Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210126


Dossier : T-1158-18

Référence : 2021 CF 85

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

MAOZ BETSER-ZILEVITCH

demandeur

et

PETROCHINA CANADA LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction 3

I. Contexte 4

A. Les parties 4

B. Le contexte technique : procédé SAGD et construction par modules 5

C. Le brevet no 627 6

D. Les plateformes d’exploitation du MRCP prétendument contrefaisantes 10

E. L’historique de l’invention et la procédure en cours 11

F. Autres projets de récupération du pétrole lourd en Alberta 13

II. Questions en litige 14

III. Témoins des faits 15

A. Les témoins des faits du demandeur 15

(1) Le demandeur : Maoz Betser-Zilevitch 15

(2) Andrew Herbst 15

(3) Graham Baugh 16

B. Les témoins des faits de la défenderesse 17

(1) Ashley Leroux 17

(2) Paul Sudlow 18

(3) Dean Milner 18

(4) Deborah Jaremko 19

(5) Derek Wilkinson 19

(6) Kevin Ursu 20

(7) Wasim Huq 20

(8) Bob Shepherd 21

IV. Témoins experts 21

A. Les témoins experts du demandeur 21

(1) David Bishop 21

(2) Prem Lobo 22

(3) Richard Beale 24

B. Les témoins experts de la défenderesse 25

(1) George Brindle 25

(2) Paul Goolcharan 27

(3) Paul Matthews 28

V. Questions préliminaires 29

A. La date pertinente 29

B. Propriété et qualité 29

(1) L’action Nexen 31

(2) Lien contractuel 32

(3) Expiration des délais de prescription 33

(4) L’entente de consultation 33

VI. Interprétation des revendications 39

A. Personne versée dans l’art 40

B. Caractère essentiel des éléments d’une revendication 42

C. Connaissances générales courantes 43

D. Interprétation des revendications 45

(1) Revendications 1 et 4 : Un système de production de pétrole lourd 46

(2) Revendications 1, 4 et 11 : Premier niveau comportant une pluralité de conduites d’écoulement 46

(3) Revendications 1, 4 et 11 : Un « premier niveau » et un « second niveau » 47

(4) Revendications 1 et 8 : Chemins de câbles 50

(5) Revendications 2 et 9 : Ayant une passerelle 51

(6) Revendications 3 et 10 : Un escalier 52

(7) Revendication 4 : Joint en relation de bout à bout 53

VII. Contrefaçon 55

VIII. Validité 58

A. Allégations non étayées 58

B. Évidence 59

(1) Le cadre juridique 59

(2) Les positions des parties 61

(3) Analyse relative à l’évidence 62

IX. Réparations 73

X. Conclusion 74

XI. Dépens 74

I. Introduction

[1] Le demandeur sollicite un jugement déclarant que les revendications 1 à 17 du brevet canadien no 2,584,627 [brevet no 627] sont et demeurent valides, et que la défenderesse a contrefait les revendications 1 à 8. Le demandeur sollicite en outre des dommages‑intérêts sous forme de redevances en raison des activités de contrefaçon de la défenderesse, ainsi qu’une injonction enjoignant à cette dernière de s’abstenir de toute autre contrefaçon à l’avenir.

[2] Par voie de demande reconventionnelle, la défenderesse sollicite un jugement déclarant, sur le fondement des paragraphes 60(1) et (2) de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P‑4 [Loi sur les brevets], que les revendications 1 à 17 du brevet no 627 sont, et ont toujours été, invalides ou nulles et qu’elle n’a pas contrefait par ailleurs le brevet no 627. Elle demande en outre l’annulation du brevet no 627 en vertu de l’article 62 de la Loi sur les brevets.

I. Contexte

A. Les parties

[3] Le demandeur, Maoz Betser-Zilevitch, est ingénieur professionnel. Il est inscrit comme seul inventeur et propriétaire du brevet no 627.

[4] La défenderesse, PetroChina Canada Ltd., est constituée sous le régime des lois de la province de l’Alberta. Elle possède et exploite les plateformes de récupération du bitume utilisant un système modulaire de drainage par gravité au moyen de vapeur [SAGD], dont on prétend qu’elles sont contrefaisantes, sur le site du projet commercial de rivière MacKay [MRCP].

B. Le contexte technique : procédé SAGD et construction par modules

[5] Les gisements de sable bitumineux du Canada sont généralement des réservoirs de pétrole lourd qui ne peuvent être exploités à l’aide des méthodes habituelles d’extraction. Le procédé SAGD est une méthode in-situ d’extraction souterraine du pétrole lourd. Il utilise deux puits horizontaux distincts, un arrangement appelé « paire de puits », soit un puits d’injection de vapeur et un puits de production (extraction) du pétrole lourd. La vapeur générée est injectée depuis la surface dans le puits d’injection de vapeur. Le pétrole lourd est chauffé, ce qui en réduit la viscosité et lui permet de s’écouler vers le puits de production inférieur, d’où il est pompé vers la surface. Un ensemble de paires de puits constitue une plateforme d’exploitation. Les plateformes d’exploitation sont reliées à une installation centrale de traitement par des kilomètres de conduites d’écoulement.

[6] La méthode de stimulation cyclique par la vapeur d’eau [CSS] est une autre méthode de production de pétrole lourd, par extraction souterraine in situ, dans laquelle un seul puits sert en alternance à l’injection de vapeur puis à la récupération du bitume.

[7] La construction par modules fait référence à une méthode de construction de plateformes d’exploitation, dans laquelle les modules destinés à être utilisés sur la plateforme de puits sont préassemblés hors site avant d’être transportés et raccordés les uns aux autres sur le site. On appelle une plateforme d’exploitation construite sur place « construction de type classique ». Des composants de type modulaires ou de type classique peuvent être intégrés dans la conception d’une plateforme d’exploitation. Les avantages de la construction par modules sont principalement les économies anticipées découlant de la réduction de la main‑d’œuvre et la simplification de la construction une fois sur place.

[8] À cet égard, l’emplacement de l’équipement et des conduites d’écoulement sur les modules, ainsi que l’orientation des modules, sont des considérations pertinentes en l’espèce. On a présenté à la Cour des photographies, ainsi que des modèles 3D et des captures d’écran provenant de Navisworks, un logiciel qui permet la visualisation de ces modèles 3D, afin qu’elle puisse juger de l’emplacement et de l’orientation de ces éléments sur les différents modules.

C. Le brevet no 627

[9] Le brevet no 627 s’intitule « Système et méthode pour production de puits de pétrole lourd, basée sur le drainage par gravité au moyen de vapeur (SAGD) ». La demande a été déposée le 4 avril 2007 et le brevet a été délivré au demandeur le 26 janvier 2010. La date de priorité revendiquée du brevet no 627 est le 21 avril 2006.

[10] Le brevet no 627 concerne généralement une plateforme d’exploitation utilisant le procédé SAGD construite par modules pour la production de pétrole lourd, et une méthode pour son installation décrivant la structure et l’orientation de l’équipement, des conduites d’écoulement et de l’instrumentation utilisés sur les modules et sur le site de la plateforme d’exploitation. Cela comprend, par exemple, l’emplacement des chemins de câbles, des passerelles, des escaliers, de la tuyauterie et l’emplacement des conduites d’écoulement sur les différents niveaux des modules. Le brevet no 627 porte sur un système et une méthode de production économique de pétrole lourd ou de bitume à l’aide du procédé SAGD.

[11] La partie « Contexte de l’invention » du brevet no 627 traite d’un besoin non satisfait de réduire à la fois les coûts et la main‑d’œuvre nécessaires pour la construction d’un site de puits utilisant le procédé SAGD, sur place ou sur le terrain. Plus précisément, le brevet no 627 vise notamment à concevoir un système qui : (1) évite la contrainte de construire et de raccorder séparément les tuyaux sur le terrain; (2) peut être facilement transporté à l’endroit souhaité; (3) peut être fabriqué hors site; (4) minimise les coûts; (5) raccourcit l’échéancier de construction; (6) minimise les exigences en matière d’essais hydrauliques sur le terrain; (7) permet le déplacement de l’équipement après l’épuisement du site du puits; (8) améliore la sécurité des personnes participant aux activités d’assemblage, de fabrication et de production sur les plateformes d’exploitation.

[12] Pour des raisons qui seront expliquées plus en détail ci‑dessous, un aspect essentiel de l’invention 627 est la présence à la fois de la conduite d’injection de vapeur et de la conduite de production de pétrole lourd à un premier niveau inférieur des modules.

[13] Bien que le demandeur n’invoque que les revendications 1 à 8, la défenderesse conteste la validité de l’ensemble des 17 revendications du brevet no 627, qui peuvent être réparties comme suit : (1) revendications 1 à 10 : revendications d’un système de production de pétrole lourd, et (2) revendications 11 à 17 : revendications d’une méthode d’installation d’un réseau de tuyauterie pour la production de pétrole lourd.

