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Date : 20210217


Dossier : T‑408‑20

Référence : 2021 CF 156

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

HIDDEN BENCH VINEYARDS & WINERY INC.

demanderesse

et

LOCUST LANE ESTATE WINERY CORP.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les parties en cause l’espèce sont deux entreprises qui exploitent des vignobles sur des propriétés adjacentes situées sur la route Locust Lane, à Beamsville (Ontario). La demanderesse Hidden Bench Vineyards & Winery Inc. [Hidden Bench], qui exerce ses activités depuis 2003, vend un éventail de vins (et de services connexes), dont certains sont étiquetés et commercialisés d’une façon qui utilise les mots « Locust Lane ». La défenderesse, Locust Lane Estate Winery Corp. [LLEW], a fondé son vignoble en 2019 et utilise le nom Locust Lane Estate Winery pour l’étiquetage et pour la commercialisation de ses vins et services connexes.

[2] Par conséquent, Hidden Bench a présenté la demande en l’espèce en vue d’obtenir une déclaration selon laquelle elle est propriétaire de la marque de commerce non déposée LOCUST LANE, et diverses formes de réparation pour la commercialisation trompeuse à laquelle se serait livrée LLEW, en contravention des alinéas 7b) et c) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi]. La présente décision porte sur la demande présentée par Hidden Bench.

[3] Comme il sera expliqué de façon plus détaillée ci‑dessous, la présente demande est rejetée, car Hidden Bench n’a pas répondu au critère applicable à l’établissement d’une cause d’action au titre des alinéas 7b) ou 7c) de la Loi.

II. Contexte

A. Hidden Bench Vineyards & Wineries Inc.

[4] Hidden Bench est une société constituée en personne morale en vertu des lois de la province de l’Ontario, fondée en 2003 par M. Harald Thiel, son président et directeur, qui a fait une déclaration solennelle et a été contre‑interrogé lors de la présente instance. Hidden Bench est propriétaire de trois vignobles à Beamsville (Ontario) : le vignoble Rosomel, situé au 4088, rue King, le vignoble Felseck, situé au 4147, Locust Lane, et le vignoble Locust Lane, situé au 4152, Locust Lane.

[5] Hidden Bench élabore différents styles de vins, y compris du rosé, du pinot noir, du viognier et du riesling, tous faits à partir de raisins récoltés sur les trois vignobles de la société et certifiés biologiques. Le vignoble fait tous ses vins sur place et les vend d’un bout à l’autre du Canada et à l’échelle internationale. Hidden Bench offre aussi des dégustations de vin sur place et exploite un magasin de détail, situé au 4152, Locust Lane, ainsi qu’un magasin en ligne et des clubs d’amateurs de vins. Elle affirme avoir employé continuellement et fréquemment la marque LOCUST LANE en liaison avec ses services de vignoble depuis le début de l’année 2003 au moins, et en liaison avec des produits étant des boissons alcoolisées, y compris du vin, depuis le début de 2005.

[6] L’étiquette de certains vins du portefeuille de Hidden Bench porte les mots « Locust Lane ». Des exemples de ces étiquettes de bouteille de vin (recto et verso) sont présentés ci‑dessous (même si la Cour ne peut pas confirmer, selon les éléments de preuve, que les exemples ci‑dessous du recto et du verso des étiquettes du vin Locust Lane Rosé visent le même millésime) :

[7] Hidden Bench utilise aussi les mots « Locust Lane » dans son site Web « www.hiddenbench.com », qu’elle tient à jour depuis 2006 au moins, et dans le cadre d’autres activités de marketing. Ces éléments feront l’objet d’un examen plus approfondi plus loin dans les présents motifs. Hidden Bench vend son vin par l’intermédiaire de régies des alcools provinciales, comme la Régie des alcools de l’Ontario, ainsi que d’hôtels, de restaurants, de lieux, de son site Web et du magasin de détail situé sur sa propriété. Tous ses vins ont été approuvés et certifiés par la société Vintners Quality Alliance Ontario [VQA], une certification qui vise à garantir l’intégrité de la vinification et de l’étiquetage, et qui donne le droit d’utiliser le logo de VQA sur les étiquettes et les bouchons des bouteilles de vin.

[8] De 2006 à 2019, les ventes de vins portant la marque LOCUST LANE, comme M. Thiel les désigne, ont franchi le cap des 2,4 millions de dollars. La moitié des ventes de vins de Hidden Bench environ s’effectuent par l’intermédiaire de son magasin de détail situé sur sa propriété.

B. Locust Lane Estate Winery Corp.

[9] En 2019, Michael Sannella, Frank Mondelli et Douglas Wheler [les investisseurs] ont acheté une propriété située au 4041, Locust Lane, à Beamsville, en Ontario (adjacente à la propriété de Hidden Bench), sur laquelle on trouvait déjà un vignoble, un magasin de détail et un centre de dégustation. M. Sannella a fait une déclaration solennelle et a été contre‑interrogé lors de la présente instance. La propriété achetée était l’ancien vignoble Mike Weir, qui se trouvait sous séquestre. Les investisseurs ont embauché Jeff Innes, qui avait déjà participé à la fabrication de vins à la propriété, afin qu’il devienne leur vinificateur. Avec l’aide de M. Innes, ils ont élaboré un plan afin de réorganiser la propriété, et de replanter et d’élargir ses plantations de raisins.

[10] La défenderesse a été constituée en personne morale le 26 août 2019 en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, LRO 1990, c B 16, sous le nom Locust Lane Estate Winery Corp. M. Sannella indique dans sa déclaration solennelle que les investisseurs ont donné à l’entreprise le nom de la route sur laquelle la propriété est située, elle‑même nommée à cause des robiniers qui agrémentent la région.

[11] Avant de constituer l’entreprise en personne morale, les investisseurs ont effectué une recherche dans le Système informatisé pour la recherche de dénominations sociales et de marques de commerce [NUANS], le 26 août 2019, qui a indiqué qu’aucune société active en Ontario ne portait le nom « Locust Lane ». Un rapport du NUANS a également indiqué que la classe 33 de la classification de Nice, soit la classe de produits à laquelle les vins et spiritueux appartiennent, ne contenait aucune marque de commerce portant les mots « Locust » ou « Locust Lane ».

[12] À la suite de sa constitution en personne morale, LLEW a présenté plusieurs demandes de permis auprès des gouvernements de l’Ontario et du Canada, qui lui ont été délivrés par la suite afin d’exploiter son vignoble. Comme je l’expliquerai sous peu, Hidden Bench a envoyé, en janvier 2020, une mise en demeure à LLEW afin de l’informer de droits allégués à l’égard de la marque LOCUST LANE. Avant de recevoir cet avis, LLEW avait présenté une demande de licence de fabricants, une licence de transformateur de raisins et une licence pour les droits d’accise. Les demandes pour ses autres licences ont été présentées après que la société a reçu la mise en demeure. Le 14 novembre 2019, LLEW a enregistré le nom de domaine « locustlanewines.com », qu’elle utilise pour son site Web.

