR et des Règles qu’il est nécessaire d’examiner pour se pencher sur ces questions :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2000, c 27

71 L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

71 The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

Demande d’autorisation

Application for judicial review

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72 (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is, subject to section 86.1, commenced by making an application for leave to the Court.

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257

Refugee Appeal Division Rules, SOR/2012-257

Demande de réouverture d’un appel

Application to reopen appeal

49 (1) À tout moment avant que la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de l’appel qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, l’appelant peut demander à la Section de rouvrir cet appel.

49 (1) At any time before the Federal Court has made a final determination in respect of an appeal that has been decided or declared abandoned, the appellant may make an application to the Division to reopen the appeal.

[...]

...

Élément à considérer

Factor

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

(6) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

Éléments à considérer

Factors

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(7) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

[...]

...

b) si l’appelant n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire, les raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait.

(b) if the appellant did not make an application for leave to apply for judicial review or an application for judicial review, the reasons why an application was not made.

[...]

...

Autres recours

Other remedies

(9) Si une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en instance ou une demande de contrôle judiciaire en instance est fondée sur des motifs identiques ou similaires, la Section, dès que possible, soit accueille la demande de réouverture si cela est nécessaire pour traiter avec célérité et efficacité les appels, soit rejette la demande.

(9) If there is a pending application for leave to apply for judicial review or a pending application for judicial review on the same or similar grounds, the Division must, as soon as is practicable, allow the application to reopen if it is necessary for the timely and efficient processing of appeals, or dismiss the application.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[30] À l’appui de son argument relatif à l’épuisement des recours en appel, le défendeur a cité en premier lieu la décision récente Slatineanu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1129 [Slatineanu], qui portait sur un appel en matière d’interdiction de territoire instruit devant la Section d’appel de l’immigration (SAI). L’article 71 de la LIPR autorisait l’appelant débouté à solliciter la réouverture de l’appel. Les paragraphes 17 à 19 de Slatineanu sont particulièrement pertinents au regard de notre analyse :

[17] Je conclus que le demandeur pouvait se prévaloir de la voie d’appel prévue à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR et qu’il doit l’épuiser avant de demander un contrôle judiciaire. Je ne suis pas d’accord que le droit de demander la réouverture d’un appel aux termes de l’article 71 de la LIPR n’est pas un moyen d’appel au sens de l’alinéa 72(2)a) parce qu’il est plus restreint et assujetti à l’existence d’un manquement à un principe de justice naturelle.

[18] Je ne doute aucunement que l’alinéa 72(2)a) s’applique puisque les arguments sur le fond qui sont invoqués dans le présent contrôle judiciaire ont trait à des manquements à l’équité procédurale. Par conséquent, l’issue de la requête en réouverture n’est pas en jeu puisqu’elle repose sur les mêmes manquements à l’équité procédurale et que cette voie d’appel doit être épuisée avant que la décision puisse être soumise au contrôle judiciaire.

[19] Le demandeur n’ayant pas épuisé toutes les voies d’appel, je rejette la présente demande au motif de sa prématurité.

[Non souligné dans l’original]

[31] Lorsqu’elle a dû interpréter l’alinéa 72(2)a) de la LIPR dans Slatineanu, la Cour s’est appuyée sur des arrêts antérieurs de la Cour d’appel fédérale qui exigeaient, comme condition préalable à la présentation d’une demande de contrôle judiciaire, l’épuisement des voies d’appel (voir Somodi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 288; et Habtenkiel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180).

[32] Cependant, il convient de noter que ces arrêts de la Cour d’appel portaient sur des moyens d’appels indépendants prévus par la loi qui permettaient de former un appel. Les intéressés pouvaient se prévaloir d’un droit d’appel, mais ils ne l’avaient pas exercé avant de demander le contrôle judiciaire des décisions administratives. Ces affaires ressemblent d’un point de vue procédural à la situation d’un demandeur d’asile qui tenterait de soumettre la décision de la SPR à un contrôle judiciaire sans avoir d’abord épuisé le droit d’appel originel devant la SAR. Les droits d’appel dont il était question dans ces affaires ne s’accompagnaient pas de procédures supplémentaires consécutives à l’exercice d’un droit d’appel originel, comme la réouverture ou le réexamen de la décision d’appel.

[33] En réplique aux observations du défendeur, les demandeurs affirment que les questions de réouverture soulevées devant la SAR ne tombent pas sous le coup de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR. Ils ajoutent que les affaires dont est saisie la SAI témoignent d’un régime législatif fondé sur l’intention explicite du législateur que les « voies d’appel » soient épuisées avant que l’on puisse introduire une demande de contrôle judiciaire. L’article 71 est une composante de ce régime législatif qui permet au demandeur de rouvrir l’appel. La seconde composante, énoncée à l’alinéa 72(2)a), impose comme condition préalable à l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire que « les voies d’appel [aient été] épuisées » [non souligné dans l’original].

[34] Si la Cour comprend bien la thèse des demandeurs, il existe une distinction entre le droit à une réouverture d’un appel prévue à l’article 71 de la LIPR dans le cadre d’une instance d’interdiction de territoire, et un droit analogue dans les affaires de demandes d’asile de rouvrir un appel au titre d’une disposition des Règles, comme le paragraphe 49(1) des Règles. En d’autres mots, les demandeurs distinguent la réouverture de l’appel envisagée au paragraphe 49(1) des Règles de celle prévue à l’article 71, la première ne constituant pas une « voie[...] d’appel » dans le cadre du régime de la LIPR et au sens de l’alinéa 72(2)a) de cette loi.

[35] Le contexte appuie en quelque sorte l’argument des demandeurs selon lequel le régime législatif atteste l’intention du législateur de prescrire une démarche dans le cadre de laquelle des « voies d’appel » sont expressément prévues pour les instances d’interdiction de territoire et doivent être épuisées comme condition préalable à l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire. L’article 71 est intitulé « Réouverture de l’appel » et figure à la section 7 de la LIPR sous le titre principal « Droit d’appel » (Right of Appeal). Le corps du paragraphe 72(2) contient l’expression « voies d’appel » (right of appeal), et se trouve à la section 8, intitulée « Contrôle judiciaire ». L’expression « droit d’appel » qui figure dans le titre de la section 7, dont relève la disposition sur la réouverture, et l’expression « voies d’appel » à l’alinéa 72(2)a) confirmeraient d’un point de vue contextuel l’intention du législateur de relier les expressions « droit d’appel » ou « voies d’appel » (right of appeal uniquement dans la version anglaise) aux deux dispositions.

[36] La Cour ne rejette pas la thèse des demandeurs. Elle semble tout simplement irréconciliable avec la façon dont les tribunaux ont appliqué ces dispositions dans le passé. La décision Slatineanu rendue en 2017 semble d’ailleurs être la première où l’alinéa 72(2)a) est appliqué pour conclure que l’article 71 prévoit un « droit d’appel » empêchant toute demande de contrôle judiciaire tant qu’un appel non originel n’a pas été tranché.

[37] Comparativement à la procédure directe de la Cour qui consiste à examiner les questions de justice naturelle avec d’autres questions soulevées dans le cadre des appels interjetés à l’encontre des décisions de tribunaux administratifs, il est désavantageux, sur les plans pratique et procédural, de traiter l’article 71 de la LIPR ou l’article 49 des Règles comme des dispositions d’application obligatoire, comme cela est expliqué plus en détail ci‑après. L’application obligatoire de l’article 71 et du paragraphe 49(1) des Règles, qui aboutit à une procédure de contrôle judiciaire en deux temps avec toutes les embûches inutiles que cela suppose, confirme que l’interprétation de l’alinéa 72(2)a) préconisée par le défendeur est erronée.

(b) Contrainte textuelle

[38] La Cour considère que la question porte sur l’interprétation des termes utilisés à l’alinéa 72(2)a) suivant lequel la demande d’autorisation ne peut être présentée « tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées » [non souligné dans l’original]. Pour les motifs qui suivent, la Cour estime que l’expression « voies d’appel » employée à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR n’englobe pas ce qui peut être décrit comme le droit de rouvrir un appel en vertu du paragraphe 49(1) des Règles.

[39] L’interprétation de l’alinéa 72(2)a) retenue par la Cour limiterait les « voies d’appel » aux appels originels, et exclurait les procédures qui complètent un appel en cours ou qui en découlent. Par conséquent, l’expression « voies d’appel » dont il est question dans cette disposition exclurait tout droit autorisant la réouverture ou le réexamen d’un appel, que ce soit au titre de l’article 71 de la LIPR dans les affaires d’interdiction de territoire ou du paragraphe 49(1) des Règles dans les affaires de demandes d’asile.

[40] En l’absence de l’obligation d’épuiser un droit, les demandes de réouverture des appels seraient facultatives, ce qui concorderait avec l’objet des dispositions qui régissent la réouverture des appels. Ces demandes permettent au demandeur débouté de soulever subsidiairement des questions de justice naturelle avant d’entreprendre un contrôle judiciaire exhaustif de l’ensemble des questions, dont celles qui concernent les manquements à l’équité. Comme nous l’expliquons ci‑après, cette interprétation est surtout avantageuse si elle est également assortie d’une dispense de l’application de la règle interdisant les contestations indirectes, à savoir si les arguments liés à la justice naturelle que la SAR a rejetés dans la décision sur la réouverture n’ont pas à être examinés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire distincte. La Cour est d’avis que la renonciation à la règle interdisant les contestations indirectes dans les circonstances servirait le mieux l’intention du législateur de promouvoir à la fois l’administration et l’intérêt de la justice.

