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Date : 20210104


Dossier : IMM‑7861‑19

Référence : 2021 CF 2

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

Justina oluwakemi owolabi, moshood Richard owolabi ‑ minEUr, abdul malik ray owolabi ‑ minEUr

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SPR avait conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Les faits

[2] Les demandeurs, une mère [la demanderesse principale] et ses deux enfants mineurs, sont des citoyens du Nigéria. Ils sont chrétiens et appartiennent au groupe ethnique yoruba. L’ex‑époux de la demanderesse principale, qui est le père de ses enfants, est musulman. La demanderesse principale a travaillé comme [traduction] « enseignante de deuxième année au primaire » au sein du corps de police du Nigéria durant environ cinq ans.

[3] Selon ce qu’elle a indiqué dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire], leur troisième enfant serait décédé à 19 mois du tétanos. Il aurait contracté cette maladie après que la demanderesse principale se fut pliée à la demande de la famille de son ex‑époux et qu’elle eut consenti à ce que les membres de cette famille fassent des marques tribales à l’enfant. Après que son fils eut contracté l’infection, la demanderesse principale s’est fait interdire de l’amener à l’hôpital. Ce n’est que lorsque l’enfant a commencé à avoir des convulsions et à refuser de manger qu’elle a réussi à l’amener. La demanderesse principale n’a pas porté plainte à la police après le décès de ce dernier, puisqu’elle a présumé que la police qualifierait cette affaire de conflit familial et d’affaire en lien avec les traditions et qu’elle n’enquêterait donc pas sur le sujet.

[4] La mère a ajouté beaucoup d’éléments à ce récit lors de son témoignage devant la SPR, en faisant mention de détails atroces, comme cela est indiqué ci‑après.

[5] Dans son formulaire, la demanderesse principale a écrit que son ex‑mari et elle [traduction] « s’aimai[ent] et croy[aient] que la religion ne pouvait pas faire obstacle à [leur] amour […] ». Elle a aussi énoncé ceci : [traduction] « [M]on époux n’a jamais cessé de me rendre heureuse, mais je ressens les répercussions d’avoir perdu un enfant, ce qui constitue un problème familial. Ma belle‑famille n’a pas cessé d’appeler mon époux. Ils souhaitent que nous revenions au Nigéria afin d’effectuer des scarifications coutumières sur nos deux autres enfants. »

[6] Cependant, la demanderesse principale a déposé un complément [le complément] à son formulaire à une date qui n’est pas précisée au dossier. Dans ce complément, elle a affirmé que son époux avait changé, qu’il ne souhaitait plus avoir de lien avec ses enfants encore en vie et qu’il l’insultait et la violentait.

[7] Les demandeurs ont quitté le Nigéria le 23 avril 2017, date à laquelle ils sont entrés aux États‑Unis. Dans son formulaire, la demanderesse principale a affirmé que son époux avait décidé de les amener en vacances aux États‑Unis. À l’inverse, dans le complément, elle a affirmé que son époux ne voulait pas voyager aux États‑Unis, donc elle avait déposé une demande de visa pour ses garçons et elle uniquement et que, par la suite, son époux avait changé d’idée et qu’il avait également demandé un visa, ce qui expliquait pourquoi ils avaient reçu leurs visas à des dates différentes.

[8] La demanderesse principale a déclaré dans son formulaire que son époux avait pris part au voyage aux États‑Unis avec leurs enfants et elle, et que les enfants et elle ne l’avaient pas revu depuis le 3 novembre 2017.

[9] Cela fait également l’objet d’une contestation.

[10] La demanderesse principale craint que ses deux autres garçons subissent le même sort que leur défunt frère s’ils retournent au Nigéria. La demanderesse principale affirme que son ex‑belle‑famille a exercé une pression constante sur son couple, qu’elle insistait pour effectuer des marques tribales sur leurs deux garçons. La demanderesse principale dit craindre pour la vie de ces derniers.

[11] Les demandeurs ont déposé leurs formulaires le 27 février 2018. La SPR a rejeté leur demande d’asile le 12 juillet 2019.

[12] La SPR a établi que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger suivant les articles 96 et 97 de la LIPR. La SPR a passé en revue l’ensemble des éléments de preuve fournis par les demandeurs et a également examiné et appliqué les Directives nᵒ 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

[13] La SPR a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible, et ce, en raison de divergences notables entre son formulaire et son témoignage, plus précisément au sujet du décès de son fils, de la violence qu’elle affirme avoir vécue aux mains de son ex‑belle‑famille, de la violence physique que lui aurait fait subir son ex‑époux, de la présence ou non de son mari à ses côtés lorsqu’elle s’est rendue aux États‑Unis et du moment où son ex‑époux est parti.

