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Date : 20210114


Dossier : T‑1310‑19

Référence : 2021 CF 54

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2021

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

SEAN SHEA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Sean Shea, est un retraité. Il demande un allègement fiscal des intérêts, ainsi qu’une réduction du montant des arriérés d’impôt dus en raison de difficultés financières et de son âge avancé. L’Agence du revenu du Canada, au nom du ministre du Revenu national, a refusé sa demande à deux reprises. M. Shea, qui agit pour son propre compte, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’ARC le 18 juillet 2019 au terme du deuxième examen.

[2] La principale question à trancher est celle de savoir si la décision rendue au terme du deuxième examen de l’ARC de refuser la demande d’allègement fiscal du demandeur était raisonnable. Je ne suis pas convaincue que la décision examen de l’ARC soit déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire.

[3] Ci‑dessous, je traite d’abord des questions préliminaires de preuve, puis d’un résumé de la preuve des parties. Ensuite, j’effectue mon analyse des principes juridiques applicables en l’espèce, suivie de l’application de ces principes aux faits pertinents en preuve.

II. Questions préliminaires de preuve

[4] Le dossier de M. Shea contient son propre affidavit daté du 12 septembre 2019, en plus de divers documents de correspondance avec l’ARC et de certains de ses dossiers financiers qui ne sont pas joints en tant que pièces à son affidavit. Dans son dossier, le défendeur a déposé l’affidavit d’Amy Lall daté du 4 octobre 2019. Elle est agente d’assurance de la qualité et des programmes à l’ARC, et elle était responsable du dossier de M. Shea aux fins de recouvrement. Aucune des parties n’a été contre‑interrogée sur leur affidavit respectif et n’a contesté l’admissibilité de l’affidavit de l’autre partie. J’ai néanmoins examiné la recevabilité de ces affidavits.

[5] Les affidavits rédigés après la date de la décision ne sont généralement pas admissibles au contrôle judiciaire; le dossier dont la Cour est saisie devrait refléter le dossier dont disposait le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] au para 19; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 au para 17. Il en est ainsi parce que le tribunal administratif, et non la Cour de révision, est chargé de tirer des conclusions de fait; la Cour doit donc éviter de tirer des conclusions de fait sur le fond de l’affaire dont elle est saisie aux fins de contrôle : Delios c Canada (Procureur général, 2015 CAF 117 [Delios] au para 42). Les affidavits déposés dans le cadre d’un contrôle qui ne portent que sur le dossier qui a été présenté au décideur, sans plus, aident la Cour à cet égard.

[6] Il existe des exceptions à cette règle générale dans des situations qui ne sont pas incompatibles avec les rôles respectifs du décideur administratif et de la Cour : Access Copyright, précité, au para 20. En l’espèce, je conclus que l’exception des « renseignements généraux » vise les affidavits des parties, mais seulement en ce qui concerne « les observations pures et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi » : Delios, précité, au para 45.

[7] En ce qui concerne l’affidavit de M. Shea, le premier paragraphe confirme son âge et qu’il est un employé retraité d’Ontario Power Generation. Les paragraphes 1.1 à 1.3 et les pièces jointes confirment le montant de ses pensions nettes pour l’année d’imposition 2018. Étant donné que ces pièces, à première vue, font partie des dossiers de l’ARC, je conclus que, tout compte fait, le paragraphe 1 est admissible. Les paragraphes 2.1 à 2.6 et les pièces jointes sont toutefois inadmissibles, car, à première vue, ils sont postérieurs à la décision rendue par l’ARC le 18 juillet 2019 au terme du deuxième examen et ne servent qu’à confirmer ce que l’ARC a déjà pris en compte, à savoir que M. Shea a déclaré un déficit mensuel après les dépenses. J’estime que le texte à la fin du paragraphe 2, ainsi que des paragraphes 3 à 5, sont plus factuels, avec un minimum de commentaires (comme [traduction] « J’ai été très généreux quand […] ») je suis donc disposée à les admettre.