[13] LLEW a travaillé avec un designer graphique afin de créer les étiquettes et la marque associées à ses vins. Le 23 décembre 2019 ou avant cette date, elle a installé une affiche à l’entrée de sa propriété, sur laquelle on pouvait voir un arbre stylisé et les mots « Locust Lane Estate Winery ». Voici ce à quoi cette affiche ressemblait :

[14] Vers le mois d’avril 2020, LLEW a adopté la version suivante de sa marque, qui présente une « empreinte » d’arbre stylisée et les mots « Locust Lane Estate Winery » :

[15] Une nouvelle affiche, qui utilisait l’« empreinte » d’arbre stylisé et les mots « Locust Lane Estate Winery », a été installée à l’entrée du vignoble en juin 2020, et ressemblait à ceci :

[16] LLEW avait l’intention d’ouvrir et de commencer à vendre son vin à son magasin de détail situé sur sa propriété en mai 2020, mais ces plans ont été reportés à cause de la pandémie de COVID‑19. Elle a commencé à produire et à embouteiller son vin en juillet 2020, et a commencé à vendre des produits viticoles en août 2020. Le lancement initial de vins de LLEW comprenait des vins finis provenant de sources diverses, y compris du jus acheté et des vins produits à partir des vignes que l’on trouve sur la propriété. Une version de sa marque, qui utilise une « empreinte » d’arbre stylisée et les mots « Locust Lane Estate Winery », est affichée sur les étiquettes de ses bouteilles de vin. Voici des exemples des étiquettes affichées sur le devant et au dos des bouteilles de LLEW :

[17] LLEW vend ses vins par l’intermédiaire de son magasin de détail situé sur sa propriété, ainsi qu’à des restaurants, des centres d’événements et des terrains de golf. Entre le 1er août et le 30 septembre 2020, les revenus issus de ses ventes de vin s’élevaient à 63 284,44 $ (taxe de vente harmonisée exclue). LLEW fournit aussi des services de vignoble et viticoles, y compris des dégustations de vin, des services de restauration, des événements en personne, et une expansion proposée en vue d’offrir du camping de luxe.

C. Événements menant à l’audition de la demande en l’espèce

[18] Hidden Bench a appris l’existence du vignoble de LLEW dans un gazouillis publié le 23 décembre 2020 par Rick VanSickle, journaliste à Wines in Niagara. Le gazouillis, qui présentait le vignoble, était accompagné d’une photo de l’affiche de LLEW. Hidden Bench a également appris l’existence du domaine « locustlanewines.com » de LLEW en décembre 2019.

[19] Le 6 janvier 2020, l’avocat de Hidden Bench a envoyé une lettre à M. Sannella, dans laquelle il lui faisait part de sa préoccupation à l’égard du fait que l’emploi de la marque LOCUST LANE par la défenderesse porterait probablement le public à croire à tort que Hidden Bench est la source des produits et services de LLEW. Dans la lettre, on demandait à LLEW de cesser toute utilisation des mots LOCUST LANE en liaison avec tout produit et service et de s’engager par écrit à s’abstenir de mener de telles activités à l’avenir.

[20] Le 31 janvier 2020, Hidden Bench a présenté la demande de marque de commerce no 2009369 à l’égard de la marque LOCUST LANE afin de l’utiliser en liaison avec du vin.

[21] À la suite d’une conversation entre M. Thiel et M. Sannella, le 3 février 2020 ou vers cette date, l’avocat de Hidden Bench a envoyé à LLEW une autre lettre, le 4 février 2020, dans laquelle il alléguait que son emploi de la marque LOCUST LANE constituait une commercialisation trompeuse allant à l’encontre de la common law et de l’alinéa 7b) de la Loi. Dans cette lettre, on demandait entre autres à LLEW de cesser d’employer la marque LOCUST LANE et d’annuler l’enregistrement du domaine « locustlanewines.com ».

[22] Étant donné que LLEW ne s’est pas pliée à cette demande, Hidden Bench a présenté un avis de demande, le 23 mars 2020, qui a enclenché la présente demande de réparation en vertu de la Loi et vise à obtenir les réparations suivantes :

  • A) une déclaration selon laquelle : i) Hidden Bench est propriétaire de la marque de commerce LOCUST LANE; ii) LLEW a appelé l’attention sur son site Web, ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de Hidden Bench, contrairement à la loi et à l’alinéa 7b) de la Loi; et iii) LLEW a fait passer ses produits, ses services ou son entreprise en lien avec la marque LOCUST LANE et le nom de domaine locustlanewines.com pour ceux de Hidden Bench, contrairement à la loi et à l’alinéa 7c) de Loi;

  • B) une injonction connexe et une ordonnance contraignant la défenderesse à lui remettre ou à détruire les marchandises visées par l’injonction;

  • C) une ordonnance demandant à LLEW de transférer à Hidden Bench l’enregistrement du nom de domaine « locustlanewines.com »;

  • D) des dommages‑intérêts ou, subsidiairement, la comptabilisation des profits;

  • E) des dommages‑intérêts punitifs et exemplaires;

  • F) des intérêts et les dépens avant jugement.

[23] Les parties ont échangé des documents, y compris des déclarations solennelles, et procédé à plusieurs contre‑interrogatoires à leur sujet. L’audition de l’affaire en l’espèce a été tenue par vidéoconférence, par l’intermédiaire de la plateforme Zoom, le 27 janvier 2021.

III. LES QUESTIONS EN LITIGE

[24] Dans son mémoire des faits et du droit, Hidden Bench a exposé les questions en litige en l’espèce comme suit :

  • A) L’emploi, par LLEW, de la marque LOCUST LANE de Hidden Bench fait passer les produits, les services et l’entreprise de LLEW pour ceux de Hidden Bench et déprécie la valeur de l’achalandage pour la marque LOCUST LANE de Hidden Bench;

  • B) LLEW a appelé l’attention sur son site Web, sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de Hidden Bench;

  • C) Hidden Bench est en droit d’obtenir une injonction, ainsi que la remise ou la destruction des marchandises visées par l’injonction;

  • D) Hidden Bench est en droit d’obtenir une réparation pécuniaire.

[25] LLEW expose plutôt les questions en litige comme suit :

  • A) Hidden Bench a‑t‑elle établi qu’elle possède une marque de commerce valable à l’égard du nom géographique « Locust Lane »?

  • B) LLEW a‑elle a appelé l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de Hidden Bench, en violation de la common law et de l’alinéa 7b) de la Loi?

  • C) LLEW a‑elle fait passer ses produits ou services pour ceux qui ont été commandés ou demandés, contrairement à l’alinéa 7c) de la Loi?

  • D) Hidden Bench a‑t‑elle droit à toute réparation demandée dans son avis de demande?

[26] Pour les motifs qui seront expliqués ci‑dessous dans mon analyse des questions en litige en l’espèce, je choisis l’exposition des questions en litige faite par LLEW et j’utiliserai ces questions en tant que cadre pour répondre à cette demande.

IV. Analyse

A. Hidden Bench a‑t‑elle établi qu’elle possède une marque de commerce valable à l’égard du nom géographique Locust Lane?

[27] Afin de répondre à la première question, je dois expliquer une divergence dans les positions des parties en ce qui concerne la nature de la cause d’action fondée sur les alinéas 7b) et c) de la Loi. Il est acquis que la demande présentée par Hidden Bench invoque des causes d’action fondée sur les alinéas 7b) et c). Les parties sont toutefois en désaccord en ce qui concerne les éléments à établir en vertu de chacun de ces alinéas. Par souci de commodité, je reproduis les dispositions en question :

7 Nul ne peut

7 No person shall

[…]

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

....

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

c) faire passer d’autres produits ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés

[…]

(c) pass off other goods or services as and for those ordered or requested; or

….

 

[28] Hidden Bench fait valoir que l’alinéa 7c) est une codification de la cause d’action prévue par la common law pour la commercialisation trompeuse, dont les trois éléments essentiels sont : a) l’existence d’un achalandage; b) le fait de tromper le public par une présentation erronée; et c) des dommages réels ou éventuels pour la demanderesse. Elle soutient que l’alinéa 7b) représente une cause d’action distincte, qui n’exige qu’une preuve de confusion.

[29] LLEW fait valoir que c’est l’alinéa 7b), et pas 7c), qui codifie la cause d’action prévue par la common law. Elle convient de l’exposition faite par Hidden Bench des trois éléments de cette cause d’action, mais elle soutient que la présentation d’une demande fondée sur l’alinéa 7b) exige aussi que le demandeur réponde à l’exigence minimale de la question, soit de prouver qu’il possède une marque de commerce valable. Hidden Bench soutient qu’aucune exigence minimale de ce genre n’existe.

