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Date : 19990706


T-555-97


MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 6 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NADON


E n t r e :


     WALTER PRINESDOMU,

     demandeur,

     - et -

     TÉLÉGLOBE CANADA INC.,

     défenderesse.


     ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



     Marc Nadon

     JUGE


Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.




Date : 19990706


T-555-97


E n t r e :


     WALTER PRINESDOMU,

     demandeur,

     - et -

     TÉLÉGLOBE CANADA INC.,

     défenderesse.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON


[1]      La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 26 février 1997 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) a rejeté la plainte portée par le demandeur contre la défenderesse.

[2]      Les faits essentiels peuvent être résumés comme suit. Le demandeur est un homme de 56 ans d'origine tchèque. Il a commencé à travailler pour la défenderesse en 1975 à titre de technicien en télécommunications. En 1978, il a été promu au poste de superviseur technique.

[3]      Le 5 décembre 1994, tous les superviseurs techniques ont reçu un avis de licenciement prenant effet le 12 décembre 1994. Pour justifier ces licenciements, la défenderesse a invoqué une restructuration organisationnelle de son entreprise qui avait pour effet de supprimer le premier niveau de supervision.

[4]      Les superviseurs techniques, dont le demandeur faisait partie, étaient membres de l'Association des superviseurs techniques en télécommunications (ASTT). L'ASTT et le demandeur n'ont pas accepté les licenciements annoncés par la défenderesse le 5 décembre 1994. Un différend opposant l'ASTT, ses membres et le demandeur a donc été porté devant le Conseil canadien des relations du travail. Plus particulièrement, l'ASTT contestait les avis de licenciement au motif qu'ils constituaient des pratiques de travail déloyales et elle a demandé au Conseil canadien des relations du travail d'annuler les avis de licenciement et de réintégrer les superviseurs techniques dans leur emploi.

[5]      Les avis de licenciement du 5 décembre 1994 ont également donné lieu à un différend entre le demandeur et l'ASTT. Le demandeur était insatisfait de la façon dont l'ASTT s'était occupé du différend devant le Conseil canadien des relations du travail.

[6]      Le 27 juin 1995, le demandeur a téléphoné à la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) pour s'informer au sujet de la possibilité de porter plainte contre la défenderesse. Ce jour-là, Mme Sharon Henry, un agent des droits de la personne, a écrit ce qui suit au demandeur :

[TRADUCTION]

     La présente confirme la conversation téléphonique que nous avons eue aujourd'hui et au cours de laquelle vous m'avez informée que vos doléances en ce qui concerne le refus de Téléglobe Canada Inc. de vous garder à son service en raison de votre âge fait l'objet d'un grief qui est toujours en instance.
     L'article 41 de la Loi sur les droits de la personne dispose que la présumée victime d'un acte discriminatoire doit d'abord épuiser la procédure de règlement des griefs avant de pouvoir saisir la Commission canadienne des droits de la personne d'une plainte.
     Ainsi que je vous l'ai précisé, si vous ne recevez pas de réponse satisfaisante à vos doléances par la procédure d'arbitrage des griefs, vous pourrez alors communiquer de nouveau avec nous pour nous soumettre votre cas.

[7]      Le 28 juin 1995, la défenderesse a, en échange du retrait par le demandeur de toutes les plaintes et de tous les griefs qu'il avait déposés au sujet de son licenciement du 5 décembre 1995, offert au demandeur un poste de technicien en télécommunications à son Centre international de Montréal II (Bonaventure) au salaire annuel de 62 248,49 $ la première année. Le demandeur, qui a rejeté cette offre, a d'abord expliqué de la façon suivante son refus à la CCDP :

     [TRADUCTION]
     Le 29 juin 1995, la défenderesse m'a offert un poste de technicien en télécommunications à Montréal. Ce poste m'obligeait à adhérer à un autre syndicat, comportait une importante baisse de salaire, ne garantissait pas mon ancienneté en ce qui concerne les licenciements contestés par ce syndicat et m'obligeait à déménager à Montréal. Je n'ai pas accepté cette offre, parce que les circonstance m'amenaient à penser qu'elle n'était pas faite de bonne foi et qu'elle perpétuait la discrimination dont je faisais l'objet.

