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Date : 20050506

Dossier : IMM-5049-04

Référence : 2005 CF 641

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

JOZEF HAUSLEITNER

ANIKO BEDNARIK

BENJAMIN HAUSLEITNER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Jozsef Hausleitner est un citoyen de la Hongrie et un demandeur d'asile débouté. Les autres demandeurs sont la femme et le fils de M. Hausleitner.


[2]         Après le rejet de leurs demandes d'asile, les demandeurs ont présenté une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) et ont produit de nouveaux éléments de preuve pour étayer leur allégation voulant qu'en Hongrie, leur sécurité serait menacée par le crime organisé. Leur demande d'ERAR a été rejetée, les nouveaux éléments de preuve ayant été jugés insuffisants pour établir que les demandeurs ne pourraient pas bénéficier d'une protection efficace de ltat s'ils devaient retourner en Hongrie.

[3]         Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'ERAR en faisant valoir qu'elle a commis une erreur en ne tenant pas compte de leur refus de se prévaloir de la protection de ltat parce qu'ils avaient peur. Les demandeurs soutiennent en outre que l'agente d'ERAR a commis une erreur car elle n'a pas analysé correctement l'efficacité des mesures prises par la Hongrie pour offrir une protection à ses citoyens.

Faits

[4]         M. Hausleitner affirme qu'il travaillait comme mécanicien automobile en Hongrie et qu'un jour, il a été témoin du vol d'un véhicule de location devant son lieu de travail. La société de location a signalé le vol à la police et une enquête a été ouverte. On a demandéà M. Hausleitner de fournir une déclaration à titre de témoin, ce qu'il a fait, décrivant les deux jeunes hommes ayant participé au vol.

[5]         Selon M. Hausleitner, la police lui aurait assuré que cette déclaration demeurerait confidentielle.

[6]         Environ trois semaines plus tard, un client de M. Hausleitner appelé Vili Cigany l'aurait abordé et lui aurait dit que, la prochaine fois, il ferait mieux de ne rien dire s'il voyait quelque chose. M. Cigany a clairement laissé entendre qu'il savait qu'un témoin avait fait une déclaration à la police au sujet du vol du véhicule de location trois semaines plus tôt.


[7]         Plus tard, M. Cigany aurait dit à M. Hausleitner qu'il avait un travail pour lui. Il lui aurait indiqué qu'il voulait qu'il modifie le numéro d'identification de véhicule (NIV) de certaines voitures et qu'il procède au démontage complet d'autres véhicules afin qu'ils puissent être vendus en pièces détachées. M. Hausleitner affirme avoir refusé.

[8]         M. Hausleitner affirme avoir ensuite commencé à remarquer qu'il était suivi. Il dit qu'il était trop effrayé pour appeler la police et qu'il a plutôt demandé à un voisin de le faire à sa place. La police a refusé d'enquêter. Le lendemain du jour où la police a été appelée, les pneus de M. Hausleitner ont été volés. Il prétend avoir surmonté sa peur et avoir appelé la police lui-même; cette fois encore, la police a refusé d'intervenir.

[9]         Le jour suivant ce deuxième appel à la police, M. Cigany a rendu visite à M. Hausleitner au travail. M. Cigany lui aurait dit qu'il allait amener quelques voitures à « réparer » . M. Hausleitner a refusé d'obéir et s'est absenté du travail pendant quelque temps. La famille Hausleitner a ensuite déménagé dans un autre district pour échapper aux criminels. Ces derniers ont toutefois retrouvé la famille et la surveillance et les menaces ont repris de plus belle.

[10]       M. Hausleitner affirme que s'il n'a pas fait d'autres tentatives pour obtenir l'aide de la police en Hongrie, c'est parce qu'il avait trop peur que les criminels le découvrent et que la situation empire.


[11]       Un peu plus tard, M. Hausleitner a de nouveau reçu la visite de M. Cigany au travail. Ce dernier lui a dit que s'il continuait à « jouer au plus fin » , sa femme et son enfant recevraient une correction. C'est à ce moment-là que M. Hausleitner a décidé qu'il n'avait pas d'autre choix que de fuir avec sa famille pour trouver refuge à ltranger.

La décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié

[12]       La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté les demandes d'asile des demandeurs parce qu'elle a jugé que M. Hausleitner ntait pas crédible. La Commission n'a pas cru M. Hausleitner parce qu'il a été incapable de répondre à différentes questions qui lui ont été posées au sujet de la mécanique automobile. En conséquence, la Commission a conclu que M. Hausleitner n'avait pas prouvé qu'il était effectivement mécanicien automobile.

[13]       Ayant conclu que M. Hausleitner ne possédait aucun rudiment de la mécanique automobile, la Commission a estimé que personne ne pourrait penser que M. Hausleitner connaissait suffisamment la mécanique pour être capable de démonter des voitures et de modifier leur NIV. La Commission n'a donc pas cru la version de la famille voulant qu'elle ait été victime de criminels organisés.