(c) Contrainte contextuelle

[41] De par sa définition même, le droit de réouverture naît après que le droit d’appel originel devant la SAR a été exercé puis qu’une décision a été rendue conformément à l’article 111 de la LIPR. La décision de réouverture est une décision distincte qui peut être visée par une demande de contrôle judiciaire, laquelle est presque toujours introduite par le demandeur désireux de faire contrôler le refus par la SAR d’accueillir sa demande de réouverture. Le contrôle judiciaire d’une telle décision défavorable de la SAR ne porte pas sur la décision initiale rendue par la SAR. Il s’agit d’un nouveau processus lié au contexte étroit d’un manquement à la justice naturelle. Son avantage, par rapport au contrôle judiciaire, tient au fait que la SAR peut décider de statuer sur l’affaire si elle conclut que l’appel devrait être rouvert. Ainsi, l’idée même qu’il existe un droit postérieur à la décision de la SAR de demander la réouverture de l’appel sans devoir subsumer ni révoquer la décision principale de la SAR accrédite l’interprétation qui établit une distinction entre les deux formes d’appel aux fins de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR.

[42] Il ressort également de l’analyse contextuelle que la demande de réouverture d’un appel et le droit de solliciter le réexamen de la décision originale ont un objet similaire. Ces deux droits complètent le processus décisionnel initial, et servent tous deux une fin semblable qui consiste à offrir au demandeur des voies subsidiaires et facultatives de soulever des questions de justice naturelle, sans devoir présenter directement une demande de contrôle judiciaire. Il n’existe donc aucune raison valable et logique de distinguer le droit au réexamen et celui à la réouverture d’un appel, en ce qui touche l’objectif qu’ils sont chacun censés atteindre.

[43] Aussi, si l’on se fonde sur le contexte des affaires de demande d’asile, l’alinéa 49(7)b) et le paragraphe 49(9) des Règles semblent confirmer que l’exercice du droit de rouvrir un appel de la SAR conformément au paragraphe 49(1) des Règles n’empêche pas l’examen des questions de justice naturelle en même temps que les autres questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire visant la décision de la SAR. Le paragraphe 49(5) des Règles oblige l’auteur de la demande à fournir une copie de toute demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en instance ou de toute demande de contrôle judiciaire en instance. Aux termes de l’alinéa 49(7)b) des Règles, la SAR est tenue, pour statuer sur la demande de réouverture, de tenir compte du fait que l’appelant n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire et les raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait. Par ailleurs, le paragraphe 49(9) mentionne une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en instance « fondée sur des motifs identiques ou similaires », et semble exhorter la SAR à coordonner sa décision de manière à faciliter l’instruction de la demande de contrôle judiciaire. La Cour est d’avis que ces règles évoquent une instance de contrôle judiciaire fondée sur des motifs similaires ou identiques indépendamment de toute demande de réouverture de l’appel.

(d) Contrainte liée à l’objet de la demande de réouverture de l’appel de la SAR au titre du paragraphe 49(1) des Règles

[44] Parler de l’objet d’une loi, c’est entrer dans le domaine des politiques, ce qui amène souvent à envisager les avantages et les coûts découlant d’interprétations divergentes. Ce sont notamment les coûts, au sens large, liés à une interprétation du paragraphe 49(1) des Règles en vertu de laquelle les demandes infructueuses relatives à un manquement à la justice naturelle seraient obligatoirement soumises à un deuxième contrôle judiciaire par la voie d’une procédure de réouverture de l’appel, qui jouent contre les arguments du défendeur.

[45] Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucun avantage à appliquer l’alinéa 72(2)a) de la LIPR à l’article 71 ou au paragraphe 49(1) des Règles lorsque l’accueil d’une demande de réouverture de l’appel met rapidement fin au litige. Si la réouverture de l’appel aboutit, la procédure du paragraphe 49(1) des Règles devrait assurer une issue plus rapide et moins coûteuse dont tirera profit le demandeur, qui n’aura pas à engager une instance de contrôle judiciaire en Cour fédérale. Ces avantages sont légèrement amoindris du fait des ressources et des coûts que nécessitera la procédure de la SAR, mais ceux-ci sont sans commune mesure avec ceux que supposerait l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire.

[46] Cependant, les avantages de la procédure obligatoire de réouverture de l’appel devant la SAR sont largement neutralisés par l’inconvénient important quimplique le rejet de la demande de réouverture, comme il appert de manière empirique que c’est très souvent le cas (nous n’avons pas de statistiques à notre disposition).

[47] Premièrement, cela découle du fait que les décisions défavorables au titre du paragraphe 49(1) des Règles entraîneront probablement l’introduction d’une seconde demande de contrôle judiciaire, particulièrement lorsque la demande de contrôle judiciaire principale est déjà en cours d’instruction à l’égard d’autres questions et que celles ayant trait à la justice naturelle seront soumises à la norme de la décision correcte. Les décisions rejetant les demandes de réouverture aboutiront donc le plus souvent à une seconde demande de contrôle judiciaire, ce qui entraîne une multiplicité de procédures, dont celle requise aux fins de l’instruction conjointe des deux demandes. Une telle démarche fait perdre du temps et des ressources aux parties et à la Cour, sans compter les coûts additionnels qu’elle suppose. Tout cela implique un détour non souhaitable pour simplement atteindre l’objectif initial de faire examiner les manquements à la justice naturelle, ainsi que les autres questions soulevées par le demandeur, par la Cour fédérale, sagissant du tribunal le plus compétent pour le faire. Ces procédures ne favorisent ni l’administration ni l’intégrité de la justice.

[48] Deuxièmement, l’instruction simultanée de deux demandes de contrôle judiciaire liées à des questions connexes soulève des craintes de confusion quant à la meilleure manière de procéder. Il existe un problème notable, que nous avons déjà mentionné, lié à l’application générale de deux normes de contrôle différentes aux mêmes questions de manquement à l’équité. La Cour suprême du Canada a indiqué qu’elle préférait que les cours de justice, plutôt que les tribunaux administratifs, contrôlent les questions de justice naturelle (CUPE c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 au para 100 (« [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale »)). Voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Compagnie des Chemins de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 37–56; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 au para 53; Satkunanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 470 au para 31; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 27).

[49] Le déroulement optimal des audiences combinées semble également soulever des préoccupations imprévues d’ordre formel et procédural. La décision rendue à l’égard de l’appel originel ou celle relative à l’appel visant la demande de réouverture peut‑elle être infirmée et l’affaire renvoyée pour être réexaminée par un autre tribunal, ce qui mettrait ainsi fin aux deux instances de contrôle judiciaire? La Cour devrait‑elle se pencher sur la question des normes de contrôle divergentes lorsqu’elle examine la question de savoir sur quelle demande de contrôle judiciaire elle doit statuer en premier? Si elle commence par la demande de contrôle judiciaire principale, est‑il nécessaire d’examiner la décision de réouverture?

(e) Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration) confirme l’applicabilité du paragraphe 49(1) des Règles

[50] Pour finir, la Cour est consciente que son interprétation restreinte de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR n’a pas été retenue dans la décision récente Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1103 au para 33 [Brown]. Il s’agit de la seule affaire que le défendeur a pu citer à l’appui de sa proposition portant que la réouverture de l’appel en vertu de l’article 49 des Règles doit avoir été épuisée avant que la demande de contrôle judiciaire ne puisse être introduite à l’égard du manquement à la justice naturelle.

[51] Voici le raisonnement suivi dans Brown concernant ces questions :

[33] En troisième lieu, le commissaire reproche également aux demanderesses de n’avoir pas suivi l’alinéa 49(7)b) des Règles. Cette disposition exige que la SAR prenne en considération, si un demandeur n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire, les motifs pour lesquels il ne l’a pas fait. Il est vrai que, dans leur demande de réouverture, les demanderesses n’ont pas mentionné les raisons pour lesquelles elles n’avaient pas présenté de demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. Toutefois, toute personne raisonnable admettrait qu’une telle demande aurait peu de chances de succès, à moins que l’autre recours prévu à l’article 49 des Règles n’ait été épuisé. L’approche adoptée par les demanderesses contribue à une utilisation économique des ressources judiciaires. Même s’il eût été préférable que les demanderesses aient tenu compte de l’alinéa 49(7)b) dans leurs observations, le fait que le commissaire se soit appuyé sur ce facteur est déraisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[52] Il convient de noter que l’appel de réouverture dans Brown ne visait pas une question de fond, mais soulevait plutôt une question procédurale. La SAR l’a rejeté pour défaut de mise en état. La Cour croit comprendre qu’avant cette affaire, les demandes correctives de réouverture étaient habituellement les seules demandes de ce type présentées devant la SAR par les demandeurs au titre du paragraphe 49(1) des Règles. La distinction entre un recours correctif et une demande fondée sur des allégations de fond relatives à un manquement procédural à la justice naturelle est de taille. Les allégations de fond donnent lieu à des décisions considérablement plus complexes et donc à des contrôles judiciaires plus délicats, et ne mettent pas nécessairement fin à l’appel ni à la demande de contrôle judiciaire sans que ne soit examiné le fond de l’affaire dans le cadre de l’appel ou du contrôle judiciaire afférent.