[30] LLEW soutient que l’alinéa 7c) représente une codification de l’action pour commercialisation trompeuse fondée sur la common law. Elle s’appuie sur l’explication de cette action faite par le juge Boswell dans la décision Diageo Canada Inc c Heaven Hill Distilleries Inc, 2017 CF 571 [Diageo], au paragraphe 97 :

97. Dans Distrimedic inc. c. Dispill inc., 2006 CF 1229, 301 FTR 52, notre Cour a souligné ce qui suit :

[67] La cause d’action que décrit l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce est la codification de l’action pour commercialisation trompeuse fondée sur la common law (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, op. cit., page 4‑15).

[68] Toute action fondée sur l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce doit répondre aux conditions suivantes :

[traduction] […] Il y a commercialisation trompeuse lorsque, en réponse à une commande visant manifestement les marchandises de la partie demanderesse, la partie défenderesse, sans fournir la moindre explication, envoie des marchandises correspondantes, fabriquées par elle ou par quelqu’un d’autre, sans chercher à savoir si la personne ayant passé la commande entendait effectivement obtenir les marchandises de la partie demanderesse, ou simplement des marchandises équivalentes. Cependant, pour établir qu’il y a substitution frauduleuse pour commercialisation trompeuse, il faut que la commande ait clairement prévu la livraison des marchandises de la partie demanderesse et aucune autre. Il doit être clair que le détaillant a été informé des articles effectivement demandés, et que d’autres marchandises ont été substituées à celles qui avaient été commandées. Il n’y a pas substitution abusive de marchandises ou de services si l’acheteur est prévenu que les marchandises ou services commandés ne sont pas disponibles et qu’il accepte qu’on lui en livre d’autres. (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, op. cit., page 4‑16)

[31] Je souscris à la position de LLEW en ce qui concerne la nature d’une demande présentée au titre de l’alinéa 7c). Comme il est aussi indiqué dans la décision Diaego (au para 98), la Cour d’appel fédérale a affirmé, dans l’arrêt Albian Sands Energy Inc. c. Positive Attitude Safety System Inc., 2005 CAF 332, au paragraphe 34, qu’il ne peut y avoir violation de l’alinéa 7c) que dans le cadre d’une substitution des marchandises ou des services d’un commerçant à ceux qui sont commandés ou demandés.

[32] Je souscris également aux positions suivantes de LLEW : a) c’est l’alinéa 7c) qui codifie l’action pour commercialisation trompeuse fondée sur la common law; et b) quand un demandeur invoque cette cause d’action par l’intermédiaire de la formulation législative prévue à l’alinéa 7b), il doit satisfaire à une exigence minimale supplémentaire selon laquelle il doit prouver qu’il possède une marque de commerce valable. Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nissan Canada Inc. c BMW Canada Inc., 2007 CAF 255 [Nissan], au paragraphe 14 :

14. L’alinéa 7b) de la Loi prévoit que nul ne peut appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion, lorsqu’il commence l’activité en cause, avec ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre. Comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2004] 2 R.C.F. 241, à la page 245, 2003 CAF 297, confirmé par 2005 CSC 65 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 302, l’alinéa 7b) est l’expression légale correspondant au délit de commercialisation trompeuse existant en common law à une exception près : pour se prévaloir de cet alinéa, un plaignant doit prouver qu’il possède une marque de commerce valide opposable, déposée ou non.

[33] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a confirmé cette exigence minimale dans l’arrêt Sandhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd., 2019 CAF 295 [Sandhu Singh], au paragraphe 39, en faisant remarquer que l’exigence est tirée des limites constitutionnelles de la compétence fédérale en ce qui concerne les marques de commerce.

[34] Je me penche donc sur cette exigence minimale, soit de savoir si Hidden Bench avait établi qu’elle possède une marque de commerce valable pour les mots « Locust Lane ». Il faut donc se pencher sur le sens de cette exigence. LLEW fait valoir que cette exigence fait appel à l’un de ces arguments principaux en l’espèce, soit que les mots « Locust Lane » représentent une référence descriptive claire, qui indique l’emplacement géographique de l’un des vignobles de Hidden Bench et, en particulier, la route sur laquelle les vignobles des deux parties sont situés.

[35] LLEW soutient que, dans pratiquement tous les cas, Hidden Bench a utilisé ces mots en tant que description, et pas comme marque de commerce. Elle soutient aussi qu’Hidden Bench n’a pas prouvé qu’elle possède des droits conférés par une marque de commerce valable pour les mots « Locust Lane », peu importe si elle entend les utiliser en tant que description ou marque de commerce, parce qu’ils forment un nom descriptif sur le plan géographique. LLEW fait valoir que les noms géographiques ne sont pas intrinsèquement distinctifs et qu’en l’absence d’éléments de preuve suffisants pour établir que les mots « Locust Lane » ont acquis un caractère distinctif, ils ne constituent pas une marque de commerce valable.

[36] Hidden Bench n’a rien fait valoir en ce qui concerne le sens de l’exigence minimale. Elle soutient plutôt, tel qu’il a été mentionné précédemment, que l’exigence n’existe pas. Même si j’ai conclu que la position de Hidden Bench sur ce point est infondée, je ne suis pas en mesure d’accepter la position de LLEW dans son ensemble en ce qui concerne l’exigence minimale requise, soit la possession d’une marque de commerce valable.

[37] La définition de « marque de commerce » se trouve à l’article 2 de la Loi :

marque de commerce Selon le cas :

trademark means

a) signe ou combinaison de signes qui est employé par une personne ou que celle‑ci projette d’employer pour distinguer, ou de façon à distinguer, ses produits ou services de ceux d’autres personnes;

(a) a sign or combination of signs that is used or proposed to be used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish their goods or services from those of others, or

b) marque de certification.

(b) a certification mark;

[38] Cette définition renvoie à l’emploi d’une marque de commerce qui, en vertu de la définition du terme « emploi » à l’article 2, est réputée employée par les dispositions suivantes à l’article 4 :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4 (1) A trademark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

Idem

Idem

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(2) A trademark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

Emploi pour exportation

Use by export

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des produits ou sur les emballages qui les contiennent est réputée, quand ces produits sont exportés du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces produits.

(3) A trademark that is marked in Canada on goods or on the packages in which they are contained is, when the goods are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those goods.

[39] Dans le contexte de cette définition, il est utile de revenir à l’explication de l’exigence minimale faite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nissan. Cette affaire portait sur des demandes présentées au titre de la Loi, y compris une demande présentée au titre de l’alinéa 7b) à l’égard des marques non déposées M et M6, qui, au moment du procès, faisaient l’objet de demandes d’enregistrement par la plaignante, BMW. Après avoir indiqué que la première question à trancher était de déterminer si les éléments de preuve permettaient de conclure que BMW possédait des marques de commerce valables pour les marques non déposées M et M6, la Cour d’appel a expliqué en ces termes l’analyse requise (aux para 16 à 18) :

16. L’expression « marque de commerce », selon la définition de l’article 2 de la Loi, exige qu’une marque soit employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres. Ainsi, il faut, pour obtenir des droits quant à des marques de commerce, que la marque de commerce soit « employée » par la personne pour distinguer ses marchandises ou ses services des marchandises ou de services d’autres personnes. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré, « le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable » : arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 5.

17. Les termes « emploi » ou « usage » sont définis dans la Loi. L’article 2 prévoit qu’ils signifient, à l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services. Il y a en cause les automobiles, les pièces et les accessoires BMW et, ainsi, nous traitons de marchandises, et non de services.

