Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20010822

Dossiers : T-1709-90

T-1710-90

T-1711-90

T-1712-90

Référence neutre : 2001 CFPI 937

ENTRE :

SEASPAN INTERNATIONAL LTD.

Demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

Défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Sa Majesté cherche à faire modifier les exposés de défense déposés en son nom dans les présentes actions. Le litige porte sur la question de savoir si ces modifications devraient être autorisées. La demanderesse prétend que, dans les circonstances, la Cour n'a pas compétence pour entendre la requête de la défenderesse, qu'elle ne devrait pas entendre cette requête, ou encore que, de toute façon, elle ne devrait pas autoriser la modification.


CONTEXTE

[2]                 Dans ces actions, la demanderesse cherche à recouvrer la taxe de vente fédérale et la taxe d'accise qu'elle a payées en 1988 sur du carburant diesel qu'elle a acheté. La demanderesse fait valoir que le carburant a été utilisé pour produire de l'électricité qui ne fut pas essentiellement utilisée dans l'exploitation d'un vaisseau, ce qui l'aurait soustrait aux taxes. Les actions de la demanderesse ont été engagées en juin 1990. Les exposés de défense ont été déposés en décembre 1990. Dans chacun des exposés, il est admis que la demanderesse a acheté du carburant diesel [traduction] « et qu'elle a payé la taxe d'accise et la taxe de vente sur ces achats » .

[3]                 Depuis mars 2000, les actions sont traitées comme des instances à gestion spéciale et le protonotaire Hargrave a été désigné juge responsable de la gestion de ces instances.

[4]                 Le 10 février 2000, M. Hargrave a établi, par ordonnance, un calendrier pour faire avancer la procédure; ce calendrier prévoyait notamment une disposition énonçant que les requêtes préalables à l'instance devraient être entendues avant le 12 mai 2000.


[5]                 Le 5 décembre 2000, la protonotaire Aronovitch, suite à une conférence préalable à l'instruction, a ordonné de fixer une date pour l'instruction de cette affaire; à cette époque, la question à trancher était de savoir si la défenderesse avait à juste titre rejeté les demandes de remboursement de la demanderesse au motif que l'électricité produite par le carburant diesel était de l'électricité essentiellement utilisée dans le fonctionnement d'un véhicule.

[6]                 En février 2001, la défenderesse a déclaré qu'elle souhaitait modifier ses actes de procédure de manière à retirer l'admission du fait que la demanderesse avait payé la taxe d'accise et la taxe de vente, pour déclarer à la place que, du fait que la demanderesse n'était pas titulaire d'une licence conformément à la Loi sur la taxe d'accise, S.C. ch. E-15 ( « la Loi » ) pour remettre la taxe d'accise et la taxe de vente à la Couronne, la demanderesse n'avait jamais directement payé ou remis de taxes et qu'elle ne pouvait par conséquent prétendre à un quelconque remboursement (argument de l' « utilisateur final » ).

[7]                 À une conférence sur la gestion de l'instance qui eut lieu le 1er juin 2001, M. Hargrave a déclaré que l'ordonnance du 10 février 2000 avait eu pour effet d'écarter la possibilité de requêtes supplémentaires pour modifier les actes de procédure. Le protonotaire Hargrave fixa le début de l'instruction au 21 août 2001.


[8]                 L'ordonnance n'a fait l'objet d'aucun appel. Par contre, l'avocat de la défenderesse a informé la demanderesse de l'intention de sa cliente de présenter la requête visant à modifier les actes de procédure devant le juge de première instance au début de l'instruction. En réponse, l'avocat de la demanderesse a demandé la tenue d'une conférence sur la gestion de l'instance, conformément à la règle 270 des Règles de la Cour fédérale, 1998. La conférence a eu lieu et il fut décidé que le juge de première instance entendrait une requête le 10 août, les questions à trancher étant de savoir si la Cour pouvait ou devait entendre la requête de la défenderesse visant à rétracter son admission et à procéder à la modification; et dans l'affirmative, si la défenderesse devait être autorisée à procéder à la modification. Le but d'avancer la date de l'audience de la requête était de garantir aux avocats et aux parties que ces questions seraient tranchées au moment de l'instruction.