[8]      Plus tard, le demandeur a expliqué son refus de la manière suivante :

     [TRADUCTION]
     En réponse à la prétendue offre de " réintégration ", j'estime nécessaire d'ajouter qu'au cours de mon emploi à Téléglobe Canada (ou ailleurs), je n'ai jamais occupé de poste de " technicien en télécommunications " et que je ne puis donc pas être réintégré dans ce poste. De fait, au moment de la cessation de mon emploi, je supervisais une équipe de dix techniciens en télécommunications et je travaillais comme superviseur technique pour Téléglobe Canada depuis 1977. Qui plus est, au moment où cette " offre " m'a été faite, au moins 30 pour 100 des postes de techniciens en télécommunications qui travaillaient au bureau de Toronto ont été déclarés superflus et ces personnes ne travaillent plus pour Téléglobe.

[9]      Finalement, le demandeur a invoqué une troisième raison pour expliquer le refus qu'il a opposé à l'offre d'emploi de la défenderesse. Voici cette explication :

     [TRADUCTION]
     En ce qui concerne le poste dont le salaire était " protégé ", je tiens à préciser que cette protection ne devait durer qu'un an et qu'elle ne visait que la rémunération de base. L'offre a été faite de mauvaise foi, étant donné que le poste m'a été expressément offert en violation de la convention collective conclue entre Téléglobe et le Syndicat canadien des télécommunications transmarines qui stipule que tout nouveau poste tombant sous le coup de la convention collective doit être offert aux membres actuels ou licenciés de l'ASTT et être affiché pour une période déterminée.


[10]      En mars 1996, l'ASTT et la défenderesse se sont entendues au sujet du litige découlant de la restructuration organisationnelle de la défenderesse. La défenderesse a accepté de verser une somme de 462 008 $, qui devait être répartie entre les superviseurs techniques. En ce qui concerne le demandeur, l'article 3 de l'entente conclue entre l'ASTT et la défenderesse prévoyait ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     3. Les parties reconnaissent et prennent acte du fait que M. Walter Prinesdomu a entièrement répudié l'entente conclue le 28 juin 1995 au sujet de sa réintégration au poste de technicien en télécommunications au Centre international de Montréal II. En conséquence, la société s'engage à verser à M. Prinesdomu la somme forfaitaire de 59 660 $ à titre d'indemnité pour la perte de son emploi par suite de la restructuration organisationnelle au moment de la cessation d'emploi complète et définitive de M. Prinesdomu.

[11]      Le 25 mars 1996, le demandeur a accepté l'offre susmentionnée de 59 660 $ de la défenderesse et a signé la renonciation suivante :

     [TRADUCTION]

     RENONCIATION TOTALE ET DÉFINITIVE

         Sur réception d'une contrepartie de valeur, je soussigné, Walter Prinesdomu, reconnaît que mon emploi à TÉLÉGLOBE CANADA INC. a pris fin le 5 décembre 1994 et je renonce par la présente en faveur de TÉLÉGLOBE CANADA INC., de ses administrateurs, dirigeants, responsables, employés, représentants et mandataires de façon totale et définitive à toute action, droit d'action, dette, créance, pacte, contrat, plainte, grief, procès ou mise en demeure de quelque nature que ce soit que j'ai, que j'ai eus ou que je pourrais avoir présentement ou à l'avenir et qui découlerait directement ou indirectement de mon emploi à TÉLÉGLOBE CANADA INC. ou de la cessation de mon emploi survenu le 5 décembre 1994.
         TÉLÉGLOBE CANADA INC. me versera le montant brut de 59 660 $ diminué de toutes les sommes et retenues exigées par la loi. Il est toutefois convenu que j'aurai la faculté, dans les quinze (15) jours suivants, de demander qu'une partie de ce montant brut soit versé directement dans mon régime enregistré d'épargne retraite et que, sur réception des documents nécessaires, TÉLÉGLOBE CANADA INC. versera ce montant dans mon régime enregistré d'épargne retraite jusqu'à concurrence du plafond permis par la loi.
         Il demeure entendu que le versement de cette somme par TÉLÉGLOBE CANADA INC. ne constitue nullement un aveu et qu'il est fait sous toutes réserves et uniquement dans le but de résoudre toutes les questions en litige se rapportant à mon emploi à TÉLÉGLOBE CANADA INC. ou à la cessation de mon emploi.