18. Selon le paragraphe 4(1) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[40] Après avoir analysé les éléments de preuve, la Cour d’appel a conclu (au para 29) qu’il n’existait pas une preuve établissant l’emploi des marques au sens de la Loi, sur laquelle le juge de première instance pouvait s’appuyer pour conclure que ces marques étaient des marques de commerce non déposées au sens de l’article 2 de la Loi aux fins d’une allégation de commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b) de la Loi.

[41] À la lumière de cette jurisprudence, je ne suis pas en mesure de souscrire à l’opinion de LLEW selon laquelle Hidden Bench est tenue de prouver que sa marque alléguée a acquis un caractère distinctif afin qu’elle puisse représenter une marque de commerce valable. Plus précisément, la suffisance de la preuve requise pour établir le caractère distinctif acquis est une question en l’espèce qui porte sur les éléments d’une action pour commercialisation trompeuse, qui feront l’objet d’un examen approfondi plus loin dans les présents motifs. Je suis toutefois en désaccord avec la position de LLEW selon laquelle le caractère distinctif acquis constitue une exigence à laquelle il faut satisfaire en ce qui concerne la question de l’exigence minimale.

[42] Même si la Cour ne définit pas expressément dans l’arrêt Nissan les éléments requis pour rendre une marque de commerce valable, elle analyse cette exigence en vue de déterminer si la marque de commerce alléguée a été employée, au sens de l’article 4 de la Loi, de manière à constituer une marque de commerce au sens de l’article 2. LLEW n’a renvoyé la Cour à aucune jurisprudence qui analyse cette exigence en ce qui concerne le caractère distinctif d’une marque de commerce alléguée.

[43] Je prends aussi en considération la conclusion selon laquelle le caractère distinctif acquis ne fait pas partie de l’exigence minimale est étayée par le libellé de l’article 12 de la Loi. Cette disposition prescrit les exigences auxquelles il faut satisfaire pour qu’une marque de commerce soit enregistrable. La jurisprudence sur le caractère enregistrable au sens de l’article 12 appuie la thèse selon laquelle les descriptions géographiques ne possèdent aucun caractère distinctif et ne devraient pas se voir accorder une protection étendue sauf si elles ont acquis un caractère distinctif au fil du temps. À titre d’exemple, dans la décision Carling Breweries Ltd v Molson Cos, [1984] 2 FC 920 [Carling], la Cour a expliqué le fonctionnement des dispositions pertinentes (qui se trouvaient à ce moment à l’alinéa 12(1)b) et au paragraphe 12(2), comme suit (au para 7) :

[traduction]

7 (2) Alinéa 12(1)b) et paragraphe 12(2) — Ces dispositions sont libellées ainsi :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

[…]

(2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.

Il est reconnu que la marque « Canadian » décrit maintenant clairement le lieu d’origine de la bière brassée au Canada. Ainsi, la marque n’est pas enregistrable à première vue, à moins d’être visée par l’application du paragraphe 12(2) au motif que les défenderesses l’ont tellement utilisée qu’elle est devenue un élément distinctif de leur produit à la date du dépôt d’une demande pour son enregistrement, soit le 10 décembre 1971.

[44] Je suis conscient du fait que l’article 12 et le caractère enregistrable en général ne sont pas en litige en l’espèce. Toutefois, le paragraphe 12(1) utilise le terme défini « marque de commerce » et impose ensuite des restrictions sur le caractère enregistrable de certaines marques de commerce. Ce libellé donne à penser que, même s’il est nécessaire d’avoir acquis un caractère distinctif pour invoquer le paragraphe 12(2)[ou la disposition semblable que l’on trouve maintenant plutôt au paragraphe 12(3)] et surmonter l’effet de l’alinéa 12(1)b) de manière à permettre l’enregistrement d’une marque de commerce distinctive, rien n’empêche l’existence d’une marque de commerce au sens de l’article 2.

[45] Autrement dit, en l’absence de caractère distinctif, une marque de commerce n’a droit qu’à une protection minime. Toutefois, si une marque correspond à la définition prévue dans la loi, y compris afin de différencier des produits et services de ceux des autres (ce qui comprend l’exigence de montrer l’emploi de la marque de commerce au sens de l’article 4), la question de l’exigence minimale est tranchée et l’analyse passe à l’examen des trois éléments d’une action pour commercialisation trompeuse fondée sur la common law.

[46] Le dernier point à examiner en ce qui concerne la question de l’exigence minimale est l’argument avancé par LLEW selon lequel, dans pratiquement tous les cas, Hidden Bench a utilisé ces mots en tant que description, et pas comme marque de commerce. Cet argument est différent de la position de LLEW selon laquelle la marque alléguée n’a pas acquis un caractère distinctif suffisant et, selon moi, il fait entrer en jeu la question de l’exigence minimale, qui vise à savoir si Hidden Bench a utilisé la marque alléguée en tant que marque de commerce.

[47] LLEW soutient que les étiquettes de bouteille de vin de Hidden Bench affichent les mots « Locust Lane » de l’une de deux façons. En ce qui concerne les vins faits exclusivement à partie de raisins cultivés au vignoble Locust Lane de Hidden Bench, l’étiquette affiche les mots « Locust Lane Vineyard ». La deuxième façon dont les mots sont utilisés sur les étiquettes est liée à un vin rosé produit par Hidden Bench, qui n’est pas fait exclusivement à partir de raisins provenant du vignoble Locust Lane. Étant donné que ce vin est fait à partir de raisins qui proviennent des trois vignobles de Hidden Bench, l’étiquette n’affiche pas les mots « Locust Lane Vineyard ». L’étiquette renvoie toutefois au vin sous le nom « Locust Lane Rosé ». Voici des exemples de chacune des deux façons dont les étiquettes affichent les mots « Locust Lane ».

[48] Dans le cadre de mon examen de la preuve, j’ai également relevé des exemples où l’étiquette posée à l’arrière de la bouteille de vin comprend les mots Locust Lane, qui renvoient au vignoble Locust Lane, mais sans utiliser le style complet de Locust Lane Vineyard. À titre d’exemple, l’étiquette posée à l’arrière de la bouteille du pinot noir 2005 contient une description du vin, y compris la phrase « The vines are carefully pruned to allow only the finest grapes from the Romosel and Locust Lane vineyards to mature to harvest » (traduction : les vignes sont taillées avec soin afin de permettre aux meilleurs raisins seulement des vignobles Romosel et Locust Lane de mûrir jusqu’à leur récolte). Voici cette étiquette :

[49] Hidden Bench fait aussi remarquer que les mots « Locust Lane » sont également utilisés dans ce qu’elle appelle ses [traduction] « notes de dégustation », qui sont affichées dans son site Web depuis 2006 au moins. Ces documents présentent de l’information sur chacun des vins. En plus de montrer une copie de l’étiquette pour le vin pertinent, certains de ces documents renvoient au vin d’une manière qui utilise les mots « Locust Lane ». À titre d’exemple, les notes de dégustation pour le rosé 2005 font référence à ce vin sous le nom de « 2012 Locust Lane Rosé », celles pour le viognier 2012, sous le nom de « 2012 Locust Lane Viognier », et celles pour le pinot noir 2012, sous le nom de « 2012 Locust Lane Pinot Noir ». D’autres millésimes de ces cépages sont identifiés de façon similaire.

[50] Je mentionne aussi que l’on trouve des références similaires dans ce qui semble être la partie destinée aux ventes en ligne du site Web de Hidden Bench, où l’on fait par exemple référence au « 2012 Locust Lane Pinot Noir ».