[14] Dans ses conclusions, la SPR a énoncé ce qui suit :

[32] Pour ces motifs, la SPR conclut que la demandeure n’est pas crédible quant aux éléments fondamentaux de son histoire. La demandeure peut avoir perdu un enfant et en être très affectée. Ce tribunal se montre sensible à cette question.

[33] Toutefois, la SPR ne croit pas que ce décès se soit produit tel que la demandeure l’a décrit. La demandeure n’a pas été crédible sur ce point.

[34] Ce tribunal ne croit également pas que la demandeure ait voyagé avec son ex‑mari aux États‑Unis et qu’elle ait été victime d’abus physique en lien avec la violence conjugale.

[35] La demandeure peut avoir des problèmes d’ordre psychiques tels que décrits par l’infirmière clinicienne Marie‑Eve Isabel, mais ce tribunal ne croit pas que cela soit en lien avec les allégations de la demandeure, celle‑ci n’ayant pas établi sa crédibilité.

[36] Celle‑ci n’a pas réussi à démontrer les allégations au soutien de sa crainte et de celles de ses deux fils, les demandeurs.

[37] À la lumière de ces éléments, la SPR est d’avis que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils auraient une crainte bien fondée de persécution au sens de l’article 96, ni au sens de l’article 97(1) de la LIPR advenant un retour dans leur pays d’origine.

[15] La SPR a rejeté la demande d’asile au motif que cette demande n’était pas fondée, et ce, en raison de graves problèmes de crédibilité.

III. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[16] La demanderesse principale a interjeté appel de la décision auprès de la SAR. Celle‑ci a rejeté l’appel le 16 décembre 2019 et a confirmé la décision de la SPR [la décision].

[17] Les demandeurs ont présenté plusieurs documents à titre de « nouvelle preuve » à la SAR. Ces documents feront l’objet d’un examen plus loin dans les présents motifs.

[18] La SAR a considéré chaque document en appliquant les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR et dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] [rendu par le juge de Montigny].

[19] Un appelant qui conteste une décision de la SPR a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve dans la mesure où ceux‑ci sont conformes à la disposition énoncée au paragraphe 110(4) de la LIPR :

Appel

Appeal

110 (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110 (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[20] La SAR a décidé de n’accepter aucun des documents présentés à titre de nouvelle preuve. La SAR s’est rangée à l’opinion de la SPR et a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils étaient des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger suivant les articles 96 et 97 de la LIPR.

IV. La question en litige

[21] En l’espèce, la question en litige consiste à savoir si la décision au sujet des nouveaux éléments de preuve et sur le fond est raisonnable.

V. La norme de contrôle

[22] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada], le juge Rowe a affirmé que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] avait établi un cadre d’analyse révisé pour déterminer la norme de contrôle à appliquer aux décisions administratives. Le cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit celle qui s’applique. Cette présomption peut être réfutée dans certaines situations, mais aucune n’est présente en l’espèce. Par conséquent, la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable.

[23] Dans l’arrêt Postes Canada, le juge Rowe explique ce qui est exigé pour conclure qu’une décision est raisonnable et ce que doit faire le tribunal lorsqu’il effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[24] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada précise qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. » La cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[25] De plus, l’arrêt Vavilov explique clairement que le rôle de la Cour ne consiste pas à soupeser et à apprécier à nouveau la preuve :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[26] Voir également l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 [CCDP] [rendu par le juge Gascon] :

[55] Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles‑ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.

[Non souligné dans l’original.]

[27] Voir également l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [rendu par le juge Binnie] :

[64] En l’espèce, tant les motifs des membres majoritaires de la SAI que ceux de la membre dissidente indiquent clairement les considérations à l’appui de leurs deux points de vue et les raisons de leur désaccord quant à l’issue. Pour ce qui est des faits, la SAI était principalement divisée quant à l’interprétation de l’expression de remords par M. Khosa, comme l’a souligné le juge en chef Lutfy. Selon les membres majoritaires de la SAI :

Le fait que [M. Khosa] continue de nier que c’est sa participation à une « course de rue » qui a eu des conséquences tragiques est une source de complications pour le tribunal. […] Je garde en même temps à l’esprit que [M. Khosa] a montré quelques remords à l’audience pour son excès de vitesse sur la voie publique et note que le juge de première instance a constaté de même […]. Cette expression de remords est un facteur favorable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Toutefois, elle ne ressort pas, à mon sens, comme une caractéristique irrésistible en l’espèce étant donné les admissions mitigées de [M. Khosa] à l’audience. [Non souligné dans l’original; par. 15.]