[14]       La Commission s'est ensuite penchée sur la question subsidiaire de la protection de ltat. Elle a examiné le refus de M. Hausleitner de faire appel à la police ainsi que la preuve objective sur la situation en Hongrie. La Commission a conclu que la famille pouvait bénéficier d'une protection suffisante de ltat en Hongrie.


[15]       En conséquence, les demandes d'asile des demandeurs ont été rejetées. La Cour a ensuite refusé l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

La demande d'ERAR et la décision

[16]       Environ onze mois après la décision de la Section de la protection des réfugiés, les demandeurs ont déposé une demande d'ERAR. Au soutien de cette demande, ils ont déposé une copie du certificat de lcole de métiers décerné à M. Hausleitner après ses études en mécanique automobile.

[17]       Même s'il n'est pas du tout certain que cet élément de preuve ntait pas disponible au moment de l'audience relative à la demande d'asile de M. Hausleitner, l'agente d'ERAR était néanmoins disposé à considérer ce certificat dtudes comme un nouvel élément de preuve. Se fondant sur cet élément de preuve, elle a reconnu que M. Hausleitner avait effectivement reçu une formation de mécanicien automobile.

[18]       L'agente d'ERAR a ensuite dit que : [traduction] « Toutefois, le tribunal de la CISR a conclu que, même si le demandeur principal avait effectivement été approché et menacé par des criminels organisés, les demandeurs pouvaient toujours se prévaloir de la protection de ltat en Hongrie » . Le reste de la décision traite de la question de la protection de ltat.


[19]       Ainsi, même si ce n'est pas parfaitement clair, il semble qu'au vu de la nouvelle preuve déposée par M. Hausleitner sous la forme d'un certificat dtudes d'une école de métiers, l'agente d'ERAR était disposée à le croire lorsqu'il affirmait avoir été victime du crime organisé.

[20]       Au soutien de sa demande d'ERAR, M. Hausleitner a également déposé cinq articles concernant la situation en Hongrie, surtout en ce qui concerne le crime organisé. L'agente d'ERAR a refusé de tenir compte de deux de ces articles parce qu'ils avaient été publiés avant l'audience relative aux demandes d'asile des demandeurs. Elle a toutefois accepté de tenir compte des trois autres articles pour les fins de son analyse de la protection de ltat.

Questions en litige

[21]       Les demandeurs soulèvent deux questions dans la présente demande, savoir si l'agente d'ERAR a commis une erreur en ne tenant pas compte du refus des demandeurs de se prévaloir de la protection de ltat parce qu'ils avaient peur et si l'agente d'ERAR a commis une erreur parce qu'elle n'a pas analysé correctement l'efficacité des mesures prises par la Hongrie pour offrir une protection à ses citoyens.

[22]       À mon avis, ces deux questions concernent la portée de l'examen que doit réaliser l'agent d'ERAR lorsque la question de la protection de ltat a déjà fait l'objet d'un examen approfondi par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. En conséquence, j'examinerai ces deux questions ensemble.


Norme de contrôle

[23]       Les demandeurs soutiennent que la question de savoir si une protection suffisante de ltat existe dans un cas donné est une question mixte de fait et de droit. C'est pourquoi la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[24]       Par contre, le ministre fait valoir que lvaluation de la situation dans un pays donné est essentiellement une question de fait. En conséquence, la décision de l'agente d'ERAR devrait être examinée suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[25]       Il est inutile que je tranche cette question puisque je suis convaincue que la décision de la Commission peut résister à un examen suivant la norme plus exigeante du caractère raisonnable.

Disposition législative pertinente

[26]       Les demandes d'ERAR sont assujetties aux dispositions de la Section 3 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. L'alinéa 113a) de la Loi revêt une importance particulière en l'espèce puisqu'il concerne le cas où un ERAR est effectué après le rejet d'une demande d'asile. L'alinéa 113a) est libellé comme suit :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet [...]

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection    has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection...




Analyse

[27]       Les demandeurs soutiennent que, lorsqu'il effectue un examen des risques, que ce soit dans le cadre d'une demande d'asile ou d'un ERAR, le décideur doit tenir compte du refus des demandeurs de se prévaloir de la protection de l'État parce qu'ils ont peur. Le décideur doit également évaluer l'efficacité des mesures prises par l'État en vue de fournir une protection à ses citoyens. Au soutien de cet argument, les demandeurs invoquent l'arrêt de la Cour suprême du Canada Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, aux paragraphes 35 à 42, et la décision Silva c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1161, au paragraphe 4.