[51] Hidden Bench structure ses revendications en indiquant qu’elles sont liées à la marque LOCUST LANE, qui correspond à la façon dont elle a stylisé la marque de commerce pour laquelle elle demande l’enregistrement. La preuve indique toutefois que Hidden Bench utilise principalement (mais pas exclusivement) les mots « Locust Lane » dans un ensemble de mots élargi. L’étiquette arrière pour le pinot noir 2005 (affichée ci‑dessus) montre un exemple où les mots « Locust Lane » sont utilisés seuls, mais dans la phrase d’un texte. Autrement, comme il est expliqué ci‑dessus, on trouve ces mots sur les étiquettes dans les expressions plus longues « Locust Lane Vineyard » ou « Locust Lane Rosé ». De même, on trouve ces mots dans les notes de dégustation et les renvois dans le site Web dans des expressions plus longues comme « 2012 Locust Lane Pinot Noir ».

[52] Ce point est important, car étant donné que les revendications de Hidden Bench sont entièrement liées à des marques non déposées, elle ne peut que faire valoir les marques de commerce qu’elle avait effectivement employées (voir Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 [Masterpiece] au para 60). En outre, chaque marque qui avait été utilisée pourrait devoir être examinée séparément, du moins pour des parties de l’analyse à mener en vue d’évaluer une demande présentée au titre de l’alinéa 7b) de la Loi. Comme il a été expliqué dans l’arrêt Masterpiece, dans une analyse relative à la confusion, des facteurs comme le degré de ressemblance entre les marques peuvent devoir être évalués séparément pour chaque marque (au para 45), tandis que le degré de ressemblance doit être évalué en n’examinant que les caractéristiques qui définissent la marque de commerce pertinente en soi (au para 61). Par conséquent, même si l’on tient toujours compte de la question de l’exigence minimale afin de déterminer si Hidden Bench possède une marque valable (et, en particulier, si celle‑ci a été utilisée au sens de l’article 4), je crois qu’il est important d’approcher l’analyse en prenant en considération les combinaisons particulières de mots (et donc, possiblement, des marques de commerce différentes) indiquées dans la preuve.

[53] À l’appui de sa position sur la question de l’exigence minimale, selon laquelle Hidden Bench a utilisé ces mots en tant que descripteurs et pas en tant que marque de commerce, LLEW insiste sur le fait que les mots « Locust Lane » renvoient au nom de la route sur laquelle Hidden Bench est située et au nom de l’un de ses vignobles. LLEW se fonde aussi sur la manière dont Hidden Bench a identifié ses marques dans les demandes de certification qu’elle a présentées à VQA. Même si les formulaires de demande pertinents permettent d’identifier plus d’une marque pour un vin donné, les approbations et les certificats d’origine délivrés par VQA à Hidden Bench [les certificats de la VQA] identifient la marque de Hidden Bench sous le nom « Hidden Bench Vineyards & Winery » seulement. Il semble que, dans le cas des vins faits uniquement à partir de raisins du vignoble Locust Lane, les certificats de VQA utilisent les mots « Locust Lane » seulement dans le champ du nom, où il est indiqué « Nom du vignoble : Locust Lane Vineyard », ou « Nom du vignoble : Locust Lane ». En ce qui concerne le rosé, les certificats de VQA indiquent le nom Locust Lane Rosé dans le champ d’étiquetage lié au nom de propriétaire.

[54] J’accepte que la preuve entourant les certificats de VQA soit possiblement pertinente pour la question de savoir si Hidden Bench utilise les mots « Locust Lane » en tant que marque de commerce. Toutefois, à mon avis, cette preuve n’est pas d’une aide particulière pour LLEW. Concentrons‑nous d’abord sur le rosé : même si les mots Locust Lane ne sont pas indiqués dans le champ de la marque, la référence à « Locust Lane Rosé » en tant que nom de propriétaire sous‑entend une utilisation visant à différencier le produit de celui des autres, c’est‑à‑dire l’emploi d’une marque de commerce. Cette conclusion est conforme à la manière dont les mots Locust Lane sont utilisés sur les étiquettes elles‑mêmes dans le nom du vin « Locust Lane Rosé ».

[55] L’analyse n’est peut‑être pas aussi simple en ce qui concerne les vins pour lesquels les certificats de la VQA emploient les mots « Locust Lane Vineyard » ou « Locust Lane » pour identifier le vignoble en question plutôt que le nom du vin en soi. À mon avis, toutefois, le fait que les mots renvoient au vignoble d’où provient le produit ne permet pas de conclure qu’ils ne sont pas utilisés en tant que marque de commerce afin d’identifier la source du produit et, ainsi, de le différencier de ceux des autres.

[56] Je suis aussi convaincu que l’affichage de ces différentes combinaisons de mots sur les étiquettes des bouteilles de vin représente un emploi en liaison avec des produits (c.‑à‑d. le vin) au sens de l’article 4 de la Loi. Autrement dit, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, les mots sont apposés sur les produits mêmes ou sur les colis dans lesquels ces produits sont distribués. En ce qui concerne les renvois aux vins (comme « 2012 Locust Lane Pinot Noir ») affichés dans la section de vente en ligne du site Web de Hidden Bench, je considérerais également que cet affichage est associé au vin de manière à informer les acheteurs en ligne de cette association lors du transfert de propriété, au sens de l’article 4.

[57] En ce qui concerne les services (que M. Thiel décrit comme étant l’exploitation du vignoble Locust Lane, l’exploitation d’un vignoble et les services de détail fournis par un vignoble), les images de bouteilles de vin qui portent les étiquettes décrites ci‑dessus, ainsi que les autres renvois à « Locust Lane Vineyard » et les renvois aux vins comme « 2013 Locust Lane Pinot Noir » dans les notes de dégustation sont affichés dans le site Web de Hidden Bench, qui est utilisé afin d’annoncer ses services, comme la dégustation de vin à son établissement. Je suis convaincu que cette annonce représente un emploi en liaison avec des services au sens de l’article 4 de la Loi.

[58] Si l’on tient compte de l’ensemble de la preuve, je conclus que Hidden Bench a fait l’emploi d’une marque de commerce en ce qui concerne les combinaisons de mots décrites ci‑dessus, qui comprennent les mots « Locust » Lane [ensemble, les marques Locust Lane]. Par conséquent, l’exigence minimale est satisfaite et je dois maintenant examiner le critère lié à la commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b).

B. LLEW avait‑elle appelé l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de la demanderesse, en violation de la common law et de l’alinéa 7b) de la Loi?

[59] Comme il a été indiqué précédemment, les éléments essentiels dans une action fondée sur une allégation de commercialisation trompeuse sont a) l’existence d’un achalandage; b) le fait de tromper le public par une présentation erronée; et c) des dommages réels ou éventuels pour la demanderesse.

(1) L’existence de l’achalandage

[60] Afin de déterminer l’existence d’une réputation ou d’un achalandage pour voir s’il y a eu commercialisation trompeuse, les tribunaux ont tenu compte de facteurs comme le caractère distinctif inhérent, le caractère distinctif acquis, la durée de l’utilisation, les sondages, les ventes, l’étendue et la durée de l’annonce et de la commercialisation et la copie intentionnelle (voir Sandhu Singh, au para 48). Comme il est indiqué dans la décision Weldpro Limited c Weldworld Corp, 2018 CF 312, au paragraphe 22, un demandeur peut établir l’achalandage de différentes façons, mais il doit néanmoins le faire en fonction des perceptions qui ont cours sur le marché.