[53] S’agissant des commentaires formulés dans Brown, l’on soutient qu’il est implicite à la lecture des paragraphes 49(5) et 49(9) et de l’alinéa 49(7)b) des Règles que les demandes de contrôle judiciaire, y compris celles « fondée[s] sur des motifs identiques ou similaires », concernant des allégations de manquement à la justice naturelle, seront instruites en même temps que toute demande de réouverture de l’appel de la SAR. Comme nous l’avons déjà indiqué, le paragraphe 49(5) exige avis de toute demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en instance ou d’une telle autorisation. L’alinéa 49(7)b) mentionne, à titre de facteur pris en compte dans la décision, une explication quant au défaut de présenter une demande de contrôle judiciaire. La SAR aimerait probablement savoir pourquoi l’appelant n’a pas présenté une telle demande, ce qui pourrait militer pour ou contre la demande de réouverture. Le paragraphe 49(9) semble exhorter la SAR à coordonner la décision relative à la demande de réouverture avec la demande de contrôle judiciaire introduite en Cour fédérale, qui ne serait évidemment pas retardée en attendant la demande de réouverture.

[54] Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour est respectueusement en désaccord avec l’interprétation selon laquelle l’expression « voies d’appel » employée à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR a une quelconque pertinence quant à la procédure de réouverture de l’appel devant la SAR au titre du paragraphe 49(1) des Règles. De l’avis de la Cour, cette expression ne s’applique qu’à un appel originel et ne s’étend pas aux procédures supplémentaires afférentes au droit d’appel originel. Incidemment, la Cour est d’avis que la même conclusion paraît s’appliquer à l’article 71 de la LIPR. Le demandeur n’est pas tenu d’introduire au préalable une demande de réouverture pour pouvoir faire contrôler judiciairement les questions de justice naturelle en même temps que celles qui concernent la décision de la SAR.

[55] Subsidiairement, la Cour souscrit à la prétention des demandeurs selon laquelle l’alinéa 72(2)a) s’applique uniquement aux droits d’appel prévus par la loi, définis au sens large comme incluant les demandes de réouverture des appels, qui sont prévus dans le régime législatif de la LIPR, sans toutefois viser aucune procédure semblable établie par les Règles.

B. Les observations par lesquelles les demandeurs font valoir en l’espèce des manquements à la justice naturelle contreviennent‑elles de manière inadmissible à la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes, étant donné que la SAR a rejeté les mêmes observations contenues dans leur demande de réouverture, et qu’ils n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision?

[56] Les demandeurs n’ont pas présenté de demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision rejetant leur demande de réouverture de l’appel de la SAR. Par conséquent, ils doivent répondre à la prétention défendeur selon laquelle la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes s’applique et les empêche de faire valoir les mêmes arguments dans le cadre de la présente demande. Le défendeur cite la décision non publiée Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration) (4 novembre 2016), Ottawa IMM‑8406‑14, aux para 6‑12 (CF) [Olah] à l’appui de cette observation. Dans cette affaire, les demandeurs faisaient valoir, dans le cadre de leur demande de contrôle judiciaire, des observations identiques à celles qu’ils avaient invoquées sans succès devant la SPR lors d’une procédure de réexamen. La décision de réexamen n’avait pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire. À l’audition du contrôle judiciaire, la Cour fédérale avait refusé d’entendre les mêmes observations, estimant qu’elles constituaient une contestation indirecte inadmissible de la décision de réexamen rendue par la SPR.

[57] À l’appui de sa décision, la Cour fédérale a cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Vidéotron Télécom Ltée c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2005 CAF 90 [Vidéotron]. Dans cette affaire, la décision contestée était la décision initiale. Elle avait été suivie d’une demande de réexamen dans laquelle la demanderesse faisait valoir que le décideur avait erronément interprété la législation applicable. La demanderesse n’avait pas cherché à faire contrôler judiciairement la décision de réexamen. La Cour a conclu que la demanderesse ne pouvait que contester les conclusions formulées dans la décision initiale ‑ ce qui est similaire à la prétention du défendeur en l’espèce.

[58] La Cour d’appel fédérale a décrit en ces termes, au paragraphe 14, la procédure qu’il convient de suivre lorsqu’une décision connexe est refusée :

[14] Cette conclusion va dans le sens de la pratique généralement suivie en cette Cour. La partie qui demande au Conseil de réexaminer une décision initiale dépose parallèlement une demande de contrôle judiciaire de la décision initiale ou, à tout le moins, dépose une requête en prorogation de délai dans l’attente de la décision de réexamen. Une fois la décision de réexamen rendue, la partie choisit d’attaquer l’une ou l’autre ou les deux, selon les circonstances. Si les deux décisions sont attaquées, les parties pourront demander à la Cour de joindre les demandes de contrôle judiciaire pour les fins de la préparation des dossiers et de l’audition.

[59] Dans la plupart des circonstances, comme celles décrites dans la décision Olah et l’arrêt Vidéotron, les cours de justice n’hésitent pas à appliquer la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes. Cette doctrine a néanmoins été élaborée par des juges. Son application autorise donc une certaine souplesse afin de s’adapter aux situations incompatibles avec son objet. Les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62 [TeleZone] contribuent à délimiter les considérations de principe pertinentes. Les principes pertinents sont succinctement énoncés aux paragraphes 18 et 61 :

[18] C’est essentiellement l’accès à la justice qui est en cause en l’espèce. Les personnes qui prétendent avoir subi un préjudice attribuable à une mesure administrative doivent pouvoir exercer les recours autorisés par la loi au moyen de procédures réduisant au minimum les frais et complexités inutiles. Notre Cour doit aborder cette question d’un point de vue pratique et pragmatique en gardant cet objectif à l’esprit.

[...]

[61] Il s’agit d’une règle d’origine jurisprudentielle (qui doit donc céder le pas à un texte de loi contraire) fondée sur des considérations générales ayant trait à l’administration de la justice, comme l’explique l’arrêt Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629, au par. 72 :

La règle interdisant les contestations indirectes a pour objet fondamental de « maintenir la primauté du droit et [de] préserver la considération dont jouit l’administration de la justice » (R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333, p. 349). On estime que l’intégrité du système de justice serait compromise si une partie pouvait échapper aux conséquences d’une ordonnance prononcée contre elle en s’adressant à un autre tribunal. La règle vise donc à empêcher une partie de contourner les effets d’une décision prononcée contre elle. [Je souligne.]

[Non souligné dans l’original.]

[60] La Cour est convaincue que, dans les circonstances particulières, voire exceptionnelles, des demandeurs, leur décision de ne pas soumettre la décision de la SAR concernant la réouverture à un contrôle judiciaire ne peut être considérée comme portant atteinte à l’administration de la justice ou à l’intégrité du système judiciaire. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a pris en compte les facteurs suivants :

  1. Depuis qu’ils ont introduit leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont toujours tenté de suivre la procédure traditionnelle aux fins du contrôle des manquements à la justice naturelle nouvellement découverts, dans l’intention de faire examiner ces questions par la Cour. Ayant adopté cette approche, ils se sont initialement prévalus des procédures les plus répandues, les plus pratiques, les plus efficaces et les moins coûteuses qui soient, ce qui supposait simplement d’ajouter les allégations concernant les questions de justice naturelle à leur demande de contrôle judiciaire de la première décision de la SAR, déjà introduite. Ils n’avaient aucunement l’intention de solliciter une demande de réouverture de l’appel de la SAR.

  2. Le défaut des demandeurs de suivre leur voie procédurale initiale ne tenait pas à une méprise ou à un manquement quant à la procédure légale correcte et désirée qui répondait à leurs besoins, comme ils l’avaient envisagé initialement.

  3. La Cour conclut plutôt qu’il y a eu une méprise malencontreuse sur les principes juridiques, ou à tout le moins une confusion quant à l’application de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR, ce qui les a amenés à présenter la demande de réouverture de la décision d’appel de la SAR. Ils ont engagé cette procédure en vertu de l’alinéa 72(2)a) afin d’épuiser tout droit d’appel supposé avant de pouvoir introduire leur demande de contrôle judiciaire. La Cour est d’avis que la déviation prétendument obligatoire de la demande de contrôle judiciaire dans le but de solliciter la réouverture de l’appel de la SAR n’obéissait pas à une exigence légale.

  4. En raison de cette malencontreuse série d’événements, le défaut de contrôler judiciairement la décision défavorable concernant la réouverture ne peut être attribué à une tentative des demandeurs de contourner la décision de la SAR ou de porter atteinte à l’intégrité de l’administration de la justice. Les demandeurs ont simplement intenté une procédure inutile dans le but de faire avancer leur demande initiale de contrôle judiciaire afin que leurs allégations de manquement à la justice naturelle soient instruites devant le bon tribunal.

  5. Dans les circonstances particulières des demandeurs, l’application de la règle de l’interdiction des contestations indirectes serait incompatible avec les considérations de principe sous‑jacentes destinées à « rédui[e] au minimum les frais et complexités inutiles » et à rechercher des solutions « pratique[s] et pragmatique[s] » (TeleZone, au para 18).

[61] Mises à part les circonstances uniques des demandeurs, la Cour conclut que la renonciation à la règle de l’interdiction des contestations indirectes pour d’autres demandeurs dont la demande de réouverture de l’appel de la SAR fondée sur le paragraphe 49(1) des Règles n’a pas abouti ne comporterait que des avantages pour l’administration de la justice, sans occasionner de coûts. La renonciation à la doctrine doit être considérée comme une exception générale à la doctrine applicable dans des circonstances semblables, notamment en ce qui touche l’adoption de procédures similaires à celles suivies par les demandeurs en l’espèce. Cette pratique irait jusqu’à l’autorisation d’ajout de renseignements supplémentaires provenant de la demande de réouverture de l’appel de la SAR au dossier de la demande principale, comme cela s’est fait en l’espèce. La Cour fait remarquer que le dossier certifié du tribunal (DCT) en l’espèce comprenait le dossier dont disposait la SAR dans l’appel sur la demande de réouverture. La Cour n’a pas ordonné son inclusion, ce qui semble attester, comme il est implicitement reconnu au paragraphe 49(9) des Règles, que les documents issus de l’instance de réouverture devraient être soumis à la Cour lorsque la même question est soulevée dans le cadre de la demande principale.

