Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050106

Dossier : T-1492-01

Référence : 2005 CF 11

ENTRE :

                                                               WILLIAM SHEK

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                             

LA JUGE SIMPSON

[1]                M. William Shek (le demandeur) a présenté une demande de contrôle judiciaire concernant une décision (la décision) rendue en date du 25 juillet 2001 par M. Owen Gray (l'arbitre) en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code). Dans la décision, l'arbitre a maintenu le licenciement du demandeur par la Banque de Nouvelle-Écosse et a, du même coup, rejeté sa demande d'une suspension suivie d'une réintégration.

[2]                Le demandeur a été le directeur de la succursale Markham et McNicoll (la succursale) de la Banque de Nouvelle-Écosse (la Banque), située à Scarborough (Ontario), de 1988 jusqu'à son congédiement (le congédiement), le 29 mars 1994.


[3]                Le demandeur a déposé une plainte en vertu de l'article 240 du Code parce qu'il estimait avoir été injustement congédié par la Banque. Aux termes de l'alinéa 242(3)a) du Code, le rôle de l'arbitre consistait à « décid[er] si le congédiement était injuste » .

[4]                L'audition de la plainte (l'audience) s'est étendue sur 29 jours en 1998, 1999 et 2000. L'arbitre a entendu 21 témoins des faits qui étaient des employés ou des clients de la Banque. Les témoignages de ces personnes ont porté sur des événements survenus avant le congédiement du demandeur. En outre, un expert a témoigné au sujet de la qualité d'un enregistrement. Les avocats ont terminé leur plaidoirie le 31 janvier 2000.

CONTEXTE


[5]                La conduite du demandeur a commencé à faire l'objet d'un examen attentif au milieu du mois de février 1994, lorsqu'une employée de longue date de la Banque a été transférée à la succursale pour devenir adjointe administrative principale. Cette employée relevait directement du demandeur, et quatre employés à temps plein et quatre autres à temps partiel (des caissiers, des représentants du Service à la clientèle et des commis) travaillaient sous ses ordres. Peu après son arrivée, elle a commencé à entendre des membres du personnel dire que le demandeur buvait de l'alcool à l'heure du lunch, ce qui l'amenait à se conduire d'une manière inappropriée et, notamment, à faire des remarques suggestives qui constituaient du harcèlement sexuel. Des membres du personnel se sont aussi plaints du fait que le demandeur avait interrompu des conversations qu'ils avaient avec des clients et les avaient réprimandés en public.

[6]                Ces plaintes ont été portées à l'attention de la Banque et, le mardi 22 mars 1994, le demandeur a été suspendu avec salaire en attendant la fin de l'enquête. Les trois enquêteurs de la Banque ont interrogé 12 membres du personnel et, deux jours plus tard, soit le 24 mars 1994, ils ont rencontré le demandeur afin de discuter des questions qui avaient été soulevées par les employés pendant les entrevues. Au cours de cette rencontre, les enquêteurs ont conclu que le demandeur leur avait menti lorsqu'il avait dit que la consommation de trois bières ne l'affectait aucunement et qu'il pouvait en boire douze chez lui sans en ressentir aucun effet.

[7]                À la suite de cette rencontre, les enquêteurs ont rédigé un document, daté du 28 mars 1994, dans laquelle ils recommandaient qu'il soit mis fin à l'embauche du demandeur (la recommandation).


[8]                L'arbitre a indiqué, au paragraphe 28 de la décision, que la recommandation avait été faite parce que les enquêteurs avaient conclu : (i) que le demandeur avait fréquemment fait des commentaires de nature sexuelle à des membres du personnel; (ii) qu'il harcelait verbalement des membres du personnel de façon régulière; (iii) que, bien qu'il nie avoir un problème, qu'il prenait de l'alcool à un point tel que cela avait un effet sur ses rapports avec des membres du personnel et des clients; (iv) qu'il ne leur avait pas dit la vérité lors de la rencontre du 24 mars 1994. La Banque a approuvé la recommandation et une lettre lui annonçant son licenciement motivé (la lettre de congédiement) a été remise au demandeur dans les bureaux de la Banque le 29 mars 1994.

[9]                Un deuxième type de plainte a cependant été déposé avant la rencontre au cours de laquelle la lettre de congédiement devait être remise au demandeur. Cette plainte, la première déposée par un client, a été reçue par téléphone le 24 mars. M. Ali, un dirigeant d'une société appelée Ray CPI Corporation, prétendait qu'il avait demandé une marge de crédit de 50 000 $ au demandeur pour son entreprise, que sa demande avait été refusée et que le demandeur avait exigé, à titre de commission secrète, une part de 50 % dans l'entreprise pour ses amis ou pour lui-même ainsi qu'un emploi pour son fils.

[10]            Le 25 mars, M. Ali a enregistré une rencontre qu'il a eue à son bureau avec le demandeur. La Banque a écouté l'enregistrement avant de rencontrer le demandeur le 29 mars. Lorsqu'il a été interrogé au sujet de ses rapports avec les clients au cours de la semaine précédente, le demandeur n'a pas parlé de sa rencontre au bureau de M. Ali le 25 mars 1994.

[11]            Les représentants de la Banque étaient préoccupés par la véracité du récit du demandeur et par sa conduite avec M. Ali, mais, comme il avait déjà été décidé de le congédier à cause des plaintes du personnel, ils n'ont pas parlé de M. Ali lors de leur rencontre avec lui et lui ont remis la lettre de congédiement.


[12]            La Banque a reçu une deuxième plainte de clients. Les frères Lynes étaient des dirigeants d'une société appelée Optiplas Films Inc. (Optiplas). Plusieurs mois après le congédiement, ils ont attiré l'attention de la Banque sur de prétendues irrégularités, dont la plus grave était l'utilisation de son poste par le demandeur pour convaincre la société de lui acheter des articles aux États-Unis et de les importer ensuite au Canada. Le demandeur a payé les articles, mais aucuns droits, taxe ou frais de livraison. Il a cependant indiqué, dans son témoignage devant l'arbitre, qu'il ne savait pas que les articles n'avaient pas été déclarés aux douaniers canadiens.

[13]            Les frères Lynes ont dit également que le demandeur leur avait demandé de fournir des boissons alcoolisées à la succursale pour la réception de Noël et de lui prêter gratuitement des camions pour son usage personnel. Le demandeur a répondu à ces allégations en disant que ces articles lui avaient été offerts spontanément. La preuve indiquait également que le demandeur avait proposé d'investir dans Optiplas.