[14] Il y a trois revendications indépendantes, les revendications 1, 4 et 11, que voici :

[traduction]

1. Un système pour la production de pétrole lourd comprenant :

un premier puits ayant une première tête de puits;

un second puits ayant une seconde tête de puits;

un premier dispositif relié à ladite première tête de puits dudit premier puits, ledit premier dispositif servant à injecter de la vapeur dans ledit premier puits;

un second dispositif relié à ladite tête de puits dudit second puits pour produire du pétrole lourd à partir dudit second puits, lesdits premier et second dispositifs étant disposés en relation d’écoulement parallèle, chacun desdits premier et second dispositifs comprenant :

un premier niveau comportant une pluralité de conduites d’écoulement s’étendant le long de celui-ci, lesdites conduites d’écoulement étant exposées sur leurs côtés opposés;

un second niveau situé au-dessus dudit premier niveau, ledit second niveau ayant une tuyauterie connectée aux dites conduites d’écoulement dudit premier niveau, ledit second niveau ayant une vanne et un régulateur coopérant avec ladite tuyauterie, ledit second niveau supportant des chemins de câbles recevant des câbles électriques et de communication sur ceux-ci, ladite tuyauterie ayant une connexion à tête pivotante appropriée pour être reliée à la tête du puits ou à une tête pivotante d’une tuyauterie adjacente.

[…]

4. Un système pour la production de pétrole lourd comprenant :

un premier ensemble de tuyauterie ayant un premier niveau et un second niveau, ledit premier niveau ayant une pluralité de premières conduites d’écoulement s’étendant longitudinalement le long de celui-ci, ledit second niveau ayant une tuyauterie sur celui‑ci en communication avec lesdites conduites d’écoulement dudit premier niveau, ledit second niveau étant situé au-dessus dudit premier niveau, lesdits premier et second niveaux dudit premier ensemble de tuyauterie sont simultanément transportables et supportés par un seul cadre;

un second ensemble de tuyauterie ayant un premier niveau et un second niveau, ledit premier niveau dudit second ensemble de tuyauterie ayant une pluralité de secondes conduites d’écoulement s’étendant longitudinalement le long de celui-ci, ledit second niveau dudit second ensemble de tuyauterie ayant une tuyauterie sur celui-ci en communication avec lesdites conduites d’écoulement dudit premier niveau dudit second ensemble de tuyauterie, lesdits premier et second niveaux dudit premier ensemble de tuyauterie sont simultanément transportables et supportés par un seul cadre, ladite tuyauterie dudit second ensemble de tuyauterie étant sélectivement connectée à ladite tuyauterie dudit premier ensemble de tuyauterie, ledit premier ensemble de tuyauterie étant joint en relation de bout à bout avec ledit second ensemble de tuyauterie et étant formé en une chaîne d’unités de base connectées les unes aux autres avec lesdites conduites d’écoulement, chaque unité étant parallèle à une ligne d’injection ou de production et ayant des tuyaux de connexion perpendiculaires à ladite ligne de puits d’injection ou de production.

[…]

11. Une méthode d’installation de réseaux de tuyauterie pour la production de pétrole lourd consistant à :

former une première plateforme ayant un premier niveau et un second niveau avec des conduites d’écoulement s’étendant le long dudit premier niveau et une tuyauterie communiquant avec lesdites premières conduites d’écoulement et s’étendant le long dudit second niveau, ladite première plateforme construite à partir d’un cadre unique, lesdits premier et second niveaux de ladite première plateforme étant simultanément transportables;

former une seconde plateforme ayant un premier niveau et un second niveau avec des secondes conduites d’écoulement s’étendant le long dudit premier niveau et une canalisation communiquant avec lesdites conduites d’écoulement et s’étendant le long dudit premier niveau et une conduite communiquant avec lesdites conduites d’écoulement et s’étendant le long dudit second niveau, ladite seconde plateforme étant construite à partir d’un cadre unique, lesdits premier et second niveaux de ladite seconde plateforme étant simultanément transportables;

transporter lesdites première et seconde plateformes vers les première et seconde têtes de puits;

connecter ladite tuyauterie de ladite seconde plateforme à la tuyauterie de ladite première plateforme;

connecter ladite tuyauterie de ladite première plateforme à la première tête de puits;

connecter ladite tuyauterie de ladite seconde plateforme à la seconde tête de puits.

[…]

D. Les plateformes d’exploitation du MRCP prétendument contrefaisantes

[15] Le MRCP est un projet d’extraction de sables bitumineux situé dans la communauté régionale de Wood Buffalo en Alberta. La conception et la construction des installations du MRCP ont débuté en 2012. Le site est devenu opérationnel au plus tard à la fin de 2016 ou au début de 2017. Grâce à l’exploitation des installations du MRCP, la défenderesse commercialise du bitume synthétique (connu sous le nom de synbit, qui est un mélange de bitume et d’un diluant). Les installations du MRCP comprennent 42 paires de puits en exploitation réparties sur 8 plateformes d’exploitation [collectivement, les modules MRCP ou plateformes d’exploitation MRCP], qui toutes ont la même conception et configuration : (1) il y a 6 paires de puits sur les plateformes d’exploitation AA, AE et AF; (2) il y a 5 paires de puits sur les plateformes d’exploitation AB, AD, AH et AJ; et (3) il y a 4 paires de puits sur la plateforme d’exploitation AC.

[16] La défenderesse a conclu un contrat avec Worley Parsons Canada Services ltée [Worley Parsons] pour concevoir les plateformes d’exploitation AA, AB, AC, AD, AE, AF, AH et AJ sur le site d’exploitation du MRCP. Ces modules ont été acheminés par le réseau routier public depuis une installation de fabrication hors site jusqu’aux installations du MRCP pour y être assemblés.

E. L’historique de l’invention et la procédure en cours

[17] Le demandeur était directeur d’Excrude Inc. [Excrude], une société d’experts‑conseils qu’il a constituée le 5 avril 2005 (dont le nom a été modifié pour Ex-Tar Technologies Inc. [Ex‑Tar] en février 2006). Le 9 mai 2005, Excrude et Nexen Inc. [Nexen] ont conclu l’entente de consultation de Long Lake [l’entente de consultation], en vertu de laquelle le demandeur a été engagé pour offrir une gamme de services liés au projet Nexen Long Lake, une installation de champ du procédé SAGD, de la manière énoncée à l’annexe A de l’entente de consultation.

[18] Dans le cadre de l’entente de consultation, le demandeur a conçu l’objet de l’invention 627, décrit dans la demande de brevet américain n11/408,117 [demande de brevet américain]. Le demandeur a déposé la demande de brevet américain en son nom personnel, le 21 avril 2006. Il a en outre demandé au bureau des brevets des États‑Unis de ne pas la publier.

[19] Le demandeur a expliqué la motivation sous‑tendant l’invention 627 : les conditions difficiles auxquelles sont confrontés les ouvriers qui travaillent sur les sites de puits du nord de l’Alberta et les problèmes de productivité qui en découlent.

[20] Le demandeur a divulgué le concept général de l’invention 627 à l’équipe de gestion des travaux de Nexen, qui a amorcé le processus ayant mené au projet de valorisation de Nexen Long Lake Phase 2 – Rapport sur la construction par module des puits, ou le « Rapport Fluor », daté du 18 septembre 2006. Il s’agit d’une étude visant à évaluer le concept du demandeur. Le Rapport Fluor fait état d’économies de l’ordre de 30 % des coûts totaux engagés et d’une réduction de trois à quatre mois du calendrier de construction, si on compare la méthode de construction de type classique de Nexen à celle par modules de bloc-cylindres conçue par le demandeur [WBBM]. Le concept du brevet 627 a été présenté à la direction de Nexen, notamment à Roy Atkinson, son gestionnaire des systèmes modulaires.

[21] Nexen n’ayant démontré aucun intérêt pour le concept, le demandeur s’est adressé à Suncor Energy Services Inc. [Suncor]. Le 14 août 2006, le demandeur a offert à Suncor de lui accorder une licence d’utilisation de la technologie en cause. Suncor n’a pas poursuivi les négociations en ce sens. D’autres tiers ont reçu une offre de même nature, mais ils n’y ont pas donné suite.

[22] Par lettre adressée à Ex‑Tar, en date du 29 septembre 2006, Nexen a résilié l’entente de consultation qu’elle avait conclue avec Excrude, résiliation qui prenait effet le 31 octobre 2006.

[23] Le 13 octobre 2006, le demandeur a envoyé un courriel à Gary Nieuwenberg, qu’il croyait haut placé chez Nexen, et l’informait personnellement de l’invention 627. Le 26 octobre 2006, comme il n’avait pas reçu de réponse, il a envoyé un courriel de suivi dans lequel il offrait d’accorder une licence ponctuelle pour l’utilisation de son concept WBBM moyennant une somme correspondant à 0,6 % des économies estimées. Nexen verserait ainsi un seul paiement de 150 000 $ pour avoir le droit d’utiliser tous les renseignements liés au concept WBBM, y compris la licence d’utilisation de la demande de brevet américain. C’est au cours de cette période que Nexen a appris l’existence de la demande de brevet américain.

[24] Le 30 octobre 2006, le demandeur a reçu une réponse de l’avocat‑conseil principal de Nexen, Tim Friesen. Ce dernier lui a rappelé les dispositions de l’entente de consultation qu’il avait conclue avec Nexen. Dans une lettre datée du 12 novembre 2006, le demandeur a répondu que le concept WBBM lui appartenait en propre et a demandé que Nexen évite de transmettre ou d’utiliser les renseignements confidentiels relatifs au concept WBBM qu’il avait divulgués.

[25] Comme je l’ai mentionné, la demande de brevet no 627 a été déposée le 4 avril 2007 et revendique comme date de priorité la date de la demande de brevet américain. Le brevet no 627 a été publié le 21 octobre 2007.