Par contre, selon la membre dissidente de la SAI :

… [M. Khosa] a […] accepté très tôt la responsabilité de ses actes. Il était prêt à plaider coupable à une accusation de conduite dangereuse causant la mort […]

J’estime que [M. Khosa] est contrit et éprouve des remords. À l’audience, [M. Khosa] a manifesté son regret, sa voix tremblait et était remplie d’émotions […]

Les commissaires majoritaires ont accordé une grande importance au fait que [M. Khosa] nie avoir pris part à une course alors que les tribunaux pénaux ont établi que tel était le cas. Bien qu’ils aient conclu que cela n’était « pas fatal » au présent appel, ils ont aussi établi que le fait que l’appelant continue de nier qu’il faisait une course « dénote que l’appelant ne saisit pas bien toute la portée de sa conduite » et que ce fait « joue contre l’appelant ». Les commissaires majoritaires concluent que [M. Khosa] éprouve des remords, mais que ces remords ne ressortent pas comme une « caractéristique irrésistible en l’espèce étant donné les admissions mitigées de [M. Khosa] ».

Or, j’estime que les remords de [M. Khosa], même s’il nie avoir participé à une course, sont authentiques et indiquent qu’il sera à l’avenir plus réfléchi et évitera d’agir avec une telle insouciance. [par. 50‑51 et 53‑54]

Il semble évident qu’un litige factuel de ce genre doit être tranché par la SAI dans l’application de la politique d’immigration et qu’il ne doit pas être réévalué par les tribunaux judiciaires.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

A. L’admissibilité de nouveaux éléments de preuve

[28] La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse principale est fondée sur deux risques qu’elle a allégués à la fois devant la SPR et la SAR : le risque qu’elle court aux mains de son ex‑époux violent et le risque que ses deux enfants encore en vie se fassent scarifier par sa belle‑famille au Nigéria.

[29] En ce qui concerne l’allégation de risque en raison de l’ex‑époux violent, la SPR a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible. Cette dernière a fait valoir dans son formulaire qu’elle avait une relation amoureuse harmonieuse avec cet homme, mais a par la suite indiqué, dans le complément et durant son témoignage, qu’elle subissait des mauvais traitements et de la violence dans cette même relation. Elle a également allégué, dans son formulaire, que les violences avaient eu lieu aux États‑Unis dès leur arrivée en avril, la demanderesse étant alors, selon ses dires, accompagnée de son ex‑époux, jusqu’au départ de ce dernier, en novembre 2017. Cependant, durant l’audience devant la SPR, elle a déposé un papier de divorce sur lequel il était indiqué que son ex‑époux était au Nigéria le 9 mai 2017, ce dernier s’étant présenté devant la cour compétente de ce pays à cette date.

[30] Pour réfuter les conclusions défavorables sur la crédibilité qu’avait tirées la SPR et faire contrepoids à l’incrédulité de celle‑ci au sujet de ses allégations de violence conjugale, la demanderesse principale a soumis plusieurs documents à la SAR et lui a demandé d’admettre ceux‑ci à titre de « nouveaux éléments de preuve » : une photocopie du passeport et du visa américain de l’époux de la demanderesse principale, des photographies non datées de la famille et présumément prises aux États‑Unis et dans un avion de grande taille, une lettre en provenance de l’African Family Health Organization aux États‑Unis au sujet de la violence familiale, deux rapports psychologiques et un serment par lequel la demanderesse principale et son époux s’étaient engagés à être fidèles l’un envers l’autre. Ces éléments de preuve ont été soumis dans le but de prouver que l’époux de la demanderesse principale avait bel et bien accompagné les demandeurs aux États‑Unis; toutefois, ces éléments de preuve ont été rejetés par la SAR.

[31] La demanderesse principale a reconnu que les nouveaux éléments de preuve soumis étaient antérieurs à la décision de la SPR. Cependant, elle a expliqué devant la SAR qu’en raison de son état mental, elle n’avait pas pris conscience qu’elle pouvait présenter cette preuve avant que la SPR ne rende sa décision. Je souligne qu’elle était représentée par un conseil devant la SPR ainsi qu’au moment où elle a préparé et signé son formulaire.

[32] Concernant son état mental, la demanderesse principale a été vue par une infirmière praticienne, qui avait déclaré qu’elle démontrait des difficultés d’adaptation, de la tristesse, de l’anxiété et présentait des signes d’un traumatisme. La demanderesse principale a affirmé qu’elle ressentait des symptômes qui concordaient avec ceux d’un trouble de stress post‑traumatique, tels que des pertes de mémoire et de la difficulté à se concentrer. Elle a indiqué que ceux‑ci l’avaient empêchée de pleinement comprendre qu’elle devait faire la preuve que son époux était avec elle aux États‑Unis au moment pertinent. À cet égard, et sans traiter des nouveaux éléments de preuve, la SAR a effectué une analyse du rapport de l’infirmière praticienne déposé devant la SPR et portant sur sa santé mentale.