[9]                 La requête a été entendue le 10 août et le 13 août une ordonnance fut émise rejetant la requête aux fins de modification de la défenderesse. Tels sont les motifs de la présente ordonnance.

COMPÉTENCE DE LA COUR POUR ENTENDRE LA REQUÊTE AUX FINS DE MODIFICATION DE LA DÉFENDERESSE

[10]            La demanderesse a prétendu que la requête de la défenderesse ne devait pas être entendue au motif qu'elle était identique à la requête que le protonotaire Hargrave avait examinée et par laquelle il avait refusé d'autoriser la défenderesse à se faire entendre. Il a été soutenu :

i)           qu'un juge de la Cour n'avait pas compétence pour recevoir la même requête;


ii)          que la conduite de la défenderesse équivalait à rechercher un juge accommodant et constituait un recours abusif; et

iii)          que, faire droit à la requête, allait à l'encontre des principes et des objectifs de la gestion de l'instance.

[11]            Sur la question de la compétence, la demanderesse a prétendu que seul un juge siégeant en appel de l'ordonnance du protonotaire pourrait réexaminer ou écarter cette ordonnance et autoriser l'audition de la requête de la défenderesse.

[12]            En toute déférence, j'ai conclu que cet argument omettait de reconnaître les rôles respectifs du juge de la gestion de l'instance et du juge de première instance.

[13]            Les pouvoirs du juge de la gestion de l'instance sont énoncés à la Règle 385(1), qui prévoit qu'un tel juge [traduction] « traite toutes les questions qui sont soulevées avant l'instruction de l'instance à gestion spéciale » [non souligné dans l'original]. Le juge de première instance qui entend une action détient un contrôle absolu sur le processus de l'instance et conserve toute la compétence voulue pour entendre une requête présentée en cours d'instruction par une partie pour modifier ses actes de procédure.


[14]            Cette requête avait été prévue devant le juge de première instance suite à une conférence sur la gestion de l'instance tenue pour faciliter le règlement de l'action de façon juste et expéditive. Le fait que le juge de première instance ait entendu l'affaire onze jours avant le début officiel de l'instruction ne modifie en rien, à mon avis, sa compétence. Je conclus par conséquent que la Cour, en la personne du juge de première instance, a compétence pour entendre cette requête et que, compte tenu de la compétence d'un juge de la gestion de l'instance, rien dans l'ordonnance du 1er juin 2000 n'avait pour effet d'écarter une requête soumise au juge de première instance.

[15]            Quant à savoir si la requête devrait ou non être entendue par la Cour, généralement des modifications peuvent être faites à tout moment, tant et aussi longtemps qu'il n'en résulte pas d'injustice ne pouvant pas être compensée financièrement. La procédure devant la Cour est conçue pour faciliter le règlement efficace des véritables questions en litige dans une action. La modification proposée en est une de fond, qui risque de déterminer le sort de la demande de remboursement de la demanderesse. Le fait sur lequel s'appuie la modification proposée, à savoir que la demanderesse n'est pas titulaire d'une licence conformément à la Loi, n'est pas contesté. Dans ces circonstances, je conclus que les intérêts de la justice seront mieux servis si l'on autorise la requête aux fins de modification.


[16]            D'après la jurisprudence de la Cour, quel que soit le degré de négligence ou d'absence de diligence qui a accompagné une omission dans des actes de procédure et quel que soit le retard avec lequel est proposée la modification, celle-ci devrait être autorisée si elle ne cause pas d'injustice : Visx Inc. c. Nidek Co., (1998), 234 N.R. 94 (C.A.F.). Cette jurisprudence dispose à mon avis de l'argument de la demanderesse selon lequel le simple fait d'entendre la requête de la défenderesse constitue un recours abusif.