[62] Il est avantageux pour la Cour d’inclure les documents provenant de la demande de réouverture devant la SAR à titre informatif. La Cour peut ainsi examiner la décision, qu’il lui est loisible d’adopter, de rejeter ou d’utiliser pour se faire une idée de l’affaire, comme cela s’est produit en l’espèce, comme nous le verrons. Aucune autre procédure indirecte ne paraît nécessaire, comme l’obligation de donner avis à l’avocat prétendument incompétent, qui doit être respectée devant les deux tribunaux.

[63] La renonciation à la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes après une décision défavorable à l’égard de la demande de réouverture au titre du paragraphe 49(1) des Règles ne porte atteinte à aucun principe juridique ni loi. Il s’agit simplement d’un refus par principe de l’application stricte de cette règle conformément aux principes et à l’intérêt de la justice qui la sous‑tendent. L’on pourrait dire que la renonciation à cette doctrine est sanctionnée par les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt TeleZone, laquelle enjoint de proposer au demandeur dont l’appel devant la SAR a été rejeté une procédure pratique et efficace qui réduise au minimum la complexité et les coûts inutiles, tout en offrant à la Cour l’avantage d’éviter des instances multiples et de veiller à l’intérêt de la justice.

[64] Cette approche n’a que des avantages. En premier lieu, la possibilité pour le demandeur de faire statuer sur l’affaire à un stade préliminaire présente des atouts évidents, si le demandeur a réussi à faire rouvrir l’affaire devant la SAR et que l’appel a donc été accueilli. Même en cas d’échec devant la SAR, cette approche encouragerait un examen préalable des arguments du demandeur liés à la justice naturelle, tout en renseignant la Cour sur les opinions de la SAR, notamment au regard des exigences procédurales préliminaires, par exemple en ce qui touche les exigences applicables devant les deux tribunaux concernant les avis devant être transmis aux avocats visés par des allégations d’incompétence.

[65] Il est également très important de noter que la renonciation à la règle de l’interdiction des contestations indirectes évite la possibilité stérile que deux demandes de contrôle judiciaire soient introduites devant la Cour relativement à la même question, mais qu’elles soient évaluées selon des normes de contrôle différentes. Ce facteur sert à lui seul l’intérêt de la justice, sans parler de la réputation de la Cour.

[66] La Cour conclut qu’il est approprié dans les circonstances uniques de la présente affaire de renoncer à la règle de l’interdiction des contestations indirectes. Cette renonciation renforce les intérêts de la justice qui appuient une dérogation, pratique et fondée sur des principes, à la règle lorsque les actes des demandeurs ne peuvent être considérés comme nuisant à la réputation ou à l’intégrité du système judiciaire.

[67] Par conséquent, la Cour rejette la prétention du défendeur selon laquelle je devrais refuser d’examiner les observations des demandeurs concernant la justice naturelle au motif qu’elles représentent une contestation indirecte inadmissible de la décision rendue par la SAR à l’égard de la demande de réouverture.

C. Le manquement aux principes de justice naturelle découle-t-il de l’incompétence de l’ancien avocat des demandeurs ou du fait que la SAR s’est fondée sur le GJ révoqué sur le Nigéria?

(1) Incompétence de l’avocat

[68] La question en litige concerne le deuxième volet du critère de la PRI, qui pose la question de savoir si cette PRI est un lieu approprié pour la réinstallation des demandeurs au Nigéria. Le fardeau, qui est lourd et incombe au demandeur, est résumé en ces termes dans l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 au paragraphe 15 (CAF) :

15 Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d’appel, indique qu’il faille placer la barre très haut lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr.

[Non souligné dans l’original.]

(a) Le critère juridique auquel il faut satisfaire pour établir l’incompétence de l’avocat

[69] Tout demandeur doit satisfaire à un critère strict pour établir un manquement à la justice naturelle résultant de l’incompétence de l’avocat qui le représentait. Il doit d’abord donner avis à l’ancien avocat afin de lui permettre de répondre aux allégations d’incompétence. Il devra ensuite démontrer que les actes ou les omissions de ce dernier équivalent à de l’incompétence. Enfin, le demandeur doit prouver qu’une telle incompétence a entraîné une erreur judiciaire (R c GDB, 2000 CSC 22 aux para 5, 12 [GDB]).

(b) Le seuil à franchir pour établir que l’incompétence de l’avocat affecterait l’issue de la décision

[70] Avant d’examiner cette question sur le fond, la Cour relève un grave problème dans la jurisprudence en ce qui touche le seuil de la preuve à présenter pour établir que l’incompétence de l’avocat affecterait l’issue de la décision contestée.

[71] En ce qui concerne le critère applicable, la plupart des décisions indiquent qu’il faut établir qu’il existe une « probabilité raisonnable » que l’issue « aurait été différente », tandis que d’autres exigent la preuve que l’issue « aurait été différente ». Voir des exemples de ces différents énoncés des critères dans les décisions suivantes : Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605 au para 9; Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305 au para 36; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 84; Atim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 695 au para 23, citant le résumé du droit dans Zhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 626.

[72] Le terme générique « aurait » dans l’expression « aurait été différente » peut renvoyer à une « probabilité » que l’issue aurait été différente; ou à une prédiction plus certaine que le jugement final aurait été différent. Ce terme ne décrit pas une « possibilité », son degré de prévisibilité étant plus grand que celui associé au terme « peut » ou « pourrait », s’agissant de circonstances à venir. Le critère « aurait été différente » est donc présumé décrire une issue qui aurait probablement été différente. Quoi qu’il en soit, la Cour rejette respectueusement la norme de preuve entendue comme une probabilité de prouver que l’issue aurait été différente.

[73] La Cour est d’avis que le demandeur doit uniquement satisfaire au critère moins contraignant qui consiste à démontrer une possibilité sérieuse, et non une probabilité ou une vraisemblance – son synonyme parfait –, que l’incompétence de l’avocat aurait eu une incidence sur l’issue de l’affaire. Cette conclusion repose sur trois facteurs.

[74] Premièrement, décider que le critère consiste à démontrer que l’incompétence a probablement ou vraisemblablement affecté la décision contestée entraverait la compétence de la SAR de statuer à nouveau sur cette question. Bien que la Cour puisse pleinement évaluer et déterminer la compétence de l’avocat sur la base du dossier dont elle dispose, elle ne peut déterminer, en termes de probabilité, l’effet de l’incompétence sur l’issue, c’est‑à‑dire trancher la question, parce qu’elle ne dispose pas du dossier complet pouvant être présenté à la SAR.

[75] Deuxièmement, une lecture attentive de l’arrêt GDB de la Cour suprême du Canada amène à la conclusion que l’effet de l’incompétence de l’avocat doit seulement révéler une « possibilité sérieuse » qu’il y ait une incidence sur la décision. Au paragraphe 15 des motifs de l’arrêt GDB, la Cour suprême a énoncé le critère du juge dissident de la Cour d’appel fédérale pour l’examiner. Le juge en question avait conclu que l’appelant s’était acquitté de son fardeau en fournissant une preuve qui « était suffisamment forte qu’elle aurait pu influer sur l’issue du procès de l’appelant » [non souligné dans l’original]. La Cour suprême a examiné cette question et déclaré au paragraphe 35, à titre de conclusion factuelle, que l’incompétence alléguée « n’a pas influencé l’issue du procès ».

[76] Ainsi, cet arrêt ne semble pas opposer les probabilités aux possibilités au regard du critère de l’incidence du préjudice résultant de l’incompétence de l’avocat. Néanmoins, lorsqu’elle a rejeté l’appel, la Cour a tiré la conclusion qui suit au paragraphe 41 :

Étant donné ces conclusions, je suis convaincu que l’appelant n’a pas établi que l’issue de son procès aurait été différente s’il avait été expressément informé de la décision de son avocat de ne pas utiliser l’enregistrement.

[Non soulignée dans l’original.]

[77] La Cour suprême a adopté le même terme anglais « might » qu’avait employé la Cour d’appel de l’Alberta pour décrire le critère auquel il faut satisfaire pour établir l’issue préjudiciable qui doit avoir découlé de l’incompétence de l’avocat. Ce terme décrit une possibilité et non une probabilité. Ainsi, le fardeau de prouver une issue différente découlant de l’incompétence de l’avocat ne peut constituer un critère de probabilité.

[78] Troisièmement, la référence de la Cour suprême au terme « might », c’est‑à‑dire à une possibilité, n’est pas suffisamment précise pour être d’une utilité particulière dans les circonstances. Une possibilité est simplement une abstraction trop large et ambiguë, allant d’une à cinquante chances sur cent, après quoi le critère franchit le seuil des probabilités. Pour revenir à la logique de l’analyse effectuée par la Cour suprême dans l’arrêt GBD, il appert que la Cour répondait au juge dissident de la Cour d’appel fédérale qui avait formulé le critère en parlant d’une preuve « suffisamment forte qu’elle aurait pu influer sur l’issue du procès de l’appelant » (GDB, au para 15 [non souligné dans l’original]). L’expression « suffisamment forte » décrit une norme de preuve qui renvoie à une « possibilité sérieuse ».

