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Date : 20210209


Dossier : T‑606‑18

Référence : 2021 CF 129

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2021

En présence de madame la juge Strickland

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

VANCOUVER PILE DRIVING LTD.

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] L’instruction de l’action en l’espèce doit débuter le 22 février 2021. La défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada [le Canada], soumet la présente requête préliminaire dans laquelle elle demande :

  • 1) une ordonnance exigeant que l’affidavit no 1 du capitaine Russell R. Johnson, souscrit le 6 avril 2020, soit déposé auprès de la Cour et versé au dossier d’instruction, conformément aux paragraphes 258(4) et 265(2) et aux articles 262 et 269 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles];

  • 2) une ordonnance permettant le dépôt en preuve de l’affidavit no 1 du capitaine Russell R. Johnson (le rapport Johnson) sans exiger que le capitaine Johnson témoigne en interrogatoire principal ou fasse l’objet d’un contre‑interrogatoire, au titre de l’article 279 des Règles;

  • 3) en outre, ou subsidiairement, si le capitaine Johnson est tenu de comparaître en vue d’un contre‑interrogatoire :

  • a) une ordonnance énonçant les conditions de la comparution du capitaine Johnson, y compris la raison de sa comparution, la partie qui sera tenue de le convoquer comme témoin et la partie qui devra assumer les coûts associés à sa comparution;

  • i) si le Canada est responsable d’assurer la comparution du capitaine Johnson, alors :

  1. une ordonnance autorisant le Canada à signifier et à déposer le rapport Johnson et obligeant la demanderesse à présenter toute objection au rapport d’expert dans les deux jours suivant la signification;

  2. une ordonnance enjoignant à la demanderesse de fournir au Canada tous les documents en sa possession et sous sa garde relativement à l’opinion contenue dans le rapport Johnson;

  • 4) une ordonnance enjoignant à la demanderesse de fournir au Canada tous les documents en sa possession et sous sa garde relativement à l’opinion de Kimberly Meier (le rapport Meier);

  • 5) une ordonnance enjoignant à la demanderesse de signifier un affidavit de documents modifié qui décrit les documents en sa possession et sous sa garde concernant les rapports et les opinions de Mme Meier et du capitaine Johnson, en particulier les documents à l’égard desquels elle a invoqué le privilège relatif au litige;

  • 6) les dépens de la présente requête, indépendamment de l’issue de l’affaire;

  • 7) toute autre ordonnance que la Cour estime juste.

Contexte

[2] La demanderesse, Vancouver Pile Driving Ltd., a intenté la présente action en matière d’amirauté le 27 mars 2018 contre les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Black Hawk II », Gisbourne Marine Services Ltd., Ross Wayne Sacco et Timothy Rogers [collectivement, les défendeurs de Gisbourne].

[3] La demanderesse est propriétaire d’une grue sur chenilles Kobelco CK200 2015 [la grue] qu’elle a installée sur une barge lui appartenant, « W.M. Saunders » [la barge]. Le 31 mai 2017, alors que la barge était remorquée par le remorqueur « Black Hawk II », qui appartenait à Gisbourne Marine Services Ltd. et qui était exploité par cette dernière, la grue a heurté le pont Golden Ears [le pont], provoquant des dommages à la grue et à la barge [la collision]. La demanderesse a allégué que la perte ou les dommages causés à la barge et à la grue résultaient d’une violation du contrat de remorquage par les défendeurs de Gisbourne ou de leur négligence. Elle a déclaré que la collision l’a exposée à des dommages et à des dépenses, y compris les coûts de réparation de la grue et de la barge et les frais et dépenses accessoires connexes, le tout estimé à plus de 1 million de dollars canadiens.

[4] Le 10 octobre 2018, les défendeurs de Gisbourne ont déposé une mise en cause contre le Canada. Ils ont affirmé que le Canada a une obligation de diligence à l’égard des utilisateurs des publications du Service hydrographique du Canada — publications dont le Canada doit assurer l’exactitude — et que la collision découlait d’un manquement à cette obligation. Ils ont ajouté que, si la demanderesse a subi les dommages et les dépenses allégués, c’est en raison de la négligence du Canada, de ses fonctionnaires, de ses mandataires ou d’autres personnes dont le Canada est responsable en droit.

[5] Dans sa défense à la mise en cause déposée le 17 décembre 2018, le Canada a allégué, entre autres, que les dommages subis ou les dépenses réclamées par la demanderesse ou les défendeurs de Gisbourne découlaient de la négligence des défendeurs de Gisbourne. Le Canada a déclaré qu’il reprenait les allégations que la demanderesse a formulées contre ces parties dans sa déclaration et qu’il s’appuyait sur celles-ci.

[6] Dans une déclaration modifiée déposée le 16 juillet 2019, la demanderesse a ajouté le Canada comme défendeur dans l’action, affirmant, comme l’avaient fait les défendeurs de Gisbourne, que la grue avait heurté le pont parce que le Canada avait publié des renseignements inexacts ou incomplets sur le dégagement vertical du pont.

[7] Dans sa défense déposée le 15 août 2019, le Canada a présenté des arguments semblables à ceux qui figurent dans sa défense à la mise en cause.

[8] L’action a progressé normalement, des documents ont été communiqués et des interrogatoires préalables ont été menés. En ce qui concerne les témoins experts, le dossier de requête du Canada mentionne que, le 29 mars 2020, les avocats de la demanderesse ont signifié au Canada et aux défendeurs de Gisbourne le rapport d’expert du 6 avril 2020 du capitaine Russell Johnson, un marin et ancien capitaine de remorqueur, dont l’opinion concerne le processus de remorquage [le rapport Johnson]. Le 30 juin 2020, les avocats des défendeurs de Gisbourne ont signifié au Canada et à la demanderesse l’opinion d’expert de Kimberly Meier, experte en vision et en cognition, qui porte sur la façon dont l’œil humain perçoit les hauteurs libres verticales [le rapport Meier].