[8] En ce qui concerne l’affidavit de Mme Lall, j’estime que, dans l’ensemble, il représente un compte rendu factuel des communications de l’ARC avec M. Shea au sujet de sa dette fiscale et des démarches de recouvrement de l’ARC, à deux exceptions près. Premièrement, j’estime que l’en‑tête B représente une conclusion qui, à mon avis, n’est pas étayée par les paragraphes 6 à 15 qui suivent. Deuxièmement, le paragraphe 9 contient des renseignements qui pourraient ou non avoir été communiqués à M. Shea au cours de la conversation téléphonique qu’il a eue avec Mme Lall le 4 juillet 2018; cela n’est pas précisé dans un sens ou dans l’autre. Par conséquent, j’estime que le paragraphe 9 est davantage de la nature d’un commentaire et, par conséquent, je le juge irrecevable.

III. Résumé des éléments de preuve des parties

[9] Il y a des lacunes relatives à la preuve dans les dossiers des deux parties. Voici un résumé des éléments de preuve les plus importants.

[10] Selon Mme Lall, le revenu net de 776 309 $ de M. Shea était composé principalement de gains en capital provenant de la vente de propriétés. Sa dette d’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2017 était de 379 964,78 $ au 18 septembre 2019. En plus de cette dernière somme, une « Ventilation du solde débiteur » non datée jointe en tant qu’annexe à l’affidavit de Mme Lall indique également des « Pénalités et intérêts relativement à une T1 » pour l’année d’imposition 2017 de 32 070,89 $, pour un solde impayé total de 412 035,67 $.

[11] Toutefois, le montant de 379 964,78 $ est en contradiction avec le montant de 395 785,87 $ précisé dans une lettre de mise en garde juridique du 21 juin 2018 de Mme Lall. Les deux parties ont fourni une copie de cette lettre. L’affidavit de Mme Lall indique que la déclaration de revenus de 2017 de M. Shea a fait l’objet d’une cotisation le 3 mai 2018 et d’une nouvelle cotisation le 10 décembre 2018. Toutefois, l’affidavit de Mme Lall n’indique pas si la dette d’impôt sur le revenu de 379 964,78 $ découle de cette nouvelle cotisation. Quoi qu’il en soit, selon Mme Lall, M. Shea n’a pas fait de versements volontaires sur sa dette fiscale.

[12] Mme Lall ajoute que, à la suite de sa lettre de mise en garde juridique du 21 juin 2018, M. Shea a communiqué avec elle par téléphone le 4 juillet 2018 et aurait proposé de rembourser la dette fiscale en payant 1 500 $ par mois. Mme Lall a informé M. Shea qu’il doit faire une divulgation financière complète pour toute entente de paiement de plus de six mois. M. Shea n’aurait pas voulu fournir de documents financiers, mais il a indiqué qu’il vendrait l’une de ses propriétés restantes pour effectuer le paiement complet.

[13] Ils se sont reparlé le 18 octobre 2018. M. Shea aurait indiqué que la tentative de vente d’un chalet a échoué, mais qu’il avait d’autres investissements et propriétés. Toutefois, avant cette dernière conversation, M. Shea a déposé un avis d’opposition daté du 11 juillet 2018 à la demande de 395 785,87 $ et une lettre à l’appui à la même date dans laquelle il demandait une réduction d’impôt et un allègement des intérêts ou une renonciation à ceux‑ci, parce qu’il est un retraité ayant dépassé ses limites financières qui compte sur trois pensions pour survivre. La lettre d’appui indique que les relevés bancaires sont joints. Je souligne également, cependant, que le dossier de M. Shea ne contient pas de copies des pièces jointes à la lettre. Quoi qu’il en soit, la lettre d’appui se termine ainsi : [traduction] « J’ai la ferme intention de payer mes impôts dus le plus rapidement possible, même si je subis une perte sur mon investissement ». [Caractère gras ajouté.]