[79] De plus, le fardeau de la preuve d’une « crainte fondée » de persécution dans la LIPR est également décrit dans la jurisprudence comme une « possibilité sérieuse » (voir Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 aux para 7‑9). Les cours de justice doivent tenter d’appliquer des critères ou des fardeaux de preuve énoncés de manière cohérente en utilisant, dans la mesure du possible, les mêmes termes pour décrire des circonstances similaires. Une « possibilité » décrite par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 en matière de droit d’asile a été définie de manière plus restreinte par la Cour d’appel fédérale comme une « possibilité sérieuse ». Il est raisonnable que la Cour soit tenue de suivre l’exemple de la Cour d’appel en transformant la possibilité décrite dans l’arrêt GDB – formulée en anglais à l’aide du terme « might » – en une « possibilité sérieuse » correspondant au fardeau de preuve dont doit s’acquitter un demandeur pour établir que l’incompétence de l’avocat aurait eu une incidence sur l’issue de la décision contestée.

[80] Par conséquent, la Cour conclut que les demandeurs doivent démontrer qu’il existe une possibilité sérieuse, et non une probabilité, que l’incompétence de leur ancien avocat aurait eu une incidence sur l’issue de la décision contestée.

(c) Y a‑t‑il eu une erreur judiciaire découlant de l’incompétence de l’avocat?

[81] En l’espèce, la question de la compétence de l’avocat découle en premier lieu de l’avis médical, certes succinct, mais sans équivoque, qui concerne la demanderesse et remonte à 2012. Voici l’intégralité de son contenu :

[traduction]

La personne susmentionnée est une patiente connue qui présente une anémie falciforme associée à des crises vaso-occlusives récurrentes. Les crises sont toujours déclenchées par le stress.

Elle doit donc être dispensée de faire des exercices vigoureux. Cependant, elle est apte à poursuivre ses études.

[Non souligné dans l’orignal.]

[82] L’avis de 2012 a été complété, après le fait, par une lettre datée du 17 janvier 2020 et rédigée par le docteur Jarrer du programme d’oncologie de l’hôpital régional de Windsor. Son jugement médical concernant les risques associés à l’anémie falciforme dont est atteinte la demanderesse était le suivant :

[traduction]

Mariam est une femme de 29 ans atteinte d’une anémie falciforme connue. Je crois comprendre qu’elle a soumis une demande d’asile pour rester au Canada. Elle m’a demandé aujourd’hui de fournir une lettre à l’appui de sa demande.

Mariam est ma patiente depuis maintenant environ 10 mois. Comme je l’ai déjà mentionné, elle souffre d’une anémie falciforme, à savoir une affection hématologique chronique qui peut entraîner des complications menaçant le pronostic vital, y compris des accidents vasculaires cérébraux, ainsi qu’un syndrome thoracique aigu et des complications infectieuses. Elle reçoit actuellement des traitements ici au Canada et son affection devra faire l’objet d’une surveillance étroite. Ses soins pourraient être compromis si elle retourne dans un pays où il n’est pas aisé de recevoir des services de soins de santé, surtout pour quelqu’un qui souffre d’une affection chronique comme la sienne.

[Non souligné dans l’original.]

[83] La preuve relative au traitement réservé à l’avis médical de 2012 par l’avocat dans le cadre de l’instance d’asile est la suivante :

  1. Lorsque les demandeurs ont soulevé l’avis médical à deux reprises différentes, l’avocat leur a répondu qu’il n’était pas requis à ce moment‑là, ajoutant que si elle était questionnée à l’audience, la demanderesse ne devrait pas mentionner son état de santé;

  2. L’avocat a confirmé avoir déclaré aux demandeurs qu’à son [traduction] « avis réfléchi », un rapport médical de cette nature s’avérerait pertinent et plus utile dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH);

  3. L’avocat leur a également déconseillé de présenter le document dans le cadre de la demande d’asile à ce moment‑là, car [traduction] « la CISR s’imaginera que les demandeurs présentent une demande d’asile pour recevoir des traitements médicaux »;

  4. L’avocat a fait remarquer, en réponse à la plainte, que l’avis médical datait de six ans lorsqu’il lui a été présenté, et qu’aucun autre élément n’indiquait que l’état de la demanderesse s’était aggravé, ou qu’il compromettrait d’une manière ou d’une autre son aptitude à voyager ou à déménager dans une PRI qui aurait été trouvée dans son cas.

[84] La Cour convient que la preuve concernant l’anémie falciforme est pertinente au regard d’une demande CH, mais ne croit pas que cela justifiait de ne présenter aucun élément ayant trait à l’affection de la demanderesse dans le cadre de l’audition de la demande d’asile. Il n’y a aucune raison que la même preuve ne puisse servir à deux fins, compte tenu des différents critères de menace à la vie et à la sécurité utilisés dans les affaires liées à des demandes d’asile, par opposition aux difficultés à établir dans les affaires relatives à des demandes CH.

[85] En ce qui concerne les demandes d’asile, l’anémie falciforme ne constitue pas un danger pour la santé et la sécurité publiques; les dispositions de la LIPR concernant l’interdiction de territoire ne s’appliquent pas non plus aux réfugiés en cas de fardeau potentiellement excessif pour les services sociaux ou de santé. La Cour n’est pas d’avis non plus que la présentation de la preuve de la demanderesse aurait une quelconque incidence sur le processus décisionnel de la SPR en faisant tacitement soupçonner que la demande d’asile avait véritablement pour objet d’obtenir un traitement médical.

[86] La Cour estime qu’un avocat compétent ne se laisserait pas distraire par des préoccupations tenant à l’utilité de la preuve dans le cadre d’une demande CH ou par les motivations cachées des commissaires de la SPR à l’égard du dossier des demandeurs. L’avocat doit d’abord et avant tout se mettre à la recherche d’éléments de preuve convaincants afin de satisfaire au critère évidemment élevé pour prouver que le déménagement mettrait en danger la vie et la sécurité des demandeurs. La susceptibilité de la demanderesse à des poussées d’anémie falciforme, maladie débilitante et même dangereuse, pourrait susciter le spectre du renvoi et affecter ainsi sa sécurité et nuire indirectement aux membres de la famille visés par le déménagement. L’avocat devrait également prévoir la nature des questions généralement soulevées dans le cadre des procédures liées aux PRI et songer aux répercussions éventuelles de la preuve concernant l’anémie falciforme sur le profil de la demanderesse en tant que mère ayant de jeunes enfants et faisant face aux difficultés innombrables liées au fait de devoir déménager dans une PRI nigériane.

[87] Le risque pour sa sécurité en cas de déménagement est évident si l’on se fie à l’avis médical succinct qui consacre une seule ligne au diagnostic et au pronostic : [traduction] « les crises sont toujours déclenchées par le stress » [non souligné dans l’original]. L’avis indique aussi que les activités physiques épuisantes peuvent également déclencher l’affection. Un stress conséquent, une anxiété mentale, une dépression et un épuisement à la fois physique et mental sont des conséquences raisonnablement prévisibles du renvoi de la demanderesse dans l’une des PRI nigérianes. Même si l’avocat ne disposait pas de l’avis du Dr Jarrer, cet avis est révélateur de la nature de la preuve médicale extrêmement objective qui aurait pu être obtenue quant au risque auquel l’anémie falciforme exposait la demanderesse. Voici sa description de la nature et des conséquences de la maladie : [traduction] « une affection hématologique chronique qui peut entraîner des complications menaçant le pronostic vital, y compris des accidents vasculaires cérébraux, ainsi qu’un syndrome thoracique aigu et des complications infectieuses ».

[88] La déclaration de l’avocat selon laquelle les demandeurs ne lui ont présenté aucune autre preuve ne peut justifier son appréciation de la manière dont l’affection de la demanderesse pouvait entrer en ligne de compte, compte tenu en particulier de son rejet immédiat de la preuve en question. D’après la preuve des demandeurs, l’avocat a décidé rapidement, à deux reprises différentes, de rejeter la pertinence de l’anémie falciforme dont souffrait la demanderesse. Si sa maladie avait été jugée pertinente au regard de sa sécurité, il était tenu de demander aux clients s’ils pouvaient se procurer d’autres éléments de preuve.

[89] Le défendeur soutient que la demanderesse vit avec l’anémie falciforme depuis l’âge d’un an, sans que des difficultés d’accès à des traitements n’aient été signalées. Cela ne tient pas compte du fait qu’elle a vécu avec des membres de sa famille qui s’occupaient d’elle en veillant à éviter les événements déclencheurs. L’affidavit de la demanderesse décrit les mesures prises pour éviter la survenue de la maladie. Ces mesures de prévention concordent avec l’avis du médecin de 2012, qui recommandait proactivement de dispenser la demanderesse de tout exercice physique à l’école pour éviter d’attiser la maladie. La demanderesse ne bénéficiera pas du soutien de sa famille lorsqu’elle retournera au Nigéria. Elle est déjà anxieuse à l’idée d’exposer ses deux filles au risque de MGF. Elle se heurtera plutôt à des circonstances qui seront, comme l’on peut s’y attendre, stressantes, débilitantes, épuisantes et probablement déprimantes alors qu’elle devra essentiellement recommencer sa vie à zéro.