[14]            Une troisième plainte a été déposée par les copropriétaires d'Interline Wholesale Hardware Distributors, une entreprise qui exploitait une quincaillerie près de la succursale et à qui la Banque avait consenti des emprunts. Ces personnes ont témoigné que le demandeur s'était servi de son poste pour obtenir des articles valant environ 20 $ sans les payer lors de 20 ou 30 visites au magasin. De son côté, le demandeur a répliqué que les seuls articles qu'il avait reçus étaient deux cadeaux de Noël et que les allégations étaient fausses.


[15]            La quatrième plainte a été déposée par M. Sekoulidis de Turm Construction and Interiors, une entreprise qui fabriquait et installait des accessoires de magasins et qui était un client emprunteur de la succursale. Le demandeur a commandé quatre ou cinq bureaux pour la Banque sans qu'aucun prix ne soit établi. Il a demandé à deux reprises que des factures lui soient envoyées, mais l'entreprise répugnait à facturer la Banque. Celle-ci n'a finalement jamais payé les bureaux. Le demandeur a également commandé pour lui-même un meuble pour un système de son. Le meuble lui a été livré, mais il n'a jamais demandé combien cela coûterait, ni n'a offert de payer pour cette pièce.

LA DÉCISION DE L'ARBITRE

[16]            Dans sa décision de 62 pages, l'arbitre examine la preuve présentée sur les questions suivantes (l'examen de la preuve) :

(i)          les plaintes des membres du personnel;

(ii)         la preuve concernant la conduite inappropriée du demandeur envers le personnel;

(iii)        la rencontre du 24 mars 1994;

(iv)        la plainte de Desmond Ali;

(v)         la preuve concernant les rapports du demandeur avec M. Ali;

(vi)        les autres plaintes déposées par des clients.

[17]            Il importe de souligner que, pour chaque sujet abordé dans le cadre de l'examen de la preuve, le témoignage du demandeur est analysé en profondeur. De façon générale, ses réponses aux allégations d'inconduite faites par des membres du personnel de la Banque et des clients variaient. Il a dit que l'une des allégations était vraie. Il a dit que d'autres allégations étaient vraies en partie, mais qu'elles étaient exagérées. Dans certains cas, il a affirmé que sa conduite ne semblait pas avoir offensé quelqu'un. Il a parfois expliqué sa conduite en décrivant un contexte qui la rendait moins choquante et parfois dit qu'il faisait une blague. Il a aussi parfois nié qu'un incident se soit produit.

[18]            Après l'examen de la preuve, la décision expose les conclusions de l'arbitre (les conclusions) et se termine par une section intitulée « Décision » .

[19]            Dans la section intitulée « Décision » , l'arbitre a écrit :

·                Le fondement de l'inconduite imputée au plaignant, tel qu'exposé et démontré, résidait dans le fait que M. Shek avait eu des rapports avec un client [M. Ali] qui l'avaient placé dans une situation de conflit d'intérêts et qu'il n'avait pas fait part de cette relation à la Banque au moment où il avait envisagé de l'entreprendre. Ses réponses calculées aux questions de son employeur, qui visaient à dissimuler cette relation, ne doivent pas être dissociées de la présente affaire. Elles constituent un élément de l'infraction ainsi qu'un facteur aggravant et elles seront donc prises en considération aux fins de l'établissement du degré de gravité de ladite infraction et de l'étude de la question de savoir jusqu'à quel point le congédiement était une mesure raisonnable à prendre dans les circonstances (et jusqu'à quel point les autres motifs cités à l'appui de ce congédiement étaient eux aussi raisonnables). [paragraphe 197]


·                Un employeur est tenu de mettre à la disposition de ses employés un milieu de travail exempt de harcèlement. Cette obligation permet de s'assurer que cet employeur traitera le harcèlement comme une inconduite grave comportant de sérieuses conséquences pour la personne se rendant coupable d'une telle inconduite [...] M. Shek était la personne chargée de remplir les obligations de la Banque envers les employés de sa succursale, et ce, en les informant notamment de la politique de l'établissement visant à contrer le harcèlement et en faisant la nécessaire pour qu'ils s'y conforment. Cela devient une circonstance aggravante dans son cas quand on considère le caractère grave de certains comportements qu'il affichait envers des employés et qui constituaient du harcèlement. [paragraphe 201]

·                Cela étant dit, durant les procédures tenues devant moi, M. Shek a entendu exactement les allégations des parties. Il a eu des mois pour préparer sa réplique. Les commentaires qu'il a faits au sujet de certaines des plaintes dont j'ai constaté le bien-fondé étaient détaillés mais aussi très incohérents, même s'il prétendait se souvenir clairement de tout ce qu'il racontait. Soit il déformait délibérément ses souvenirs, soit il souffre d'une perte de contact insidieuse avec la réalité. Peu importe laquelle de ces hypothèses est la bonne, l'une et l'autre dictent que l'on ne réintègre pas M. Shek dans ses anciennes fonctions, ni non plus qu'on le nomme à un poste comparable. [paragraphe 203]

·                Je ne suis pas tenu de trancher la question de savoir si les motifs invoqués à l'appui de la recommandation selon laquelle M. Shek devait être congédié fondent en soi l'application d'une telle mesure, étant donné qu'il existait des motifs autres que ceux-là. M. Shek s'était placé dans une situation de conflit d'intérêts en transigeant avec le directeur d'un client de la banque. Lorsqu'il avait envisagé d'effectuer ces transactions, il ne les avait pas déclarées à la Banque, ce qui contrevenait clairement aux lignes directrices de ladite Banque, qu'il avait pourtant lues à plusieurs reprises. Lorsque la Banque l'a interrogé à propos de ces transactions, il a tenu des propos plus ou moins justes et, tel que je l'ai constaté, il n'a pas été non plus complètement honnête lorsqu'il a témoigné devant moi au sujet de la nature de ces transactions. [paragraphe 204]

·                ... cette situation fut aggravée par le fait qu'il a refusé de reconnaître à quel point son comportement d'alors était inapproprié. Lorsque les allégations faites à son sujet lui ont été rapportées, sa réaction ne fut guère encourageante pour son employeur dans la mesure où elle ne lui a pas vraiment fourni de motifs de croire qu'il allait changer son comportement ou faire ce qu'il fallait pour se montrer à nouveau digne de la confiance de la Banque. [paragraphe 205]

·                Pour tous ces motifs, je suis convaincu que la Banque n'a pas agi de façon injuste en congédiant M. Shek dans les circonstances précitées. Par conséquent, la présente plainte est rejetée. [paragraphe 206]

[20]            L'arbitre a dit ce qui suit au sujet de la consommation d'alcool du demandeur :