[14] En réponse à la demande d’allègement de M. Shea, l’ARC a rendu sa décision relative à l’allègement le 4 février 2019 pour l’année d’imposition 2017 dans laquelle celle‑ci a rejeté sa demande pour trois raisons : a) il a informé l’ARC qu’il était en mesure de faire des paiements mensuels de 50 000 $ à l’égard de sa dette fiscale; b) il a fait des contributions totalisant 57 094 $ à un compte d’épargne libre d’impôt; c) il a réalisé des gains en capital de 764 595 $ cette année‑là. La décision relative à l’allègement, rendue par S. Carroll, chef d’équipe, Centre d’expertise pour l’allègement pour les contribuables, Direction générale des appels, précise que l’ARC ne peut examiner que les montants des pénalités et des intérêts, et non la totalité du montant dû. De plus, elle définit les « difficultés financières » comme [traduction] « une incapacité prolongée de subvenir à ses besoins fondamentaux comme la nourriture, les vêtements, le logement et les éléments non essentiels raisonnables ». Les deux parties ont produit une copie de la décision relative à l’allègement. Toutefois, le montant mensuel de 50 000 $ est en contradiction avec la description que Mme Lall a faite de la proposition de M. Shea dans son appel du 4 juillet 2018 visant à rembourser sa dette fiscale de 1 500 $ par mois. L’affidavit de Mme Lall n’indique rien au sujet de la divergence. La décision relative à l’allègement indique clairement, cependant, qu’en raison de la perception de la capacité de M. Shea de payer 50 000 $ par mois, de ses cotisations au CELI et de ses gains en capital pour l’année d’imposition 2017, S. Carroll n’a pas été en mesure de conclure que M. Shea était incapable de respecter ses obligations fiscales en raison de difficultés financières ou de l’incapacité de payer.

[15] La décision relative à l’allègement indique en outre que si M. Shea croyait que la décision n’était pas juste et raisonnable, il pouvait demander un deuxième examen indépendant par un autre fonctionnaire. M. Shea a présenté une telle demande que l’ARC a reçue le 12 mars 2019. Une copie de la demande est une pièce jointe à l’affidavit de Mme Lall. Dans sa demande, M. Shea conteste avoir indiqué au service de recouvrement de l’ARC qu’il pouvait payer 50 000 $ par mois parce que ses dépenses dépassaient son revenu. Il indique également que la décision relative à l’allègement du 4 février 2019 ne tenait pas compte de la marge de crédit qu’il a dû rembourser relativement à la vente de la propriété qui a entraîné les gains en capital pour l’année d’imposition 2017. Il réitère sa demande de réduction d’impôts et de renonciation aux intérêts dus. M. Shea déclare en outre ceci : [traduction] « Je peux payer mes impôts dus à Revenu Canada [;] j’ai certains actifs [et] j’ai disposé de certains d’entre eux pour respecter mes engagements financiers et je ferai de même pour payer les impôts dus, qui sera, il est à espérer, un montant raisonnable réduit ». [Caractère gras ajouté.] L’ARC a accusé réception de la demande dans une lettre adressée à M. Shea du 4 avril 2019, dont M. Shea a produit une copie.

[16] Le 13 mars 2019, Mme Lall a envoyé une deuxième lettre de mise en garde juridique à M. Shea. Les deux parties ont produit une copie de la lettre qui indique que, à ce moment‑là, M. Shea devait 401 823,69 $ exigibles immédiatement. À moins d’effectuer un paiement intégral ou de fournir une réponse dans le délai de 14 jours, M. Shea pourrait s’exposer à des poursuites judiciaires. M. Shea aurait communiqué de nouveau avec Mme Lall, cette fois‑ci, le 27 mars 2019, et aurait indiqué qu’il prévoyait vendre un de ses actifs, mais qu’il avait besoin de plus de temps. Mme Lall a répondu qu’il avait jusqu’au 19 avril 2019 pour faire un paiement de 10 000 $ à l’ARC, ce qu’il n’a pas fait.