[26] Le 19 janvier 2018, l’avocat du demandeur a écrit au président de la défenderesse, M. Jilin Fu, pour l’informer de l’existence du brevet no 627. La défenderesse n’a pas communiqué avec le demandeur afin d’obtenir une licence d’utilisation du brevet no 627, que ce soit avant la construction des plateformes d’exploitation à son installation du MRCP, ou avant le début du présent litige.

F. Autres projets de récupération du pétrole lourd en Alberta

[27] Le contexte général dans lequel s’inscrivent le développement de la technologie du procédé SAGD et la construction par modules en Alberta est pertinent en l’espèce. La défenderesse se fonde sur deux projets de récupération de pétrole lourd situés en Alberta comme utilisation publique antérieure pour contester la validité des revendications du brevet no 627 pour cause d’évidence. Les plateformes d’exploitation concernées par ces deux projets ont été conçues par IMV Projects Inc. [IMV Projects] (acquis par Wood Group Mustang [Wood Group] en 2007). Elles auraient été mises à la disposition du public avant la construction des plateformes d’exploitation du MRCP dont on prétend qu’elles sont contrefaisantes. Ce sont :

  1. les plateformes d’exploitation F et G situées à Foster Creek et l’extension de la plateforme B de Cenovus Energy Inc. [Cenovus] (qui faisait auparavant partie d’Encana Corporation [Encana]) [collectivement, les modules de Cenovus à Foster Creek];

  2. les plateformes d’exploitation 29 à 31 de l’établissement sud de Primrose et les plateformes d’exploitation 51 à 54 de l’établissement nord de Primrose, qui appartiennent à Canadian Natural Resources Limited [CNRL] [collectivement, les modules de CNRL].

[28] Il est à souligner qu’IMV Projects a aussi conçu pour BlackRock (plus tard Osum Energy) les plateformes d’exploitation de pétrole lourd Orion utilisant le procédé SAGD [modules Orion]. Toutefois, ce projet n’est pas invoqué en tant qu’utilisation publique antérieure pour les raisons exposées ci‑dessous.

II. Questions en litige

[29] Les parties se sont entendues sur le fond, mais non sur la formulation des questions en litige. Voici ces questions :

  1. Le demandeur est‑il le propriétaire du brevet no 627 ou la défenderesse est‑elle par ailleurs précluse de soulever la question de la propriété du brevet no 627?

  2. La défenderesse a-t-elle contrefait les revendications 1 à 8 du brevet no 627 en construisant et en exploitant son installation du MRCP pour la récupération de bitume?

  3. Les revendications 1 à 17 du brevet no 627 sont‑elles invalides pour cause d’évidence?

  4. Si le brevet no 627 est valide et qu’il y a contrefaçon, quelles sont les réparations auxquelles le demandeur a droit?

III. Témoins des faits

A. Les témoins des faits du demandeur

(1) Le demandeur : Maoz Betser-Zilevitch

[30] Le demandeur est ingénieur professionnel. Diplômé en génie mécanique en 1989 de l’Université de Tel-Aviv en Israël, il a immigré au Canada en 2003 et a fondé sa propre société d’experts-conseils, Excrude, en 2005. Comme je l’ai mentionné, il a travaillé comme expert‑conseil pour Nexen pendant la durée de l’entente de consultation.

[31] Il a témoigné de sa passion pour l’invention et des conditions dans le nord de l’Alberta qui l’ont incité à concevoir et à breveter l’invention 627. Il a également témoigné de son expérience dans l’industrie pétrolière et gazière, du fait qu’il était propriétaire du brevet no 627, de son travail comme expert-conseil pour Nexen et de la façon dont il abordait les négociations entourant l’octroi d’un contrat de licence. Le demandeur a été crédible.

(2) Andrew Herbst

[32] M. Herbst dirige actuellement un cabinet d’experts‑conseils spécialisé en projets d’ingénierie, Neerzweknow Ltd., dont il est président. Il a travaillé pour IMV Projects, puis pour Wood Group, d’octobre 2002 à décembre 2012, où il a occupé divers postes liés en général à la gestion de projets d’ingénierie. Il a témoigné au sujet des obligations de confidentialité des employés embauchés par IMV Projects. Il est toutefois devenu évident, au cours du contre‑interrogatoire, que M. Herbst n’était pas au courant des circonstances entourant la fabrication, le transport ou l’installation des modules de Cenovus à Foster Creek et des modules de CNRL, et qu’il n’avait aucune connaissance directe des pratiques de commercialisation et de développement commercial relatives à ces modules. M. Herbst a été un témoin crédible, mais son témoignage n’a pas affaibli la preuve déposée par la défenderesse quant à la visibilité publique des modules ou à leur accessibilité.

(3) Graham Baugh

[33] M. Baugh est actuellement consultant en commerce et conseiller juridique. Entre novembre 2004 et 2009, il a travaillé au sein de l’équipe juridique d’Encana, où il a occupé des postes de direction de plus en plus élevés. De 2009 à octobre 2013, il a été chef des services juridiques, puis vice-président des services juridiques canadiens à Encana. Il a témoigné au sujet des obligations de confidentialité des employés et entrepreneurs chez Encana et Cenovus (après que Cenovus se soit séparée d’Encana en 2009). Il a également décrit les conditions d’accès au polygone de tir aérien de Cold Lake, la région contrôlée où se trouvaient les modules de Cenovus à Foster Creek.

[34] À l’instar de M. Herbst, M. Baugh a été crédible, mais il n’a pas réussi à réfuter la preuve présentée par les témoins des faits de la défenderesse relativement à la confidentialité des circonstances entourant le transport des modules de Cenovus à Foster Creek et ceux de CNRL. Il a admis que les personnes qui étaient susceptibles de voir les modules n’étaient pas toutes soumises à des obligations de confidentialité.

B. Les témoins des faits de la défenderesse

(1) Ashley Leroux

[35] M. Leroux est actuellement président de sa propre société d’experts‑conseils en ingénierie, XL Engineering Ltd. Il détient un baccalauréat en génie chimique de l’Université de l’Alberta. Depuis 1999, M. Leroux travaille dans l’industrie pétrolière et gazière de l’Alberta à titre d’exploitant et d’ingénieur. Il a travaillé pour Encana de 2002 à 2013. De 2002 à 2005, il a travaillé au site de Foster Creek de Cenovus.

[36] M. Leroux a parlé de son enfance à La Corey, en Alberta, et des modules de Cenovus à Foster Creek, que le public pouvait voir sur place et qu’il avait pu voir pendant leur transport depuis La Corey où ils ont été assemblés. Il a déclaré que des représentants de sociétés chimiques, du personnel des ventes et des vendeurs, du personnel militaire, des chasseurs autochtones, ainsi que des amis et membres de la famille lors de [traduction] « barbecues familiaux » (2004 et 2005), avaient accès au site de Foster Creek de Cenovus ou à ses environs. M. Leroux a été un témoin crédible et il avait une connaissance personnelle et approfondie de la visibilité des modules destinés aux installations utilisant le procédé SAGD tant pendant le transport que sur place.

(2) Paul Sudlow

[37] M. Sudlow est diplômé en génie mécanique de l’Université de Waterloo en Ontario. Il a travaillé comme ingénieur en mécanique et ingénieur de projet pour IMV Projects, de 2003 à 2012. De 2003 à 2005, il était chargé de la coordination des travaux d’ingénierie et de conception pour ce qui est des modules de Cenovus à Foster Creek. Son témoignage a porté sur ces travaux et sur la fabrication des modules au chantier de construction de Flint, ainsi que sur le transport, l’installation, la promotion et la commercialisation des modules de Cenovus à Foster Creek. M. Sudlow a été un témoin crédible.

(3) Dean Milner

[38] M. Milner a été directeur de l’expansion commerciale et de la commercialisation chez IMV Projects d’octobre 2002 à novembre 2007, puis jusqu’en 2014 chez Wood Group, après que celle‑ci eut acheté IMV Projects. Sa fonction première était de promouvoir IMV Projects auprès des intervenants du secteur pétrolier et gazier et, à compter de 2004 ou 2005, il a fait des présentations de vente intégrant des dessins ou des croquis des modules, y compris de la plateforme d’exploitation 29 de CNRL. M. Milner a également déclaré qu’il avait fait la tournée des sites de Cenovus à Foster Creek avec des clients potentiels. M. Milner a été un témoin crédible.

(4) Deborah Jaremko

[39] Mme Jaremko est une journaliste industrielle. En 2005, alors qu’elle travaillait pour le JuneWarren-Nickle’s Energy Group, elle a rédigé une série d’articles sur les installations utilisant le procédé SAGD en Alberta. Elle ignorait qu’il existait des obligations de confidentialité lorsqu’elle s’est rendue sur le site de Foster Creek de Cenovus en juillet 2005 avec le photographe Joey Podlubny. Certaines parties du témoignage de Mme Jaremko étaient fondées sur du ouï-dire et n’étaient guère pertinentes, bien qu’elle ait été par ailleurs un témoin crédible.