[9] En vertu du paragraphe 258(1) des Règles, la demanderesse a déposé et signifié une demande de conférence préparatoire, conférence qui a eu lieu le 5 octobre 2020 devant la juge responsable de la gestion de l’instance, la protonotaire Ring.

[10] Même si, dans sa réponse écrite à la présente requête, la demanderesse a contesté le fait que les parties avaient convenu que la juge du procès pouvait avoir accès aux mémoires relatifs à la conférence préparatoire, au moment de sa comparution devant moi, elle a modifié ses observations et confirmé qu’il y avait eu une entente à cet égard. L’ordonnance de la protonotaire rendue le 6 octobre 2020 à la suite de la conférence préparatoire prévoyait ce qui suit :

[traduction]

1. Conformément à l’article 267 des Règles des Cours fédérales [les Règles], et sur consentement des parties, les mémoires relatifs à la conférence préparatoire des parties peuvent être communiqués à la juge du procès.

[11] Dans son mémoire relatif à la conférence préparatoire, la demanderesse a mentionné le rapport Johnson parmi les documents qu’elle comptait utiliser à l’instruction. Pour leur part, les défendeurs de Gisbourne ont joint le rapport Meier et un rapport du capitaine Rose à leur mémoire relatif à la conférence préparatoire et renvoyé à ces rapports dans leurs observations écrites. De son côté, dans son mémoire relatif à la conférence préparatoire, le Canada a précisé les documents sur lesquels il entendait s’appuyer et il a souligné dans ses observations écrites que la demanderesse avait retenu les services d’un témoin expert qui devait témoigner du manque de jugement des défendeurs de Gisbourne. Le Canada a également fait valoir qu’il s’opposerait à la recevabilité du rapport Rose et du rapport Meier et qu’il prévoyait formuler des arguments quant au poids à accorder à ces rapports et au rapport Johnson. Le Canada n’a mentionné aucune preuve d’opinion d’expert qu’il avait l’intention de produire au procès.

[12] L’ordonnance subséquente à la conférence préparatoire rendue par la protonotaire le 6 octobre 2020 prévoyait que, suivant l’article 52.2 des Règles, la demanderesse déposerait et signifierait au plus tard le 16 octobre 2020 un document contenant les détails et le fondement de toute objection quant à l’habilité à témoigner des témoins experts proposés par la partie adverse. Il n’y a eu aucune autre mention des rapports d’experts.

[13] Après la conférence préparatoire, la demanderesse et les défendeurs de Gisbourne ont conclu une entente de règlement. Le Canada mentionne avoir été informé du règlement le 3 décembre 2020. Le 18 janvier 2021, les avocats des défendeurs de Gisbourne ont déposé un avis de désistement en vertu duquel les défendeurs de Gisbourne se désistaient entièrement de leur recours contre la Couronne.

[14] Sur requête des défendeurs de Gisbourne, j’ai rendu, en tant que juge du procès, une ordonnance sur consentement datée du 25 janvier 2021, par laquelle l’action de la demanderesse contre les défendeurs de Gisbourne a été rejetée sans ordonnance quant aux dépens et comme si elle avait été instruite sur le fond, la demanderesse et les défendeurs de Gisbourne ayant réglé l’affaire entre eux. L’action intentée par la demanderesse contre le Canada n’a pas été modifiée par l’ordonnance en question.

[15] Une condition de l’entente de règlement obligeait la demanderesse à modifier sa nouvelle déclaration modifiée pour retirer les allégations contre les défendeurs de Gisbourne et ajouter une déclaration selon laquelle elle renonçait à tout droit de recouvrer auprès de la Couronne toute partie des dommages‑intérêts attribuables à la faute d’un ou de plusieurs des défendeurs de Gisbourne. Par conséquent, la demanderesse a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance lui permettant d’apporter des modifications à sa nouvelle déclaration modifiée en la forme jointe à l’annexe A du dossier de requête, soit la nouvelle nouvelle déclaration modifiée. Par ordonnance datée du 28 janvier 2021, j’ai accordé à la demanderesse l’autorisation de modifier sa nouvelle déclaration modifiée et de déposer une nouvelle nouvelle déclaration modifiée. J’ai également ordonné la modification de l’intitulé de l’action, pour retirer les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Black Hawk II », Gisbourne Marine Services Ltd., Ross Wayne Sacco et Timothy Rogers à titre de défendeurs à la présente action et pour retirer la Couronne à titre de mise en cause.

[16] Le 17 décembre 2020, les avocats de la demanderesse ont écrit aux avocats du Canada pour les informer que la demanderesse déposerait et invoquerait au procès le rapport Meier, qui avait été commandé par les défendeurs de Gisbourne. La demanderesse a demandé au Canada s’il avait l’intention de s’opposer à la présentation du rapport en question, le priant de l’informer de sa position à cet égard. Dans ses observations écrites à l’appui de la présente requête, le Canada a affirmé avoir informé la demanderesse de son intention de contre‑interroger Mme Meier et souligné qu’il s’opposait à son rapport, comme il l’avait dit précédemment dans son mémoire relatif à la conférence préparatoire.

[17] Le Canada déclare que la demanderesse lui a fourni sa liste de témoins et son sommaire des dépositions le 3 janvier 2021. Le nom du capitaine Johnson ne figurait pas à la liste, et, dans un courriel daté du 11 janvier 2021, les avocats de la demanderesse ont confirmé que la demanderesse ne déposerait pas le rapport Johnson au procès, précisant cependant que, si le Canada avait l’intention de convoquer le capitaine Johnson au procès, elle demanderait le droit de le contre‑interroger.