[17] L’ARC a accusé réception de la demande de M. Shea d’un deuxième examen le 4 avril 2019 et lui a envoyé une lettre de suivi du 27 mai 2019 pour demander des documents financiers. La lettre de suivi indiquait qu’en l’absence des documents demandés, l’ARC prendrait une décision en fonction des renseignements dont elle disposait. Seule Mme Lall a produit une copie de cette lettre.

[18] La décision examen relative à l’allègement pour l’année d’imposition 2017 est datée du 18 juillet 2019 et les deux parties en ont produit une copie. La décision examen du 18 juillet 2019 a été rendue par K. Yeo, chef d’équipe, Centre d’expertise pour l’allègement pour les contribuables, Direction générale des appels. À l’instar de la décision relative à l’allègement du 4 février 2019, elle précise que l’ARC ne peut examiner que les montants des pénalités et des intérêts, et non la totalité du montant dû. Après un deuxième examen indépendant des faits et des circonstances de l’affaire, l’ARC a de nouveau refusé la demande. La décision rendue au terme du deuxième examen est examinée plus en détail ci‑dessous dans mon analyse.

[19] En ce qui concerne les parties admissibles de l’affidavit de M. Shea, il souligne la nécessité de vendre des actifs chaque mois pour [traduction] « respecter ses engagements financiers ». Il ne fournit toutefois aucun renseignement sur les actifs vendus. Il demande une réduction des impôts dus et l’arrêt des intérêts composés quotidiens, ce qui ajoute environ 22 000 $ aux impôts dus à l’ARC.

[20] L’affidavit de M. Shea mentionne également que la vente de propriétés avant l’année d’imposition 2017 lui a permis de faire de généreux dons de bienfaisance totalisant 55 000 $. Il décrit certaines des activités de bienfaisance auxquelles il a participé depuis qu’il a pris sa retraite. M. Shea allègue en outre des difficultés en raison du prétendu blocage par l’ARC de sa pension de vieillesse pendant un an, de la confiscation de sommes d’argent et du gel de comptes bancaires. Il réitère sa proposition de verser 1 500 $ par mois à l’ARC et la possibilité d’augmenter ce montant en cas de manne financière. Dans ses observations écrites et orales, M. Shea indique en outre qu’il a offert d’enregistrer un privilège sur son chalet pour garantir les impôts dus en cas de non‑paiement ou de décès. À l’audience tenue devant moi, l’avocat du défendeur a indiqué que cette dernière offre n’a pas été consignée et qu’elle a peut‑être été faite de façon vague. Aucun élément de preuve n’a toutefois été fourni pour contredire l’offre faite par M. Shea d’enregistrer un privilège.

IV. Norme de contrôle de la décision et rôle de la Cour

[21] La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10. Bien qu’il s’agisse d’un type de contrôle rigoureux, les Cours ne devraient intervenir que lorsque cela est nécessaire. Pour éviter une intervention judiciaire, la décision doit être transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques applicables dans les circonstances : Vavilov, au para 99. Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur des éléments de preuve pertinents ou qu’il en a fait abstraction : Vavilov, au para 126. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[22] Lorsqu’elle examine le caractère raisonnable de la décision d’un décideur, la Cour n’a pas pour rôle de formuler une décision de substitution. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Il faut souligner que « [l]e rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige » : Vavilov, au para 83. De façon plus contextuelle, « lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale n’a pas à établir si la pénalité ou les intérêts auraient initialement dû être imposés, mais plutôt si la décision de ne pas les annuler était raisonnable » : Neyedly c Canada (Procureur général), 2020 CF 678 au para 75; Chekosky c Canada (Agence du revenu), 2019 CF 841 au para 39.