·                Je reconnais que les nombreuses allusions contenues dans les témoignages [des témoins de la Banque] relativement au fait qu'il [M. Shek] avait trébuché et échappé des dossiers se rapportent probablement à un seul et même incident. Mais les autres « torts » lui ayant été reprochés (discours incohérent, cordialité suspecte, incapacité de se concentrer, incapacité de se souvenir de ce qu'il avait fait, etc.) ne se rapportent pas, eux, à un seul incident ni à des incidents isolés. Ces incidents étaient périodiques, et ils avaient une influence réelle et négative sur le personnel et aussi peut-être sur la confiance des clients. [paragraphe 158]

[21]            L'arbitre a conclu ce qui suit relativement à la crédibilité :

·                J'accepte la déposition de la Banque voulant que lorsqu'on l'a interrogé au sujet de ses habitudes de consommation d'alcool, M. Shek a soutenu que le fait de prendre trois bières au lunch ne l'affectait aucunement et que, de fait, il pouvait boire douze bières et n'en ressentir aucun effet. Les représentants de la Banque n'arrivaient pas à croire qu'il pouvait croire lui-même à cette affirmation outrancière, et ils en ont conclu que M. Shek faisait délibérément preuve de mauvaise foi. Ce qu'il a dit est, à n'en pas douter, fallacieux. Il n'en a pas moins persisté dans cette voie, et ce, malgré ses antécédents des cinq dernières années et malgré qu'il ait entendu tous les témoignages à l'effet contraire. [paragraphe 159]

·                Je rejette l'hypothèse avancée par M. Shek, selon laquelle Mme Howitt avait menti parce que quelqu'un lui avait dit de le faire. Rien ne permet de croire que soit Mme Howitt, Mme Mitchelson ou Mme Walker avait une dent contre M. Shek en particulier ou que l'une d'entre elles avait un autre motif d'inventer des preuves. Après les avoir entendues témoigner et avoir tenu compte de la possibilité qu'elles aient été influencées par leur désir de demeurer à l'emploi de la Banque, je crois totalement à leur témoignage au sujet de ces deux incidents. Le fait que M. Shek ait prétendu se souvenir très bien de ces incidents sous des formes différentes nuit à sa crédibilité en général. [paragraphe 162]

·                Mais je ne rejette pas la déposition selon laquelle il l'a un jour invitée à aller chez lui, et qu'il lui a par ailleurs demandé à une autre occasion si son copain utilisait des condoms. [paragraphe 165]

·                J'accepte la version des faits de Mme Raffa en ce qui concerne l'incident lors duquel M. Shek a fait des commentaires sur ses hanches, ainsi que la version des faits présentée par Mme Weber au sujet de l'incident à l'occasion duquel M. Shek a fait des commentaires sur son [TRADUCTION] « cul » . J'accueille également la déposition de Mme Chan, selon laquelle M. Shek lui a déjà dit devant d'autres employés que cela faisait deux ans qu'il souhaitait qu'elle devienne son [TRADUCTION] « amie de coeur » ou qu'elle tentait elle-même de le devenir. [paragraphe 166]

·                J'accueille la déposition des témoins qui travaillaient pour la Banque, selon laquelle M. Shek faisait montre d'une attitude négative, chauvine et inappropriée envers les femmes, qu'il rabaissait ses subordonnés, en particulier Shirley Weber, et qu'il les interrompait de façon inappropriée pendant qu'ils travaillaient. [paragraphe 167]


·                Je rejette ses explications [de M. Shek] hétéroclites et incohérentes concernant le fait qu'il n'a pas soulevé cette question [l'investissement qu'il envisageait avec un client de la Banque] devant les représentants de la Banque le 22 ou le 24 mars, ou à tout autre moment après qu'il eut entrepris des discussions avec M. Ali au sujet de l'investissement dans l'entreprise et de l'embauche de son fils. [paragraphe 177]

·                Je ne crois pas que les frères Lynes ait confondu une discussion avec M. Shek concernant le recrutement d'investisseurs avec l'offre que leur a faite celui-ci d'investir personnellement dans leur entreprise, pas plus que je ne crois qu'ils aient délibérément menti en affirmant que M. Shek leur avait fait cette offre et qu'ils auraient agi ainsi parce qu'ils étaient mécontents de la façon dont la Banque avait donné suite, par l'entremise de M. Shek, à la demande d'aide financière que Optiplas lui avait présentée à une époque ultérieure où l'entreprise connaissait des difficultés financières. [paragraphe 183]

·                ... compte tenu de la déposition élaborée qu'a faite M. Shek au sujet de la question préliminaire (laquelle concernait le fait que la Banque contrôlait et examinait dans le détail le budget de la succursale et, en particulier, le poste des immobilisations) et de la surveillance étroite à laquelle il fallait soumettre les transactions financières de la succursale, j'ai beaucoup de difficulté à croire que M. Shek pensait que Shirley pouvait payer une facture d'un montant indéterminé en son absence ou que le défaut de paiement ne lui aurait jamais été signalé par la suite. [paragraphe 187]

·                J'en arrive à la conclusion que M. Shek savait lorsqu'il a commandé le support haute fidélité qu'il était peu probable que M. Sekoulidis lui demande de le payer. Je ne crois pas qu'il avait quelque raison objectivement raisonnable de penser que ce meuble lui reviendrait moins cher que l'article d'IKEA au sujet duquel, selon ses propres dires, il avait eu une discussion avec M. Sekoulidis. [paragraphe 188]

·                J'ai par ailleurs de la difficulté à croire la déclaration qu'il a faite voulant qu'il ait contourné le problème de la réticence de M. Sekoulidis à se faire payer en déposant 300 dollars comptant sur son bureau, lesquels 300 dollars provenaient, selon ses dires, d'une somme de 500 dollars qu'il était allé retirer dans un guichet automatique. Je n'arrive pas à croire qu'il ait vraiment fait cela. [paragraphe 188]

·                Après avoir vu et entendu M. Sekoulidis témoigner, je n'ai aucune difficulté à rejeter l'hypothèse selon laquelle il avait menti parce qu'il avait conservé un souvenir amer de ses transactions avec M. Shek à la succursale. J'accueille la déposition de M. Sekoulidis voulant que M. Shek lui avait demandé de fabriquer une pièce de mobilier sans avoir discuté au préalable de ce que cela coûterait, que M. Sekoulidis s'est exécuté sans chercher à se faire payer, que l'article qui fut ainsi fabriqué avait une valeur considérable et que M. Shek n'a pas payé cet article ni montré aucune intention en ce sens. [paragraphe 189]


·                J'estime qu'il est vrai que M. Shek a aussi demandé à M. Sekoulidis de lui fabriquer une table à cartes. J'accueille également la déposition de M. Sekoulidis voulant que M. Shek se soit permis de fouiller un peu partout pour trouver des matériaux. Cela illustre à nouveau sa tendance à s'imposer à ses clients. [paragraphe 190]