[12]      Le 26 septembre 1996, le demandeur a déposé auprès de la CCDP une plainte contre la défenderesse. Dans sa plainte, le demandeur alléguait que la défenderesse [TRADUCTION] " a fait preuve de discrimination à mon égard en refusant de me garder à son service en raison de mon âge et de mon origine nationale ou ethnique, le tout en violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ". Les actes reprochés à la défenderesse se seraient produits entre décembre 1994 et mars 1996. Voici les détails que le demandeur a fournis dans sa plainte à ce sujet :

     [TRADUCTION]

     DÉTAILS

     Je suis un homme de 56 ans d'origine tchèque. J'ai commencé à travailler pour la mise en cause le 28 avril 1975 comme technicien en télécommunications. En septembre 1978, j'ai été promu au poste de superviseur technique, poste que j'ai occupé jusqu'à ce que je reçoive, avec tous les autres superviseurs techniques membres de l'Association des superviseurs techniques en télécommunications, un avis de licenciement qui était daté du 5 décembre 1994 et qui devait prendre effet le 12 décembre 1994.
     Le 5 décembre 1994, la mise en cause a précisé que les superviseurs techniques licenciés pouvaient postuler certains postes de " directeurs associés " (postes non syndiqués correspondant essentiellement au poste préalablement occupé par les superviseurs techniques). J'ai posé ma candidature à trois de ces postes de " directeur associé " à Toronto, Burnaby et Lake Cowichan. Le 23 décembre 1994, la mise en cause m'a informé qu'aucune suite ne serait donnée à mes demandes concernant les postes offerts à Burnaby et Lake Cowichan. Aucune explication ne m'a été fournie. J'ai appris par la suite que tous les superviseurs techniques francophones avaient immédiatement été réembauchés, que le poste de Toronto avait été attribué à un jeune membre de l'ASTT qui possédait beaucoup moins d'expérience que moi et que les deux autres postes avaient été attribués à de jeunes employés qui travaillaient auparavant comme techniciens en télécommunications et qui ne possédaient aucune expérience en gestion.

