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Date : 20040407

Dossier : IMM-4079-03

Référence : 2004 CF 543

CALGARY (Alberta), le mercredi 7 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                                                 SOHAIL ALAM

                                                                                                                                           demandeur

                                                                 et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Prononcés à l'audience, rédigés et révisés par la suite

pour des raisons de clarté et de précision)

[1]                M. Sohail Alam sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dont les motifs sont datés du 8 mai 2003. Dans la décision en question, la Commission a conclu que M. Alam n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant sa demande à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.


[2]         M. Alam est un citoyen du Pakistan et il a demandé la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention au Canada, en application de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), au motif qu'il craint avec raison d'être persécuté aussi bien par la police que par les membres de la Ligue musulmane pakistanaise (la LMP) du fait de ses opinions politiques, vu son appartenance au Parti du peuple pakistanais (le PPP). Il a également prétendu être une personne à protéger, en application des motifs prévus à l'article 97 de la LIPR.

[3]         La Commission a rejeté les prétentions du demandeur pour deux motifs. Premièrement, la Commission n'a pas cru que le demandeur avait participé activement aux activités du PPP, parce qu'il ne semblait pas être au courant des activités nationales du PPP. La Commission a en particulier interrogé le demandeur sur une grève dont le mot d'ordre avait été lancé par le PPP le 20 mai 1999 pour protester contre la déclaration de culpabilité prononcée le 15 avril contre Benazir Bhutto et son mari pour corruption. À la page 2 de ses motifs, la Commission a affirmé : _ le demandeur a dit au début qu'il ne se souvenait pas de la grève et ensuite qu'il y avait eu tant de grèves pour protester contre la corruption de la LMP _.                                                                    


[4]         Deuxièmement, la Commission a conclu que le comportement du demandeur n'était pas compatible avec celui d'une personne qui avait une crainte subjective de persécution parce que, pour la Commission, le demandeur n'avait présenté sa demande d'asile que le 20 août 2001, deux mois environ après son arrivée au Canada le 18 juin 2001. Selon la Commission, le demandeur aurait demandé la reconnaissance de la qualité de réfugié à la première occasion si sa première préoccupation était de sauver sa vie. La Commission a décrit les raisons avancées par le demandeur pour justifier le fait qu'il n'avait pas présenté de demande d'asile à son arrivée au Canada comme étant _ quelque peu confuses _.

[5]         La question qui m'est soumise est de savoir si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[6]         La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux conclusions de fait de la Commission est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable : Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (1re inst.) (QL). En outre, il est bien établi que les conclusions de la Commission doivent faire l'objet d'une grande retenue judiciaire : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Dans les cas où la Commission rend des décisions sur la crédibilité qui sont manifestement déraisonnables ou fondées sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose, la Cour peut intervenir : Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d), Manoharan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1125 (1re inst.) (QL), Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), et Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280.


[7]         Je suis convaincu, vu la preuve au dossier du tribunal, que la Commission a tiré une conclusion de fait de façon abusive, relativement à la date à laquelle le demandeur a introduit sa demande d'asile. Sur ce fondement, la Commission a par la suite tiré une conclusion quant à la crédibilité qui est défavorable au demandeur. Une telle conclusion, à mon avis, était manifestement déraisonnable. L'audience devant la Commission a eu lieu le 5 mars 2003 et ses motifs ont été rendus le 8 mai 2003. La transcription de l'audience révèle que la Commission avait attiré l'attention du demandeur sur ce qui est apparu comme une correction faite dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) relativement à la date à laquelle il avait introduit sa demande d'asile. À l'audience, l'avocate du demandeur a précisé que c'était une erreur d'écriture qu'elle avait elle-même commise en faisant des corrections au formulaire. L'erreur a été réparée à l'audience, mais malheureusement elle est réapparue et la Commission s'est fondée là-dessus en rendant sa décision en l'espèce. Vu l'importance accordée audit retard par la Commission, ce motif seul suffit pour infirmer la décision.


[8]         Le demandeur a également soutenu que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à sa crédibilité fondée sur le simple fait qu'il ne s'était pas souvenu au début, lorsqu'il a été interrogé par le commissaire, de la grève qui a eu lieu le 20 mai 1999 pour protester contre le gouvernement et dont le mot d'ordre avait été lancé par le PPP. Le demandeur a fait remarquer que la Commission n'a fondé sa décision défavorable relative à la crédibilité sur aucune autre conclusion de fait. Le demandeur dit que le fait de ne pas se rappeler ce seul incident n'était pas suffisant pour douter de l'ensemble de ses activités politiques, précisément parce qu'il a été en mesure de répondre à d'autres questions qui lui ont été posées par la Commission relativement à ses activités et à sa connaissance des événements politiques.

[9]         La Commission a l'obligation, lorsqu'une demande d'asile est refusée pour des motifs relatifs à la crédibilité, de fournir les motifs d'une telle conclusion en des termes clairs et non équivoques. Une conclusion défavorable sur la crédibilité devrait être fondée sur les contradictions et les incohérences dans le témoignage qui sont réelles et importantes : Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.), et Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.).

[10]       Le commissaire avait d'abord posé au demandeur la question relative à la grève générale du 20 mai 1999 de la manière suivante, à la page 28 de la transcription, à la reprise de l'audience après une suspension :

[TRADUCTION]

LE COMMISSAIRE (à l'intéressé)

Q. Monsieur, avez-vous connaissance d'un événement national qui a eu lieu au Pakistan en mai 1999 et portant précisément sur les activités politiques?


[11]       Ainsi posée, cette question est beaucoup trop générale et vague pour permettre au demandeur de fournir une réponse logique quelconque à l'interrogatoire. À mon avis, que la Commission s'appuie sur le fait que le demandeur n'a pas montré spontanément _ qu'il était au courant de cet événement _, et ne fonde sa décision sur la crédibilité que sur cette question, est manifestement inéquitable et manifestement déraisonnable. Je note que la Commission n'a tiré aucune autre conclusion sur la crédibilité en dehors de celle erronée relative à la date de l'introduction par le demandeur de sa demande d'asile au Canada et qu'elle a décidé que les autres éléments de preuve présentés par le demandeur n'avaient aucune valeur probante en se fondant uniquement sur l'évaluation qu'elle avait faite de la réponse du demandeur à cette question précise.

[12]       La présente demande de contrôle judiciaire est en conséquence accueillie, vu que le motif pour lequel la Commission a douté de la crainte subjective du demandeur n'est pas appuyé par les éléments de preuve dont la Commission disposait et que la conclusion de la Commission sur le manque de connaissance apparent du demandeur sur les activités politiques du PPP a été tirée de manière arbitraire et inéquitable.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission dont les motifs sont datés du 8 mai 2003 est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'un tribunal différemment constitué examine à nouveau, conformément aux présents motifs, la demande du demandeur visant la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de celle de personne à protéger. La présente demande ne soulève aucune question à certifier.

_ Richard G. Mosley _

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4079-03

INTITULÉ :                                                    SOHAIL ALAM

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 7 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :        LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 7 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Lori O'Reilly                                                     POUR LE DEMANDEUR

Carrie Sharpe                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

O'Reilly Law Firm

Calgary (Alberta)                                               POUR LE DEMANDEUR

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR


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