[33] La SAR a conclu, de façon raisonnable selon moi, que la santé mentale de la demanderesse principale n’était pas la raison derrière « son incapacité de rendre un témoignage crédible ». Il était loisible à la SAR de tirer pareille conclusion compte tenu des éléments au dossier. Avec égards, les demandeurs invitent la Cour, par leur requête, à réévaluer et à soupeser à nouveau la preuve. J’examinerai en détail cette question plus loin.

[34] La SAR a reconnu que la photocopie du passeport et du visa américain de l’époux de la demanderesse principale ainsi que la date du timbre d’entrée aidaient à documenter les allégations de violence conjugale et à établir à quel endroit se trouvait son époux au moment pertinent. Cependant, la SAR a rejeté ces éléments de preuve pour un certain nombre de raisons, notamment parce que ces éléments de preuve étaient normalement accessibles au moment de l’audience devant la SPR. En toute déférence, le dossier permettait de tirer une telle conclusion et, de toute façon, les demandeurs m’implorent de soupeser et évaluer de nouveau la preuve à ce sujet, ce que la jurisprudence contraignante m’interdit de faire : voir Vavilov au para 125; CCDP au para 55 et Khosa au para 64.

[35] La SAR a également rejeté les photographies non datées de la famille qui auraient été prises aux États‑Unis et dans un avion. Encore une fois, je ne suis pas convaincu qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter celles‑ci, étant donné que ces éléments de preuve auraient également pu être présentés plus tôt. Ici encore, on me demande de soupeser et d’évaluer de nouveau la preuve dont la SAR était saisie, ce qui, avec égards, n’est pas le rôle de la présente Cour.

[36] La SAR a également rejeté une lettre en provenance de l’African Family Health Organization aux États‑Unis au sujet de la violence conjugale alléguée. Bien que datée postérieurement au rejet de la demande d’asile des demandeurs par la SPR, l’objet de la lettre est de décrire des actes de violence qui auraient été commis par l’époux de la demanderesse en 2017. La SAR a rejeté la lettre, puisque cette preuve référait à des incidents survenus avant que la SPR ne rende sa décision défavorable. Ici encore, la SAR pouvait parfaitement, compte tenu des faits et du droit applicable, tirer cette conclusion. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où la lettre relate des incidents qui ont été décrits par la demanderesse principale à un intervenant, celle‑ci doit être considérée avec prudence : voir la décision Demberel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 731, où la juge Kane a mentionné ce qui suit :

[47] La jurisprudence précise que le récit des événements à un psychologue ou à un psychiatre ne le rend pas plus crédible, et qu’un rapport d’expert ne peut confirmer des allégations de violence. Par exemple, dans les arrêts Rokni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 182 (QL), 53 A.C.W.S. (3d) 371 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 16, et Danailov c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (QL), 44 A.C.W.S. (3d) 766 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 2, la Cour a fait remarquer que de tels rapports ne sauraient pallier les lacunes du témoignage d’un demandeur d’asile, et qu’un témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il est fondé sont crédibles. La même remarque a été faite par le juge Phelan dans l’arrêt Saha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 C.F. 304, 176 A.C.W.S. (3d) 499, au paragraphe 16 :

La SPR a le pouvoir discrétionnaire d’écarter la preuve psychologique lorsque le docteur ne fait que reprendre ce que le patient lui a dit quant aux motifs expliquant son stress, et qu’il en tire ensuite une conclusion médicale selon laquelle le patient souffre de stress en raison de ces motifs.

[Non souligné dans l’original.]

[37] De plus, la SAR était d’accord avec la SPR et a raisonnablement conclu que des éléments fondamentaux de la violence relatée par la demanderesse principale n’étaient pas crédibles. La SAR a également conclu que rien n’expliquait pourquoi les nouvelles informations au sujet des agressions n’avaient pas été mentionnées devant la SPR. Avec égards, la SAR pouvait tirer ces conclusions compte tenu des éléments au dossier ainsi que des mesures contraignantes adoptées par le législateur et confirmées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh.

[38] De façon plus générale et en lien avec ces éléments de preuve, les demandeurs exhortent la présente Cour à suivre la décision Elezi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 240 [Elezi], rendue par le juge de Montigny, alors juge à la Cour fédérale :

[45] Si le Canada veut respecter ses obligations internationales et se conformer à sa Charte des droits et libertés, il ne saurait faire abstraction d’un élément de preuve crédible attestant qu’une personne serait exposée à un risque en cas de renvoi dans son pays d’origine, en affirmant simplement que cette preuve est techniquement irrecevable. Une interprétation aussi étroite de l’alinéa 113a) reviendrait à bafouer nos engagements les plus fondamentaux. Cela serait incompatible également avec les objectifs qu’avait à l’esprit le législateur quant à la manière selon laquelle la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre. Je suis donc tout à fait en accord avec Lorne Waldman lorsqu’il tient les propos suivants, dans son ouvrage Immigration Law and Practice (2e édition), dans la section 4.999 :

[TRADUCTION]

Finalement, j’affirmerais que la nature de la preuve elle‑même devrait elle aussi être prise en compte. Si la preuve produite est une pièce très probante et qu’elle est crédible, alors l’agent devrait en général exercer son pouvoir discrétionnaire en déclarant cette preuve recevable, et cela à cause de l’importance des questions en jeu. En dernière analyse, s’il existe un élément de preuve tangible qu’une personne court le risque d’être torturée, alors toute tentative de renvoyer cette personne vers ce pays constituerait une violation de l’article 7. Je doute qu’une cour de justice approuverait un renvoi dans ces conditions, quand bien même le demandeur aurait‑il négligé d’obtenir l’information à un stade antérieur de la procédure.