     Le 29 décembre 1994, la mise en cause m'a informé que plusieurs autres postes étaient vacants et m'a invité à poser ma candidature. J'ai postulé deux de ces postes vacants pour lesquels je possédais toutes les qualités requises. La mise en cause m'a informé le 6 janvier 1995 que je ne possédais pas les compétences exigées pour les postes de coordinateur et/ou d'analyste comparatif supérieur. Or, je remplissais toutes les conditions requises pour ces postes. Je crois que ma candidature a été écartée à cause de mon âge et de mon origine nationale ou ethnique, étant donné que seules ces caractéristiques me différenciaient des autres candidats reçus. Je crois également que, sous prétexte de procéder à une restructuration organisationnelle, la mise en cause a entrepris une élimination systématique des cadres et autres employés non francophones plus anciens, lesquels ont été congédiés, rétrogradés ou forcés d'accepter une retraite anticipée. Les postes devenus ainsi vacants ont par ailleurs été pourvus surtout par des employés francophones plus jeunes, à quelques exceptions près, ou de jeunes non francophones ont été embauchés ou promus. La grande majorité des nouveaux employés qui ont été engagés ou promus après février 1993 sont francophones, sauf dans le cas de quelques postes pour lesquels une connaissance précise des opérations locales que ne possédaient pas les employés francophones était essentielle.
     Le 28 juin 1995, la mise en cause m'a offert un poste de technicien en télécommunications à Montréal. Ce poste m'obligeait à adhérer à un autre syndicat, comportait une importante baisse de salaire, ne garantissait pas mon ancienneté en ce qui concerne les licenciements contestés par le syndicat et m'obligeait à déménager à Montréal. Je n'ai pas accepté cette offre, parce que les circonstances m'amenaient à penser qu'elle n'était pas faite de bonne foi et qu'elle perpétuait la discrimination dont je faisais l'objet. Cette offre était assujettie à la condition que je retire toutes mes plaintes et tous mes griefs contre la mise en cause et l'Association des superviseurs techniques en télécommunications. Il s'agissait là encore d'une demande qui n'était faite à aucun autre employé.
     En mars 1996, j'ai posé ma candidature à un poste vacant d'ingénieur à Toronto, poste pour lequel je remplissais toutes les conditions requises. Ma candidature a été rejetée par le directeur de la succursale de Toronto, M. Philippe Lemieux, qui m'a expliqué que les conditions de candidature de ce poste avaient été modifiées de manière à permettre aux membres du personnel subalterne de poser leur candidature et que le poste avait finalement été attribué à un employé subalterne.
     Depuis février 1993, la mise en cause a fait preuve d'un parti pris flagrant dans l'embauche et la promotion d'employés plus jeunes et/ou francophones tout en éliminant systématiquement les employés plus âgés et plus anciens d'autres origines ethniques. Ce parti pris démontre que les exigences professionnelles imposées par la mise en cause n'étaient pas justifiées. Ce procédé est désigné, non seulement au sein du personnel de Téléglobe mais également dans la presse, sous le nom de " purification ethnique ".



[13]      La CCDP a chargé M. Rae Raymond d'enquêter sur la plainte du demandeur. L'enquêteur a discuté de l'affaire avec le demandeur et, le 28 novembre 1996, le demandeur a écrit ce qui suit à M. Raymond :

     [TRADUCTION]
     Pour faire suite à notre conversation téléphonique, vous trouverez ci-joint une copie du règlement final intervenu entre l'Association des superviseurs techniques en télécommunications et Téléglobe Canada Inc. L'ASTT s'est énergiquement opposée avec succès aux démarches que j'avais entreprises en vue d'obtenir une audience devant le Conseil canadien des relations du travail au sujet de graves violations de la convention collective de l'ASTT et du Code canadien du travail en ce qui concerne des pratiques de travail déloyales.
     En réponse à la prétendue offre de " réintégration " qui m'a été faite, j'estime nécessaire d'ajouter qu'au cours de mon emploi à Téléglobe Canada (ou ailleurs), je n'ai jamais occupé de poste de " technicien en télécommunications " et que je ne puis donc être réintégré dans cet emploi. De fait, au moment de la cessation de mon emploi, je supervisais une équipe de dix techniciens en télécommunications et je travaillais comme superviseur technique pour Téléglobe Canada depuis 1977. Qui plus est, au moment où cette " offre " m'a été faite, au moins 30 pour 100 des postes de techniciens en télécommunications qui travaillaient au bureau de Toronto ont été déclarés superflus et ces personnes ne travaillent plus pour Téléglobe.
     On peut me joindre par téléphone au numéro [...] Veuillez prendre note que je travaille à l'étranger et que je voyage beaucoup. Il se peut donc que je tarde quelque peu à répondre.
     N'hésitez pas à communiquer avec moi si vous désirez de plus amples renseignements.


[14]      Le 17 décembre 1996, l'enquêteur a remis son rapport à la CCDP et a recommandé que [TRADUCTION] " la Commission ne donne pas suite à la plainte ". L'enquêteur a indiqué à la CCDP que l'affaire devait être résolue de la manière suivante :

     [TRADUCTION]
     [...] en vertu de l'alinéa 41d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, déclarer irrecevable la plainte (T34893) que M. Walter Prinesdomu d'Unionville (Ontario) a déposée contre Téléglobe Canada Inc. en septembre 1996 au motif qu'il avait été victime d'une discrimination dans l'emploi sur le fondement de l'âge et de l'origine nationale et ethnique parce que le plaignant a conclu avec la mise en cause une entente par laquelle il a accepté de ne pas porter plainte contre la mise en cause.