[17]            Le fait que la requête ne soit pas soumise à une séance générale de la Cour devant un autre protonotaire ou un autre juge mais qu'elle soit plutôt portée devant le juge de première instance, me convainc que l'on n'est pas en train de chercher un juge accommodant.

BIEN-FONDÉ DE LA REQUÊTE AUX FINS DE MODIFICATION

[18]            Les parties sont convenues que le critère, pour qu'il y ait rétractation d'admission de faits, était énoncé par la Cour d'appel fédérale dans Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1 C.F. 605 (C.A.). En l'espèce, la Cour a adopté une conception souple pour garantir que les points jugeables soient jugés conformément aux intérêts de la justice. La Cour a adopté l'attitude des tribunaux de Colombie-Britannique, laquelle avait été décrite par la Cour d'appel comme suit, au paragraphe [13] :

À l'autre extrémité, les juridictions de Colombie-Britannique, adoptant une conception plus souple, ne posent pas pour condition essentielle de rétractation que l'aveu contenu dans la défense ait été fait par inadvertance ou de façon hâtive. Le critère qu'elles observent pose que dans toutes les circonstances de la cause, il doit y avoir un point jugeable, qui devrait passer en jugement dans l'intérêt de la justice et qui ne devrait pas se résoudre par une admission de fait. Selon ce critère, l'inadvertance, l'erreur, la précipitation, l'ignorance des faits, la découverte de faits nouveaux, et l'introduction en temps opportun de la requête sont autant de facteurs à prendre en considération pour examiner s'il ressort des circonstances qu'il y a un point jugeable, lequel devrait passer en jugement dans l'intérêt de la justice. [Omission des notes de bas de page]


[19]            Je conçois qu'il s'agit là de facteurs importants qu'il faut examiner. De même, des modifications devraient être autorisées afin de trancher les véritables points en litige, dans la mesure où ces modifications n'entraînent pas d'injustice irrémédiable. (Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.)). Un retard n'est pas en soi une raison pour refuser une modification (Visx, précité).

[20]            Comme la préoccupation première est l'intérêt de la justice, le résultat sera de toute façon incontestable. Les faits suivants sont, à mon avis, très importants pour la présente requête.

[21]            La demanderesse a déposé des demandes de remboursement pour des montants de taxe d'accise et de taxe de vente fédérale qu'elle a payés sur du carburant diesel utilisé dans ses vaisseaux pour produire de l'électricité, et ce depuis au moins 1976 et jusqu'en 1992. Les demandes de remboursement énoncent que les motifs de remboursement se fondent sur le fait qu'il s'agissait de montants de [traduction] « taxe de vente fédérale payés sur le carburant diesel utilisé pour produire de l'électricité » [non souligné dans l'original]. Les demandes de remboursement ont été, semble-t-il, acceptées jusqu'en 1987.

[22]            Toutes les demandes de remboursement ont été vérifiées par Revenu Canada et la demanderesse a produit les factures de ses fournisseurs de carburant aux vérificateurs de Revenu Canada. Les factures ont révélé que les fournisseurs de carburant avaient facturé la demanderesse pour le carburant, pour la taxe de vente fédérale et pour la taxe d'accise, conformément à la Loi.


[23]            En 1989, la Direction générale de l'accise a refusé de rembourser la taxe de vente et la taxe d'accise payées en 1988 au motif que, comme il est énoncé dans les avis de détermination pertinents, les vaisseaux avaient été classés comme des véhicules. Comme l'exploitation d'un véhicule était considérée comme incluant l'usage de générateurs qui produisent de l'électricité pour chauffer, refroidir et éclairer le véhicule, aucun remboursement ne fut déclaré payable.

[24]            Les avis de détermination, qui avisaient la demanderesse du rejet de sa demande de remboursement pour l'année 1988, ne contenaient aucune plainte quant au non-paiement des taxes par la demanderesse ou quant au fait qu'elle se trouvait être un utilisateur final.