[18] Dans son dossier de requête, le Canada a inclus une chaîne de courriels se terminant le 22 janvier 2021, dans le cadre de laquelle les avocats ont discuté la contraignabilité des dossiers de Mme Meier et du capitaine Johnson.

[19] Le Canada a déposé la présente requête le 1er février 2021.

Questions en litige

[20] Lorsqu’il a comparu devant moi, le Canada a décrit l’objet de la présente requête et les mesures de réparation qu’il demande bien différemment par rapport à la façon dont il avait présenté les choses dans ses observations écrites et son avis de requête. Il a affirmé avoir précisé ses observations et laissé tomber bon nombre des arguments soulevés dans ses observations écrites, se concentrant plutôt sur les préoccupations en matière de procédure. Il a également clarifié ou raffiné certaines des positions formulées dans ses observations écrites ainsi que ses préoccupations sous‑jacentes en matière de procédure. La demanderesse a donc pu raffiner et préciser sa réplique. Les deux parties ont accepté que la Cour rédige une ordonnance tenant compte des préoccupations précisées, raffinées ou révisées du Canada.

[21] Par conséquent, les motifs qui suivent contiennent une analyse abrégée des arguments que le Canada a soulevés dans ses observations écrites.

La demanderesse est‑elle obligée de convoquer le capitaine Johnson au procès?

[22] Dans ses observations écrites, le Canada a fait valoir que, la demanderesse ayant souligné son intention de produire le rapport Johnson au procès durant la conférence préparatoire, il était raisonnable pour lui de s’appuyer sur de telles observations. En outre, le rapport fait maintenant partie du dossier d’instruction, et la demanderesse doit le déposer au procès. Le Canada a fait valoir qu’on peut obliger les parties à s’en tenir à ce qu’elles ont dit lors d’une conférence préparatoire (citant Apotex Inc. c Bristol‑Myers Squibb Company, 2011 CAF 34 au para 28 [Apotex]) et que les questions doivent être clairement énoncées dans le mémoire relatif à la conférence préparatoire (citant Wenzel Downhole Tools Ltd c National Oilwell Canada Ltd, 2010 CF 669 au para 20 [Wenzel]).

[23] Le Canada n’a pas poursuivi cet argument à l’audience sur la requête. Il me suffit donc d’affirmer que je souscris à l’argument de la demanderesse selon lequel les allégations du Canada ne sont pas appuyées par l’arrêt Apotex et la décision Wenzel. Ces décisions n’appuient pas la proposition selon laquelle, lorsqu’une partie indique dans son mémoire relatif à la conférence préparatoire son intention de convoquer certains témoins au procès, elle est alors tenue de convoquer les témoins en question au procès, et ce, même si ces témoins ne servent plus sa cause en raison d’un règlement subséquent. L’arrêt Apotex porte sur la question de savoir s’il convient d’accueillir une requête en modification d’actes de procédure lorsqu’une nouvelle question litigieuse n’est pas abordée en temps opportun. Il ne concerne pas l’obligation pour une partie de produire un rapport d’expert parce qu’elle l’a mentionné dans son mémoire relatif à la conférence préparatoire. Selon moi, l’arrêt Apotex établit qu’il faut présenter toutes les questions litigieuses durant une conférence préparatoire et que la non‑divulgation stratégique ou la non‑clarification délibérée n’ont pas leur place dans le cadre d’une telle procédure.

[24] Les affaires Apotex et Wenzel se distinguent également de la présente affaire en raison des événements survenus en l’espèce depuis la conférence préparatoire. Il ressort clairement des motifs de la Cour d’appel dans l’arrêt Apotex qu’Apotex était tout à fait au courant de la nouvelle question et du manque de clarté connexe, mais que, depuis un certain nombre d’années, elle n’avait fait aucun effort pour remédier à la situation (voir Apotex, aux para 28‑32 et 34‑35). Dans l’affaire Apotex, il n’y avait pas eu de changement important de circonstances après la conférence préparatoire (voir aussi Wenzel, aux para 19, 20 et 24). À l’inverse, dans la présente affaire, la demanderesse et les défendeurs de Gisbourne sont parvenus à un règlement après la conférence préparatoire. C’est à la suite de ce règlement que la demanderesse a décidé qu’elle n’avait plus à produire le rapport Johnson à l’appui de sa cause.

[25] Je remarque également que le Canada ne mentionne aucune observation formulée par la demanderesse, lors de la conférence préparatoire, selon laquelle elle prévoyait déposer le rapport Johnson, quelles que soient les circonstances.

[26] En outre, contrairement à ce que le Canada a soutenu dans ses observations écrites, je ne suis pas convaincue qu’il a été lésé par la décision de la demanderesse de ne pas produire le rapport Johnson. À cet égard, la demanderesse a dit dans ses observations qu’elle avait au départ offert au Canada la possibilité de se joindre à elle pour confier un mandat au capitaine Johnson, ce que le Canada avait refusé de faire. Selon moi, le Canada ne peut pas se plaindre d’un préjudice qui découle de ses propres décisions stratégiques, à savoir la décision de ne pas se joindre à la demanderesse pour confier un mandat au capitaine Johnson ou celle de ne pas produire son propre rapport d’expert sur la norme de diligence ou le partage de la responsabilité des défendeurs de Gisbourne, et du fait que la cause de la demanderesse a changé à la suite de l’entente de règlement qu’elle a conclue avec les défendeurs de Gisbourne.

