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Date : 20040610

Dossier : IMM-2745-03

Référence : 2004 CF 841

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                               PARDEEP KAUR

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), porte sur une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal), rendue le 18 mars 2003. Dans cette décision, le tribunal a conclu que la demanderesse ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 de la Loi ni à celle de personne à protéger à l'article 97 de la Loi.


QUESTION EN LITIGE

[2]                La seule question en litige peut ainsi se résumer : était-il manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure au manque de crédibilité de la demanderesse et donc de rejeter sa demande de personne à protéger?

[3]                Pour les motifs suivants, je réponds positivement à cette question et j'accueillerai la présente demande.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                La demanderesse allègue une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques imputées et de son appartenance à un groupe social particulier, la famille. Essentiellement, la demanderesse allègue qu'elle aurait été battue et violée par la police, qui serait à la recherche de son père, lui-même soupçonné d'avoir aidé des terroristes.

[5]                Voici les faits, tels que relatés par le tribunal. La demanderesse est citoyenne indienne du Punjab. En Inde, elle vivait chez ses parents. Son oncle paternel habitait en face du domicile familial.


[6]                Le 31 décembre 2001, son père a vu la police arrêter l'oncle de la demanderesse et est intervenu pour en demander les raisons. La police lui a demandé de s'occuper de ses affaires. Plus tard, son père est allé chercher le sarpanch du village et ils sont allés au poste de police. Là, on a déclaré au père de la demanderesse n'avoir jamais arrêté son frère. Toujours en compagnie du sarpanch, le père est allé porté plainte au service de police, où on lui a dit que son frère est allé rejoindre les terroristes et qu'il était même venu chez lui la veille avec deux terroristes. Le père a alors été accusé de les avoir aidés. Il a été arrêté et torturé.

[7]                Le père de la demanderesse a été relâché deux jours plus tard et on lui a ordonné de revenir au poste le 1er avril 2002 afin de fournir des renseignements au sujet de son frère et des autres terroristes. Il a pris peur et a quitté son village le 5 mai 2002 pour se rendre à New Delhi. Le 25 mars 2002, la famille a reçu de lui un message disant qu'il était à Moscou.

[8]                Le 2 avril 2002, la police a fait une descente au domicile de la famille pour savoir ce qui s'était passé avec le père de la demanderesse. La famille a indiqué à la police qu'il avait quitté le pays, ce que cette dernière n'a pas cru. Les policiers ont alors arrêté la demanderesse et sa mère. On l'a accusée de tout savoir au sujet de son père. Elle a été battue et violée. Sa mère et elle ont été relâchées le lendemain, après que les policiers aient pris leur photo et leurs empreintes digitales et qu'ils les aient fait signer un blanc-seing. Les policiers leur ont ordonné d'amener le père et l'oncle de la demanderesse au poste de police. C'est à ce moment que, craignant pour sa vie, la demanderesse est partie avec sa mère à New Delhi. Elle a réussi à quitter l'Inde le 2 juin 2002 pour venir au Canada.   


DÉCISION CONTESTÉE

[9]                Le tribunal a conclu que la demanderesse n'est pas une réfugiée ni une personne à protéger en raison de son manque de crédibilité. Premièrement, lors de sa première entrevue avec un agent d'immigration, la demanderesse n'a pas parlé du fait qu'elle avait été violée pendant sa détention en prison. Deuxièmement, son témoignage contredit le rapport médical déposé en preuve. Troisièmement, la demanderesse n'a pas fourni de preuve crédible qu'elle était en Inde au moment où elle prétend avoir été arrêtée, battue et violée. Le tribunal termine en déclarant qu'en ce qui a trait aux pièces tendant à établir que la demanderesse a été arrêtée et violée, il ne leur accorde aucune valeur probante car ces pièces reprennent des faits sur lesquels le tribunal a entendu la demanderesse et à propos desquels il ne l'a pas crue.