[25]            En réponse aux avis de détermination, la demanderesse a déposé le 20 décembre 1989 des avis d'opposition affirmant qu'elle avait acheté du carburant et payé par erreur la taxe fédérale de vente et la taxe d'accise pour des montants donnés.


[26]            En janvier 1990, la Direction générale de l'accise publiait son bulletin « Nouvelles de l'accise # 67 » . Ce bulletin était publié régulièrement par le Service d'interprétation des taxes d'accise sous l'autorité du ministre. Nouvelles de l'accise #67 contenait la politique de la Direction générale de l'accise en matière d'exemption pour le carburant diesel utilisé pour la production d'électricité dans les véhicules, et la politique de demande de remboursement de l'utilisateur final. Cette dernière politique énonçait que l'utilisateur final pouvait déposer des demandes de remboursement s'il pouvait prouver qu'il était impossible au moment de la vente de déterminer l'usage projeté des marchandises en question. Donc, la Direction générale de l'accise envisageait, dans certaines circonstances, les demandes de remboursement de l'utilisateur final.

[27]            Au début de mars 1990, la direction des appels de la Direction générale de l'accise a confirmé les avis de détermination et rejeté l'avis d'opposition de la demanderesse. La raison invoquée dans les avis de décision était que les vaisseaux de la défenderesse étaient des véhicules qui s'adonnaient au transport de marchandises flottantes d'un point à un autre. Aucune plainte ne portait sur le fait que la demanderesse n'avait pas payé les taxes ou qu'elle était un utilisateur final. Aux termes du paragraphe 81.17(5) de la Loi, lorsque le ministre rejette un avis d'opposition, le ministre est obligé d'expliquer brièvement sa décision.

[28]            Les demandes de remboursement déposées par la demanderesse pour l'année 1989 ont été autorisées, alors que les demandes subséquentes ont été suspendues, en attendant la conclusion de ce litige.

[29]            À la fin des conclusions en cette action, en avril 1993, les avocats des parties ont signé un exposé conjoint des faits visant à obtenir le règlement d'un point de droit avant l'instruction. La question à trancher était de savoir si les vaisseaux de la demanderesse étaient des « véhicules » au sens de la Loi. Dans l'exposé conjoint des faits, il était admis que la demanderesse avait payé la taxe prévue par la Loi sur le carburant diesel acheté pour la production d'électricité utilisée pour certains aspects de l'exploitation de ses vaisseaux qui sont des remorqueurs et des navires de convoi.


[30]            Monsieur le juge Joyal a tranché la question de droit et conclu que les vaisseaux de la demanderesse étaient des véhicules. Ses motifs précisent que la demanderesse avait payé les taxes comme le précisait plus particulièrement l'exposé conjoint des faits. La Cour d'appel fédérale a confirmé la décision du juge Joyal et une demande d'autorisation d'en appeler devant la Cour suprême du Canada a été rejetée. Toutes les procédures d'appel s'étaient naturellement fondées sur l'exposé conjoint des faits.

[31]            Le mémoire préalable à l'instruction, déposé par la défenderesse, énonçait que la question fondamentale à trancher dans cette action était celle qu'avait énoncée la protonotaire Aronovitch dans son ordonnance du 5 décembre 2000.

[32]            En février 2001, la défenderesse, sachant que la demanderesse était un utilisateur final et qu'elle n'était pas titulaire d'une licence conformément à la Loi, décida qu'elle souhaitait plaider que la demanderesse n'avait pas directement payé ou versé la taxe d'accise au ministre, ce qui l'empêchait d'être admissible à un remboursement aux termes de l'article 68 de la Loi. Si l'autorisation de modifier était accordée, la Couronne s'appuierait sur des causes telles que Canada v. M. Geller_ Inc., [1963] S.C.R. 629 et Price (Nfld.) Pulp and Paper Ltd. c. Canada, [1974] 2 C.F. 436 (C.A.) et pourrait très bien demander de procéder par jugement sommaire. Le déposant pour la Couronne dans cette requête a affirmé que l'argument de l'utilisateur final avait par inadvertance été négligé quand les exposés de défense ont été déposés.