[28]       Cet argument est sans doute valable à l'égard du genre d'analyse de la protection de l'État que doit faire la Section de la protection des réfugiés dans le cadre d'un premier examen des risques auxquels s'expose un demandeur d'asile dans son pays d'origine.

[29]       Il se peut également que ce type d'examen approfondi des risques doive être effectué lorsque les allégations de risques auxquels s'expose un demandeur d'ERAR n'ont pas encore été examinées par la Section de la protection des réfugiés.


[30]       Cependant, en l'espèce, le risque auquel s'exposent les demandeurs a déjà fait l'objet d'un examen approfondi par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. À mon avis, il n'est tout simplement pas raisonnable, et il ne serait pas conforme à l'esprit de la Loi dans son ensemble, d'exiger que l'agente d'ERAR recommence à zéro et procède à un examen des risques entièrement nouveau étant donné qu'une décision finale a déjà été rendue, savoir qu'en mars 2003, les demandeurs pouvaient bénéficier d'une protection suffisante de l'État en Hongrie.

[31]       Il me semble plutôt que la question que doit trancher l'agente d'ERAR à cette étape de la procédure est celle de savoir si le nouvel élément de preuve produit par les demandeurs établit que la situation dans le pays d'origine des demandeurs a changé à un point tel que l'analyse de la protection de l'État faite par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'est plus d'actualité.

[32]       Cette interprétation du régime établi par la Loi est confirmée par le libellé de l'alinéa 113a) de la LIPR qui indique clairement que, dans un tel cas, l'évaluation des risques à l'étape de l'ERAR ne doit pas être un réexamen de la décision de la Commission, mais qu'elle doit plutôt se limiter à l'examen des nouveaux éléments de preuve qui n'existaient pas au moment où la demande d'asile a été entendue ou qui n'étaient pas normalement accessibles au demandeur avant cette date : H.K. c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1612; Bolubo c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 375.

[33]       En l'espèce, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a examiné sous tous les angles la question de savoir si les demandeurs pouvaient bénéficier de la protection de l'État en Hongrie, en tenant pour acquis qu'ils avaient réellement été victimes de criminels organisés. La Commission a conclu que les demandeurs avaient accès à une protection suffisante de l'État et la Cour fédérale a refusé d'autoriser les demandeurs à présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision.


[34]       En conséquence, la conclusion de la Commission voulant qu'en mars 2003, les demandeurs pouvaient bénéficier d'une protection suffisante de l'État en Hongrie est inattaquable.

[35]       Il reste donc à déterminer si le nouvel élément de preuve présenté à l'agente d'ERAR environ onze mois plus tard a été dûment pris en considération et si l'agente pouvait raisonnablement conclure que cet élément de preuve était insuffisant pour réfuter la présomption de protection de l'État.

[36]       À ce sujet, il convient de souligner que l'information contenue dans les trois articles en cause ne semble pas faire état d'un changement de la situation en Hongrie au cours des mois qui ont suivi la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[37]       Même si on s'y interrogeait sur la possibilité que le nombre de gangs de criminels puisse augmenter en Hongrie par suite de l'entrée du pays dans l'Union européenne, on soulignait également que les étrangers ne peuvent pas infiltrer les gangs hongrois en raison de la barrière linguistique. De plus, l'un des articles précisait que plusieurs gangs ont été forcés de se dissoudre à cause du manque de ressources.


[38]       Par ailleurs, il ressort de la lecture de la décision de l'agente d'ERAR que cette dernière a examiné attentivement chacun des trois articles produits par les demandeurs. Elle a en toute équité souligné les aspects de ces articles qui tendaient à appuyer la thèse des demandeurs ainsi que les aspects qui permettaient de conclure qu'en Hongrie, les victimes du crime organisé bénéficiaient d'une protection suffisante de l'État.

[39]       Se fondant sur cet examen, l'agente d'ERAR a conclu que si leur sécurité devait être menacée par des criminels organisés en Hongrie, les demandeurs disposeraient de recours. L'agente d'ERAR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion compte tenu de la preuve dont elle disposait et il n'y a donc pas lieu de la modifier.

Conclusion

[40]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Certification

[41]       L'avocate de M. Hausleitner a fait valoir qu'il existait certainement une question à certifier en ce qui concerne la nature des nouveaux éléments de preuve visés à l'alinéa 113a), bien qu'elle n'ait formulé aucune proposition de question précise à ce sujet.

[42]       À mon avis, la question soulevée par M. Hausleitner n'est pas déterminante en l'espèce et, par conséquent, je refuse de certifier une question.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.            

« Anne Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                   IMM-5049-04

INTITULÉ:                                                    JOZEF HAUSLEITNER et al.

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 4 MAI 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                            TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 MAI 2005

COMPARUTIONS:

Chantal Desloges                                          POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenagham                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:   

Chantal Desloges

Toronto (Ontario)                                           POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                        POUR LE DÉFENDEUR

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