[90] La Cour conclut que l’omission initiale de l’avocat de s’intéresser à l’affection médicale de la demanderesse constitue de l’incompétence. La susceptibilité de la demanderesse à une poussée d’anémie falciforme aurait dû être reconnue comme l’occasion la plus convaincante de prouver un certain degré de risque à sa vie et à sa sécurité, avec des conséquences indirectes sur sa famille. Le défaut de présenter des éléments de preuve se rapportant à l’affection médicale grave et objective dont est atteinte la demanderesse satisferait à la norme décrite par le juge Near en ces termes : « Il y a inévitablement manquement à l’équité procédurale lorsque l’incompétence de son conseil empêche un demandeur d’asile de produire une preuve importante apte à convaincre la [SAR] » (El Kaissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1234 au para 21 [El Kaissi]).

[91] Pour ce qui est de la démonstration de l’existence d’une possibilité sérieuse que l’incompétence de l’avocat aurait eu une incidence sur l’issue de la décision, cette question sera examinée en même temps que l’effet de la révocation du GJ, étant donné qu’une certaine symbiose peut être constatée entre ces questions et d’autres examinées par la SAR.

(2) Guides jurisprudentiels et profil de la demanderesse en tant que femme célibataire avec des enfants

(a) Révocation des guides jurisprudentiels

(i) L’applicabilité du GJ

[92] Un premier facteur à considérer tient aux motifs pour lesquels la SAR a rejeté la demande de réouverture des demandeurs concernant la révocation du GJ. Voici les motifs en question, qui sont succincts :

[traduction]

Le deuxième argument des demandeurs selon lequel le résultat de leur demande d’asile aurait été différent si le guide jurisprudentiel (décision TB7-19851) avait été révoqué avant que la SPR et la SAR ne rendent leurs décisions respectives ne peut être retenu. Le guide jurisprudentiel a été révoqué en raison d’un changement des conditions dans le pays. La SAR doit statuer sur les demandes d’asile aussi rapidement que les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent. Elle ne peut rouvrir les appels au motif que l’évolution constante des conditions dans le pays entraîne des changements dans la jurisprudence. Si tel était le cas, ses décisions ne pourraient pas être définitives.

[Renvoi omis.]

[93] La Cour est respectueusement en désaccord avec ce raisonnement. La question qui se pose tient à l’interprétation de l’objet du paragraphe 49(1) des Règles. La nécessité que les décisions de la SAR ait un caractère définitif est contredite par le simple fait que le paragraphe 49(1) a été adopté pour autoriser une réouverture dans les cas de manquement apparent à la justice naturelle. L’introduction d’une demande de réouverture suppose d’examiner des renseignements découverts après la décision de la SAR, mais généralement avant la fin de la demande de contrôle judiciaire, quoique parfois même après. L’interprétation plus raisonnable du paragraphe 49(1) des Règles autorise l’introduction d’une demande de réouverture en tout temps avant qu’une décision définitive ne soit rendue à l’égard du contrôle judiciaire, c’est‑à‑dire avant que la décision n’ait acquis l’autorité de la chose jugée, y compris peut‑être lors d’instances ultérieures, dépendamment de la date et de la nature des nouveaux éléments de preuve supplémentaires.

[94] La Cour fédérale examine dans d’autres décisions la révocation d’un GJ après une décision (en particulier Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 89 [CARL 2020]; et Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 918 [Liang] ainsi que les affaires citant la dernière de ces décisions).

[95] La Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels confère au président le pouvoir d’identifier les décisions qui servent de guides jurisprudentiels dans les affaires d’immigration et de demandes d’asile. En juillet 2018, le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décidé que la décision TB7‑19851 de la SAR, datée du 17 mai 2018, servirait de GJ à l’égard du deuxième volet du critère de la PRI, fondé sur les faits pertinents au regard d’une femme célibataire sans enfant devant déménager dans l’une des grandes villes du sud et du centre du Nigéria pour fuir des acteurs non étatiques. Selon le président, la décision en question offrait une analyse raisonnable des questions juridiques soulevées dans les affaires de ce type et pourrait aider d’autres tribunaux saisis de dossiers semblables.

[96] Le 6 avril 2020, le président a en partie révoqué la décision TB7‑19851 à titre de guide jurisprudentiel, expliquant, pour justifier sa décision, que « [d]es faits nouveaux concernant les renseignements sur le pays d’origine [...] ont amoindri la valeur de la décision à titre de guide jurisprudentiel » [non souligné dans l’original]. Concernant les faits qui avaient contribué à amoindrir l’importance de la décision, le président a mentionné « ceux ayant trait à la capacité des femmes célibataires de déménager dans les diverses villes proposées [...] en tant que PRI ». Toujours selon le président, le GJ pouvait encore s’avérer utile pour les commissaires afin de cerner le critère juridique et maintenir les sept facteurs applicables au cadre d’analyse pour évaluer les faits de chaque affaire et se servir des renseignements les plus récents concernant le pays d’origine.

[97] Ayant lu attentivement la décision TB7‑19851, la Cour craint que les facteurs examinés dans la décision n’aient pas explicitement inclus la violence liée au sexe, comme le viol et le harcèlement grave dont sont victimes les femmes et les enfants, et qui va aussi jusqu’à englober les problèmes généraux de criminalité grave, si les données statistiques ou empiriques établissent un plus grand risque pour la sécurité des femmes et des enfants victimes de tels crimes. L’inclusion de la violence semble faire écho aux facteurs pris en compte dans les Réponses aux demandes d’information NGA103907.EF mentionnés à plusieurs reprises dans la décision TB7‑19851 :

6. Violence

La professeure adjointe de l’Université du Kansas a affirmé que les crimes violents sont [traduction] « très courants » partout au Nigéria, et que « les femmes qui n’ont pas les ressources financières nécessaires pour obtenir un logement sécuritaire sont exposées de manière disproportionnée à ce risque » (18 oct. 2012). En réponse à la question de savoir si les femmes qui sont à la tête d’un ménage et qui ne bénéficient pas du soutien d’un homme ou de leur famille sont exposées à un risque de violence, la coordonnatrice de projet de Women’s Rights Watch Nigeria a déclaré que [traduction] « les femmes qui vivent tant dans le Nord que dans le Sud risquent de faire l’objet de vols à main armée, et [que] les cas de viol sont à la hausse » (18 oct. 2012). En outre, selon le Gender in Nigeria Report 2012 du Conseil britannique au Nigéria, [traduction] « les femmes qui n’ont jamais été mariées sont plus susceptibles d’avoir été agressées que les femmes mariées » (R.-U. 2012, vii).

Uju Peace Okeke a déclaré que les femmes, principalement dans le Sud, sont plus susceptibles d’être victimes de violence lorsqu’elles n’ont plus de partenaire de sexe masculin (26 oct. 2012). Elle a ajouté que les femmes qui sont à la tête d’un ménage au Sud sont [traduction] « mal vues » et exposées à « la violence psychologique » (Okeke 26 oct. 2012). Le rapport du Conseil britannique au Nigéria attire l’attention sur le fait que presque [traduction] « la moitié des femmes non mariées dans les régions du sud du Nigéria ont été victimes de violence physique » (R.‑U. 2012, 2).

[Non souligné dans l’original]

(ii) Jurisprudence concernant la révocation du GJ TB7‑19851 sur le Nigéria

[98] Dans l’arrêt CARL 2020, au paragraphe 88, qui infirme en partie la décision 2019 CF 1126 [CARL 2019], la Cour d’appel fédérale a en fait maintenu les GJ :

[88] Pour toutes les raisons qui précèdent, je suis d’avis que les guides jurisprudentiels contestés n’entravent pas illégalement l’indépendance des commissaires. Ils informent simplement les demandeurs d’asile que les conditions existantes actuelles semblent indiquer que certaines conditions existent dans un pays donné, sans fournir une évaluation définitive des faits, et sans interdire aux demandeurs d’asile et à leurs avocats d’expliquer comment leur situation personnelle se distingue à cet égard.

[99] La préoccupation exprimée par la Cour quant aux « conséquences potentiellement dramatiques » découlant de décisions tranchées à la lumière de GJ abrogés est plus importante en l’espèce, comme l’explique le paragraphe 89 de la décision :

[89] Cela dit, je suis sensible au fait que les guides jurisprudentiels comportant des conclusions de fait présentent des risques et des difficultés, comme le démontre amplement la révocation de trois d’entre eux. Par sa nature même, la situation dans un pays est vouée à changer, parfois à un rythme accéléré en raison de circonstances graves, ce qui peut avoir des conséquences potentiellement dramatiques pour les demandeurs d’asile. Même si les guides jurisprudentiels sont surveillés de près, comme l’a laissé entendre M. Kipling dans son affidavit (dossier d’appel, page 1673), le préjudice subi par les demandeurs d’asile dont la demande a été tranchée en fonction d’un guide jurisprudentiel qui a été en bout de ligne révoqué ne peut être minimisé. Dans les cas où une mesure d’expulsion est prise et exécutée, en particulier, le préjudice peut se révéler irréparable.

[Non souligné dans l’original.]

[100] La question demeure de savoir comment traiter et appliquer au mieux un GJ révoqué. Les principales décisions rendues à ce jour sur la question n’étaient pas éclairées par les préoccupations que la Cour d’appel fédérale a exprimées quant à la révocation des GJ.

[101] Sur l’effet du GJ, la Cour a conclu, au paragraphe 10 de Liang que « la révocation du document sur lequel la SPR s’est expressément appuyée pour justifier son raisonnement affaiblit sa conclusion à cet égard ».