[33]            Chaque fois, la demanderesse a acheté le carburant aux points de remplissage maritimes. Pour les taxes et les époques en question, la demanderesse a acheté du carburant chez trois fournisseurs. Des affidavits ont été déposés, signés par les représentants de deux des fournisseurs attestant qu'ils étaient titulaires d'une licence conformément à la Loi, et que si la demanderesse les avait contactés pour faire en son nom une réclamation de remboursement pour 1988 (et rembourser à la demanderesse le produit de cette réclamation) il n'y a pas de raison de croire qu'ils ne l'auraient pas fait, ou même qu'ils l'auraient fait. Il n'a pas été débattu devant moi si le troisième fournisseur aurait eu la même réaction. Les deux fournisseurs ont consenti à être ajoutés à cette action en tant que demandeurs, si l'on pouvait s'entendre sur une représentation (et une indemnité) convenable.

[34]            La défenderesse a informé la demanderesse que la Couronne ne consentirait pas à traiter les réclamations dans le cas où elles seraient faites par la demanderesse en tant qu'agent des fournisseurs de carburant, dans le cas où l'on ajouterait les fournisseurs comme parties à l'action, ou dans le cas où le dépôt tardif des nouvelles demandes de remboursement par les fournisseurs de carburant serait autorisé. La défenderesse déclare que la Loi contient un code complet qui régit les demandes de remboursement et que le délai légal de prescription écarte ces différentes possibilités.

[35]            Il a généralement été admis dans cette requête que si la modification était autorisée, la demanderesse chercherait à obtenir d'autres modifications corrélatives et d'autres productions de documents, si bien que les dates actuellement prévues pour l'instruction ne pourraient plus être respectées.

[36]            Compte tenu de ces faits, j'énonce les conclusions suivantes :


[37]            Tout d'abord, accepter la modification à l'heure actuelle entraînerait pour la demanderesse un préjudice qui ne pourrait pas être financièrement compensé. Si la défenderesse avait articulé l'argument de l'utilisateur final dans ses avis de décision ou n'avait pas fait l'admission relative au paiement qu'elle cherche maintenant à retirer de ses exposés de défense, je suis convaincue que la demanderesse aurait pu faire et aurait effectivement fait ses réclamations par l'intermédiaire de ses fournisseurs. Je note que cette procédure a été suivie par l'utilisateur final dans British Columbia Ferry Corp. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2001 C.A.F. 146, [2001] J.C.F. 722. La demanderesse ne peut maintenant procéder de la sorte par suite du délai de prescription prévu par la Loi et c'est là un préjudice auquel il ne peut être remédié par une ordonnance accordant des dépens.

[38]            La défenderesse a prétendu que le fait qu'une proposition de modification puisse rendre la cause plus difficile à gagner pour une des parties ne constituait pas le genre de préjudice qui doive être examiné dans une requête aux fins de modification. Or, en l'espèce, ce n'est pas la modification proposée qui risque de rendre la cause de la demanderesse plus difficile, c'est le moment choisi pour la faire. La cause aurait pu aussi bien se gagner que se perdre, si l'argument avait été soulevé à l'intérieur du délai prescrit quand la demanderesse pouvait encore conclure une entente avec ses fournisseurs de carburant pour réclamer les remboursements.

[39]            La défenderesse a prétendu que ce que les fournisseurs auraient pu faire n'était pas pertinent, que l'affaire ne devrait pas être jugée sur de fausses prémisses, que la réclamation de la demanderesse est tout à fait sans fondement et que la Couronne devrait maintenant être autorisée à invoquer son argument de l'utilisateur final.