[27] En ce qui concerne l’allégation formulée par le Canada dans ses observations écrites selon laquelle il y a eu omission accidentelle ou non‑divulgation stratégique de la part de la demanderesse, de sorte que celle-ci ne peut pas refuser maintenant de produire le rapport Johnson au procès, le Canada n’a pas approfondi cette observation lors de l’audience sur la requête. Quoi qu’il en soit, le Canada n’a pas prouvé son allégation à la lumière du dossier dont je dispose (Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 340 au para 14 [Abbott CF]).

[28] Notamment, en réponse à la requête, la demanderesse a déposé l’affidavit d’un de ses avocats, Me Vernon J. Pahl, auquel est jointe une série de courriels datés du 28 et du 29 janvier 2021 entre le capitaine Johnson et le Canada. Dans les courriels en question, le capitaine Johnson accepte que le Canada retienne ses services et confirme qu’il peut comparaître au procès du 22 février au 3 mars 2021, information que le Canada a confirmée lors de l’audience sur la requête. Par conséquent, le Canada n’a pas établi qu’il sera lésé par la décision de la demanderesse de ne pas produire le rapport Johnson au procès.

[29] En somme, le seul fait que la demanderesse ait mentionné, durant la conférence préparatoire, son intention de produire le rapport Johnson au procès ne l’oblige pas à le faire. Je ne suis pas non plus convaincue que la décision de la demanderesse de ne pas convoquer le capitaine Johnson comme témoin expert et de ne pas produire son rapport au procès visait à nuire au Canada. En effet, le règlement de la revendication contre les défendeurs de Gisbourne limite les questions en litige. Le Canada a pris la décision stratégique de s’appuyer sur les témoignages d’experts d’une autre partie plutôt que de retenir les services de son propre expert et il doit assumer les risques et les conséquences d’une telle stratégie.

Signification du rapport Johnson

[30] Dans ses observations écrites, le Canada a fait valoir que, selon le paragraphe 258(4) des Règles, les affidavits des témoins experts doivent être joints aux mémoires relatifs à la conférence préparatoire. Le Canada a soutenu que le rapport Johnson et le rapport Meier n’ont pas été inclus dans les mémoires relatifs à la conférence préparatoire de la demanderesse et des défendeurs de Gisbourne — alors qu’ils auraient dû l’être — et qu’il faut donc maintenant les soumettre à la Cour dans le dossier d’instruction. De façon subsidiaire, il a soutenu qu’il faudrait remédier à la violation du paragraphe 258(4) des Règles en exigeant le dépôt des rapports en question.

[31] À l’audience sur la présente requête, le Canada a mentionné que, à cet égard, il voulait surtout s’assurer que, si le rapport Johnson n’était pas joint au mémoire relatif à la conférence préparatoire de la demanderesse, la demanderesse ne pourrait plus affirmer que le Canada ne lui a pas signifié le rapport Johnson en bonne et due forme. Si j’ai bien compris, une telle allégation est fondée sur les exigences en matière de signification de l’alinéa 279b) et des paragraphes 258(4) et 262(1) des Règles.

[32] Comme il en a été question à l’audience, il n’est pas contesté que la demanderesse, qui a retenu les services du capitaine Johnson, a signifié le rapport Johnson au Canada, et ce, que ce rapport ait été joint ou non à son mémoire relatif à la conférence préparatoire. Les deux parties ont reconnu avoir reçu le rapport en question. Les avocats de la demanderesse confirment que la demanderesse ne serait pas lésée par la signification tardive du rapport Johnson par le Canada et que, dans les circonstances, elle renonçait à toute exigence selon laquelle le Canada devait maintenant lui signifier le rapport Johnson.

[33] Je remarque que, même si les rapports Meier et Johnson n’accompagnaient pas les mémoires relatifs à la conférence préparatoire de la demanderesse et des défendeurs de Gisbourne — et je ne tire aucune conclusion à cet égard —, il n’en demeure pas moins que la conférence préparatoire a eu lieu il y a des mois. Ni les parties ni la protonotaire ne semblent avoir soulevé des préoccupations quant au fait que les rapports n’accompagnaient pas les mémoires. Si l’une ou l’autre des parties avait jugé les rapports nécessaires dans le cadre de la conférence préparatoire, l’absence des rapports aurait été ou aurait dû être soulevée à ce moment‑là. Il est maintenant trop tard pour que le Canada allègue une violation du paragraphe 258(4) des Règles et demande à la Cour d’y remédier en exigeant le dépôt des rapports. Le fait d’exiger maintenant le dépôt des rapports n’aura aucune incidence sur la conférence préparatoire, qui est terminée.

[34] De plus, à mon avis, les mémoires relatifs à la conférence préparatoire ne font pas normalement partie du dossier d’instruction. L’article 269 des Règles porte sur le contenu du dossier d’instruction. Il prévoit que le dossier d’instruction doit contenir les actes de procédure, les précisions fournies, les ordonnances rendues et les directives données quant à l’instruction ainsi que tout autre document déposé qui est nécessaire à l’instruction. Enfin, le simple fait qu’un rapport d’expert accompagne un mémoire relatif à la conférence préparatoire ne signifie pas qu’il fait partie du dossier de preuve. L’article 279 des Règles porte sur l’admissibilité du témoignage d’un témoin expert à l’instruction d’une action.

[35] Je ne vois pas l’utilité de me pencher à nouveau sur le caractère suffisant des mémoires relatifs à la conférence préparatoire.

[36] Toutefois, si, comme le Canada le soutient maintenant, c’est le caractère adéquat de la signification du rapport Johnson qui est en jeu, alors, comme les deux parties reconnaissent qu’elles sont en possession du rapport en question, mon ordonnance en tiendra compte, et aucune autre signification ne sera requise.