(5) Derek Wilkinson

[40] M. Wilkinson est ingénieur professionnel et offre des services de consultation en pétrole lourd par l’entremise de sa société, Wilkinson Services Inc. Il est titulaire d’un baccalauréat ès sciences appliquées en génie chimique de l’Université de Waterloo. Il a travaillé pour CNRL de 2003 à 2010, à titre d’ingénieur de projet ou des installations, et a supervisé la construction des plateformes d’exploitation pour les sites Primrose et Wolf Lake de CNRL (2003-2005). Son témoignage a principalement porté sur la plateforme d’exploitation 29 de CNRL, qui a été construite vers la fin de 2003 et en 2004. Il a expliqué que cette plateforme avait fait l’objet d’une présentation à la Canadian Heavy Oil Association et que des visites sur place avaient été organisées au cours de l’été 2005. M. Wilkinson a également utilisé le programme Nasvisworks pour montrer les divers éléments de la plateforme d’exploitation 29 et a parlé de la confidentialité entourant sa configuration. M. Wilkinson a été un témoin crédible.

(6) Kevin Ursu

[41] M. Ursu possède un baccalauréat ès sciences appliquées en génie des systèmes industriels de l’Université de Regina. Il est actuellement président de Pinch Process Engineering Inc., une société de génie‑conseil. Il a été à l’emploi d’IMV Projects à partir de 2000 ou 2001, et depuis 2003, il est entrepreneur. Le témoignage de M. Ursu a principalement porté sur ce travail et sur le fait que, au printemps ou à l’été 2005 environ, il avait participé à titre d’ingénieur principal à la conception et à la configuration des modules Orion, dont les caractéristiques de conception sont inspirées des modules de CNRL et d’Encana/Cenovus.

[42] En contre‑interrogatoire, M. Ursu a admis que les photographies mentionnées dans les annexes de sa déposition, celles des modules de CNRL, des modules de Cenovus à Foster Creek et des modules Orion, n’étaient devenues accessibles qu’en 2019. Il n’a pas pris les photographies en question et n’était pas présent lorsqu’elles ont été prises. Bien qu’il ait parlé des économies réalisées grâce au déplacement de la conduite d’injection de vapeur au niveau inférieur des modules Orion, il n’a pas été en mesure de préciser le montant de ces économies.

(7) Wasim Huq

[43] M. Huq est titulaire d’un baccalauréat en génie mécanique de l’Université Purdue et travaille actuellement pour Inter Pipeline Ltd. Il a été ingénieur de projet chez Dover OPCO en 2011, qui a été achetée par PetroChina Company Limited à la fin de 2011 ou au début de 2012. Le nom de cette dernière a été changé pour celui de Brion Energy [Brion] vers 2014, jusqu’à ce que Brion devienne la défenderesse. M. Huq a témoigné au sujet du processus d’appel d’offres relatif à la conception et à l’élaboration des plateformes d’exploitation du MRCP. M. Huq a été un témoin crédible, mais une grande partie de son témoignage ne concernait en rien les questions à trancher dans la présente affaire.

(8) Bob Shepherd

[44] M. Shepherd a travaillé pour la défenderesse et ses prédécesseurs comme vice‑président principal, Services techniques, vice-président directeur et vice-président, Gaz de schiste. Il a témoigné au sujet du coût des installations du MRCP et des répercussions de ces installations sur les emplois et les investissements en Alberta. Il a aussi parlé de la connaissance qu’avait la défenderesse du brevet no 627. Le témoignage de M. Shepherd a été crédible.

IV. Témoins experts

A. Les témoins experts du demandeur

(1) David Bishop

[45] David Bishop est titulaire d’un certificat complet en génie mécanique de City and Guilds, Londres (1978), d’un certificat en conception et technologie de niveau avancé et d’un certificat en dessin technique de niveau avancé de l’Université de Londres (1974). Il a récemment quitté le poste de chef de la conception de conduites pour prendre sa retraite. Il a cumulé plus de 40 ans d’expérience dans l’industrie pétrolière et gazière, en particulier dans la conception de pipelines pour plusieurs compagnies pétrolières et gazières, dont Nexen, Suncor, Husky Energy, TransAlta Energy et Imperial Oil. Il a travaillé pendant environ 18 ans pour Jacobs Canada Inc., un groupe d’experts‑conseils spécialisé dans l’industrie pétrolière et gazière, notamment dans la technologie SAGD en Alberta.

[46] M. Bishop a été reconnu en tant qu’expert en conception de tuyauterie, spécialisé dans la conception, la disposition et la construction par module de conduites destinées à l’industrie pétrolière et gazière, dont les conduites utilisées pour la récupération du pétrole lourd ou du bitume à l’aide du procédé SAGD.

[47] On a demandé à M. Bishop de donner son avis sur les points suivants, ce qu’il a fait dans son rapport d’expert daté du 10 août 2020 : 1) la personne versée dans l’art [la « PVA »] à qui s’adresse le brevet no 627; 2) l’interprétation des revendications 1 à 8 du brevet no 627 en date du 21 octobre 2007; et (3) la question de savoir si les modules MRCP de la défenderesse qui sont destinés à ses plateformes d’exploitation utilisant le procédé SAGD incorporent des éléments des revendications 1 à 8.

[48] En contre-interrogatoire, M. Bishop a fait des admissions au sujet des connaissances générales courantes, comme il est décrit ci-dessous.

(2) Prem Lobo

[49] M. Lobo, CPA, CA, EEE, CPA (É.-U.), CFE, CFF, est directeur chez Cohen Hamilton Steger & Co. Inc. [CHS]. Il se spécialise dans la quantification des dommages, l’évaluation d’entreprise et la juricomptabilité, domaines dans lesquels il a exclusivement axé sa pratique depuis 2001. M. Lobo a été reconnu comme juricomptable et expert en comptabilité, en quantification des dommages et en évaluation d’entreprise.

[50] On a demandé à M. Lobo d’estimer le montant des dommages-intérêts à verser au demandeur sous forme de redevances, c’est‑à‑dire : (1) d’estimer les revenus tirés par la défenderesse des plateformes d’exploitation du MRCP qui auraient contrefait le brevet no 627 et de multiplier ce montant par le taux de redevances soumis par l’avocat du demandeur; et (2) d’estimer les économies de coûts réalisées par la défenderesse grâce à la contrefaçon du brevet no 627, et de multiplier ce montant par le taux de redevances soumis par l’avocat du demandeur. M. Lobo a présenté son avis dans un rapport d’expert en date du 10 août 2020.

[51] En contre‑interrogatoire, M. Lobo a confirmé qu’il n’avait pas vérifié la justesse des hypothèses sur les taux de redevances présentées par l’avocat du demandeur. Il a en outre reconnu que l’établissement de tels taux de redevances ne relevait pas de son expertise, et qu’il ne connaissait pas non plus les facteurs qui entrent en jeu dans la négociation des licences d’utilisation du concept de plateforme d’exploitation. Bien qu’il ait affirmé catégoriquement que le recours à des hypothèses sur les taux de redevances était justifié en l’espèce, cette position va à l’encontre d’articles précédents dont il est l’auteur et qui ont été invoqués en contre‑interrogatoire. De plus, alors que son analyse reposait sur le rapport Fluor, il a démontré qu’il comprenait mal la teneur et l’objet de ce document. Pour ces raisons, entre autres préoccupations fondamentales concernant son approche, je ne peux accorder de poids à son rapport d’expert.

(3) Richard Beale

[52] M. Beale a étudié la conception de tuyauterie industrielle au Southern Alberta Institute of Technology. Il a travaillé comme concepteur principal en tuyauterie et il compte plus de 40 ans d’expérience dans la conception de systèmes de conduites destinés à l’industrie pétrolière et gazière. Il a consacré la majeure partie de sa carrière à la récupération de pétrole lourd à l’aide de la technologie du procédé SAGD et de la CSS. Il a travaillé pendant cinq ans chez Encana et pendant neuf ans chez Cenovus, exclusivement dans le cadre des projets liés au procédé SAGD aux installations de Foster Creek et de Christina Lake.

[53] M. Beale a été reconnu en tant qu’expert en conception de tuyauterie, spécialisé dans le domaine de la conception, de la disposition et de la construction par module de conduites destinées à l’industrie pétrolière et gazière, dont les conduites utilisées pour la récupération du pétrole lourd ou du bitume à l’aide du procédé SAGD et de la CSS.

[54] On a demandé à M. Beale de donner son avis sur les points suivants, ce qu’il a fait dans son rapport d’expert en date du 5 novembre 2020 : 1) la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet no 627; 2) l’interprétation des revendications 1 à 17 du brevet no 627 en date du 21 octobre 2007; et (3) l’avis d’expert de M. Brindle, y compris les questions d’antériorité, d’évidence, de portée excessive et d’insuffisance.

[55] Le témoignage de M. Beale a soulevé quelques questions de crédibilité. M. Beale a laissé voir un manque de connaissance personnelle quant à certains aspects de son avis, par exemple, en ce qui concerne l’accumulation de condensats dans les conduites d’injection de vapeur. Son avis est en outre exagéré à certains égards, notamment en ce qui concerne le rôle du concepteur de tuyauterie dans la détermination de la configuration générale d’une plateforme d’exploitation construite par modules. Au paragraphe 58 de son rapport d’expert, daté du 5 novembre 2020, M. Beaule mentionne qu’il a déjà travaillé à l’installation Primrose de CNRL, ce qui a été contredit lors du contre‑interrogatoire. Il sera question plus loin du poids accordé à son avis.