[22]            L'arbitre a jugé que le demandeur avait fait à ses employées des commentaires qui constituaient du harcèlement. Il a dit à ce sujet :

·                M. Shek n'a pas nié avoir offert à sa secrétaire enceinte de lui faire passer les examens pour lesquels elle voulait prendre rendez-vous avec son médecin (ce qui impliquait, par ailleurs, qu'elle devait prendre un congé). Il a aussi reconnu qu'il avait dit à une employée qu'il allait ou qu'il devrait lui donner la fessée. [paragraphe 163]

·                Il a aussi dit à deux employées qu'il allait les fouiller et il a, à cet égard, soit utilisé l'expression [TRADUCTION] « fouille à nu » , soit laissé clairement entendre que c'est ce à quoi il pensait. Ces commentaires avaient une connotation sexuelle évidente, ce constat valant aussi pour la fois où il avait invité Mme Howitt à son domicile. Je suis prêt à reconnaître que M. Shek ne voulait pas vraiment faire passer d'examens cliniques à Mme McGibbon, ni donner la fessée à Andrea Jones, ni soumettre Andrea Jones et Vita Raffa à une fouille à nu, ni encore emmener Susan Howitt chez lui. Il s'agissait de fantasmes. Il se trouvait, de fait, à révéler à des employées qui travaillaient sous ses ordres les fantasmes sexuels qu'elles lui inspiraient. [paragraphe 163]

·                Ce genre de comportement était fortement susceptible de mettre mal à l'aise les femmes qui le subissaient. De fait, il s'agit du genre de comportement qui, dans le contexte que l'on sait, doit être considéré a priori comme malvenu à moins que l'autre partie n'ait clairement montré des signes de consentement. En raison du pouvoir qu'avait M. Shek de prendre des décisions concernant le maintien en poste des victimes de son comportement, ces dernières n'ont probablement pas osé rejeter M. Shek de la même façon qu'elles auraient rejeté un collègue masculin qui leur aurait fait des avances comparables. Mais l'absence de rejet n'équivalait pas à un consentement. Dans les circonstances, cette conduite constituait une forme de harcèlement, même si l'objectif visé n'était apparemment pas d'avoir des rapports sexuels avec les personnes concernées. [paragraphe 164]

·                Mais je ne rejette pas la déposition selon laquelle il l'a un jour invitée à aller chez lui, et qu'il lui a par ailleurs demandé à une autre occasion si son copain utilisait des condoms. Selon moi, l'invitation lancée à Mme Raffa est du même ordre que celle qui avait été faite à Mme Howitt, à savoir qu'elle était le fruit d'un fantasme sexuel, lequel avait été présenté sous le couvert d'une blague, et qu'elle ne visait pas à amener la personne concernée à consentir à des rapports sexuels. Mais cette invitation demeure répréhensible, pour les motifs exposés précédemment. [paragraphe 165]


·                J'accepte la version des faits de Mme Raffa en ce qui concerne l'incident lors duquel M. Shek a fait des commentaires sur ses hanches, ainsi que la version des faits présentée par Mme Weber au sujet de l'incident à l'occasion duquel M. Shek a fait des commentaires sur son [TRADUCTION] « cul » . J'accueille également la déposition de Mme Chan, selon laquelle M. Shek lui a déjà dit devant d'autres employés que cela faisait deux ans qu'il souhaitait qu'elle devienne son [TRADUCTION] « amie de coeur » ou qu'elle tentait elle-même de le devenir. [paragraphe 166]

·                J'accueille la déposition des témoins qui travaillaient pour la Banque, selon laquelle M. Shek faisait montre d'une attitude négative, chauvine et inappropriée envers les femmes, qu'il rabaissait ses subordonnés, en particulier Shirley Weber, et qu'il les interrompait de façon inappropriée pendant qu'ils travaillaient. [paragraphe 167]

[23]            En ce qui a concerne la plainte de M. Ali, l'arbitre a jugé que le demandeur avait contrevenu aux lignes directrices sur les conflits d'intérêts établies par la Banque dans ses rapports avec M. Ali. L'arbitre a également constaté que le demandeur avait menti aux représentants de la Banque le 29 mars 1994 en ne leur disant pas qu'il avait rencontré M. Ali le 25 mars précédent. L'arbitre a dit ce qui suit :

·                J'ai aussi constaté qu'avant le 25 mars 1994, M. Shek s'était entendu avec M. Ali pour prendre des arrangements en vue de l'obtention d'une marge de crédit de 50 000 $ pour Ray CPI. Il comptait favoriser ce dénouement en trouvant la garantie requise. [paragraphe 172]

·                M. Shek projetait de trouver une garantie suffisamment importante pour qu'aucun analyste de crédit ne la refuse. En contrepartie, il demandait une part de 50 % dans l'entreprise et un emploi pour son fils, qui serait assorti d'un salaire équivalent à celui de M. Ali ou aux appointements que lui verserait l'entreprise. [paragraphes 172 et 173]

·                Je rejette ses explications [de M. Shek] hétéroclites et incohérentes concernant le fait qu'il n'a pas soulevé cette question devant les représentants de la Banque le 22 ou le 24 mars, ou à tout autre moment après qu'il eut entrepris des discussions avec M. Ali au sujet de l'investissement dans l'entreprise et de l'embauche de son fils. [paragraphe 177]


·                Compte tenu du fait qu'il [M. Shek] n'a parlé de ses discussions avec M. Ali qu'au moment où il n'avait plus le choix de le faire, il se peut qu'il ait évité délibérément de faire allusion à sa rencontre avec M. Ali dans les bureaux de ce dernier afin de ne pas inciter les représentants de la Banque à lui poser des questions qui l'auraient contraint à révéler toute l'entente et la nature de sa participation à la transaction concernant l'entreprise. [paragraphe 178]

[24]            Au sujet de la plainte d'Optiplas, l'arbitre a conclu :

·                La preuve que j'ai devant moi ne me permet pas de conclure que M. Shek a sciemment pris part à une manoeuvre visant à faire entrer au pays des biens de consommation par l'entremise d'Optiplas et suivant un stratagème qui permettrait de se soustraire au paiement des droits de douane et autres taxes exigibles. Je suis toutefois d'accord avec l'avocat de la Banque lorsqu'il affirme que M. Shek n'a pas vu à se renseigner au sujet de ces droits de douane et autres taxes de la façon qu'un directeur de banque prudent aurait vraisemblablement tenté de le faire dans les circonstances, soucieux tel qu'il se doit des apparences. Cela étant dit, il est bien peu probable qu'un directeur de banque aurait participé à de telles manigances. Bien que M. Shek ait payé au client le montant qu'il lui avait réclamé pour l'importation des produits demandés, lequel montant équivalait au prix d'achat de ces produits, ledit client a dû consacrer du temps et des efforts à leur achat et à leur livraison et n'a reçu aucune rémunération en contrepartie, pas plus qu'il n'a été payé pour s'être occupé de faire le paiement initial et de traiter le remboursement. [paragraphe 179]