Le Canada peut‑il convoquer le capitaine Johnson comme témoin expert?

[37] En ce qui concerne la convocation par le Canada du capitaine Johnson à titre de témoin expert à l’instruction, dans ses observations écrites, le Canada a fait valoir qu’il ne souhaitait pas interroger le capitaine Johnson et que la question de savoir s’il devait être tenu de comparaître à l’instruction en vue d’un contre‑interrogatoire visait en fait à déterminer quelle partie devait assumer les coûts et le fardeau de sa comparution au procès. Le Canada a soutenu que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 279 de Règles et ordonner le dépôt en preuve du rapport Johnson [traduction] « sans qu’il en coûte plus en temps et en argent à une partie ». Il a ajouté que le contre‑interrogatoire du capitaine Johnson par la demanderesse est inutile et [traduction] « un peu incongru », soulevant des préoccupations quant à la mesure dans laquelle la demanderesse devrait pouvoir utiliser, aux fins du contre‑interrogatoire, les renseignements contenus dans le dossier de ses avocats. La demanderesse a répondu que tout malaise invoqué relativement au contre‑interrogatoire par elle du capitaine Johnson tient uniquement au fait que le Canada cherche à s’appuyer sur le rapport Johnson pour présenter sa défense, plutôt que de retenir les services de son propre expert, et qu’une telle situation ne doit pas l’empêcher d’exercer son droit de contre‑interroger un témoin.

[38] À l’audience sur la présente requête, le Canada a mentionné qu’il ne contestait pas le droit de la demanderesse de contre‑interroger le capitaine Johnson, précisant que ses préoccupations portaient plutôt sur la production de documents avant le contre‑interrogatoire.

[39] À l’audience, le Canada a également fait valoir qu’il n’était pas clair que la demanderesse ne s’opposait pas à ce qu’il dépose le rapport Johnson au procès. Toutefois, dans ses observations écrites, la demanderesse a convenu avec le Canada que les témoins n’appartiennent à aucune partie, y compris les témoins experts. Par conséquent, la demanderesse a soutenu que le capitaine Johnson n’est pas inhabile à témoigner à titre de témoin expert pour la Couronne simplement parce qu’il a rédigé un rapport à la demande de la demanderesse. Dans la mesure où le Canada ne demande pas au capitaine Johnson de fournir des éléments de preuve qui exigeraient la divulgation de communications privilégiées avec les avocats de la demanderesse, la demanderesse a reconnu que, si la Cour le permet, le Canada peut appeler le capitaine Johnson à témoigner (citant Rumley v Attorney General, 2002 BCSC 405 au para 20; Abbott CF). Cependant, cela ne signifie pas que la demanderesse n’a pas le droit de contre‑interroger son ancien expert, ce que la demanderesse a de nouveau confirmé à l’audience tenue devant moi.

[40] La jurisprudence révèle que, si une partie a retenu les services d’un expert et lui a communiqué des renseignements privilégiés, la partie adverse peut quand même solliciter l’expert en question pour obtenir de lui une opinion ou encore le citer à comparaître comme témoin expert au procès. On ne peut pas s’approprier un témoin (Abbott CF, au para 20). Cependant, dans une telle situation, l’expert n’est pas tenu de divulguer des renseignements privilégiés relatifs, par exemple, à la stratégie de la défense de l’avocat qui a initialement retenu ses services ou aux conseils qu’il a prodigué à cet avocat quant au contre‑interrogatoire d’autres experts, tout comme il ne peut pas être interrogé sur ces questions.

[41] Selon moi, la jurisprudence soutient qu’il est loisible au Canada de convoquer le capitaine Johnson comme témoin expert au procès et, si le cas échéant, de demander à ce moment-là l’admission en preuve du rapport Johnson. Selon les observations écrites du Canada, il semble que la principale objection du Canada à cet égard est qu’il ne veut pas assumer les coûts associés à la comparution du capitaine Johnson, ce qui n’est pas suffisant pour demander à la Cour d’ordonner, au titre de l’article 279 des Règles, l’admission en preuve du rapport sans que son auteur comparaisse à l’instruction.

Objections liées au rapport Johnson

[42] À l’audience sur la présente requête, les avocats de la demanderesse se sont engagés à informer les avocats du Canada et la Cour d’ici la fin de la journée du lundi 8 février 2021 s’ils entendaient formuler des objections à l’égard du rapport Johnson et, le cas échéant, à décrire la nature de ces objections. La demanderesse a depuis informé la Cour qu’elle n’avait aucune objection à l’égard du rapport Johnson, mais qu’elle prévoyait contre‑interroger le capitaine Johnson au procès.

Production des dossiers de travail de Mme Meier et du capitaine Johnson

[43] En ce qui concerne les dossiers des experts, dans ses observations écrites, le Canada a cité des éléments de jurisprudence qui, selon lui, appuient la proposition selon laquelle les témoins experts doivent produire leurs dossiers. Plus précisément, lorsqu’un témoin expert est appelé à témoigner ou que son rapport est produit en preuve, il sera tenu de produire les documents en sa possession qui sont liés aux questions de fond touchant son opinion ou sa crédibilité (citant Lax Kw’alaams Indian Band v Canada (Attorney General), 2007 BCSC 909 [Lax], Jesionowski c Wa‑Yas, [1993] 1 CF 36, Bailey v Barbour, 2013 ONCA 4731 au para 27, et Vancouver Community College v Phillips, Barratt, [1987] 20 BCLR (2d) 289 (CS C.‑B.) [Vancouver Community College]). De plus, selon le Canada, [traduction] « un examen du dossier de l’avocat est justifié si une partie signifie un rapport et déclare son intention de s’y fier » (citant Nowe v Bowerman, 2012 BCSC 1723 au para 11, Andreason v The Corporation of the City of Thunder Bay, 2014 ONSC 314 au para 13, et Gulamani v Chandra, 2009 BCSC 1393). Le Canada a fait valoir que, puisque les rapports Meier et Johnson ont été signifiés et que, durant la conférence préparatoire, les défendeurs de Gisbourne et la demanderesse ont mentionné leur intention d’invoquer ces rapports au procès, ces parties [traduction] « ont renoncé sans équivoque au privilège à l’égard des dossiers des experts et des avocats concernant les rapports Johnson et Meier ».