[102] Dans Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 337 au para 35 [Cao], la Cour s’est référée à la décision de la Cour fédérale CARL 2019 pour affirmer que « certains commissaires risquent de se sentir obligés d’adopter les conclusions de fait énoncées dans les guides jurisprudentiels ». Ce raisonnement n’a pas été accepté par la Cour d’appel fédérale. Au paragraphe 37 de la décision Cao, la Cour a fait remarquer au sujet d’un autre point que « la SAR a effectivement commis la même erreur qui a mené à la révocation du guide jurisprudentiel » [non souligné dans l’original] à propos de l’utilisation d’un système caché de reconnaissance faciale dans les aéroports. Cela revient implicitement à dire que l’effet de la révocation devrait être circonscrit aux facteurs qu’elle énonce et qui ont entraîné l’abrogation du GJ.

[103] Tout en adoptant le critère énoncé dans Liang, la Cour a conclu dans Agbeja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 781 au para 78 [Agbeja], que « la nature et le degré de la dépendance de la SAR à l’égard du guide jurisprudentiel n’affaiblissent pas ses conclusions au point de les rendre déraisonnables ». Ce raisonnement renvoie implicitement à la même procédure en deux étapes qui doit être suivie pour démontrer que l’avocat a fait preuve d’une incompétence susceptible de contrôle judiciaire. Il convient en premier lieu de prouver l’effet de la révocation sur la décision contestée puis de montrer que cet effet va raisonnablement dans le sens d’une possibilité sérieuse d’annulation de cette décision.

[104] Aussi, compte tenu encore une fois de Cao, si les questions tranchées par la décision rendue dans l’affaire dont la SAR était saisie sont similaires à celles ayant donné lieu à l’abrogation du GJ, cela devrait être décisif, ou à tout le moins suffisamment important pour justifier l’infirmation de la décision contestée.

(b) Le profil de la demanderesse en tant que femme avec des enfants

[105] Les déclarations de la SPR, fondées sur la décision TB7‑19851 concernant le profil approprié de femmes exposées à un risque en cas de déménagement dans une PRI nigériane, sont particulièrement importantes en l’espèce. Nous l’avons déjà vu, mais il vaut la peine de répéter que le JG a été révoqué parce que

[d]es faits nouveaux concernant les renseignements sur le pays d’origine, y compris [sans en exclure d’autres] ceux ayant trait à la capacité des femmes célibataires de déménager dans les diverses villes proposées dans le guide jurisprudentiel sur le Nigéria en tant que PRI, ont amoindri la valeur de la décision à titre de guide jurisprudentiel.

[Non souligné dans l’original].

[106] La SPR s’est appuyée sur le cartable national de documentation et sur la décision TB7‑19851 du GJ quant à une situation factuelle dans laquelle il s’agissait de trouver une PRI pour une femme célibataire qui demandait l’asile en invoquant sa crainte d’acteurs non étatiques. Les deux sources citent un rapport du Country Information and Guidance [renseignements sur le pays et orientation] sur le Nigéria du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni datant d’août 2016 et portant sur [traduction] « les femmes craignant des préjudices ou des violences fondées sur le sexe ». Dans la présente affaire, la SPR a conclu au paragraphe 21 qu’une distinction doit être établie entre la décision du GJ et les circonstances des demandeurs étant donné qu’ils forment un couple marié ayant un enfant. La SPR a déclaré que [traduction] « cette décision à l’origine du GJ établit clairement que les femmes célibataires avec des enfants sont dans une situation plus difficile en raison de la discrimination dont sont victimes les femmes et les femmes célibataires, et que la situation économique d’une mère célibataire subvenant aux besoins de ses enfants est plus grave, ce qui n’est pas le cas des demandeurs d’asile en l’espèce » [non souligné dans l’original]. La SAR, citant les sources de la SPR, a souscrit à cette conclusion au paragraphe 9 de sa décision lorsqu’elle a déclaré « le fait de s’installer ailleurs ne serait pas trop exigeant pour des personnes ayant le profil des appelants adultes ».

[107] Selon ce raisonnement, il existe une certaine hiérarchie du risque auquel se heurtent les femmes qui déménagent au Nigéria, lequel risque décroît en fonction de leur situation familiale. Les femmes célibataires avec un enfant sont les plus à risque; on peut supposer que le fait d’avoir plus qu’un enfant aggraverait ce risque. Les femmes célibataires sans enfant, comme c’était le cas de la demanderesse dans la décision du GJ, occupent le prochain niveau de risque. Les femmes avec ou sans enfants, mais qui ont un partenaire masculin seraient exposées au risque le plus faible. Il est également juste de conclure que si la révocation du GJ s’applique vraisemblablement aux femmes célibataires sans enfant, le raisonnement engloberait également les femmes célibataires avec enfants, ce dernier profil faisant craindre le plus de risques.

[108] Les documents sur les conditions dans le pays qui traitent directement des femmes mariées avec enfants semblent peu nombreux. Aucun GJ similaire concernant cette catégorie n’a été cité. Le profil de risque de ces femmes renvoie surtout à un énoncé comparatif global par rapport aux femmes célibataires, d’où le rejet péremptoire de l’observation des demandeurs puisque la demanderesse est mariée et que son profil ne concorde pas avec celui décrit dans les documents sur le pays concernant les femmes célibataires. Quelques points concernant cette évaluation du profil de risque des femmes célibataires autrement qu’au regard de la norme comparative méritent d’être soulignés :

  • Les femmes célibataires ou mariées avec des enfants ont en commun leur responsabilité parentale.

  • La déclaration justifiant la révocation du GJ indique que « [d]es faits nouveaux concernant les renseignements sur le pays d’origine [...] ont amoindri la valeur de la décision à titre de guide jurisprudentiel », et précisent que ces faits comprennent notamment « ceux ayant trait à la capacité des femmes célibataires de déménager dans les diverses villes proposées [...] en tant que PRI ». Cela ne répond pas à la question de savoir quels sont ces faits nouveaux ni n’établit s’ils sont communs aux deux autres profils de femmes célibataires et mariées avec un enfant, vu l’application d’un classement comparatif.

  • La déclaration concernant les problèmes de violences fondées sur le sexe reproduite plus haut, qui provient de la réponse à une demande d’information, indique uniquement que les femmes risquent davantage de subir de mauvais traitements lorsqu’elles ne sont plus avec un partenaire masculin, ce qui laisse entendre que les femmes mariées avec des enfants sont exposées à un certain degré de violence.

  • Dans l’arrêt CARL 2020, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 89 que « le préjudice subi par les demandeurs d’asile dont la demande a été tranchée en fonction d’un guide jurisprudentiel qui a été en bout de ligne révoqué ne peut être minimisé ».

[109] Compte tenu de l’ensemble des circonstances et suivant l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 15, 99‑100, il n’est pas certain que le raisonnement tenu dans les décisions de la SPR et de la SAR suffise à justifier le rejet du profil d’une femme mariée avec enfants, à la lumière des commentaires du président qui a révoqué le GJ.

(c) Le profil de la demanderesse dont le partenaire peut opter pour le Qatar comme PRI de premier choix

[110] Les demandeurs avancent un autre argument. Ils soutiennent que la situation de la demanderesse sera probablement celle d’une femme célibataire avec des enfants si la famille est forcée de déménager dans une PRI nigériane. L’observation soumise à cet égard, figurant aux paragraphes 128 et 129 du mémoire des demandeurs, est la suivante :

[traduction]

128. Les demandeurs font valoir que même si les demandeurs adultes sont mariés, ils vivent séparément dans des pays différents depuis 2012, car M. Sabitu a dû quitter le Nigéria pour son travail. À l’audience, il a déclaré : « J’ai essayé avant de partir au Qatar. J’ai quitté le Nigéria en 2012 ».

129. À ce titre, la situation de Mme Saliu‑Adam et de l’appelante mineure est semblable à celle d’une femme célibataire avec un enfant. Par conséquent, les demandeurs font valoir que les difficultés auxquelles se heurtent les femmes célibataires avec des enfants en raison de la discrimination visant les femmes célibataires, ainsi que la situation économique aggravée des femmes célibataires subvenant aux besoins de leurs enfants, sont accrues dans leurs circonstances particulières.

[Renvois omis. Non souligné dans l’original.]

[111] La SPR et la SAR ont conclu que la situation familiale des demandeurs aurait dû être assimilée à celle d’une femme mariée avec un enfant, en présumant que le demandeur serait renvoyé avec la famille dans la PRI nigériane choisie. La SAR a examiné la question de savoir si le demandeur pouvait trouver un poste d’ingénieur dans les PRI et, dans la négative, l’obligation pour lui d’accepter un emploi en dehors de son domaine dans la PRI choisie. Les déclarations de la SAR sur cette question figurent au paragraphe 11 de la décision :

Les appelants soutiennent que la SPR a mal interprété le témoignage de l’appelant principal lorsqu’elle a conclu qu’il est possible que celui-ci soit allé au Qatar pour trouver un emploi mieux rémunéré et non parce qu’il ne pouvait pas trouver un emploi au Nigéria. La SAR est d’accord avec les appelants. L’appelant principal a clairement déclaré être allé au Qatar parce qu’il ne pouvait pas trouver d’emploi au Nigéria. La SAR trouve néanmoins que l’erreur de la SPR ici n’est pas déterminante dans le cadre de l’appel parce que l’appelant principal est allé au Qatar il y a plusieurs années, et donc que le fait qu’il n’ait pas pu trouver de travail dans son domaine au Nigéria ne prouve pas nécessairement qu’il ne pourra pas trouver d’emploi à Port Harcourt ou à Ibadan aujourd’hui. En outre, le concept d’une PRI viable peut entraîner certaines difficultés tant qu’elles ne sont pas excessives. La SAR estime que la nécessité éventuelle de devoir chercher un emploi dans un autre domaine de travail ne constitue pas une épreuve indue.