B. Les témoins experts de la défenderesse

(1) George Brindle

[56] M. Brindle est ingénieur. Il est titulaire d’un baccalauréat ès sciences appliquées en génie mécanique de l’Université Queen’s et d’une maîtrise en administration pour gens d’affaires de l’Université de Calgary. De 1999 à 2007, il a travaillé pour MacDonald Engineering Group Ltd, qui a été achetée par Worley Parsons. M. Brindle a expliqué qu’au cours de sa carrière, qui compte plus de 32 ans, il avait touché à presque tous les aspects du développement d’installations de pétrole lourd. Il offre actuellement des services de consultation professionnelle à des entreprises d’exploitation de pétrole lourd par l’entremise de sa société, Snowdog Professional Services Ltd, située en Alberta.

[57] M. Brindle a été reconnu comme expert en ce qui concerne : (1) la conception, la fabrication, le transport, l’assemblage et l’exploitation de modules utilisés dans l’extraction de pétrole lourd, y compris les modules et procédés SAGD et CSS; et (2) la configuration de conduites et la construction par modules dans l’industrie pétrolière et gazière.

[58] La défenderesse a demandé à M. Brindle de donner son avis sur les points suivants, ce qu’il a fait dans un rapport d’expert sur la validité (du brevet) en date du 10 août 2020 : (1) la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet no 627 en date du 21 octobre 2007; (2) les connaissances générales courantes que possède la personne versée dans l’art à cette date; 3) l’interprétation des revendications 1 à 17 du brevet no 627; 4) la validité des revendications 1 à 17 du brevet no 627.

[59] M. Brindle a aussi fourni en contre‑preuve un rapport d’expert sur la question de la contrefaçon, daté du 5 novembre 2020. Dans ce rapport, M. Brindle donne son avis en tant qu’expert sur les points suivants : 1) la question de savoir si l’une ou l’autre des revendications 1 à 8 du brevet no 627 a été contrefaite; et (2) la disponibilité d’une solution non contrefaisante devant servir à la préparation d’une analyse des coûts différentiels, et la faisabilité économique de cette solution. M. Brindle a en outre été invité à examiner et à commenter le rapport d’expert rédigé par M. Bishop en date du 10 août 2020.

[60] Au cours du contre‑interrogatoire, il est apparu que l’évaluation faite par M. Brindle, quant aux connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art, reposait en partie sur des références que lui avait fournies l’avocat de la défenderesse. Par ailleurs, dans son rapport d’expert du 10 août 2020, M. Brindle a interprété les revendications de plusieurs façons différentes, lesquelles n’ont pas été retenues au procès et ont soulevé des questions sur le poids à accorder à son opinion en cette matière. Le contre-interrogatoire a révélé des incohérences dans les divers termes utilisés dans le brevet no 627, ce qui, encore une fois, a affaibli la crédibilité des explications avancées par M. Brindle pour justifier sa façon d’interpréter les revendications dans certains cas. C’est pourquoi j’ai accordé moins de poids au rapport d’expert et au témoignage de M. Brindle, comme nous le verrons plus loin.

(2) Paul Goolcharan

[61] M. Goolcharan est ingénieur. Il est titulaire d’un baccalauréat ès sciences appliquées en génie mécanique de l’Université de l’Alberta. Il travaille actuellement en tant qu’expert-conseil auprès de sociétés pétrolières et gazières par l’intermédiaire de son entreprise, Vertikol Solutions Ltd. M. Goolcharan a dit posséder une vaste expérience dans l’estimation des coûts associés à des projets industriels de différente envergure et avoir participé en tant qu’estimateur de projet à au moins 20 projets du procédé SAGD, semblables en grande partie au MRCP. Il fournit des données estimatives spécialisées à des clients participant à des projets du procédé SAGD et, entre autres, il recueille, analyse et normalise les données sur les coûts afin de pouvoir établir des comparaisons, des estimations, des prévisions et conseiller les clients.

[62] M. Goolcharan a été reconnu comme expert dans la présente affaire pour ce qui est de l’établissement des coûts des plateformes d’exploitation, y compris celles du procédé SAGD, ainsi que de l’évaluation des coûts relatifs et des méthodes de détermination des coûts des plateformes d’exploitation.

[63] L’avocat de la défenderesse a demandé à M. Goolcharan de donner son avis sur les points suivants, ce qu’il a fait dans son rapport d’expert en date du 5 novembre 2020 : (1) l’applicabilité des économies de coûts dont fait état le rapport Fluor (et appliquées par l’expert du demandeur, M. Lobo) à la présente affaire; (2) la façon dont M. Lobo a calculé les économies de coût réalisées par la défenderesse; et (3) dans l’éventualité où le rapport Fluor ne s’appliquerait pas, l’estimation des coûts liés aux éléments contestés, et visés par le brevet, des plateformes d’exploitation de la défenderesse et des plateformes d’exploitation de Cenovus à Foster Creek [respectivement, la configuration de la défenderesse et la configuration de Cenovus] et une analyse différentielle de ces coûts. M. Goolcharan a été un témoin crédible.

(3) Paul Matthews

[64] M. Matthews est ingénieur et avocat. Depuis 2017, il est associé au cabinet Lawson Lundell LLP à Kelowna, en Colombie-Britannique. M. Matthews a fait état de la vaste expérience qu’il a acquise depuis 2003 dans les domaines de l’octroi de licences et de la commercialisation de technologies liées à l’énergie dans le secteur pétrolier et gazier. Il a également été directeur, Propriété intellectuelle, chez Cenovus de 2011 à 2016, où il était chargé des licences à obtenir et à accorder relativement aux technologies de pétrole lourd.

[65] M. Matthews a été reconnu en tant qu’expert en concession de licences de brevet, notamment pour ce qui est des éléments de base et des modalités entourant les concessions de licences relatives aux technologies développées en Alberta dans le secteur pétrolier et gazier, des redevances à verser pour l’utilisation de licences relatives aux technologies dans le secteur pétrolier et gazier, ainsi que des facteurs à considérer dans l’établissement de ces redevances.

[66] M. Matthews a été invité à donner son avis sur les points suivants, ce qu’il a fait dans son rapport d’expert du 5 novembre 2020 : 1) l’assiette des redevances et le taux de redevances applicable à l’octroi des licences d’utilisation de l’invention protégée par le brevet no 627, entre le demandeur et la défenderesse; et (2) la question de savoir si l’assiette des redevances et les taux de redevances appliqués par M. Lobo dans son rapport d’expert sont exacts et raisonnables.

[67] M. Matthews a été un témoin crédible. Toutefois, il est apparu au cours du contre‑interrogatoire que sa conclusion sur les points mentionnés dans son mandat était influencée de façon significative par un seul facteur, soit la connaissance par la défenderesse de l’offre faite par le demandeur à Nexen relativement à l’octroi d’une licence pour la technologie en cause et des conditions particulières qui y sont divulguées.

V. Questions préliminaires

A. La date pertinente

[68] Les parties ont convenu qu’il importe peu, s’agissant des questions en litige, que la date pertinente soit la date de priorité (21 avril 2006) ou la date de publication (21 octobre 2007) du brevet no 627. Ainsi, toute référence à une date donnée renvoie aux observations des parties, mais ne saurait, ultimement, être déterminante.

B. Propriété et qualité

[69] La défenderesse est d’avis que le demandeur n’a pas qualité pour intenter la présente action, et cela, parce que Nexen serait la propriétaire du brevet no 627 et que ce serait elle qui aurait qualité pour déposer la demande. Bien qu’il appert du brevet no 627 que le demandeur est inscrit autant comme seul inventeur que comme propriétaire, l’invention 627 a été conçue alors que les services de sa société d’experts‑conseils, Excrude, avaient été retenus par Nexen en vertu de l’entente de consultation. Cela étant, la défenderesse estime que le demandeur a cédé le titre de l’invention 627 à Nexen ou qu’il détenait ce titre en fiducie pour cette dernière.

[70] Le demandeur affirme que la demande relative au brevet no 627 a été dûment déposée à son nom et qu’il est le propriétaire du brevet, comme en témoignent les décisions antérieures (Betser-Zilevitch c Nexen Inc, 2018 CF 735 aux para 3 et 70 [Betser CF], conf par 2019 CAF 230 [Betser CAF]) [l’action Nexen ou la décision Nexen]. En outre, la défenderesse ne pourrait pas contester la propriété du brevet no 627 en raison : (1) du lien contractuel découlant de l’entente de consultation entre Excrude et Nexen; (2) de l’expiration du délai de prescription habituel de deux ans et du délai de prescription « maximum » de dix ans prévus à la Limitations Act, RSA 2000, c L‑12 [Limitations Act]; 3) de l’absence de preuve à l’appui d’une interprétation de l’entente de consultation selon laquelle les parties contractantes entendaient transférer la propriété de l’invention à Nexen Inc.

[71] La défenderesse n’est pas partie à l’entente de consultation conclue entre Excrude et Nexen et elle ne cherche pas à intenter des poursuites ou à faire valoir des droits en vertu de cette entente, sauf dans la mesure où elle soulève l’absence de droit de propriété comme moyen de défense à l’allégation de contrefaçon du demandeur. Bien que cette défense puisse être appropriée, la défenderesse demande néanmoins à la Cour d’interpréter l’entente de consultation et de définir les droits qu’elle confère au demandeur et à Nexen. Si les éléments soulevés par la défenderesse suffisent à démontrer que la propriété du brevet no 627 est incertaine, il reste que le dossier de preuve n’est pas concluant et ne permet donc pas de déterminer qui est propriétaire en l’espèce, en particulier si une entité autre que le demandeur peut être considérée comme propriétaire et inventeur inscrits au brevet no 627. Avant de passer à l’interprétation de l’entente de consultation, je vais examiner les arguments avancés par le demandeur au sujet de l’action Nexen, du lien contractuel et de l’expiration des délais de prescription.