[39] Avec beaucoup de déférence, ces motifs ont été pris en compte par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh, par lequel je suis lié. Dans l’arrêt Singh, la Cour d’appel fédérale a mentionné que la décision Elezi ne faisait plus autorité.

[40] En raison des paragraphes suivants tirés de l’arrêt Singh, je ne peux donner raison aux demandeurs :

[36] L’intimé et l’intervenante se sont appuyés sur l’arrêt Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, [2008] 1 F.C.R. 365 [Elezi] ainsi que, dans une moindre mesure, sur l’arrêt Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 FC 101, [2009] A.C.F. no 101, pour soutenir que la SAR peut tenir compte du caractère probant et crédible d’une preuve pour contrebalancer les exigences du paragraphe 110(4). Avec égards, je ne puis me ranger à cette interprétation.

[37] Il convient tout d’abord de noter que l’arrêt Elezi a été rendu neuf mois avant la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Raza, et qu’il ne fait donc plus autorité dans la mesure où il s’écarte de cette dernière décision. D’autre part, dans Elezi, la décision de l’agent d’ERAR de ne pas admettre certains éléments de preuve a été jugée déraisonnable soit parce que ces preuves avaient été créées après la décision rendue par la SPR, ou parce que l’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur présente ces preuves à la SPR dans les circonstances. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle on ne saurait rejeter un élément de preuve crédible au seul motif qu’elle est « techniquement inadmissible » doit être considérée comme un simple obiter.

B. Les conclusions quant à la crédibilité

(1) Le diagnostic de santé mentale

[41] La SAR a conclu que le diagnostic de la demanderesse principale « n’est pas la raison derrière son incapacité de rendre un témoignage crédible ». La SAR a précisé que la preuve qui avait été soumise ne provenait pas d’un praticien apte à poser un diagnostic, comme un docteur. La SAR a conclu que la SPR ne s’était pas suffisamment penchée sur l’information contenue dans le rapport de l’infirmière praticienne. La SAR a effectué, comme requis, sa propre analyse de la preuve en évaluant la preuve documentaire et en écoutant l’enregistrement audio de l’audience. La SAR a relevé que la demanderesse « est une femme qui s’exprime bien. Elle n’a pas donné l’impression qu’elle était réticente à l’idée de témoigner ou qu’elle était incapable de témoigner en raison de motifs médicaux, culturels, religieux ou sociaux » et a conclu que « selon la prépondérance des probabilités, […] son diagnostic n’est pas la raison derrière son incapacité de rendre un témoignage crédible. »

[42] La décision de la SAR sur cette question est une question d’appréciation des faits et de la preuve. Les demandeurs invitent une fois de plus la Cour à soupeser et à évaluer la preuve de nouveau afin d’y déceler un fondement qui justifierait qu’une conclusion soit rendue en leur faveur. Avec égards, je réitère que la Cour suprême du Canada m’interdit de me livrer à une telle réévaluation, à moins que des circonstances exceptionnelles ne le justifient. Il n’existe aucune circonstance de la sorte en l’espèce.

[43] En effet, je n’adhère pas à la proposition selon laquelle la loi interdit au juge des faits en première instance de tirer des conclusions au sujet de la véracité d’un témoignage qu’il a entendu. En toute déférence, une telle proposition fait défaut de reconnaître la valeur ajoutée fondamentale qu’apportent les décideurs de première instance lorsqu’ils évaluent la crédibilité d’un témoin. Cette valeur ajoutée n’a pas d’origine législative, mais, comme cela a été reconnu par la Cour d’appel fédérale, les tribunaux de première instance détiennent un véritable avantage sur les tribunaux qui réviseront subséquemment la décision en se basant uniquement sur le dossier. Il ne faut pas négliger ou ignorer l’importance de s’appuyer sur une telle preuve, mais plutôt reconnaître qu’il s’agit précisément du genre de situation où le juge des faits du tribunal de première instance détient un avantage certain sur les tribunaux d’appel, tel qu’énoncé par la juge Gauthier dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica] :

[70] Ce texte reconnaît également l’avantage certain que peut avoir la SPR sur la SAR lorsque les conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit reposent sur l’appréciation de la crédibilité ou de la valeur des témoignages de vive voix. Il indique aussi que, étant entendu que la SAR doive parfois faire preuve d’une certaine retenue avant de rendre sa propre décision, la question de savoir si les circonstances commandent pareille retenue doit être appréciée au cas par cas. Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile.