[15]      Après avoir reçu une copie du rapport de l'enquêteur, le demandeur a écrit le 6 janvier 1997 à M. Charles Théroux, directeur-adjoint des plaintes et des enquêtes à la CCDP. Dans la lettre de deux pages qu'il a écrite à M. Théroux, le demandeur explique les raisons pour lesquelles, selon lui, l'enquêteur a mal compris le sens de la renonciation qu'il avait signée le 25 mars 1996.

[16]      Le 16 janvier 1997, le mandataire du demandeur, Me Harry Kopyto, a écrit à M. Théroux pour lui expliquer en termes plus généraux les raisons pour lesquelles le demandeur estimait que sa plainte devait être entendue.

[17]      Le 26 février 1997, la CCDP a écrit au demandeur pour l'informer que la CCDP avait conclu qu'eu égard aux circonstances, sa plainte était vexatoire et qu'aucune suite ne devait lui être donnée. Voici un extrait de cette lettre :

     [TRADUCTION]
         Je vous informe par la présente de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne au sujet de la plainte que vous avez portée contre Téléglobe Canada Inc. (T34893). Avant de rendre leur décision, les commissaires ont examiné le rapport qui vous a déjà été communiqué, ainsi que les observations que Me Harry Kopyto nous a adressées le 16 janvier 1997.
         Après avoir examiné ces éléments, les commissaires ont décidé de déclarer la plainte irrecevable. Voici les motifs de cette décision :
         En vertu de l'alinéa 41d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a résolu de déclarer la plainte irrecevable pour les raisons suivantes :
         Le 25 mars 1996, le plaignant a conclu une entente avec la mise en cause ;
         Aux termes de cette entente, le plaignant a notamment convenu de renoncer à toute action, toute plainte ou tout grief introduit ou déposé contre la mise en cause et se rapportant à son emploi chez cette dernière ;
         Le 26 septembre 1996, le plaignant a déposé une plainte devant la Commission au sujet de son emploi chez la mise en cause ;
         Dans ces conditions, il serait vexatoire de continuer à enquêter sur cette plainte.

[18]      Le demandeur affirme que la renonciation visait la relation d'emploi qui existait jusqu'au 5 décembre 1994, ce qui ne l'empêchait donc pas de porter plainte devant la CCDP au sujet de demandes d'emploi faites après la cessation de son emploi.

[19]      Le demandeur soutient que la CCDP a mal compris la preuve et qu'elle a tiré des conclusions injustifiées qui équivalent à des erreurs invalidant sa décision en donnant à la renonciation un effet prospectif.

[20]      Le demandeur fait valoir que, si elle devait conclure que la renonciation était libellée de manière à s'appliquer aux demandes de travail à venir, la Cour devrait conclure, pour des motifs d'ordre public, que cette renonciation est inadmissible et qu'elle constitue une entrave à la liberté de commerce et à la liberté contractuelle.

[21]      À titre subsidiaire, le demandeur affirme qu'il a signé la renonciation sous la contrainte, ce qui devrait entraîner la nullité de son contrat pour vice de consentement. Au moment où il a signé la renonciation, le demandeur était licencié depuis un certain temps, il risquait de perdre complètement son emploi et il devait subvenir aux besoins de ses deux fils à charge. Le demandeur fait également valoir que le fait que la CCDP n'a pas tenu compte de ces circonstances pour conclure à la contrainte constitue une erreur justifiant le contrôle judiciaire de sa décision.