·                Même si la première importation avait été effectuée dans la foulée d'une proposition de M. Lynes, ce dont je doute plus ou moins, les nombreuses demandes du même ordre que lui a faites M. Shek par la suite représentaient un fardeau pour le client. Si on les ajoute aux demandes concernant l'horloge, le vin pour la réception de Noël et l'utilisation du camion, ces demandes pourraient facilement donner à penser que M. Shek exploitait le fort désir qu'avait le client de plaire au représentant de la Banque envers laquelle il était endetté. [paragraphe 180]

·                Je ne crois pas que les frères Lynes ait confondu une discussion avec M. Shek concernant le recrutement d'investisseurs avec l'offre que leur a faite celui-ci d'investir personnellement dans leur entreprise, pas plus que je ne crois qu'ils aient délibérément menti en affirmant que M. Shek leur avait fait cette offre et qu'ils auraient agi ainsi parce qu'ils étaient mécontents de la façon dont la Banque avait donné suite, par l'entremise de M. Shek, à la demande d'aide financière que Optiplas lui avait présentée à une époque ultérieure où l'entreprise connaissait des difficultés financières. [paragraphe 183]


[25]            En ce qui concerne Turm Construction & Interiors, l'arbitre a statué :

·                Les transactions qu'a faites M. Shek avec M. Sekoulidis révèlent aussi la tendance du premier à exploiter, sciemment ou non, la propension des clients à lui faire des faveurs parce qu'il était le directeur de leur banque. M. Shek semblait penser à ce sujet que ce procédé demeurait acceptable tant et aussi longtemps que les avantages dont lui faisait profiter un client ne devenaient pas trop importants et que ce client ne lui disait pas ouvertement qu'il s'attendait à obtenir lui aussi des faveurs en contrepartie (cela étant, du reste, le seul motif plausible pour lequel ce client accordait lui-même des faveurs à M. Shek). Tant que ces limites n'étaient pas dépassées, la lettre des lignes directrices de la banque était respectée. [paragraphe 186]

·                M. Shek a fait preuve d'une imprudence inouïe lorsqu'il a commandé des meubles pour la succursale sans d'abord s'être entendu avec l'entrepreneur au sujet de leur prix. Évidemment, il prétend qu'on lui avait dit que ce prix serait inférieur à celui exigé par un fabricant de meubles en série. Il est de toute façon curieux de le voir exposer un tel raisonnement puisqu'il avait antérieurement affirmé qu'en l'absence d'une entente écrite, il n'existe aucune obligation légale. Quoi qu'il en soit, compte tenu de la déposition élaborée qu'a faite M. Shek au sujet de la question préliminaire (laquelle concernait le fait que la Banque contrôlait et examinait dans le détail le budget de la succursale et, en particulier, le poste des immobilisations) et de la surveillance étroite à laquelle il fallait soumettre les transactions financières de la succursale, j'ai beaucoup de difficulté à croire que M. Shek pensait que Shirley pouvait payer une facture d'un montant indéterminé en son absence ou que le défaut de paiement ne lui aurait jamais été signalé par la suite. [paragraphe 187]

·                J'en arrive à la conclusion que M. Shek savait lorsqu'il a commandé le support haute fidélité qu'il était peu probable que M. Sekoulidis lui demande de le payer. Je ne crois pas qu'il avait quelque raison objectivement raisonnable de penser que ce meuble lui reviendrait moins cher que l'article d'IKEA au sujet duquel, selon ses propres dires, il avait eu une discussion avec M. Sekoulidis. [paragraphe 188]

·                J'accueille la déposition de M. Sekoulidis voulant que M. Shek lui avait demandé de fabriquer une pièce de mobilier sans avoir discuté au préalable de ce que cela coûterait, que M. Sekoulidis s'est exécuté sans chercher à se faire payer, que l'article qui fut ainsi fabriqué avait une valeur considérable et que M. Shek n'a pas payé cet article ni montré aucune intention en ce sens. [paragraphe 189]

·                J'estime qu'il est vrai que M. Shek a aussi demandé à M. Sekoulidis de lui fabriquer une table à cartes. J'accueille également la déposition de M. Sekoulidis voulant que M. Shek se soit permis de fouiller un peu partout pour trouver des matériaux. Cela illustre à nouveau sa tendance à s'imposer à ses clients. [paragraphe 190]


[26]            Finalement, l'arbitre a dit ce qui suit au sujet de la plainte d'Interline :

·                Le témoignage des dirigeants d'Interline n'a pas corroboré, en dernière analyse, la description qu'ils avaient faite de M. Shek en interrogatoire principal, à savoir un homme qui ne payait jamais ce qu'il achetait, pas même les articles chers. À l'évidence, M. Shek a payé certains de ses achats, et il a des chèques annulés pour le prouver. Il a déclaré, à cet égard, que les articles plus chers (par opposition à de menus articles tels que des vis ou un bâton de colle) qu'il n'avait pas payés lui avaient été donnés en guise de cadeaux. Voilà un fait avéré puisqu'il n'a pas été accusé d'avoir volé quoi que ce soit! Tous les articles qu'il n'a pas payés lui ont été donnés. Il s'agit donc, par définition, de cadeaux. Les points litigieux ici sont les mêmes que dans le cas d'Optiplas, à savoir le nombre de fois qu'il a accepté de tels cadeaux, peu importe leur valeur, et la bonne grâce douteuse avec laquelle il a accepté tous ces cadeaux ainsi que toutes les excuses (tout aussi douteuses) que le client a invoquées pour ne pas que M. Shek le paie. [paragraphe 184]

·                L'avocat de M. Shek a cité d'autres déclarations faisant partie de la preuve et selon lesquelles d'autres clients d'Interline avaient droit au même traitement, du moins en ce qui concerne le non-paiement de menus articles. Ces autres clients étaient des entrepreneurs qui dépensaient beaucoup plus à la quincaillerie que M. Shek. Mais ce dernier n'était pas n'importe quel client. Il était le directeur qui représentait la banque avec laquelle la quincaillerie faisait affaire. Peu importe que les propriétaires de ladite quincaillerie aient agi avec réticence ou non lorsqu'ils accordaient des faveurs à leur directeur de banque, si celui-ci avait été prudent, il se serait inquiété de l'impression que cette situation pouvait créer. De fait, il n'aurait pas accepté autant de cadeaux et il se serait aussi assuré de noter les fois où les propriétaires trouvaient une excuse pour ne pas qu'il paye afin, justement, de régler son dû par la suite. Il aurait également offert de régler tout compte impayé à la première occasion et pas seulement au moment où la Banque a mis fin à son embauche. [paragraphe 185]