[44] Cependant, à l’audience sur la présente requête, le Canada a précisé qu’il cherchait à obtenir les dossiers de travail de Mme Meier et du capitaine Johnson. Il ne demande pas la divulgation des dossiers des avocats de la demanderesse ou des défendeurs de Gisbourne.

[45] La demanderesse soutient que, même si les Règles ne mentionnent pas la production du dossier d’un expert, en common law, le privilège relatif au litige est levé seulement lorsque l’expert comparaît en vue d’un contre‑interrogatoire. À ce moment‑là, le témoin doit produire tout document lié aux questions de fond touchant son opinion ou sa crédibilité (Vancouver Community College, aux p 297‑298, et Lax, au para 7). Le dossier d’un expert peut être produit, mais le privilège relatif au litige n’est pas levé pour autant.

[46] Selon moi, la jurisprudence est claire au sujet du secret professionnel de l’avocat et du privilège relatif au litige, et ce dernier vise les dossiers d’experts.

[47] La situation est bien expliquée dans la décision Lax. Dans cette affaire, les demandeurs ont réclamé et reçu les dossiers de travail de trois témoins experts, à l’exception des dossiers de travail qui, selon le Canada, concernaient des conseils donnés par les témoins au Canada au sujet du contre‑interrogatoire des experts de la demanderesse. Le Canada a refusé de produire les documents en question, au motif qu’ils étaient protégés par le privilège relatif au litige, qui n’avait pas été levé en raison du témoignage des experts. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[5] Le privilège relatif au litige est une exception bien connue à l’obligation d’une partie de divulguer et de produire tous les documents en sa possession ou sous sa garde qui peuvent se rapporter à une question en litige. Le privilège relatif au litige diffère du secret professionnel de l’avocat à deux égards importants. Premièrement, le privilège relatif au litige n’a pas une portée absolue ou permanente. Son but consiste à créer une zone de confidentialité en ce qui concerne les litiges en instance ou envisagés, de sorte qu’il prend habituellement fin à l’issue du litige, à moins que des litiges étroitement liés ne soient toujours en instance. Cependant, le secret professionnel de l’avocat est maintenu indéfiniment jusqu’à ce que le client y renonce expressément ou implicitement.

[6] La deuxième différence importante entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat est que ce dernier s’applique seulement aux communications entre l’avocat et son client, tandis que le premier comprend également les communications entre l’avocat et des tiers, si de telles communications visaient un objet important du litige (Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39 (CanLII), [2006] 2 R.C.S. 319).

[7] Il existe une exception bien connue au privilège relatif au litige qui est pertinente dans la présente affaire. Lorsqu’un témoin expert qui n’est pas une partie est appelé à témoigner ou lorsque son rapport est produit en preuve, il peut être tenu de produire tous les documents en sa possession qui sont ou pourraient être pertinents quant aux questions de fond liées à son témoignage ou à sa crédibilité, à moins qu’il ne soit injuste ou incohérent d’exiger une telle communication. Cette exception au privilège relatif au litige est fondée sur une renonciation implicite. Une fois qu’un expert devient un témoin, il offre son opinion professionnelle pour aider le tribunal et ne doit plus faire preuve de partisanerie. Il ne devrait rien avoir à cacher et être disposé à ce que son opinion soit examinée en présentant les documents se rapportant à la préparation et à la formulation de son opinion, ainsi qu’à sa cohérence, à sa fiabilité, à ses qualifications et à d’autres questions touchant sa crédibilité (Vancouver Community College v Phillips, Barratt (1987), 1987 CanLII 2532 (C.S. C.-B.), 20 B.C.L.R. (2d) 289 (C.S.)).

[8] Cependant, il y a une exception à cette exception, qui a été formulée pour la première fois par le juge Finch, tel était alors son titre, dans l’affaire Vancouver Community College v Phillips, Barratt, précitée. Je cite :

29 […] Il ne serait toutefois pas juste d’exiger du témoin qu’il fournisse des documents qui n’ont absolument rien à voir avec le fond de son opinion ou avec sa crédibilité. Par exemple, les documents concernant ses affaires personnelles lui appartiennent et ne sont l’affaire de personne d’autre. De même, l’expert peut travailler pour d’autres personnes qui ne sont pas parties au litige. Il ne devrait pas être tenu de divulguer leurs secrets. De plus, dans le litige au cours duquel le témoin est appelé à témoigner, il peut demeurer un conseiller confidentiel de la partie qui l’a retenu, à au moins un égard. On peut lui demander ou lui avoir demandé de prodiguer des conseils sur la façon de contre‑interroger les témoins de l’autre partie. En exprimant sa propre opinion, il n’a pas nécessairement à attaquer celle des experts de l’autre partie. Les avocats pourraient vouloir conserver ce genre de munitions jusqu’à ce que l’expert de l’autre partie ait été convoqué. Il ne serait pas juste d’exiger que le témoin divulgue des documents se rapportant uniquement au contre‑interrogatoire de tels experts défavorables, car cela donnerait à l’autre partie un avantage dont ne pourrait se prévaloir la partie qui demande en premier un témoignage sur un sujet.