[Renvoi omis.]

[112] D’après la preuve soumise à la SAR, le demandeur pouvait se prévaloir d’une troisième PRI au Qatar qui était sûre, contrairement aux PRI nigérianes. Les demandeurs n’ont pas donné suite à cet argument. À ce stade de l’instance, aucun argument viable concernant le risque ou la sécurité ne pouvait être invoqué, étant donné que l’affection médicale de la demanderesse n’avait pas été soulevée. Cette affection l’expose dans une certaine mesure à des menaces à sa sécurité, ce qui fait intervenir d’autres facteurs que la SAR n’a pas examinés, dont le choix d’une PRI par l’époux, qui devient pertinent lorsqu’il est soulevé dans le contexte des préoccupations touchant à la sécurité de la demanderesse en raison de son affection médicale, des soins qu’il peut lui prodiguer et de sa capacité à assumer les dépenses médicales, s’il est établi qu’il existe une possibilité sérieuse que le déménagement entraîne une rechute.

[113] Il ne fait guère de doute que, si l’on se fie aux circonstances antérieures de la famille, il existe une troisième PRI viable pour le mari, qui peut décider de retourner au Qatar pour travailler comme ingénieur. C’est ce qu’il a choisi de faire pendant cinq ans dès 2012, parce qu’il n’arrivait pas à trouver du travail comme ingénieur au Nigéria. Il est également raisonnable d’inférer qu’il est allé chercher du travail au Qatar pour améliorer la situation économique de la famille. Le choix de trois PRI s’offre au demandeur, qui peut bien entendu se laisser influencer par son épouse. S’il exprimait l’engagement de déménager au Qatar, cela mettrait probablement fin à sa demande d’asile. Cependant, le profil de son épouse s’en trouverait modifié de manière conséquente puisqu’elle deviendrait alors une femme avec des enfants sans partenaire. Ce facteur, combiné à son affection médicale, renforcerait sa demande d’asile.

[114] Ses problèmes de santé soulèvent la question du financement de ses soins si la famille devait retourner dans une PRI nigériane. Les services de santé et l’éducation doivent majoritairement être pris en charge par les particuliers et sont difficiles d’accès à Port Harcourt, la situation à Ibadan étant incertaine d’après le GJ. Les commentaires dans le GJ concernant le caractère abordable de ces services figurent au paragraphe 47 de la décision TB7‑19851 :

L’appelante soutient que le fait que les soins de santé et l’éducation doivent être payés par les particuliers et que [traduction] « tous les résidents de Port Harcourt ont difficilement accès à ces services » constituent un facteur défavorable quant au caractère approprié de cette ville comme PRI. Cependant, elle n’a pas présenté un argument semblable concernant Ibadan. J’estime que le simple fait que certains services sociaux, comme l’éducation et les soins de santé, doivent être payés par les particuliers ne signifie pas que ces services ne seraient pas disponibles ou accessibles si l’appelante devait s’en prévaloir, et donc je conclus que ce fait ne rend pas les PRI proposées déraisonnables selon le seuil élevé établi par la jurisprudence canadienne.

[Non souligné dans l’original.]

[115] La Cour doute de la déclaration selon laquelle « le simple fait » que certains services sociaux comme l’éducation et les soins de santé doivent être pris en charge par les particuliers n’indique pas que l’appelante ne pourrait pas se prévaloir de ces services ou n’y aurait pas accès, alors que les autres facteurs qui favoriseraient l’accessibilité à ces services ou leur disponibilité ne sont pas mentionnés. Il semble plus probable que la question de savoir si un appelant donné pourrait se prévaloir de tels services ou y avoir accès dépende largement de sa situation financière en l’absence de services raisonnables financés par le gouvernement.

[116] En l’espèce, la capacité financière de la famille à prendre en charge les dépenses médicales dépendrait sans aucun doute de la capacité de l’époux à assumer les autres dépenses vitales essentielles et les services de soutien en cas de retour dans une PRI nigériane. Vu la situation financière de la famille et leurs dépenses, y compris en ce qui touche l’accès à des services de santé éventuels, le demandeur semble, dans une certaine mesure, confronté à un dilemme. Il peut soit déménager au Qatar, ce qui lui permettra d’assumer ces dépenses, notamment les coûts associés aux possibles rechutes de l’anémie falciforme de son épouse, soit retourner dans une PRI au Nigéria où il pourrait ne pas être financièrement en mesure de satisfaire aux nécessités de l’existence, y compris aux frais de santé de son épouse. Les mêmes questions se posent quant à la sécurité de la demanderesse lorsqu’elle se rendra dans une PRI nigériane.

[117] Si la présente analyse paraît quelque peu conjecturale, cela découle en grande partie du fait que l’affection médicale de la demanderesse n’a pas été soulevée durant les audiences relatives à la demande d’asile. Il est difficile d’évaluer la possibilité sérieuse que ces questions aient eu une incidence sur l’issue de l’affaire compte tenu des deux questions liées à la justice naturelle et de la situation actuelle des demandeurs, relativement inhabituelle au regard des préoccupations qu’elle soulève quant à leur sécurité. Ces préoccupations découlent d’une affection médicale qui peut aisément être déclenchée par le déménagement et du fait que l’époux a le choix objectif de trois PRI qui supposent chacune des conséquences pour son épouse et ses enfants en matière de sécurité.

[118] La preuve très objective dont la Cour est saisie tend à indiquer qu’il existe une possibilité sérieuse que l’affection de la demanderesse, qui est grave et susceptible de l’exposer à un risque, soit exacerbée par un déménagement au Nigéria. La question semble renvoyer à des profils de risques connexes pour la demanderesse et ses enfants, risques qui seraient affectés par la vie de la demanderesse avec ou sans partenaire. Nous nous retrouvons devant un nombre tout simplement excessif de variables soulevées par deux questions différentes qui touchent l’équité procédurale à laquelle elle peut prétendre, questions qui n’ont pas pu être examinées de près par la SPR ou la SAR. La déclaration suivante du juge Near dans El Kaissi, au paragraphe 21 s’applique en l’espèce : « Il y a inévitablement manquement à l’équité procédurale lorsque l’incompétence de son conseil empêche un demandeur d’asile de produire une preuve importante, apte à convaincre la [SAR] ».

VI. Conclusion

[119] La Cour fait droit à la demande de contrôle judiciaire. La décision contestée est infirmée et renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour qu’il l’examine. Les demandeurs peuvent produire de nouveaux éléments de preuve à l’appui de leurs demandes d’asile.

VII. Question certifiée

[120] La présente décision semble soulever des questions importantes qui satisfont aux exigences de certification en vue d’un appel. On peut particulièrement souligner la nouvelle interprétation de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR et du paragraphe 49(1) des Règles suivant laquelle la Cour fédérale ne peut examiner les manquements à la justice naturelle dans le cadre d’un contrôle judiciaire sans que le demandeur n’ait épuisé en premier lieu le processus d’appel de la SAR en présentant une demande de réouverture de l’appel instruit par la SAR. Cette jurisprudence contredit la procédure traditionnelle de la Cour suivant laquelle le demandeur qui invoque un manquement à la justice naturelle peut directement faire examiner ces questions en même temps que les autres questions soulevées dans le cadre de la demande principale de contrôle judiciaire.

[121] De même, une renonciation exceptionnelle à la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes soulève une question d’intérêt général qui permettrait de régler la présente affaire. Il est vrai que la question de savoir s’il convient ou non de renoncer à cette règle pour tenir compte de la situation particulière des demandeurs pourrait être formulée de manière étroite comme une question concernant leur intérêt à la bonne administration de la justice. Il serait néanmoins également justifié d’énoncer plus largement un principe général relativement à la renonciation à la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes. La question est de savoir si cette renonciation devrait être autorisée sur le fondement de considérations de principe sous‑jacentes.

[122] Il faut également fixer le critère en ce qui concerne l’effet de l’incompétence de l’avocat, comme celui qui aurait une incidence sur l’issue de la décision originale, en précisant s’il doit s’agir d’une probabilité raisonnable ou d’une possibilité sérieuse.

[123] Toutes ces questions semblent être des questions graves de portée générale qui auraient un effet déterminant sur l’issue de l’affaire.

[124] Comme la Cour est d’avis qu’il convient de certifier des questions en vue d’un appel, les parties sont invitées à proposer des questions en ce sens dont elles pourraient convenir et qu’elles pourraient soumettre à l’examen de la Cour, au plus tard 30 jours après la publication de la présente décision. Si elles ne parviennent pas à un accord informel quant à la nécessité ou au contenu des questions pouvant être certifiées en vue d’un appel, le défendeur devra fournir en premier des observations à ce sujet, et les demandeurs devront y répondre.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7880-19

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un autre commissaire de la SAR pour qu’il l’instruise à nouveau; des questions pourraient être certifiées en vue d’un appel, auquel cas elles seront rajoutées à la décision à une date ultérieure.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7880-19

INTITULÉ :

ALABI ADAM SABITU, MARIAM AROMOKE SALIU-ADAM, SUMAYYAH TIWATOPE ADAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 JANVier 2021

jugement et motifs :

le juge ANNIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 23 février 2021

COMPARUTIONS :

Soo-Jin Lee

pour les demandeurs

 

Amy Lambiris

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Soo-Jin Lee

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

pour les demandeurs

Amy Lambiris

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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