[22]      Le demandeur affirme par ailleurs que la Cour devrait lui accorder la réparation qu'il sollicite parce que, suivant le principe de l'acte de confiance portant préjudice, il s'est fié à la communication officielle d'un des commissaires de la CCDP qui lui affirmait qu'il avait le droit de déposer une plainte après avoir épuisé la procédure de règlement des griefs.

[23]      À mon avis, la demande ne peut réussir. La plainte du demandeur a été rejetée par la CCDP en vertu de l'alinéa 41d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, qui dispose :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants_ :

     ...

     ...

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ;

[24]      Dans l'affaire Canada (procureur général) c. Merrick, [1996] 1 C.F. 704, le juge McKay était saisi d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général du Canada qui contestait une décision rendue par la CCDP en vertu de l'alinéa 41e)1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans sa décision, la CCDP avait décidé d'examiner une plainte qui avait été déposée environ six ans après la survenance de l'acte reproché. Pour justifier sa décision de ne pas modifier la décision contestée, le juge McKay a tenu, aux pages 712 et 713, les propos suivants auxquels je souscris entièrement :

     Il est bien établi qu'en exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'alinéa 41e) de la LCDP, la Commission exerce principalement sa compétence administrative. L'alinéa 41e) est rédigé dans les termes suivants :
     41. Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :
     . . .
         e) la plainte a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée.
C'est aussi une règle bien établie que la Cour ne doit pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire si celui-ci a été exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle et si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la Loi5.
Récemment, dans la décision Lukian c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada6, le juge en chef adjoint Jerome a fait des observations sur la norme de contrôle applicable, plus précisément dans le contexte de l'exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire de procéder à l'examen d'une plainte :
         D'une manière générale, les tribunaux judiciaires, appelés à se prononcer sur la manière dont un tribunal administratif a exercé les pouvoirs discrétionnaires qui lui sont reconnus, hésiteront à intervenir, étant donné que ces tribunaux, en raison de la formation, de l'expérience, des connaissances et de l'expertise de leurs membres, sont, mieux que les cours de justice, en mesure d'exercer ces pouvoirs. Ainsi, puisque la décision rendue par la Commission se situe dans les limites du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu, la Cour ne cherchera pas à s'immiscer dans la manière dont ce pouvoir est exercé, à moins qu'il ne soit démontré que la manière dont il a été exercé était contraire au droit. Or, le droit exige que la Commission examine chaque cas qui lui est présenté, qu'elle agisse de bonne foi, qu'elle tienne compte de l'ensemble des considérations pertinentes, qu'elle ne soit pas influencée par des considérations hors de propos et qu'elle n'agisse pas de manière arbitraire ou capricieuse ou pour une raison contraire à l'esprit de son texte d'habilitation.
Bref, la Cour ne devrait intervenir en l'espèce que si elle est convaincue que la Commission a commis une erreur de droit ou qu'elle a agi de façon déraisonnable.

[25]      La preuve qui m'a été soumise ne démontre pas que la CCDP a commis une erreur de droit ou qu'elle a agi de façon déraisonnable. Il était selon moi loisible à la CCDP de conclure qu'" il serait vexatoire de continuer à enquêter sur cette plainte ". Il est sans intérêt de savoir si j'aurais interprété la renonciation signée par le demandeur de la même manière que la CCDP et l'enquêteur. Je suis cependant convaincu que l'interprétation de la CCDP et celle de l'enquêteur ne sont pas déraisonnables. En tout état de cause, je suis d'avis que l'interprétation que la CCDP a donnée de la renonciation est bien fondée. En d'autres termes, je suis d'avis que la renonciation signée par le demandeur s'applique à l'objet de sa plainte.