[44] Je souligne que la SAR a analysé le comportement du commissaire de la SPR et a conclu qu’à plusieurs reprises, ce dernier avait invité la demanderesse principale à expliquer sa preuve durant son témoignage et lui avait offert de prendre des pauses. De plus, la SPR avait démontré de l’empathie envers les incidents relatés.

[45] Il est vrai que chaque affaire est ultimement tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. À mon humble avis, et bien que je reconnaisse l’utilité des précédents, je ne suis pas convaincu que la conclusion à laquelle sont arrivés d’autres décideurs dans d’autres affaires puisse être transposée et appliquée au cas en l’espèce. Voir à ce sujet les décisions Atay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 201 [rendue par le juge O’Keefe]; Akter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1205 [rendue par le juge Beaudry]; Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 249 [rendue par la juge Dawson]; Feradov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 101 [rendue par le juge Barnes]. Il m’est plutôt imposé d’éviter de soupeser et d’évaluer la preuve de nouveau, ce que, avec égards, les demandeurs m’invitent à faire à travers plusieurs de leurs arguments.

(2) Les photographies en lien avec les mauvais traitements allégués

[46] La SAR a établi qu’elle n’était pas en mesure de conclure que les éléments de preuve photographiques présentés devant la SPR démontraient que la demanderesse principale avait des ecchymoses aux yeux. Les demandeurs ont fait valoir que la SAR n’avait pas analysé les photographies originales, contrairement à la SPR. La SAR a pris connaissance des photocopies versées au dossier et s’en est remise à l’analyse effectuée par la SPR, puisque « la SPR a eu la possibilité examiner les photographies originales. J’estime que cette dernière a eu un avantage certain dans le cadre de l’examen des photographies, et ce, en particulier parce qu’elle a été en mesure de voir une version plus claire des photographies que moi. La clarté de la photographie examinée par la SPR commande la déférence. »

[47] Les demandeurs font valoir qu’il n’est pas étonnant que la SAR n’ait pas été capable de déceler de blessure sévère en observant les photocopies, et que la SAR aurait pu demander des copies plus claires, mais qu’elle ne l’a pas fait. Les demandeurs allèguent qu’il [traduction] « ne s’agissait pas d’une situation où le tribunal de la SAR se devait de faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la SPR; en l’espèce, la SAR ne souhaitait simplement pas analyser cet élément de preuve ». Selon ma compréhension de cet argument, il est allégué que la SAR aurait dû consulter les photographies originales, puisque les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas raisonnablement évalué cette preuve. Je ne suis pas de cet avis. Il est bien établi en droit, comme mentionné précédemment, que la SAR peut s’en remettre aux conclusions de la SPR lorsque cette dernière possède un avantage certain.

[48] En l’espèce, il est raisonnable de conclure que la SPR possédait un tel avantage. Il s’agit précisément de la situation sur laquelle s’est penchée la Cour d’appel fédérale au paragraphe 70 de l’arrêt Huruglica et qui a été avalisée par cette Cour. La proposition des demandeurs selon laquelle la SAR aurait dû consulter les photographies originales n’est pas fondée; elle avait le droit de s’en remettre à la décision de la SPR et, selon moi, c’est de façon raisonnable qu’elle l’a fait.

(3) La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs mineurs ne risquent pas de subir des rituels traditionnels

[49] La SAR est arrivée à la conclusion suivante :

[22] Enfin, même si j’admets l’argument des appelants au sujet des photographies et des documents de la cour, je souscris à la conclusion ultime de la SPR, à savoir que les appelants n’ont pas établi les éléments fondamentaux de leur demande d’asile : que les appelants mineurs risquent de devoir se plier à des rituels traditionnels s’ils devaient retourner au Nigéria et que Mme Owolabi risque de subir de la violence familiale à l’avenir si elle devait retourner au Nigéria. Mme Owolabi a dit lors de son témoignage qu’elle n’avait aucun contact avec son époux, qu’elle ne savait pas où il se trouvait, qu’il avait bloqué ses appels et qu’elle était la seule à avoir la garde légale des enfants. Je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de conclure que l’époux est intéressé ou motivé à communiquer avec les appelants. D’après la preuve dont je dispose, même si je compatis au fait que Mme Owolabi a perdu son fils, j’estime que les appelants n’ont pas établi qu’il y a un risque éventuel de persécution ou de préjudice de la part des présumés agents de persécution et de préjudice.