[48] Le principe susmentionné a également été énoncé dans la décision Vancouver Community College, dans laquelle la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a tiré la conclusion suivante :

[traduction]

[34] Je vais tenter de résumer mon point de vue sur l’état du droit. Lorsqu’un témoin expert qui n’est pas une partie est appelé à témoigner, ou lorsque son rapport est déposé en preuve, il peut être tenu de remettre à l’avocat qui procède à son contre‑interrogatoire tous les documents en sa possession qui sont ou qui pourraient être pertinents quant aux questions de fond liées à son témoignage ou à sa crédibilité, à moins qu’il ne soit injuste ou incohérent d’exiger la production de ces documents. Il faut évaluer l’équité et la cohérence en fonction des circonstances de chaque cas. Si ces exigences sont respectées, les documents peuvent être produits parce que la partie qui présente le témoignage par écrit ou de vive voix a l’intention implicite de renoncer au privilège relatif au litige qui protégeait auparavant les documents contre la divulgation.

[49] Par conséquent, selon moi, il est clair que, une fois que les rapports Meier et Johnson ont été signifiés aux avocats de la partie adverse, le privilège a été levé à l’égard des rapports, ce qu’aucune des parties n’a contesté.

[50] L’équité et la cohérence exigent la production des faits et des éléments de preuve sur lesquels les experts ont fondé leur opinion, ce qui comprend les lettres d’instruction, les dossiers de travail de Mme Meier et du capitaine Johnson et les communications qui concernent le fond de leur opinion ou leur crédibilité, notamment les communications avec les avocats chargés de l’instruction.

[51] Par conséquent, si la demanderesse a l’intention de faire témoigner Mme Meier au procès, le Canada a droit à la divulgation complète des dossiers de travail de cette experte. Toutefois, les services de Mme Meier ont été retenus par les défendeurs de Gisbourne — qui ne sont plus parties à l’action — et non pas par la demanderesse. Quoi qu’il en soit, la demanderesse a mentionné que les dossiers de travail de Mme Meier seront fournis au Canada dès qu’elle les aura reçus. Le Canada a affirmé que cela lui convenait.

[52] Quant au capitaine Johnson, si j’ai bien compris, le Canada soutient maintenant qu’il ne demande pas la production des dossiers des avocats de la demanderesse, mais qu’il a droit à la production de tous les documents ou de toutes les communications entre les avocats et le capitaine Johnson qui ne constituent pas des conseils confidentiels donnés en matière de stratégie ou de contre‑interrogatoire des témoins de la partie adverse, ou des conseils similaires, et qui concernent l’opinion ou la crédibilité du capitaine Johnson. Pour savoir si de tels documents ou de telles communications existent, le Canada soutient que, si la demanderesse souhaite maintenir le secret professionnel de l’avocat relativement à certains documents, elle doit fournir une description raisonnable de ces documents ou en soumettre une copie révisée et formuler des revendications de privilège précises (Delgamuukw v British Columbia, [1988] 55 DLR (4th) 73 (CS C-B) aux para 21 et 22). Le Canada veut aussi savoir si le capitaine Johnson ou la demanderesse produira les dossiers de travail du capitaine Johnson.

[53] La demanderesse soutient que c’est le témoin expert qui est tenu de produire ses dossiers de travail (Vancouver Community College, aux p 297‑298; Lax, au para 7) et qu’elle a libéré le capitaine Johnson de son mandat. Cependant, elle est disposée à faire des efforts pour faciliter la production des dossiers de travail de l’expert. Elle soutient également que, conformément au paragraphe 223(4) des Règles, il lui est loisible de répertorier les documents de même nature — c’est‑à‑dire les documents qui sont liés au mandat du capitaine Johnson et à la préparation de son rapport — comme une liasse de documents.

[54] L’article 223 des Règles traite des affidavits de documents :

223 (1) Chaque partie signifie un affidavit de documents aux autres parties dans les 30 jours suivant la clôture des actes de procédure.

(2) L’affidavit de documents est établi selon la formule 223 et contient :

a) des listes séparées et des descriptions de tous les documents pertinents :

(i) qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels aucun privilège de nondivulgation n’est revendiqué,

(ii) qui sont ou étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels un privilège de nondivulgation est revendiqué,

(iii) qui étaient mais ne sont plus en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels aucun privilège de nondivulgation n’est revendiqué,

(iv) que la partie croit être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’une personne qui n’est pas partie à l’action;

b) un exposé des motifs de chaque revendication de privilège de nondivulgation à l’égard d’un document;

[…]

(3) Pour l’application du paragraphe (2), un document est considéré comme étant sous l’autorité ou sous la garde d’une partie si :

a) d’une part, celleci a le droit d’en obtenir l’original ou une copie;

b) d’autre part, aucune partie adverse ne jouit de ce droit.

(4) Aux fins de l’établissement de l’affidavit de documents, une partie peut répertorier une liasse de documents comme un seul document si :

a) d’une part, les documents sont tous de même nature;

b) d’autre part, la description de la liasse est suffisamment détaillée pour qu’une autre partie puisse avoir une idée juste de son contenu.

[55] En pratique, le mandat et la lettre d’instruction fournis par les avocats de la demanderesse au capitaine Johnson, ainsi que toute communication écrite entre eux au sujet de son opinion ou de sa crédibilité, figureront dans les dossiers de travail de l’expert, et ces dossiers ne sont plus visés par le privilège. Ils seront produits à ce titre et, par conséquent, ne feront plus partie d’une liasse de documents que la demanderesse pourrait répertorier dans son affidavit de documents comme étant assujettis au privilège relatif au litige.