V. Analyse

a) Principes juridiques applicables

[23] Bien que la demande d’allègement fiscal de M. Shea ne précise aucune disposition législative applicable, je conviens avec le défendeur que le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c I (5e suppl) [la LIR] s’applique dans les circonstances. Cette disposition, reproduite à l’annexe A, donne au ministre du Revenu national [le ministre] le pouvoir discrétionnaire d’accorder un allègement des intérêts et des pénalités aux contribuables dans les limites prescrites. Les directives énoncées dans la circulaire d’information IC07‑1R1, « Dispositions d’allègement pour les contribuables », du 18 août 2017 [les Lignes directrices] aident le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire (délégué à l’ARC). Les Lignes directrices décrivent l’objectif général de la LIR qui est de permettre à l’ARC d’administrer le régime fiscal de façon équitable et raisonnable. L’ARC peut donc aider les contribuables en accordant un allègement des intérêts et des pénalités dans les situations suivantes : 1) des circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté du contribuable, comme des catastrophes naturelles ou d’origine humaine, des maladies ou accidents graves; 2) des actions de l’ARC, comme des retards et des erreurs de traitement; et 3) l’incapacité du contribuable de payer ou des difficultés financières. En ce qui concerne l’incapacité présumée de payer ou les difficultés financières, les Lignes directrices indiquent que l’ARC effectuera un examen détaillé de la situation financière d’un contribuable, notamment les éléments suivants : les revenus et les dépenses, les actifs et les passifs, la capacité d’emprunter des fonds et de vendre des actifs, et la conduite et les efforts pour payer le solde dû.

[24] Les Lignes directrices n’ont pas de force exécutoire; bien qu’elles fournissent des exemples, elles ne visent pas à limiter les circonstances dans lesquelles l’ARC peut choisir d’exercer son vaste pouvoir discrétionnaire : May c Canada (Procureur général), 2019 CF 321 au para 36, citant Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 au para 27. Étant donné que l’octroi d’une dispense est une mesure discrétionnaire, et non de plein droit, cela indique que la norme de contrôle exige une plus grande retenue : Lanno c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153 au para 6. Cela dit, le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes et uniques du contribuable, et sans qu’il soit tenu compte des circonstances non pertinentes. Autrement dit, chaque cas doit être décidé selon son bien‑fondé : Edwards c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2002 CFPI 618 au para 14, citant Kaiser c Ministre du Revenu national, (1995) 93 FTR 66 au para 69.

b) Application des principes juridiques aux faits pertinents

[25] J’estime que l’ARC a raisonnablement donné à M. Shea plusieurs occasions de fournir des détails et des renseignements supplémentaires concernant sa situation financière particulière. L’ARC a reconnu que les renseignements fournis par M. Shea au sujet de ses revenus et de ses dépenses ont entraîné un déficit mensuel après les dépenses. Ses propres déclarations, toutefois, dans son avis d’opposition et sa demande de deuxième examen indépendant, laissent entendre que sa situation financière comporte d’autres éléments que ce qu’il en a révélé. Il a dit ceci : [traduction] « J’ai la ferme intention de payer mes impôts dus le plus rapidement possible même si je subis une perte sur mon investissement »; et « Je peux payer mes impôts dus à Revenu Canada [;] J’ai certains actifs [et] j’ai disposé de certains d’entre eux pour respecter mes engagements financiers et je ferai de même pour payer le montant des impôts dus, qui sera, il est à espérer, un montant raisonnable réduit ».

[26] Il est clair que la décision relative à l’allègement du 4 février 2019 a été influencée par la perception de la capacité de M. Shea de payer 50 000 $ par mois pour payer sa dette fiscale, car il s’agissait de la première des trois raisons pour refuser de conclure à des difficultés financières ou à une incapacité de payer. Bien que la preuve de Mme Lall confirme l’offre de M. Shea de payer 1 500 $ par mois, son affidavit ne contient aucune mention sur l’origine du chiffre de 50 000 $. Cependant, j’estime que la décision rendue au terme du deuxième examen est davantage axée sur la capacité de M. Shea de payer ou sur les difficultés financières relatives aux intérêts sur arriérés, plutôt que sur ce que M. Shea a offert comme plan ou entente de paiement.