(1) L’action Nexen

[72] Le demandeur affirme que la Cour et la Cour d’appel fédérale ont confirmé qu’il était propriétaire du brevet no 627 dans la décision Nexen (Betser CF, précité, aux para 3 et 70), et qu’en alléguant qu’elle est propriétaire, la défenderesse demande à la Cour de modifier les décisions antérieures, ce qui constitue un abus de procédure.

[73] Je ne partage pas l’avis du demandeur selon qui l’action Nexen a réglé la question du droit de propriété. Les faits qui ont conduit à l’action Nexen sont que le demandeur a intenté une action en contrefaçon du brevet no 627contre Nexen et CNOOC Canada Inc. [CNOOC] en 2013 (Betser CF, au para 6). L’action Nexen avait déjà été intentée lorsque Nexen et la CNOOC ont présenté une requête visant à obtenir une ordonnance déclarant que les parties avaient en fait conclu un règlement. La Cour a conclu qu’une entente contraignante était intervenue et que l’action Nexen était réputée abandonnée, une décision confirmée par la Cour d’appel fédérale.

[74] La décision Nexen mentionne au paragraphe 3 que « M. Betser-Zilevitch est ingénieur et propriétaire du brevet canadien no 2 584 627 ». Cela ne règle pas la question de la propriété, d’autant plus que cet énoncé est fait à des fins contextuelles. L’action Nexen portait sur la question de savoir si les parties avaient conclu une entente de règlement. Rien dans la décision Nexen ne laisse croire que la question du droit de propriété a été réglée par l’entente de règlement. L’action Nexen a été abandonnée si bien que la décision Nexen n’est pas une décision par laquelle la Cour a réglé la question de la propriété du brevet. Le fait que l’action a été abandonnée laisse la question en suspens et ne fait pas obstacle à une éventuelle action sur la même question (Purcell Systems, Inc c Argus Technologies Ltd, 2008 CF 1210 au para 31). En outre, le demandeur a reconnu, au cours de l’interrogatoire préalable, que Nexen ne lui avait cédé aucun droit, en common law ou en equity, dans l’objet du brevet no 627.

[75] Cela étant, il n’est pas nécessaire que je tranche la question de l’abus de procédure ou de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, étant donné que la défenderesse ne remet pas en cause une question déjà réglée entre les parties.

(2) Lien contractuel

[76] Je ne suis pas non plus d’accord avec le demandeur pour dire que la règle du lien contractuel empêche la défenderesse de soulever la question de la propriété du brevet no 627 en tant que question à trancher en l’espèce. Le demandeur affirme que, selon la règle du lien contractuel, la défenderesse n’a pas qualité pour demander l’exécution de l’entente de consultation en fonction de l’interprétation qu’elle en donne. Seule une partie à l’entente de consultation peut en demander l’exécution ou engager une poursuite en ce sens, à moins que les parties contractantes n’aient voulu en étendre les avantages à un tiers.

[77] La règle du lien contractuel ne s’applique pas aux allégations concernant le droit de propriété soulevées par la défenderesse en l’espèce. La raison en est que la défenderesse ne demande pas l’exécution de l’entente de consultation pas plus qu’elle ne veut engager une poursuite en vertu de cette entente. La défenderesse peut opposer en défense à la présente action en contrefaçon que le demandeur n’a pas droit à l’avantage du brevet no 627.

(3) Expiration des délais de prescription

[78] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur selon qui la défenderesse cherche à faire reconnaître que Nexen est propriétaire du brevet en vertu de l’entente de consultation. Ainsi, l’argument selon lequel le délai ordinaire de deux ans et le délai « maximum » de dix ans pour présenter une telle demande sont prescrits en vertu de la Limitations Act ne s’applique pas.

(4) L’entente de consultation

[79] Le demandeur et la défenderesse ont chacun présenté des interprétations distinctes de l’entente de consultation, relativement aux droits et obligations de Nexen et du demandeur au regard de l’invention 627. Leurs positions respectives font ressortir l’ambiguïté de l’entente de consultation. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la preuve ne me permet pas de résoudre cette ambiguïté. Plus précisément, la défenderesse n’a présenté aucune preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’est pas le propriétaire du brevet no 627 : je ne suis donc pas en mesure d’examiner la demande d’attribution au demandeur et à Nexen du monopole conféré par le brevet, ni de conclure que le demandeur n’est pas effectivement le propriétaire du brevet no 627.

[80] Le demandeur fait valoir que, dans l’entente de consultation, les droits de propriété intellectuelle se limitent aux [traduction] « améliorations relevant de l’information confidentielle de l’entreprise [Nexen] » et que l’invention 627 échappe à cette disposition, alors que l’[traduction] « information confidentielle » vise les renseignements financiers, de même que les renseignements qui concernent l’approvisionnement et les services, la commercialisation, le personnel et la clientèle. La politique 154 de Nexen renvoie à la pièce A de la politique 161 de Nexen, qui contient une [traduction] « Entente de confidentialité des employés et inventions ». Il est expressément prévu qu’elle ne s’applique qu’aux employés. La politique 161 de Nexen contient en outre à la pièce B un [traduction] « Engagement de non‑divulgation du consultant », laquelle ne renferme aucune disposition concernant la propriété des droits conférés par brevet.

[81] La défenderesse soutient que « l’invention » du demandeur découle directement de ses obligations contractuelles de résoudre les problèmes d’intégration des modules à l’installation de Long Lake de Nexen. Le demandeur devait fournir les services précisés à l’annexe A de l’entente de consultation, selon laquelle le demandeur a été embauché, en tant qu’ingénieur, afin de cerner les problèmes et apporter des solutions à l’intégration et à la construction des modules. Ainsi, on pourrait soutenir que Nexen est propriétaire de l’objet du brevet no 627, soit en vertu de l’entente de consultation, soit en common law. Un contrat, s’il traite de la propriété d’un brevet, est déterminant :

[traduction]

Les travailleurs autonomes sont traités moins favorablement en droit des brevets qu’en droit d’auteur […] la Loi sur les brevets commence par une présomption qui ne favorise pas l’inventeur qui est un pigiste et à qui on a passé une commande. Elle laisse aux lois provinciales le soin de régir entièrement ses droits. L’entreprise qui fait appel à un expert‑conseil pour l’aider à résoudre un problème a généralement droit à l’avantage de l’invention qu’il met au point comme solution. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’expert‑conseil a accès aux secrets commerciaux de l’entreprise ou à des renseignements confidentiels, ou qu’il est engagé pour mettre en pratique une idée que l’entreprise a développée en partie. L’entreprise aura alors le droit de breveter l’invention. Cette règle de nature présomptive peut toutefois être modifiée par accord explicite ou implicite.

(David Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trademarks, Concord, Ont., Irwin Law, 1997, à la p. 148, cité dans Techform Products Ltd c Wolda, 5 CPR (4th) 25 (CSJ Ont) au para 16 [Wolda], inf pour d’autres motifs par 15 CPR (4th) 44 (CA Ont) [Wolda CA], autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 28949 (11 juin 2002))

[82] L’argument sur la propriété du brevet avancé par la défenderesse relève donc de l’interprétation de l’entente de consultation et de l’application de la common law. Il est un principe général de common law selon lequel [traduction] « [l’]entrepreneur indépendant qui réalise une invention en est propriétaire, à moins d’accord, explicite ou implicite, à l’effet contraire. Pour savoir si une clause transfère implicitement au client la propriété d’une invention, il faut se demander si cette clause est nécessaire, eu égard aux circonstances de l’affaire » (Wolda, précité, au para 20); Wolda CA, précité, aux para 15 et 37). La Cour supérieure de justice de l’Ontario est arrivée à cette conclusion après avoir soupesé les commentaires de David Vaver reproduits précédemment en regard d’autres sources. Cette conclusion de droit a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario, bien que la décision Wolda ait été infirmée pour d’autres motifs (Wolda CA, aux para 15 et 37). Ainsi, pour conclure que Nexen est propriétaire du brevet, il faut conclure que, selon le cas (Wolda, au para 20) :

  1. Un accord valide et contraignant prévoit explicitement que Nexen sera propriétaire des inventions du demandeur;

  2. Les circonstances entourant la relation contractuelle entre le demandeur et Nexen sont telles qu’il est nécessaire de conclure qu’une des conditions de cette relation était que Nexen serait propriétaire des inventions du demandeur.

[83] Je commence par la présomption que le demandeur, en tant que consultant auprès de Nexen à l’époque pertinente, est propriétaire de l’invention 627, ce qui m’impose d’examiner l’entente de consultation et les circonstances ayant entouré sa conclusion. Les parties ont soumis à l’attention de la Cour trois dispositions de l’entente de consultation et des politiques connexes : (1) l’article 3.1 de l’[traduction] « Entente de confidentialité des employés et inventions » (pièce A de la politique 161); (2) l’[traduction] « Engagement de non‑divulgation du consultant » (pièce B de la politique 161); et (3) le paragraphe 6 de l’entente de confidentialité (pièce A de l’annexe B de l’entente de consultation).