[56] Toutefois, s’il y a des communications ou des documents dans les dossiers de travail de l’expert à l’égard desquels la demanderesse veut invoquer le privilège relatif au litige, ces documents doivent être décrits de façon assez précise pour que le Canada puisse connaître le nombre de documents visés, leur nature générale et les motifs de chaque revendication de privilège pour chacun d’eux ou pour l’ensemble d’entre eux. Sans savoir s’il existe de tels documents, la Cour ne peut déterminer s’il est approprié ou non que la demanderesse les répertorie comme une liasse de documents (Apotex Inc. c Sanofi‑Aventis, 2010 CF 77 aux para 43‑44).

[57] Cela dit, le procès doit commencer dans moins de deux semaines. S’il existe de tels documents et que leur description par la demanderesse est suffisamment détaillée, le Canada n’aura peut‑être pas à obtenir d’autres renseignements ou à demander la communication d’autres documents, ce qui pourrait permettre d’éviter que le procès soit retardé.

[58] En résumé :

  • - Je refuse la demande présentée par le Canada pour que le rapport Johnson soit admis comme faisant partie du mémoire relatif à la conférence préparatoire de la demanderesse — s’il n’y figurait pas — et inclus dans le dossier d’instruction.

  • - Le Canada n’est pas tenu de demander l’autorisation de signifier tardivement le rapport Johnson à la demanderesse maintenant qu’il a décidé de le produire au procès. La demanderesse a reconnu qu’elle a d’abord retenu les services du capitaine Johnson, qu’elle est donc en possession de son rapport et qu’elle ne subirait pas de préjudice découlant de la signification tardive du rapport par le Canada, maintenant que celui‑ci à l’intention de le produire à l’instruction.

  • - Je refuse la demande présentée par le Canada pour que le rapport Johnsonsoit admis en preuve sans exiger que le capitaine Johnsonfasse l’objet d’un interrogatoire principal ou d’un contre‑interrogatoire. Le Canada peut convoquer le capitaine Johnson comme témoin expert et produire son rapport en preuve à l’instruction conformément à l’article 279 des Règles. Si le Canada choisit de faire comparaître le capitaine Johnson à titre de témoin expert, le Canada devra assumer tous les coûts associés à sa comparution.

  • - La demanderesse ne conteste pas le fait qu’il faille produire les dossiers de travail du capitaine Johnson. De plus, même si le capitaine Johnson n’est plus le témoin expert de la demanderesse, les avocats de la demanderesse ont indiqué qu’ils s’efforceraient de faciliter la production des dossiers de travail du capitaine Johnson. J’ordonnerai donc aux avocats de la demanderesse de demander au capitaine Johnson de leur fournir sans délai des copies complètes de ces dossiers. Dès leur réception, les avocats de la demanderesse en remettront des copies complètes aux avocats du Canada, à l’exception de toutes les communications ou de tous les documents à l’égard desquels la demanderesse invoque le privilège relatif au litige.

  • - La demanderesse n’a pas retenu les services de Mme Meieret ne lui a pas donné de directives. Quoi qu’il en soit, les avocats de la demanderesse ont mentionné qu’ils prévoient que Mme Meierleur fournira ses dossiers de travail sous peu. En outre, ils ont convenu de fournir des copies complètes des dossiers en question aux avocats du Canada dès leur réception. Le Canada a dit accepter une telle approche. Mon ordonnance en tiendra compte.

  • - Après examen des présents motifs, de ses dossiers, des dossiers de travail du capitaine Johnson et de son affidavit de documents actuel, la demanderesse, au besoin, déposera un affidavit de documents modifié qui décrira, de façon générale, les communications entre ses avocats et le capitaine Johnson ou les documents à l’égard desquels elle entend conserver le privilège relatif au litige ainsi que la raison pour laquelle elle invoque le privilège pour chaque document. Elle doit le faire sans délai.

 


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑606‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. Si le Canada choisit de retenir les services du capitaine Johnson et de produire le rapport Johnson au procès, il n’est pas tenu de présenter une demande d’autorisation de signifier ou de signifier tardivement le rapport Johnsonà la demanderesse. Si le Canada choisit de retenir les services du capitaine Johnsonen tant que témoin expert au procès, il le fera à ses frais.
  2. La demanderesse fournira des copies complètes des dossiers de travail de Mme Meieraux avocats du Canada dès que ses avocats auront reçu les dossiers en question de Mme Meier.
  3. Les avocats de la demanderesse demanderont immédiatement au capitaine Johnson de leur fournir des copies complètes de ses dossiers de travail. À la réception de ces dossiers, les avocats de la demanderesse en fourniront immédiatement des copies complètes aux avocats du Canada, à l’exception de tout document ou de toute communication à l’égard duquel les avocats de la demanderesse revendiquent le privilège relatif au litige.
  4. Si les avocats de la demanderesse invoquent le privilège relatif au litige relativement à un document ou à une communication qui figure dans les dossiers de travail du capitaine Johnson, alors, au besoin, la demanderesse déposera sans délai un affidavit de documents modifié qui décrira de façon générale chacune des communications ou chacun des documents à l’égard desquels elle entend conserver le privilège relatif au litige ainsi que la raison pour laquelle elle invoque le privilège pour chaque document.
  5. La demanderesse a droit aux dépens afférents à la présente requête.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑606‑18

 

INTITULÉ :

VANCOUVER PILE DRIVING LTD. c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Jordan Bank

Vernon Pahl

Alexandra Wickett

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Andrea Gatti

Shaun Ramdin

Eric Girard

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Guild Yule LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ministère de la Justice du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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