LES QUESTIONS EN LITIGE


[27]            Je n'ai pas examiné toutes les questions soulevées par le demandeur. L'avis de requête indique clairement que la décision était contestée pour de nombreux motifs à l'origine. Or, dans certains cas, les questions soulevées ont été abandonnées et, dans d'autres, j'ai décidé qu'elles ne méritaient pas que l'on s'y attarde parce que les prétentions du demandeur étaient difficilement défendables. J'ai donc examiné uniquement les questions qui, à mon avis, pouvaient avoir une incidence sur l'issue de la demande dont je suis saisie.

[28]            Avant d'aborder ces questions, il est utile de placer la présente demande dans le contexte approprié. Cette demande n'est pas un appel. La décision est assujettie à la clause privative contenue à l'article 243 du Code, et les parties conviennent que la norme de contrôle qui s'y applique est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans ce contexte, le demandeur fait valoir que son inconduite n'était pas très grave, que, selon la dernière évaluation, son rendement était satisfaisant, qu'il a admis bon nombre de ses erreurs, qu'il a proposé d'arrêter de boire pendant les lunchs les jours de semaine, que des éléments de preuve favorables et atténuants ayant une incidence sur ses chances de réhabilitation n'ont pas été pris en considération et que, en somme, la décision de maintenir son congédiement au lieu d'y substituer une mesure moins sévère était manifestement déraisonnable.

Alcool et jugement


[29]            Selon le demandeur, l'arbitre a agi de manière manifestement déraisonnable en omettant de mentionner que sa consommation d'alcool n'avait jamais nui à ses rapports quotidiens avec le personnel du bureau du vice-président et du bureau régional de la Banque. Toujours selon le demandeur, l'arbitre aurait dû reconnaître que ses aptitudes professionnelles n'avaient jamais été affectées par sa consommation d'alcool et que les clients de la Banque ne s'étaient jamais plaints de celle-ci.

[30]            Cette prétention ne m'a pas convaincue pas. Je suis certaine que l'arbitre a reconnu que les aptitudes professionnelles du demandeur n'avaient pas été affectées par sa consommation d'alcool lorsqu'il a fait une distinction entre les capacités de gestionnaire du demandeur et ses capacités de banquier et a souligné que ces dernières n'avaient pas été affectées par l'alcool. L'arbitre a d'ailleurs dit à ce sujet :

L'ensemble des témoignages faits par les témoins issus du personnel permettent d'établir que le comportement de M. Shek était considérablement affecté par sa consommation d'alcool au lunch. Bien que rien ne démontre que cela l'ait amené à faire des erreurs de jugement lorsqu'il étudiait des demandes de crédit, cette tâche ne représentait que l'une des fonctions importantes rattachées à son poste. Il était aussi responsable de gérer le personnel de la succursale et d'entretenir la confiance des clients de la Banque. [paragraphe 158]

Fantasmes sexuels

[31]            Le demandeur a dit également que l'arbitre ne disposait pas de preuve lui permettant de conclure qu'il avait réalisé des fantasmes sexuels. Cette conclusion est décrite aux paragraphes 163 et 165.


[32]            Aucune partie n'a présenté de témoin expert qui a expliqué le comportement du demandeur. Par conséquent, l'utilisation, par l'arbitre, de l'expression « fantasmes sexuels » ne peut raisonnablement être interprétée comme une description de l'état mental du demandeur au sens médical. Il ressort clairement de l'ensemble de la décision que ce que l'arbitre voulait dire, c'est qu'il ne croyait pas que le demandeur ait jamais eu l'intention de poursuivre jusqu'au bout ce qu'il proposait. C'est ce qu'illustrent les propos qu'il tient au paragraphe 163 de la décision :

Je suis prêt à reconnaître que M. Shek ne voulait pas vraiment faire passer d'examens cliniques à Mme McGibbon, ni donner la fessée à Andrea Jones, ni soumettre Andrea Jones et Vita Raffa à une fouille à nu, ni encore emmener Susan Howitt chez lui. Il s'agissait de fantasmes. Il se trouvait, de fait, à révéler à des employées qui travaillaient sous ses ordres les fantasmes sexuels qu'elles lui inspiraient.

[33]            À mon avis, la preuve révèle que le demandeur pensait à certaines choses et parlait de les faire. L'utilisation de l'expression « fantasmes sexuels » pour décrire la situation n'est pas manifestement déraisonnable, les pensées étant présentes mais non l'intention de les réaliser.

Inconduite admise - Commentaires concernant la fessée

[34]            Le demandeur a parlé abondamment du fait que l'arbitre n'a pas reconnu qu'il avait admis le caractère inapproprié de sa conduite. Or, dans les faits, il s'est contenté de critiquer l'arbitre pour avoir omis de mentionner qu'il avait reconnu avoir fait des commentaires sur la fessée lors de la première rencontre avec les enquêteurs de la Banque le 24 mars 1994.


[35]            Pour les motifs exposés ci-dessous, j'estime que cette prétention n'a aucun fondement. L'arbitre rappelle, au paragraphe 163 de ses conclusions, que le demandeur a reconnu avoir parlé de la fessée à deux ou trois occasions. Ce sujet est également abordé aux paragraphes 82, 84 et 87 de la partie portant sur l'examen de la preuve, lesquels indiquent clairement que deux des trois enquêteurs de la Banque ont témoigné que le demandeur n'avait jamais nié avoir fait les commentaires sur la fessée. Il est clair également que le demandeur a reconnu devant l'arbitre avoir parlé de fessée lors de la rencontre du 24 mars 1994. À mon avis, il n'y a aucun doute que l'arbitre savait depuis le début que le demandeur avait admis avoir fait ces commentaires.

Rendement satisfaisant

[36]            Le demandeur soutient que l'arbitre n'a pas mentionné que son rendement avait été jugé satisfaisant la dernière fois qu'il avait été évalué avant son congédiement. La question de l'évaluation n'étant pas en litige, l'omission de l'arbitre est compréhensible. Ce qui importe cependant, c'est que l'arbitre a expliqué pourquoi, compte tenu de la période pendant laquelle le demandeur a eu un comportement discutable, il n'y a pas eu de plainte avant mars 1994.