[84] L’annexe A de l’entente de consultation précise, comme description des services (c.‑à-d. les tâches à accomplir et les limites imposées à l’égard de chaque produit livrable), que le demandeur [traduction] « aide à apporter des solutions à tout problème technique d’intégration des modules lors de la construction, à assurer le suivi de ces problèmes et à les documenter ». L’article 2.11 de l’entente de consultation, sous la rubrique [traduction] « Politiques visant les experts-conseils », exige que le demandeur se conforme aux [traduction] « Politiques et procédures générales » de Nexen, y compris les politiques mentionnées à l’annexe B de l’entente de consultation. Ce qui signifie la politique 154 (Inventions des employés) et la pièce A de la politique 161 (Entente de confidentialité des employés et inventions) (également appelées politique A154 et politique A161, respectivement). La politique 154 précise ce qui suit :

[traduction]

Toute question concernant les inventions des employés sera traitée conformément aux conditions énoncées dans l’Entente de confidentialité des employés et invention (voir politique 161 – pièce A). La coordination de ces questions sera assurée par le contentieux.

Toutes ces questions seront traitées au cas par cas.

(Italiques ajoutés.)

[85] L’article 3.1 de l’Entente de confidentialité des employés et inventions stipule ceci (pièce A de la politique 161) :

[traduction]

3.1 Toute information confidentielle et toute invention et découverte sont la propriété exclusive de la société et sont détenues en fiducie pour le seul compte de la société.

[86] L’Engagement de confidentialité du consultant passe sous silence la question de la propriété des inventions (pièce B de la politique 161).

[87] L’entente de consultation précise, au paragraphe 6 de la pièce A de l’annexe B :

[traduction]

[…] Toutes les données de recherche, les découvertes, les modifications et les améliorations relevant des renseignements confidentiels de la société que le bénéficiaire peut concevoir ou produire, seul ou avec d’autres, pendant la durée de ce mandat sont la propriété exclusive de la société, et le bénéficiaire cède par les présentes tous ses droits, titres et intérêts à la société.

[88] Il ne ressort des clauses ci-dessus aucune disposition expresse qui définirait les droits de propriété de Nexen par rapport à ceux de l’expert-conseil ou de l’entrepreneur. Il n’y est pas question des circonstances particulières dans lesquelles le demandeur a conçu l’invention 627, pas plus qu’on n’y aborde la question de savoir si la conception de l’invention implique en fait des renseignements confidentiels.

[89] De plus, comme je l’ai mentionné, la preuve qui m’a été présentée au sujet des circonstances entourant la relation contractuelle entre le demandeur et Nexen n’est pas suffisante pour suggérer implicitement l’existence d’une telle disposition. L’objet de l’interprétation contractuelle est de donner effet à l’intention objective des parties contractantes, telle qu’elle est exprimée dans le contrat dans son ensemble, et d’une manière qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de sa conclusion. Il en est ainsi parce que les mots en soi n’ont pas un sens immuable ou absolu (Sattva Capital Corp c Creston Moly Corp, 2014 CSC 53 au para 47). En l’espèce, le dossier de preuve ne se prête pas à cet exercice d’interprétation.

[90] Je conviens avec le demandeur qu’il s’agit aussi de savoir si l’invention 627 répond à la définition d’[traduction] « information confidentielle », à l’annexe B de l’entente de consultation, qui n’inclut pas expressément les produits ou les renseignements techniques, tels que les dessins de plateforme d’exploitation. Il n’est donc pas certain que le paragraphe 6 de la pièce A jointe à l’annexe B de l’entente de consultation s’applique.

[91] Je souligne également que, s’agissant du brevet no 627, le demandeur a agi de façon peu transparente, puisqu’il s’est abstenu d’aviser Nexen en temps utile qu’il avait déposé la demande de brevet américain correspondant à l’invention brevetée 627, et qu’il avait offert l’invention aux concurrents de Nexen au moment de conclure l’entente de consultation avec Nexen. Toutefois, ce comportement ne suffit pas à prouver qu’il est propriétaire du brevet no 627 ou à prouver qu’il ne l’est pas.

[92] Dans l’ensemble, la preuve est loin d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’est pas le propriétaire du brevet, ou que Nexen devrait en être le propriétaire.

VI. Interprétation des revendications

[93] La Cour doit en premier lieu procéder à une interprétation téléologique des revendications du brevet no 627 afin de définir la portée du monopole conféré au titulaire du brevet (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au para 43 [Whirlpool]). La même interprétation s’applique aux questions de contrefaçon et de validité (Whirlpool, précité, au para 49b)). Il s’agit d’une question de droit qu’il convient de trancher en fonction des principes suivants, lesquels ont été énoncés dans des décisions antérieures et consolidés dans l’arrêt Tearlab Corporation c I-MED Pharma Inc, 2019 CAF 179 aux para 30 à 34 (Whirlpool, aux para 49 à 55); Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 aux para 44 à 54 [Free World Trust]; Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la page 520) :

  1. les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet, dans un esprit désireux de comprendre et selon le point de vue de la personne versée dans l’art, à la date pertinente, en tenant compte des connaissances générales courantes;

  2. la teneur des revendications doit être interprétée selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu lui donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objectif de l’inventeur, de sorte à assurer l’équité et la prévisibilité;

  3. il faut considérer l’ensemble du mémoire descriptif pour déterminer la nature de l’invention, sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public.

  4. suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels ou non essentiels des revendications sont déterminés en fonction des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui s’adresse l’invention, à la date pertinente.

[94] Comme je l’ai mentionné, le demandeur ne revendique plus comme date de priorité la date du 21 avril 2006. Ainsi, la date pertinente est la date de publication, soit le 21 octobre 2007. Toutefois, il peut être fait mention de l’une ou l’autre date (la date de priorité ou la date de publication) ci‑dessous afin de tenir compte de la preuve et des observations présentées par les parties. Les questions à trancher ne portent pas sur l’applicabilité de l’une ou l’autre de ces dates (Free World Trust, précité, aux para 53 à 54).

A. Personne versée dans l’art

[95] La personne versée dans l’art est la personne fictive à qui s’adresse le brevet no 627 et la personne du point de vue de laquelle le brevet no 627 doit être interprété (Whirlpool, au para 53; Free World Trust, au para 44). Cette personne a des compétences et des connaissances usuelles dans le domaine dont relève le brevet et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée, tout en étant par ailleurs dépourvue d’imagination et d’esprit inventif. Néanmoins, la personne versée dans l’art est tenue pour raisonnablement diligente lorsqu’il s’agit de tenir à jour sa connaissance des progrès réalisés. Il peut s’agir d’une équipe formée de personnes ayant des compétences différentes (Teva Canada Limited c Janssen Inc, 2018 CF 754 aux para 64 à 66, conf par 2019 CAF 273, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 39007 (7 mai 2020)).

[96] M. Bishop est d’avis que, pour ce qui est du brevet no 627, la personne versée dans l’art serait un concepteur principal en tuyauterie (c.-à-d. un ingénieur ou un technicien en tuyauterie) ayant à ce titre plusieurs années d’expérience dans l’industrie pétrolière et gazière, y compris les installations utilisant le procédé SAGD. Cette personne devrait aussi connaître les systèmes modulaires et les logiciels de conception 3D de façon à pouvoir évaluer et à parfaire les projets de conception. La personne versée dans l’art aurait également une certaine connaissance de l’utilisation des modules et des coûts de transport ainsi que des conditions et restrictions applicables à la construction des installations utilisant le procédé SAGD.

[97] Comme le dit M. Brindle au paragraphe 5.18 de son rapport d’expert du 10 août 2020, la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet no 627 [traduction] « est un ingénieur possédant un diplôme universitaire dans une discipline telle que le génie mécanique, le génie pétrolier, le génie chimique ou le génie civil. Elle travaille dans une firme d’ingénierie qui dispose d’équipes interdisciplinaires composées de personnes telles que des concepteurs de conduites et des ingénieurs de procédés qu’elle pourrait consulter au besoin, et elle compte au moins dix ans d’expérience dans une firme d’ingénierie qui s’occupe de la conception interdisciplinaire d’installations modulaires destinées aux sociétés de production de pétrole lourd qui procèdent à la récupération du bitume sur les plateformes d’exploitation du nord de l’Alberta ». M. Brindle est d’avis que la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet no 627 est une personne qui élaborerait des plans d’ingénierie préliminaire et de conception détaillée et d’autres dessins techniques similaires.

[98] M. Beale a également exprimé son opinion sur la personne versée dans l’art, à savoir qu’il s’agirait d’un concepteur en tuyauterie de niveau intermédiaire (c.‑à‑d. qu’il a un diplôme ou un certificat en conception de tuyauterie d’un établissement d’enseignement postsecondaire) comptant au moins cinq ans d’expérience dans l’industrie pétrolière et gazière et travaillant sous la direction ou le mentorat d’un employé d’un échelon supérieur. Cette personne connaîtrait bien les principes de conception des systèmes de tuyauterie et aurait de l’expérience dans la création et la lecture de dessins de structure et de tuyauterie. Cette personne connaîtrait aussi les plans de conception modulaire et aurait travaillé sur des projets liés au procédé SAGD.