[61] Dans la jurisprudence, on insiste aussi sur l’importance d’établir que l’achalandage est lié au caractère distinctif du produit. Dans l’arrêt Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc, 2005 CSC 65 [Kirby], au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a fourni l’explication suivante :

67. Le premier élément est l’achalandage ou la réputation. Le demandeur doit démontrer l’existence d’un achalandage rattaché au caractère distinctif du produit (Ciba Geigy, p. 132 133; Oxford Pendaflex Canada Ltd. c. Korr Marketing Ltd., 1982 CanLII 45 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 494, p. 504 et 507, le juge Estey). La preuve d’un achalandage rattaché uniquement aux techniques et procédés de fabrication du produit ne suffit pas. La doctrine de la commercialisation trompeuse visait à protéger des monopoles exercés non pas sur des produits, mais sur des signes, présentations, noms et symboles qui constituent le caractère distinctif d’une source.

[62] Comme il est indiqué ci‑dessus, les caractères inhérent et distinctif sont des facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer la réputation ou l’achalandage. LLEW s’appuie sur la jurisprudence selon laquelle les marques qui contiennent des mots descriptifs, en particulier des références géographiques, n’ont pas un caractère distinctif inhérent. Comme il est expliqué dans la décision Prince Edward Island Mutual Insurance c. Insurance Co. of Prince Edward Island, [1999] AFC no 112 (CF 1re inst.), au paragraphe 32 (en tenant compte du caractère distinctif inhérent dans le cadre d’une analyse relative à la confusion) :

32. Quant au premier facteur mentionné au paragraphe 6(5) de la Loi, savoir le caractère distinctif inhérent des marques de commerce en cause, il est bien reconnu que les marques qui contiennent des termes descriptifs n’ont pas ce caractère distinctif inhérent et que la Cour ne leur offrira que très peu de protection. En particulier, les marques de commerce ou les noms commerciaux qui mentionnent un lieu géographique comme les noms en cause en l’espèce, sont descriptifs plutôt que distinctifs et ne doivent pas bénéficier d’une protection très étendue. Lorsque le tribunal est appelé à décider si un nom commercial ou une marque de commerce « cause vraisemblablement de la confusion », même de légères différences entre ces marques seront suffisantes pour atténuer toute « confusion » possible.

[63] Hidden Bench conteste l’application de ce principe à l’emploi qu’elle fait des marques Locust Lane. Elle soutient que celles‑ci ne sauraient être considérées comme clairement descriptives du lieu d’origine des produits ou service, étant donné que les lieux géographiques auxquels ce principe s’applique sont habituellement des noms de lieux, pas le nom d’une route. En réponse à cet argument LLEW renvoie la Cour à l’arrêt General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc., [2001] 1 CF 665 (CAF [General Motors], où la Cour d’appel fédérale a conclu que prima facie la marque « Décarie » (qui fait référence au boulevard Décarie, à Montréal) n’était pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi du fait qu’elle est descriptive d’un endroit (« lieu d’origine ») [au para 28].

[64] Hidden Bench fait valoir que la situation dans l’arrêt General Motors est différente, étant donné qu’il y était question d’une rue qui, comme la Cour l’a indiqué, était un lieu bien connu et important (au para 38). Hidden Bench soutient que la route Locust Lane, en comparaison, est un lieu peu connu. Je ne crois pas que cet argument joue en faveur de Hidden Bench. J’ai lu l’extrait de l’arrêt General Motors où la Cour renvoie au fait que le boulevard Décarie est bien connu, afin d’établir un lien avec son analyse sur le caractère distinctif acquis, et pas sur le caractère distinctif inhérent.

[65] Je conclus aussi que l’argument avancé par Hidden Bench va à l’encontre de la directive de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt MC Imports Inc c AFOD Ltd, 2016 CAF 60 [MC Imports]. Dans cette affaire, la Cour a indiqué que le recours au point de vue du consommateur n’est vraiment pertinent pour déterminer le caractère distinctif inhérent que lorsqu’il y a ambiguïté quant à la question de savoir si la marque de commerce renvoie réellement au lieu en question (au para 63). Il n’y a aucune ambiguïté de la sorte en l’espèce. Comme il est expliqué dans l’arrêt MC Imports, la politique qui sous‑tend le traitement accordé aux descriptions des lieux d’origine est que le maintien d’un monopole sur l’utilisation des mots pour décrire leur origine priverait indûment les concurrents potentiels de la possibilité de décrire leurs propres produits (voir le para 44). Selon moi, cette politique s’applique, et ce, peu importe à quel point le lieu d’origine est connu.

[66] Je suis conscient du fait que l’arrêt MC Imports porte sur le caractère enregistrable au sens de l’article 12 (comme les autres jurisprudences invoquées par LLEW pour faire valoir que les marques Locust Lane n’ont pas un caractère distinctif inhérent). Je conclus néanmoins que son raisonnement guide l’examen du facteur du caractère distinctif en vue de déterminer si Hidden Bench a prouvé l’achalandage nécessaire pour étayer son allégation de commercialisation trompeuse.

[67] Je conclus que les marques Locust Lane ne possèdent aucun caractère distinctif inhérent; par conséquent, je passe à la question de savoir si Hidden Bench a établi un caractère distinctif acquis dans le cadre de son emploi des marques. Cet examen comprend une appréciation de la preuve invoquée par Hidden Bench à l’appui du caractère distinctif acquis et de l’établissement de l’achalandage en général.

[68] En guise de premier point sur cette preuve, je fais remarquer que Hidden Bench a prétendu à l’audition de la demande en l’espèce que la capacité de LLEW de contester la preuve d’achalandage de Hidden Bench était minée par ce qu’elle a défini comme le contre‑interrogatoire limité de LLEW à l’égard de M. Thiel.

[69] Dans sa déclaration solennelle, M. Thiel indique que les activités de commercialisation que mène Hidden Bench comprennent la création d’une exposition pour les vins portant la marque dans le cadre de placements de produits de haut niveau, la collaboration avec des associations de normes de l’industrie, la participation à des dégustations de vin, la rédaction d’articles et la participation à des concours, ainsi que la création d’un site Web robuste et d’une forte présence dans les médias sociaux. Il indique aussi que les vins portant la marque LOCUST LANE ont acquis une certaine notoriété auprès des médias et des consommateurs de vin. M. Thiel affirme que Hidden Bench est reconnue pour ses vignobles et ses vins de grande qualité depuis sa fondation. Dans ses observations sur la question de l’achalandage, LLEW prétend que cette déclaration n’est qu’une simple affirmation, qui n’est pas étayée par la preuve, et avance des arguments afin de prouver pourquoi la preuve invoquée par Hidden Bench ne suffit pas à établir l’achalandage.

[70] Je ne souscris pas à la position de Hidden Bench, selon laquelle la profondeur du contre‑interrogatoire de M. Thiel mené par LLEW limite la capacité de celle‑ci de présenter ces arguments. Comme l’avocate de LLEW l’a indiqué dans sa réponse à la position de Hidden Bench à l’audience sur la demande en l’espèce, LLEW ne conteste pas la crédibilité de M. Thiel, mais plutôt le caractère suffisant de la preuve à l’appui de ses affirmations. LLEW n’était pas tenue de contre‑interroger M. Thiel sur ces affirmations pour présenter des arguments sur le caractère suffisant de son témoignage.

[71] À l’appui de sa position sur l’achalandage, Hidden Bench affirme employer ses marques de façon continue, prolongée et exclusive depuis au moins 2005. J’accepte le témoignage de M. Thiel selon lequel Hidden Bench a commencé à exercer ses activités en 2003 et je conclus qu’il utilise au moins une partie des marques Locust Lane dans son image de marque depuis 2005. Même s’il a joint à sa déclaration solennelle des exemples d’étiquettes de bouteille de vin sur lesquelles on renvoie à « Locust Lane Vineyard » ou à « Locust Lane Rosé » depuis 2007 seulement, il n’y a pas lieu de douter de son témoignage, selon lequel cette image de marque est née quand Hidden Bench a commencé à vendre du vin, en 2005. L’étiquette posée à l’arrière de la bouteille de pinot noir qui employait les mots « Locust Lane », en faisant référence au vignoble, provient du millésime de 2005. Il n’y a pas non plus de preuve d’emploi des marques par un tiers. J’accepte donc le fait que Hidden Bench emploie exclusivement les marques Locust Lane depuis 2005 et qu’au moins certaines de ces marques ont été employées de façon continue.