[37]            L'arbitre a écrit ce qui suit à ce sujet aux paragraphes 77 et 78 de la décision :

L'une des questions qui furent posées aux témoins qui étaient membres du personnel de la succursale était celle de savoir pourquoi elles n'avaient pas porté plainte plus tôt, de façon anonyme ou autrement, en se servant des diverses procédures qui étaient prévues dans les politiques de la Banque à cette fin. Certaines d'entre elles ne connaissaient pas ces politiques ou du moins elles ne les connaissaient pas toutes. Celles qui savaient qu'il était possible de faire une plainte de manière anonyme doutaient que leur plainte puisse rester anonyme, et s'inquiétaient de la possibilité que l'on parvienne à en identifier l'auteur. Après avoir admis qu'elle savait qu'elle pouvait déposer une plainte de manière anonyme, Susan Howitt en est astucieusement arrivée à la conclusion que la situation ne pouvait pas être réglée à l'aide d'une telle procédure, que la Banque exigerait des noms avant de prendre des mesures contre le directeur et que celui-ci finirait par apprendre l'identité de ses dénonciateurs. De façon générale, les employés craignaient que le fait de se plaindre pourrait finir par leur nuire, particulièrement si aucune mesure n'était prise dans la foulée du dépôt d'une plainte éventuelle.


Quelques-uns des témoins s'étaient plaints à Shirley Weber, qui était leur supérieur immédiat. Lors de son témoignage, Mme Weber a reconnu qu'elle aurait probablement dû faire plus que réprimander M. Shek de temps à autre. Elle était à l'évidence embêtée et pleine de remords du fait qu'elle ne s'était pas plainte au BVP, tel que sa remplaçante l'avait fait. Elle s'était montrée réticente à se plaindre, a-t-elle dit, parce qu'elle s'était déjà plainte d'un autre directeur et qu'elle avait dû, au bout du compte, continuer à travailler avec lui. Elle craignait qu'encore une fois, personne n'allait l'appuyer dans ses démarches. Elle a dit aux employées plus jeunes qui s'étaient plaintes à elle qu'elles pouvaient, si elles le désiraient, aller voir l'ombudsman de la Banque et elle les a encouragées à le faire. Elle leur a également dit qu'elle ne porterait cependant pas plainte elle-même et elle leur a expliqué ses craintes à ce sujet. Il appert que les employées concernées en sont venues, en règle générale, à partager ces craintes. Naomi Shaw a effectivement déclaré que les employées savaient que l'ombudsman de la Banque renverrait à son bureau toute plainte concernant une succursale qui relevait de ce même bureau, et que celui-ci n'aurait rien pu faire tant et aussi longtemps que les plaignantes ne se seraient pas identifiées.

[38]            Dans ces circonstances, je suis arrivée à la conclusion que le fait que son rendement a été jugé satisfaisant n'aide en rien le demandeur et que l'omission de l'arbitre d'en faire état n'est pas manifestement déraisonnable.

Absence de politique interdisant l'alcool

[39]            Le demandeur a reproché à l'arbitre de ne pas avoir mentionné que les politiques de la Banque n'interdisaient pas la consommation d'alcool lors des repas d'affaires. Or, cette critique n'est pas justifiée puisque l'arbitre décrit, au paragraphe 42 de la décision, le témoignage du demandeur selon lequel la Banque n'avait adopté aucun règlement interdisant la consommation d'alcool. En outre, le problème en l'espèce n'est pas que le demandeur buvait de l'alcool à l'heure du lunch, mais plutôt que sa consommation affectait grandement ses relations avec le personnel. Dans ces circonstances, le fait que la Banque n'a pas expressément interdit l'alcool n'a aucune importance, et rien ne justifiait que l'arbitre traite davantage du sujet.


Offre de cesser de boire

[40]            Le demandeur a fait valoir que l'arbitre aurait dû tenir compte de son [traduction] « offre » d'arrêter de boire aux repas du midi. À cet égard, je constate que l'arbitre rappelle, au paragraphe 42 de la décision, que le demandeur a déclaré, lors de son témoignage, « qu'il n'aurait aucune difficulté à cesser de boire si la Banque le lui demandait » . Plus loin, au paragraphe 160 de ses conclusions, l'arbitre répète la déclaration du demandeur selon laquelle il aurait pu arrêter de boire de l'alcool, et qu'il le pourrait toujours, si la Banque le lui demandait.

[41]            À mes yeux, ces déclarations ne constituent pas réellement une [traduction] « offre » . De toute façon, il me semble évident que l'arbitre n'en a pas tenu compte parce qu'il a conclu que le demandeur n'était pas un bon candidat à la réintégration. Il a écrit aux paragraphes 160 et 203 de la décision :

Dans le présent cas, la dépendance à l'alcool n'est pas présentée comme la cause du fait que M. Shek nie être aux prises avec un problème de consommation excessive d'alcool. Ledit M. Shek affirme qu'il n'est pas un alcoolique et que si la Banque le lui avait demandé, il aurait pu arrêter de prendre de l'alcool, et qu'il le pourrait toujours, ce qui implique qu'il ne juge pas vraiment nécessaire de modifier ses habitudes de consommation. Peut-être croyait-il véritablement à l'époque et croit-il toujours que le fait de prendre de la bière ne pouvait pas l'affecter. Mais je ne suis pas sûr que le manque de jugement et de conscience de soi que cela révèle ne doive moins nous préoccuper, dans le présent contexte, que le mensonge intrinsèquement inouï dont M. Shek nous a gratifié au sujet du fait qu'il était en quelque sorte immunisé contre les effets de la bière. Cela élimine certainement tout espoir en ce qui concerne la possibilité que M. Shek devienne un buveur plus raisonnable ou qu'il réalise davantage la façon dont il se comporte et les effets de ce comportement sur son entourage.


... Cela étant dit, durant les procédures tenues devant moi, M. Shek a entendu exactement les allégations des parties. Il a eu des mois pour préparer sa réplique. Les commentaires qu'il a faits au sujet de certaines des plaintes dont j'ai constaté le bien-fondé étaient détaillés mais aussi très incohérents, même s'il prétendait se souvenir clairement de tout ce qu'il racontait. Soit il déformait délibérément ses souvenirs, soit il souffre d'une perte de contact insidieuse avec la réalité. Peu importe laquelle de ces hypothèses est la bonne, l'une et l'autre dictent que l'on ne réintègre pas M. Shek dans ses anciennes fonctions, ni non plus qu'on le nomme à un poste comparable.