[50] Les demandeurs font valoir que les risques mentionnés ci‑dessus ne sont pas les seuls qui pèsent sur eux au Nigéria, référant au Cartable national de documentation du Nigéria [le CND]. Le CND contient des informations portant sur la violence fondée sur le sexe à laquelle les femmes, plus particulièrement les femmes seules, sont exposées au Nigéria. Cet élément de preuve a été pris en considération durant l’audience devant la SPR et fait, par conséquent, partie du dossier. Cet argument précis n’a pas été invoqué par les demandeurs dans leur formulaire, devant la SPR ou encore, devant la SAR – et les demandeurs étaient représentés par un conseil durant ces trois étapes du processus. Les demandeurs et leur conseil ont fait le choix d’avancer cet argument uniquement lors du contrôle judiciaire.

[51] Le défendeur allègue qu’il incombe aux demandeurs de présenter des éléments de preuve au soutien de leur demande, particulièrement lorsqu’ils sont représentés par un conseil. Si les demandeurs croyaient que la demanderesse principale courrait un risque en retournant au Nigéria en tant que femme seule, ils avaient la responsabilité de présenter une preuve à cet égard devant la SPR et la SAR afin qu’elle puisse être convenablement évaluée.

[52] Le défendeur fait valoir, et je conviens avec lui, qu’il n’est pas opportun pour les demandeurs de contester la décision sur la base d’un argument qu’ils n’ont pas précédemment soulevé. Dans ce cas, ils soulèvent maintenant un nouvel argument. Avec égards, je refuse de le prendre en considération en raison de la jurisprudence selon laquelle un argument qui n’a pas été précédemment avancé ne doit pas être mentionné pour la première fois devant la Cour fédérale lors d’un contrôle judiciaire. Voir à cet effet les propos du juge Leblanc (alors juge à la Cour fédérale) dans la décision Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 :

[23] Enfin, la position des demandeurs va à l’encontre d’un principe que la Cour a maintes fois reconnu, à savoir qu’une question qui n’a pas été soulevée devant le tribunal administratif ne peut être examinée dans le cadre d’un contrôle judiciaire devant la Cour (Mohajery c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 185, au paragraphe 28). La Cour d’appel fédérale, au paragraphe 5 de l’arrêt Guajardo‑Espinoza c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (CAF), [1993] ACF no 797 (QL), a souligné l’importance de ce principe en ces termes :

Comme notre Cour l’a exprimé récemment dans l’arrêt Louis c. M.E.I. [C.A.F., no. A‑1264‑91, 29 avril 1993], l’on ne saurait reprocher à la Section du statut de ne pas s’être prononcée sur un motif qui n’avait pas été allégué et qui ne ressortait pas de façon perceptible de l’ensemble de la preuve faite [Id., à la p. 3.]. Accepter le contraire conduirait à un véritable jeu de cache‑cache et de devinette et forcerait la Section du statut à se livrer à des enquêtes interminables pour éliminer des motifs qui ne s’appliquent pas de toute façon, que personne ne soulève et que la preuve ne fait ressortir en aucune manière, le tout sans compter les appels vains et inutiles qui ne manqueraient pas de s’ensuivre.

[24] Ce principe s’applique également à la SAR, qui, tout comme la SPR, est un tribunal administratif assujetti au pouvoir de surveillance exercé par la Cour, conformément à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales.

[53] Dans le même sens, je m’appuie également, en toute déférence, sur la décision Dovha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 864, rendue par le juge Zinn :

[10] Bref, la SAR n’était aucunement tenue d’examiner un motif que n’avait pas soulevé M. Dovah [sic] dans son dossier d’appel, et le motif qui à son avis a échappé au regard de la SAR n’est pas mentionné dans le matériel joint aux demandes soumises à la SPR et à la SAR.

(4) Les conclusions quant à la crédibilité en ce qui concerne le décès du fils

[54] La SAR a conclu que les éléments de preuve ajoutés par la demanderesse principale ayant trait aux décès de son fils n’étaient pas crédibles. À cet égard (et par rapport aux allégations de violence conjugale), la SAR a affirmé ce qui suit :