ANALYSE

[10]            La norme de contrôle applicable à des questions de fait, notamment la question de savoir si un demandeur est crédible, est celle du caractère manifestement déraisonnable. Ainsi, ce n'est que si la décision du tribunal est manifestement déraisonnable que la Cour interviendra.

Non-mention du viol lors de la première entrevue


[11]            Le tribunal met en doute le fait que la demanderesse ait été violée en prison puisqu'elle en a fait le point principal de sa demande dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans son témoignage mais n'en a fait aucune mention lors de son entrevue avec l'agent d'immigration qui était chargé de décider si sa demande était recevable. Les deux parties s'entendent pour dire que le tribunal avait le droit de prendre en considération dans son analyse les notes de cette entrevue.   

[12]            La demanderesse affirme qu'il faut déterminer l'utilisation qui peut être faite de ces notes. Selon elle, son seul devoir était de répondre aux questions de l'agent, comme l'exige le paragraphe 100(4) de la Loi. Elle affirme que le tribunal ne pouvait exiger davantage d'elle et qu'il n'était pas en droit de conclure à son manque de crédibilité en raison de divergences découlant du fait qu'elle n'aurait pas tout relaté lors de cette entrevue mais l'avait fait dans des documents rédigés par la suite.


[13]            Il faut cependant noter que lors de cette rencontre, la demanderesse a déclaré à la page 178 du dossier du tribunal , « ... as far as my age no I am not at ease weell [sic] I have problems in India ... » (je souligne). Je peux comprendre facilement qu'une jeune fille de 21 ans ne soit pas du tout à l'aise pour discuter du viol dont elle avait été victime. Je serais en accord avec le raisonnement du tribunal s'il n'y avait que cette preuve. Cependant la demanderesse a mentionné le viol par la suite dans sa documentation écrite, dans son témoignage verbal qui est corroboré par le rapport médical. Ce rapport médical a complètement été écarté par la Commission . La demanderesse avait allégué que le viol s'était passé le 2 avril 2002. Un rapport médical déposé indique qu'elle a été traitée du 3 avril au 5 avril 2002 pour « ... she was treated for the multiple soft tissues injuries, bruises tenderness and redness on vagina area, ... » (je souligne). Je conclus donc qu'il est manifestement déraisonnable que le tribunal écarte cette preuve importante.

[14]            Il en va de même pour l'affidavit du sarpanch du village de la demanderesse. Ce dernier confirme l'arrestation et les mauvais traitements subis par la demanderesse et sa mère. Avec d'autres membres de son conseil, le sarpanch a aidé ces personnes à recouvrer leur liberté en payant un pot-de-vin à la police. Le tribunal a rejeté cette preuve parce qu'il ne croyait pas la demanderesse sur la question du viol. Encore une fois, je considère que cette détermination est manifestement déraisonnable.

[15]            De plus la demanderesse affirme que le tribunal aurait dû traiter de la question de son appartenance à une famille dont des membres étaient recherchés, ce qui faisait en sorte que la police harcelait la demanderesse pour lui soutirer des renseignements sur eux. Je suis d'accord que le tribunal aurait dû traiter de cet aspect de la revendication.

CONCLUSION

[16]            Je conclus donc que les raisons sur lesquelles s'appuient le tribunal pour conclure au manque de crédibilité de la demanderesse sont manifestement déraisonnables et j'accueille la présente demande contrôle judiciaire.

[17]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale. Il n'y a pas lieu de certifier de question grave de portée générale.

                                                               ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La revendication de la demanderesse devra être reconsidérée par un tribunal différemment constitué.

3.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                 "Michel Beaudry"                 

Juge


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                                           IMM-2745-03

INTITULÉ :                                                          PARDEEP KAUR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 1er JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE:                                  LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                         LE 10 JUIN 2004


COMPARUTIONS :

Michel Le Brun                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Caroline Cloutier                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michel Le Brun                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère fédéral de la Justice

Montréal (Québec)


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