Admission concernant l'existence d'un conflit d'intérêts

[42]            Le demandeur a fait valoir également que l'arbitre aurait dû accorder de l'importance au fait qu'il a reconnu clairement et sans réserve à l'audience qu'il aurait dû signaler ses relations avec M. Ali et qu'il n'avait pas respecté les lignes directrices de la Banque sur les conflits d'intérêts.

[43]            Je ne dispose pas d'une transcription de l'audience. L'arbitre a cependant fait référence au témoignage du demandeur sur ce sujet au paragraphe 125 de la décision :

Lors de son réinterrogatoire, M. Shek a été invité à dire comment il évaluait maintenant la façon dont il s'était comporté durant sa période de suspension. Il a déclaré à cet égard que l'on pouvait voir le tout comme un conflit d'intérêts, mais qu'il ne voyait pas les choses de cette façon à l'époque étant donné qu'il n'y avait pas eu de sollicitation ni d'échange d'avantages. [non souligné dans l'original]


Comme l'arbitre était d'avis que le demandeur avait seulement reconnu que, avec le recul, il « pouvait » y avoir eu un conflit d'intérêts, le fait qu'il n'a pas mentionné ce point dans ses conclusions ou dans la section intitulée « Décision » n'était pas manifestement déraisonnable selon moi. Mais, même si l'arbitre a mal interprété la preuve et que l'admission a été faite sans réserve, cette erreur ne permet pas, à mon avis, de conclure que la décision était manifestement déraisonnable. Avant de passer à un autre sujet, je dois préciser que je n'ai pas tenu compte de l'affidavit signé par le demandeur le 12 septembre 2001, en particulier du paragraphe 52. À mon avis, cet affidavit n'est pas recevable en l'espèce.

Hypothèque de Mme Raffa

[44]            Le demandeur a dit que trois jeunes employées de la succursale, Mmes Vita Raffa, Andrea Jones et Brenda Walker, [traduction] « se sont tournées contre lui » après que la demande d'hypothèque de Mme Raffa eut été refusée et que ce fait n'a pas été pris en considération par l'arbitre. Or, il en est question, à tout le moins en ce qui concerne Mme Raffa, au paragraphe 63 de la décision. L'arbitre a aussi écrit au paragraphe 165 de ses conclusions :

J'accepte la déposition de M. Shek voulant que Vita Raffa ait changé d'attitude envers lui après qu'il eut rejeté sa demande d'hypothèque, cette déposition ayant du reste été corroborée par d'autres témoins.

Je suis convaincue, après avoir examiné les conclusions, que l'arbitre a considéré avec prudence le témoignage de Mme Raffa et n'a tiré aucune conclusion importante en se fondant uniquement sur le témoignage de ses amies.

Délai déraisonnable


[45]            Dans son avis de requête, le demandeur fait valoir que le délai qui s'est écoulé entre les observations finales qui ont été présentées le 31 janvier 2000 et la décision qui a été rendue le 25 juillet 2001 est déraisonnable. Cette question n'a pas été abordée par l'avocat dans sa plaidoirie et n'est pas mentionnée dans le mémoire des faits et du droit du demandeur. Or, comme 18 mois ont été nécessaires à l'arbitre pour rendre sa décision, je pense que cette question doit être examinée. Cela étant dit, je ne suis pas disposée à accueillir la demande pour cette raison étant donné la complexité de l'affaire. Je suis incapable de surcroît de voir quel préjudice le temps qu'il a fallu à l'arbitre pour rendre sa décision a causé au demandeur. Ce dernier a été congédié en 1994 et l'audience s'est terminée en janvier 2000. Dans ces circonstances, il est impossible de conclure qu'une période additionnelle de 18 mois a pu influer sur les chances qu'une décision favorable au demandeur soit rendue.

Cadeaux

[46]            Le demandeur soutient que l'arbitre aurait dû faire référence à la politique de la Banque sur les cadeaux. Selon lui, la preuve n'indiquait pas que des cadeaux ont été donnés en échange d'avantages anticipés.

[47]            La décision de l'arbitre comporte une section intitulée « Les règles de la Banque » (paragraphes 17 à 23). La règle relative aux cadeaux est reproduite au paragraphe 18 :

[traduction] Vous ne devez pas vous servir de votre poste pour obtenir des avantages personnels auprès des personnes qui font affaire ou qui cherchent à faire affaire avec la Banque, et vous ne devez pas accepter non plus de tels avantages s'ils vous sont offerts. Vous pouvez cependant accepter de petits cadeaux (y compris des invitations) si cela s'inscrit dans des pratiques commerciales courantes, est légal et ne déroge pas aux normes d'éthique généralement reconnues, et à condition, aussi, que la divulgation publique de cette situation ne risque pas de mettre dans l'embarras ni la Banque, ni le bénéficiaire du cadeau ou de l'invitation.

En aucun cas un cadeau ne pourra être accepté s'il s'agit d'argent en espèces, d'obligations, de titres négociables, d'un prêt personnel, de billets d'avion, du privilège d'utiliser un maison de villégiature ou un divertissement onéreux.


Si vous n'êtes pas certain qu'il convient d'accepter un cadeau, parlez-en à votre supérieur.

[48]            Le demandeur a raison de dire que l'arbitre n'a fait référence nulle part ailleurs à cette politique. Or, l'arbitre n'y a pas fait référence tout simplement parce que l'affaire dont il était saisi ne portait pas au fond sur la question des cadeaux. La quantité ou la valeur des articles font en sorte qu'il ne s'agit pas de cadeaux et montrent bien, comme l'arbitre l'a écrit au paragraphe 190 de la décision, la tendance préoccupante du demandeur à s'imposer aux clients de la Banque. C'est là sur quoi porte réellement la présente affaire. Il n'était donc pas nécessaire que l'arbitre prenne en considération la politique de la Banque sur les cadeaux.

CONCLUSION

[49]            J'estime que l'arbitre a rendu une décision détaillée et impartiale et qu'il pouvait tirer les conclusions auxquelles il est arrivé sur les questions de fait et de crédibilité. Je ne vois aucune raison de conclure que la décision est manifestement déraisonnable. Par conséquent, la demande a été rejetée par ordonnance en date du 22 décembre 2004.

                                                                          « Sandra J. Simpson »                     

                                                                                                     Juge                                  

Ottawa (Ontario)

Le 6 janvier 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-1492-01

INTITULÉ :                                                                WILLIAM SHEK

c.

LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE MERCREDI 23 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 6 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

David Harris                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Martin Sclisizzi                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Harris                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Borden Ladner Gervais LLP                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 20040623

                            Dossier : T-149201

ENTRE :

WILLIAM SHEK

                                          demandeur

- et -

LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

                                      défenderesse

                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                              


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.