[17] Plus précisément, j’ai examiné la question de savoir si les trous de mémoire et les contradictions dans le témoignage peuvent être liés à l’anxiété, aux cauchemars et à la dépression de Mme Olowabi [sic], ce qui concorde avec les symptômes du TSPT invoqué par sa psychothérapeute. À l’écoute de la preuve audio, il m’est apparu clair que les difficultés que l’appelante principale a connues ne l’ont pas empêchée de rendre son témoignage. L’appelante n’a pas été vague au sujet des risques associés aux rituels traditionnels et n’a pas non plus été vague au sujet de la personne qui était derrière la menace. Elle a dit clairement que son époux avait changé de comportement après le décès de leur fils. Son témoignage a évolué tout au long de l’audience sur plusieurs points comme, par exemple, ce qui était arrivé après le décès de son fils, la question de savoir si elle était allée voir la police et ce qu’ils avaient convenu de faire relativement au décès de leur fils. La SPR a donné à Mme Olowabi [sic] de multiples possibilités pour qu’elle tente d’expliquer sa preuve. Elle s’est fait offrir des pauses durant son témoignage par le commissaire de la SPR, ce qu’elle a refusé. Dans ses motifs écrits, la SPR a fait preuve d’empathie à l’égard des événements racontés par Mme Olowabi [sic] lorsqu’elle a écrit ce qui suit : [traduction] « Les circonstances sont violentes et épouvantables. L’inhumanité est choquante. ». Malheureusement, même si les problèmes de santé mentale de Mme Olowabi [sic] ont eu une incidence sur son témoignage, ce diagnostic ne remédie pas à la multitude de contradictions dans la preuve, comme l’omission du fait qu’elle a été enfermée dans une chambre pendant une semaine avec un enfant mourant et les documents de la cour incohérents. J’estime que, même si les signalements de mauvais traitements faits par l’appelante principale à divers spécialistes appuient sa crédibilité, ils doivent être pris dans le contexte d’une preuve inégale donnée lors de l’audience de la SPR où le but premier était de tester la crédibilité. Même si je respecte les opinions de ces professionnels, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que le diagnostic de Mme Olowlabi [sic] n’est pas l’explication pour son témoignage inégal. J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que son diagnostic n’est pas la raison derrière son incapacité de rendre un témoignage crédible.

[Non souligné dans l’original.]

Rituels de scarification

[24] Je suis frappée par le fait que les appelants ne contestent pas les conclusions de la SPR quant à la crédibilité en ce qui concerne le décès du fils de Mme Owolabi. Ces allégations étaient le fondement initial de cette demande d’asile. Ayant examiné la décision de la SPR, l’enregistrement audio et la preuve documentaire, j’adopte les conclusions de la SPR selon lesquelles les appelants ne sont pas crédibles quant à leurs allégations de crainte fondée de persécution au titre de l’article 96 ou au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR relativement aux rituels de scarification dont les appelants mineurs pourraient faire l’objet.

[Non souligné dans l’original.]

[55] Les demandeurs allèguent également que le segment souligné dans le paragraphe 24 cité ci‑dessus est [traduction] « visiblement et manifestement inexact ». Dans leurs observations présentées devant la SAR, les demandeurs font valoir qu’ils ont, au contraire, reproché à la SAR d’avoir tiré la conclusion selon laquelle ils « ne contestai[en]t pas la conclusion de la SPR quant à la crédibilité en ce qui concerne le décès du fils de Mme Owolabi ». Je suis d’accord avec les demandeurs; ils ont effectivement fait part de leur désapprobation devant la SPR. La SAR s’est mal exprimée.

[56] Cependant, je ne suis pas convaincu que la SAR ait tiré quelque conclusion déraisonnable que ce soit en ce qui concerne le décès du fils. Les demandeurs m’invitent une fois de plus à soupeser et à évaluer de nouveau la preuve pertinente à ce sujet, ce que j’ai comme consigne de ne pas faire à moins de circonstances exceptionnelles, qui n’existent pas en l’espèce. Ici encore, il s’agit d’un désaccord avec une conclusion que la SPR pouvait tirer compte tenu de la preuve au dossier et du droit applicable. La demanderesse principale a apporté des ajouts substantiels aux renseignements qu’elle avait fournis dans son formulaire durant son témoignage devant la SPR et je conclus, avec égards, que les conclusions tirées par la SAR étaient raisonnables, y compris sa décision de rejeter l’explication de la demanderesse principale au sujet des omissions dans son formulaire.

VII. Conclusion

[57] À mon humble avis, les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR était déraisonnable. La SAR a évalué de façon raisonnable les nouveaux éléments de preuve et a fourni des motifs qui étaient justifiés, transparents et intelligibles. Elle a agi de la même façon quant aux nombreuses questions de crédibilité prises en compte, faisant une fois de plus état d’une analyse rationnelle. Aucune erreur fatale n’a été commise. Les motifs exposés se tiennent et les conclusions découlent des faits. En examinant la décision avec une attention respectueuse et en faisant preuve de déférence, comme cela doit être fait, et en l’envisageant comme un tout, je conclus que les motifs sont justifiés, transparents et intelligibles. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

VIII. La certification d’une question

[58] Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé la certification d’une question de portée générale, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7861‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7861‑19

 

INTITULÉ :

JUSTINA OLUWAKEMI OWOLABI, MOSHOOD RICHARD OWOLABI – MINEUR, ABDUL MALIK RAY OWOLABI ‑ MINEUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 15 DÉCEMBRE 2020 À OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET À TORONTO (ONTARIO) (LES PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JANVIER 2021

COMPARUTIONS :

Jerome Olorunpomi

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jerome Olorunpomi

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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