[26]      Pour conclure, je tiens à préciser qu'en ce qui concerne les décisions rendues par la CCDP en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, notre Cour a bien précisé à de nombreuses reprises que la CCDP jouit d'un large pouvoir discrétionnaire dans l'exercice duquel notre Cour ne devrait pas intervenir à la légère. Bien que le sous-alinéa 44(3)b)(i) soit libellé en des termes qui ne sont pas identiques à ceux de l'alinéa 41c), le raisonnement suivi par notre Cour au sujet du sous-alinéa 44(3)b)(i) s'applique au cas qui nous occupe. À cet égard, dans l'arrêt Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne, [1996] 205 N.R. 383, le juge Hugessen a déclaré ce qui suit au nom de la Cour d'appel fédérale :


     Nous sommes tous d'avis que la Commission s'est pleinement acquittée de son obligation d'équité envers la plaignante en lui remettant le rapport de l'enquêteur, en lui donnant l'entière possibilité d'y répliquer, et en étudiant cette riposte avant de parvenir à sa décision. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) est libellé dans des termes encore plus généraux que ceux sur lesquels s'est penchée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) dans laquelle la nature de l'obligation d'équité dans de telles affaires a été décrite comme suit par le juge Sopinka, au nom de la majorité :

         Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission. Celle-ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.
         La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements, ce qu'elle a fait.
     Nous estimons que les lacunes qui, selon la plaignante, entacheraient la préparation du rapport d'enquête ne pourraient pas vicier la décision de la Commission pourvu que les exigences susmentionnées soient respectées.
     L'appel sera rejeté avec dépens.



[27]      Par ailleurs, dans l'arrêt Linton Roberts c. Société canadienne des postes, 24 octobre 1997, no du greffe A-352-96, le juge Strayer a tenu les propos suivants, au nom de la Cour d'appel fédérale, au sujet de l'approche que notre Cour doit suivre en matière de contrôle des décisions discrétionnaires rendues par la CCDP. À la page 2 de ses motifs, le juge déclare ce qui suit :


         En prenant cette décision, la Commission était saisie des rapports de son enquêteur de même que du long mémoire de l'appelant dans lequel celui-ci formulait ses observations et ses objections aux différentes affirmations contenues dans ces rapports. La Commission avait l'obligation d'examiner tous ces documents pour décider s'il y avait lieu de nommer un tribunal pour mener une enquête. Nous n'avons aucune raison de penser que la Commission n'a pas examiné tous ces documents, y compris les observations de l'appelant. L'appelant a affirmé devant nous que les rapports de l'enquêteur renfermaient certaines erreurs qu'il a pour la plupart signalées à l'attention de la Commission. Nous n'estimons pas que ces erreurs sont fondamentales ou qu'elles peuvent justifier l'annulation de la décision de la Commission. En exerçant son pouvoir de décider si un tribunal doit être nommé " compte tenu des circonstances relatives à la plainte ", la Commission peut prendre en compte de nombreux facteurs, y compris la qualité des éléments de preuve potentiels, et elle dispose d'un large pouvoir discrétionnaire qui doit faire l'objet d'une grande retenue de la part de la Cour. Le juge de première instance a refusé à bon droit d'intervenir.

[28]      En conséquence, on ne m'a pas persuadé qu'il y a lieu de modifier la décision par laquelle la CCDP a déclaré la plainte du demandeur irrecevable. La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur sera donc rejetée.




Montréal (Québec)      Marc Nadon

Le 6 juillet 1999.      JUGE



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :      T-555-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      WALTER PRINESDOMU,

     demandeur,

     - et -

     TÉLÉGLOBE CANADA INC.,

     défenderesse.



LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 30 juin 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Nadon le 6 juillet 1999



ONT COMPARU :

Walter Prinesdomu      le demandeur, pour son propre compte
Me Dominique Monet      pour la défenderesse


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Walter Prinesdomu     
Markham (Ontario)      le demandeur, pour son propre compte

Martineau, Walker

Montréal (Québec)      pour la défenderesse
     COUR FÉDÉRALE DU CANADA
     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE



Date : 19990706



T-555-97




     E n t r e :


     WALTER PRINESDOMU,

     demandeur,


     - et -


     TÉLÉGLOBE CANADA INC.,

     défenderesse.



    
             MOTIFS DE L'ORDONNANCE
    
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41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that      [...](e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint. 41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants:      [...]e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.
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