[40]            En ce qui concerne le premier argument, il est, je crois, contradictoire pour la Couronne de prétendre que les actions des fournisseurs de carburant n'étaient pas pertinentes tout en prétendant que la réclamation est sans fondement. La réclamation n'aurait pas été considérée sans fondement si elle avait été soumise par les fournisseurs de carburant et leurs actions auraient été tout à fait pertinentes. Bien qu'il semble que les fournisseurs auraient présenté les réclamations au nom de la demanderesse, un doute subsiste du seul fait que la défenderesse n'a pas soulevé la question au début. La défenderesse ne peut se fonder sur un doute naissant du caractère tardif de sa requête aux fins de modification.

[41]            Quant au deuxième argument, il n'a pas été suggéré que la qualité pour agir de la demanderesse aux termes de la Loi était pertinente à la question que les parties ont conjointement posée préalablement à l'instruction, à savoir : l'électricité produite par le carburant était-elle essentiellement utilisée dans l'exploitation d'un véhicule? Par conséquent, l'affaire ne sera pas jugée sur de fausses prémisses qui devront être examinées au moment de déterminer la question à trancher à l'instance.

[42]            Je trouve également que la modification proposée n'aiderait pas à trancher la véritable question en litige. Depuis la décision du juge Joyal, la véritable question à trancher a été de savoir si l'électricité produite par le carburant était de l'électricité utilisée essentiellement dans l'exploitation d'un véhicule. L'argument de l'utilisateur final est un argument distinct, une nouvelle défense, que la défenderesse n'a soulevé ni dans ses avis de décision et de détermination, ni dans sa défense ni dans la détermination du point de droit préliminaire.


[43]            Bien que le déposant de la Couronne ait affirmé que cette défense avait été négligée, il a admis lors du contre-interrogatoire qu'avant de faire cette déclaration il n'avait parlé ni au vérificateur qui avait émis l'avis de détermination, ni à l'agent d'appel qui avait émis l'avis de décision, ni à l'agent d'appel désigné pour instruire l'avocat de la défense. La position de la Couronne dans sa défense, telle qu'elle est maintenant structurée, est compatible avec les avis de décision et de détermination, la politique du Ministère à l'égard des réclamations faites par l'utilisateur final telle qu'énoncée dans Nouvelles de l'accise #67, et le traitement par la Couronne des réclamations de remboursement de la demanderesse pour les années antérieures à 1988 et pour l'année 1989. La preuve de la Couronne ne m'a pas convaincue que la défense de l'utilisateur final avait été négligée par inadvertance en 1990 quand ont été produits les exposés de défense.

[44]            Si j'applique ces conclusions au critère articulé par la Cour d'appel dans Andersen Consulting, précité, et si je considère aussi que la défenderesse a pris six mois pour produire ses exposés de défense, si bien que l'on ne peut pas dire qu'ils aient été déposés à la hâte, que la défenderesse a eu à tous moments une connaissance (réelle ou interprétative) du fait que la demanderesse n'était pas titulaire d'une licence conformément à la Loi et qu'elle avait accès aux factures de carburant originales, et que la requête aux fins de modification a été présentée après que la Cour eut tranché un point de droit d'après un exposé conjoint de faits incompatibles avec la modification proposée, je suis convaincue que la requête présentée aux fins de modification doit être rejetée.


[45]            Pour résumer, la requête aux fins de modification de la défenderesse a été présentée trop tard, elle causerait trop de préjudice et ne favoriserait pas les intérêts de la justice.

[46]            Les coûts de cette requête seront déterminés à la fin de l'instruction.

        « Eleanor R. Dawson »         

        Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 22 août 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NOS DU GREFFE :                               T-1709-90, T-1710-90, T-1711-90 et T-1712-90

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Seaspan International Ltd. c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                10 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE LA COUR PAR :                         Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                        22 août 2001

ONT COMPARU:    

Timothy W. Clarke                                               POUR LA DEMANDERESSE

Michael Roach                                        POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bull, Housser & Tupper                                       POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Sous-procureur général du Canada                     POUR LA DÉFENDERESSE

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

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