[72] Toutefois, en ce qui concerne l’affirmation qualitative selon laquelle cet emploi a été prolongé, il est nécessaire d’évaluer la preuve à l’appui. En ce qui concerne le volume des ventes, M. Thiel affirme que les ventes de vins portant la marque LOCUST LANE de 2006 à 2019 ont dépassé 2,4 millions de dollars. LLEW ne conteste pas ce chiffre, mais elle soutient que ce volume, qui représente des ventes annuelles de 184 000 $ seulement, n’aide pas vraiment Hidden Bench à prouver le caractère distinctif acquis.

[73] LLEW affirme aussi que le volume total des ventes de vin de Hidden Bench ne représente que 0,31 % de la production viticole totale de VQA Ontario. Elle fonde ce calcul sur le chiffre de 10 000 caisses produites par Hidden Bench, comme l’indique un article de juin 2019 écrit par le journaliste du vin local Rick VanSickle, joint en tant que pièce à la déclaration solennelle de M. Thiel [l’article VanSickle], qu’elle a comparé à la production viticole totale de VQA Ontario de 3 202 806 caisses indiquée dans le rapport annuel de 2018 de la VQA. À l’audition de la demande en l’espèce, toutefois, l’avocat de Hidden Bench s’est opposé à ce que LLEW se fonde sur les chiffres provenant du rapport de VQA. L’avocat indique que le rapport a été déposé en preuve par l’avocate de LLEW en tant que pièce au contre‑interrogatoire de M. Thiel et que la seule preuve obtenue de M. Thiel pendant son contre‑interrogatoire en lien avec le rapport de VQA était sa lecture du titre du document à voix haute. En fait, M. Thiel a indiqué dans son témoignage ne jamais avoir examiné ce document ou des rapports annuels de VQA d’années précédentes qui lui ont également été présentés. Étant donné que M. Thiel n’a pas livré de témoignage sur le document hormis la lecture de son titre et, à plus forte raison, qu’il n’a pas confirmé l’information qu’il contenait, LLEW n’est pas en mesure d’invoquer ce document pour la véracité de son contenu.

[74] Cela étant dit, l’article VanSickle, que M. Thiel a déposé en preuve et sur lequel il se fonde pour étayer son affirmation selon laquelle les vins portant la marque LOCUST LANE ont acquis une grande notoriété, indique que Hidden Bench est un vignoble spécialisé, dont la production est l’une des plus faibles dans la région de Niagara, mais qu’il affiche l’un des meilleurs rendements parmi les vignobles de l’Ontario. Je ne comprends pas pourquoi Hidden Bench est en désaccord avec cette caractérisation. J’accepte donc l’observation de LLEW selon laquelle Hidden Bench ne peut pas se fonder sur une part de marché importante en volume pour établir le caractère distinctif acquis et l’achalandage de façon plus générale. Je ne considère toutefois pas ce fait en soi comme un élément particulièrement déterminant. Comme l’avocat de Hidden Bench le fait valoir avec conviction, les vendeurs de produits de qualité supérieurs peuvent avoir de plus faibles volumes de ventes unitaires que les vendeurs de produits de moindre qualité, mais ils mettent quand même leur réputation en péril par l’intermédiaire de ces ventes.

[75] Selon moi, la plus grande difficulté pour Hidden Bench est d’établir, au moyen des volumes de ses ventes, qu’elle a acquis un caractère distinctif (et un achalandage en général), spécifiquement pour les marques Locust Lane. Comme il est expliqué dans la décision Carling, lorsqu’il faut démontrer qu’un terme descriptif a acquis une seconde signification de sorte qu’il rend les produits ou services d’une partie distinctifs, la charge est très lourde (au para 10). Dans l’arrêt MC Imports, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi pour expliquer la preuve nécessaire à l’établissement d’un caractère distinctif acquis pour une marque descriptive (aux para 73 à 76) :

73. Dans le cas où il n’y a pas eu d’emploi antérieur de la marque, il n’est évidemment pas question de recourir au paragraphe 12(2) et l’analyse s’arrête dès qu’on a conclu que la marque de commerce donne une description claire au sens de l’alinéa 12(1)b). En cas d’utilisation antérieure, le demandeur peut cependant soutenir qu’en raison de son emploi, la marque de commerce a acquis un caractère distinctif de telle sorte qu’elle répond aux conditions de l’exception prévue au paragraphe 12(2).

74. C’est également à ce stade que les perceptions du consommateur deviennent très pertinentes. Il incombe au requérant la charge de prouver que sa marque de commerce avait acquis un caractère distinctif du fait de son emploi au Canada au moment de l’enregistrement. Bien qu’il soit normalement imposé à la partie qui conteste une marque de commerce par ailleurs valide le fardeau de démonter qu’elle est dépourvue de caractère distinctif, le titulaire de la marque de commerce ou le requérant doit prouver de manière affirmative que celle‑ci relève du paragraphe 12(2) lorsque la marque de commerce donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse au sens de l’alinéa 12(1)b).

75. Notre Cour enseigne déjà que ce qui doit être démontré c’est que la marque de commerce, « bien qu’elle puisse être descriptive, a acquis une signification seconde et distinctive, prépondérante en liaison avec [l]es marchandises ou [l]es services » avec lesquels elle est associée (Molson, au paragraphe 54).

76. Comment démontrer qu’une marque a acquis une telle signification seconde prépondérante? Il faut produire des éléments de preuve dont il ressort que, du point de vue du public pertinent — c’est‑à‑dire les personnes qui utilisent réellement le produit ou le service en question — la marque de commerce est devenue distinctive de ce produit ou service (Carling Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd. [1984] 2 C.F. 920 à la page 930, 1 C.P.R. (3d) 191; confirmé : 16 R.C.P.I 157, 19 C.P.R. (3d) 129 (CAF)). Il est clair qu’une simple preuve d’emploi antérieur ne satisfait pas à l’exigence prévue au paragraphe 12(2) qui requiert à la fois l’emploi antérieur et le caractère distinctif acquis en raison de cet emploi.

[76] Comme ces extraits le montrent de façon évidente, la Cour, dans l’arrêt MC Imports, se penchait sur le caractère distinctif acquis au sens de ce qui était à ce moment‑là le paragraphe 12(2) de la Loi et qui permettait l’enregistrement d’une marque qui ne pouvait pas l’être autrement parce qu’elle était descriptive, si son emploi au Canada était tel qu’elle était devenue distinctive. Je crois toutefois que l’arrêt MC Imports est révélateur dans le cadre de l’examen des éléments de preuve requis pour montrer le caractère distinctif acquis aux fins de l’analyse de l’achalandage en général en l’espèce. À l’instar de l’analyse menée dans l’arrêt MC Imports, la preuve de l’achalandage doit se concentrer non seulement sur l’emploi de la marque pertinente, mais également sur la question de savoir si la marque est devenue distinctive du produit ou service pertinent, du point de vue du public visé.

[77] LLEW insiste sur le fait que les marques Locust Lane sont toujours affichées sur les étiquettes de Hidden Bench en liaison avec la marque HIDDEN BENCH plus évidente. Autrement dit, les étiquettes semblent contenir les mots « HIDDEN BENCH », qui sont séparés par une bannière colorée au milieu de l’étiquette et un logo (formé d’un « H » superposé sur un « B »). On trouve aussi l’image d’une ferme sur la moitié supérieure des étiquettes. Les marques Locust Lane, quelles qu’elles soient, affichées dans la moitié inférieure de l’étiquette, sont écrites en caractères noirs et entourées d’autres renseignements (parfois affichés en caractères plus lisibles) sur le vin et le vignoble.