[27] Après avoir noté que l’ARC n’a pas reçu les renseignements demandés dans sa lettre de suivi du 27 mai 2019 adressée à M. Shea, la décision rendue au terme du deuxième examen indique ce qui suit : [traduction] : « J’ai pris en considération que vous avez déclaré un déficit mensuel après les dépenses; toutefois, je n’ai pas établi que vous étiez incapable de payer ou que le paiement des intérêts sur arriérés pourrait causer des difficultés financières ». La décision rendue au terme du deuxième examen reconnaît ensuite la déclaration de M. Shea selon laquelle il n’a pas informé le service des recouvrements de l’ARC qu’il ne pouvait pas payer 50 000 $ par mois, comme l’indiquait la décision relative à l’allègement du 4 février 2019. La décision rendue au terme du deuxième examen reconnaît également la déclaration de M. Shea selon laquelle le premier examen n’a pas tenu compte de la marge de crédit qui devrait être payée au moment de la vente de la propriété. Après avoir reconnu ces déclarations, le décideur, K. Yeo, déclare : [traduction] « Toutefois, vous n’avez pas fourni la valeur de vos actifs, y compris la valeur de la propriété ». Le décideur fait ensuite référence aux communications de M. Shea du 4 juillet 2018 et du 27 mars 2019 avec l’ARC et aux indications de M. Shea selon lesquelles il dispose d’actifs dont il se départira pour payer l’impôt dû; il possède plus d’une propriété; il en vendrait une pour payer les impôts dus en entier; et il avait besoin de plus de temps pour le faire.

[28] Autrement dit, j’estime que le décideur se concentre sur la situation financière globale de M. Shea, au sujet de laquelle M. Shea n’a pas été très franc, et non sur ce qu’il proposait de payer. Bien que M. Shea ait fourni des renseignements au sujet de ses revenus et de ses dépenses, j’estime en outre qu’il n’était pas déraisonnable, compte tenu des déclarations de M. Shea ci‑dessus, que l’ARC demande des renseignements supplémentaires en s’inspirant des Lignes directrices pour évaluer sa capacité de payer ou ses difficultés financières, comme les actifs. La lettre de suivi du 27 mai 2019 adressée à M. Shea demandait de la documentation sur les actifs et les passifs, en plus des revenus et des dépenses.

[29] La décision rendue au terme du deuxième examen conclut ainsi : [traduction] « On s’attend à ce que les contribuables qui sont capables d’obtenir des fonds pour payer leurs arriérés d’impôt le fassent. […] Comme vous indiquez que vous pouvez payer vos arriérés d’impôt en vendant des actifs, je n’ai pas déterminé que vous étiez incapable de payer ou que vous éprouviez des difficultés financières ». Compte tenu des déclarations de M. Shea, et en l’absence de détails supplémentaires concernant ses actifs et ses propriétés en particulier, à mon avis, cette conclusion n’est pas non plus déraisonnable dans les circonstances.

VI. Conclusion

[30] Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que la décision rendue le 18 juillet 2019 au terme du deuxième examen est déraisonnable. En conséquence, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[31] À l’audience tenue devant moi, les deux parties ont indiqué qu’elles ne demandaient pas de dépens; par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑1310‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, traducteur


Annexe A : Dispositions législatives pertinentes

Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl)

Fonctions du ministre

220(1) …

Minister’s Duty

220(1) …

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Waiver of penalty or interest

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1310‑19

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SEAN SHEA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO) (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 NOVEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JANVIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Sean Shea

 

LE DEMANDEUR

 

Kevin Dias

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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