[78] Dans le cadre de mon examen de l’argument présenté par LLEW, je garde à l’esprit la directive formulée dans l’arrêt Masterpiece expliquée précédemment dans les présents motifs, qui indique que, dans une analyse relative à la confusion, au titre du deuxième élément du critère en vue d’établir une commercialisation trompeuse, le degré de ressemblance doit être évalué en n’examinant que les caractéristiques qui définissent la marque de commerce pertinente en soi (au para 61). Toutefois, au moment de déterminer la preuve de l’achalandage au titre du premier élément du critère, je souscris à l’opinion de LLEW selon laquelle il est nécessaire d’examiner le contexte entourant l’emploi des marques Locust Lane. Étant donné la manière dont les marques Locust Lane sont utilisées sur les étiquettes dans le contexte des marques plus visibles et non descriptives, il est difficile de conclure de cet emploi qu’il aurait fait naître un deuxième sens dans les esprits des consommateurs de Hidden Bench, un sens semblable à celui nécessaire pour prouver le caractère distinctif acquis en lien avec les marques descriptives. Je souscris donc à la position de LLEW selon laquelle la preuve présentée par Hidden Bench sur le volume de ses ventes ne prouve pas suffisamment les perceptions des consommateurs, et ne suffit pas à prouver la réputation ou l’achalandage à l’égard de l’une des marques Locust Lane.

[79] En plus de son volume de vente et de l’exposition à ses étiquettes qui en découle, Hidden Bench s’appuie aussi sur son emploi des marques Locust Lane dans son site Web afin d’étayer son allégation de caractère distinctif acquis, ainsi que sa réputation et son achalandage connexes. Toutefois, qu’il s’agisse des notes de dégustation, des références aux vins affichées dans la section des ventes en ligne du site Web de Hidden Bench ou des autres endroits dans le site Web où les mots « Locust Lane » apparaissent, rien ne prouve le volume de trafic des consommateurs vers ces endroits. Les éléments de preuve liés au site Web ne soutiennent donc pas vraiment la thèse défendue par Hidden Bench.

[80] J’en arrive aux mêmes conclusions en ce qui concerne les autres éléments de preuve déposés par M. Thiel sur les prix remportés et sur les critiques positives des produits. Même s’ils parlent de la qualité des vins faits par Hidden Bench, ils ne prouvent pas le volume connexe de l’exposition des consommateurs aux produits et services de Hidden Bench, encore moins l’exposition aux marques Locust Lane, sur laquelle porte l’analyse de l’achalandage.

[81] En résumé, la preuve présentée ne permet pas à Hidden Bench de s’acquitter de la lourde charge qu’elle a d’établir que, du point de vue du consommateur, ses marques descriptives ont acquis un deuxième sens qui les rend distinctives des produits et services de Hidden Bench. Comme je l’ai indiqué plus tôt dans les présents motifs, le caractère distinctif acquis est l’un de plusieurs facteurs dont les tribunaux ont tenu compte pour déterminer l’existence d’une réputation ou d’un achalandage en vue de prouver une allégation de commercialisation trompeuse. Toutefois, dans le cadre de mon examen des arguments soutenus par Hidden Bench sur le caractère distinctif acquis, j’ai également tenu compte des éléments de preuve qu’elle a présentés sur d’autres facteurs comme la durée de l’utilisation, les ventes et l’étendue et la durée de l’annonce et de la commercialisation, que j’ai rejetés en raison de leur insuffisance. À la lumière des faits se rapportant à la présente demande, où les allégations de commercialisation trompeuse se fondent sur l’emploi de marques descriptives non enregistrées, le défaut de Hidden Bench de montrer un caractère distinctif acquis ne permet pas d’établir l’achalandage requis pour avoir gain de cause à l’égard de son allégation fondée sur l’alinéa 7b) de la Loi.

(2) Le fait de tromper le public par une présentation erronée

[82] Le deuxième élément du critère exigé pour établir une allégation de commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b) exige du demandeur qu’il prouve une fausse déclaration ou représentation trompeuse qui sème la confusion dans le public (voir Kirkbi, au para 68). Dans le cadre de son analyse relative à la confusion, la Cour doit tenir compte de la liste non exhaustive de facteurs indiquée au paragraphe 6(5) de la Loi. Ces facteurs comprennent le caractère distinctif inhérent de la marque du demandeur, que Hidden Bench est incapable de prouver, comme il est expliqué ci‑dessus.

[83] Bien entendu, d’autres facteurs entrent en jeu dans l’analyse relative à la confusion, y compris le degré de ressemblance entre les marques des parties, qui a été décrit comme le facteur prévu par la loi souvent le plus susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion (voir Masterpiece, au para 49). Je mentionnerai que j’ai du mal à m’imaginer une situation où, même après avoir tenu compte des autres facteurs, une confusion surgirait dans le contexte de la marque d’un revendicateur qui n’a aucun caractère distinctif inhérent et aucun caractère distinctif acquis. Toutefois, étant donné que Hidden Bench n’a pas prouvé l’achalandage associé aux marques Locust Lane requis pour obtenir gain de cause pour une allégation de commercialisation trompeuse, il n’est pas nécessaire que la Cour fasse une analyse relative à la confusion en l’espèce.

(3) L’existence d’un dommage actuel ou potentiel pour le demandeur

[84] De même, étant donné que l’allégation de commercialisation trompeuse ne peut être confirmée en l’absence d’achalandage, il n’est pas nécessaire d’examiner le troisième élément du critère, soit l’existence d’un dommage actuel ou potentiel pour le demandeur.

C. LLEW avait‑elle fait passer ses produits ou services pour ceux qui avaient été commandés ou demandés, contrairement à l’alinéa 7c) de la Loi?

[85] Comme LLEW le soutient, rien ne prouve qu’elle a fait passer ses produits ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés auprès de Hidden Bench. Par conséquent, l’allégation fondée de l’alinéa 7c) doit être rejetée.

D. Hidden Bench a‑t‑elle droit à toute réparation demandée dans son avis de demande?

[86] Étant donné que Hidden Bench n’a pas prouvé ce qu’elle alléguait au titre des alinéas 7b) ou 7c) de la Loi, elle n’a droit à aucune des réparations demandées.

V. Dépens

[87] Les deux parties ont demandé l’adjudication des dépens si elles obtenaient gain de cause en l’espèce. À l’audience, il a été déterminé qu’elles présenteraient des observations écrites sur l’adjudication des dépens à la suite de la décision de la Cour sur le fond. Les observations de la partie qui a obtenu gain de cause devront être présentées dans les sept jours suivant la décision, tandis que celles de la partie qui n’a pas obtenu gain de cause devront l’être sept jours plus tard. J’y verrai dans ma décision.


 

JUGEMENT dans le dossier T‑408‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande est rejetée. La défenderesse fera signifier et déposera ses observations écrites sur les dépens liés à la demande en l’espèce dans les sept jours suivant la date du présent jugement, et la demanderesse fera signifier et déposera ses observations écrites dans les sept jours suivant la signification des observations de la défenderesse. Les observations de chacune des parties ne doivent pas dépasser trois pages, ce qui exclut tous les mémoires des dépens, les éléments de preuve ou la jurisprudence.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, traducteur

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑408‑20

INTITULÉ :

HIDDEN BENCH VINEYARDS & WINERY INC. c. LOCUST LANE ESTATE WINERY CORP.

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 17 FÉVRIER 2021

COMPARUTIONS :

Abbas Kassam

POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Ponton

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout and Maybee S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Borden Ladner Gervais s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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