[99] Je conclus que le brevet no 627 s’adresse à un ingénieur, ou à un concepteur de tuyauterie, ayant un diplôme ou un certificat en conception de tuyauterie, ainsi qu’aux autres ingénieurs. La personne versée dans l’art a au moins cinq ans d’expérience en conception de tuyauterie dans l’industrie pétrolière et gazière, y compris les installations utilisant le procédé SAGD. Cette personne connaît également les conditions générales et les restrictions qui s’appliquent à la construction des installations utilisant le procédé SAGD.

B. Caractère essentiel des éléments d’une revendication

[100] Il existe une présomption quant au caractère essentiel des éléments d’une revendication. Un élément est jugé non essentiel s’il est établi que la personne versée dans l’art aurait constaté que cet élément pouvait être omis ou substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention (Free World Trust, au para 55); Corlac Inc c Weatherford Canada Inc, 2011 CAF 228 aux para 26 et 27, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 34459 (29 mars 2012).

[101] M. Brindle est le seul expert en l’espèce à s’être prononcé sur le caractère essentiel des éléments décrits dans les revendications 1 à 8 du brevet no 627. Il n’a relevé qu’une seule exception possible, à savoir un élément de la revendication 1, selon lequel [traduction] « […] ladite tuyauterie ayant une connexion à tête pivotante appropriée pour être reliée à la tête du puits ou à une tête pivotante d’une tuyauterie adjacente ». Compte tenu de la présomption relative au caractère essentiel, et du fait que rien dans la preuve ou dans le mémoire descriptif du brevet no 627 ne tend à indiquer le contraire, je conclus que tous les éléments des revendications 1 à 8 sont essentiels.

C. Connaissances générales courantes

[102] Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement la personne versée dans l’art à la date pertinente, le 21 octobre 2007, y compris ce que cette personne devrait raisonnablement savoir en tenant à jour sa connaissance des progrès réalisés dans le domaine auquel le brevet se rapporte, mais elles ne s’entendent pas de tous les renseignements qui relèvent du domaine public (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 au para 37 [Sanofi-Synthelabo]; Whirlpool, au para 74). Les principes applicables à cet égard ont été énoncés comme suit :

  1. Les connaissances générales courantes se distinguent des connaissances publiques. Les connaissances publiques sont théoriques et englobent tous les mémoires descriptifs publiés. Les connaissances générales courantes découlent d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail.

  2. Les connaissances générales courantes englobent les mémoires descriptifs qui sont bien connus de ceux qui sont versés dans l’art.

  3. Les publications scientifiques ne font pas nécessairement partie des connaissances générales courantes, peu importe l’importance de leur tirage ou de leur lectorat. L’information divulguée dans un article scientifique devient une connaissance générale courante lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par la majorité de ceux qui pratiquent dans l’art en question.

  4. Ne constitue pas une connaissance générale courante un élément qui a fait l’objet d’un écrit, mais qui n’a jamais, dans les faits, été utilisé dans une réalisation donnée.

(Eli Lilly and Company c Apotex Inc, 2009 CF 991 au para 97, conf par 2010 CAF 240, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 33946 (5 mai 2011), citant General Tire & Rubber Co v Firestone Tire & Rubber Co Ltd. [1972] RPC 457 (UK HL) aux pp 482‑483, [1971] FSR 417 (UK CA))

[103] Les paragraphes [5] et [8] du brevet no 627 décrivent des éléments reconnus comme faisant partie des connaissances générales courantes, notamment la pratique de la construction par modules et le fait que la technologie du procédé SAGD incorpore des vannes, des dispositifs de régulation, des appareils électriques et de l’instrumentation.

[traduction]

[5] Dans le passé, les champs pétroliers exploitant le procédé SAGD étaient construits selon l’approche traditionnelle des chantiers de construction. Les conduites d’écoulement reliant les têtes de puits étaient connectées à l’équipement sur le terrain. Il est également courant d’installer la plupart des équipements sur des plateaux ou des modules et d’installer, puis de connecter ces unités entre les têtes de puits et les conduites d’écoulement.

[…]

[8] La technologie actuelle de mise en œuvre du procédé SAGD consiste généralement à assembler sur site les plateformes à partir des conduites d’écoulement, des chemins de câbles électriques et de la tuyauterie construits sur le terrain. La tuyauterie est reliée aux têtes de puits par des modules qui contiennent des vannes, des équipements de régulation, du matériel électrique et de l’instrumentation. Toutes les connexions entre les modules d’équipement et les conduites d’écoulement sont effectuées sur le terrain […]

[104] Ce qui précède est conforme au témoignage de M. Brindle et a été admis par M. Bishop en contre-interrogatoire, en ce qui concerne le paragraphe [5]. M. Beale a admis en contre‑interrogatoire, en référence au paragraphe [8], que la seule différence entre le brevet no 627 et les connaissances générales courantes est l’emplacement de la conduite d’injection de vapeur au premier niveau inférieur.

[105] Plus précisément, les connaissances générales courantes comprennent en outre l’utilisation d’échafaudages pour raccorder les conduites d’écoulement sur les modules en hauteur, les restrictions de largeur des modules et les exigences relatives au transport d’Alberta Transport, ainsi que l’obligation d’installer des raccords pivotants lors du raccordement des têtes de puits aux conduites des modules.

D. Interprétation des revendications

[106] Les éléments suivants des revendications du brevet no 627 sont en litige.

(1) Revendications 1 et 4 : Un système de production de pétrole lourd

[107] Je conviens avec M. Bishop et M. Beale que la personne versée dans l’art comprendrait qu’[traduction] « un système de production de pétrole lourd » est un système SAGD. Je ne partage pas l’avis de M. Brindle selon qui cet élément, en particulier dans la revendication 1, doit être interprété comme s’appliquant de façon plus générale aux systèmes CSS et SAGD. Cet avis n’est pas étayé par l’interprétation que ferait du brevet no 627 la personne versée dans l’art de façon éclairée et en fonction de l’objet.

(2) Revendications 1, 4 et 11 : Premier niveau comportant une pluralité de conduites d’écoulement

[108] Les experts ont finalement convenu que la [traduction] « pluralité de conduites d’écoulement » dont il est question dans les revendications 1 et 4 s’entend d’au moins une conduite d’injection de vapeur et d’une conduite de production de pétrole lourd se trouvant au premier niveau inférieur de disposition de la tuyauterie. M. Brindle avait d’abord proposé une autre façon d’interpréter la revendication en plus de celle qui précède, mais il ne l’a pas fait valoir au procès. Il justifie l’interprétation actuelle qu’il en donne en s’appuyant sur le paragraphe [53] de la divulgation du brevet no 627, selon lequel l’emplacement des conduites d’écoulement est important pour pouvoir se passer d’un échafaudage :

[traduction]

[53] Il importe de souligner que, dans la présente invention, le tuyau entre les unités est situé au point le plus bas possible. En général, le soudage de la conduite qui a déjà été soumise à un test hydrostatique à l’aide de soudures de raccordement est une tâche qui exige beaucoup de travail sur le terrain. L’emplacement de la conduite au point le plus bas possible élimine le besoin d’échafaudages, réduit les problèmes de sécurité, augmente la productivité et réduit les coûts.

[109] J’accepte le point de vue de M. Brindle selon qui cette caractéristique se trouve également dans la revendication indépendante 11, même si son libellé est analogue à celui des revendications 1 et 4 sans être exactement pareil. En fait, la revendication 11 contient l’élément [traduction] « […] avec des conduites d’écoulement s’étendant le long dudit premier niveau […] ». Cet élément n’a pas été contesté par M. Bishop ou M. Beale.

(3) Revendications 1, 4 et 11 : Un « premier niveau » et un « second niveau »

[110] Les revendications 1, 4 et 11 font référence aux caractéristiques du « premier niveau » et du « second niveau ». Les experts ne s’entendent pas sur la façon dont la personne versée dans l’art interpréterait le terme « niveau », qui est soit une élévation ou un plan horizontal unique, tel que défini par le positionnement d’un élément transversal en acier ou d’une traverse, soit un volume fonctionnel amorphe au-dessus du sol. Chacun des témoignages d’expert présentait des problèmes de cohérence interne, que j’ai pris en considération, comme suit.

[111] M. Bishop a déclaré ceci au paragraphe 69 de son rapport d’expert, daté du 10 août 2020 :

[traduction]

69. Une personne qualifiée comprendrait que cela signifie qu’il y a un second niveau dans l’agencement de tuyauterie et que ce second niveau occupe une position plus élevée au-dessus du sol que le premier niveau, et qu’il y a une tuyauterie connectée, en communication fluidique, avec au moins les deux conduites d’écoulement du premier niveau.

[112] Cependant, lors du contre-interrogatoire, M. Bishop a ajouté à cette interprétation en disant qu’un niveau serait un volume d’espace, et plus précisément que le premier niveau était le volume d’espace qui [traduction] « remplit une fonction ». Cette interprétation modifiée de la revendication est discutable et préoccupante, en ce qu’elle reprend une thèse déjà avancée par M. Beale. L’interprétation faite par M. Beale des revendications apparaît dans son rapport d’expertise du 5 novembre 2020, et fait suite aux interprétations proposées par M. Bishop et M. Brindle sur la question de la contrefaçon, le 10 août 2020.

[113] Au paragraphe 79 de son rapport d’expert, M. Beale explique que le premier niveau et le second niveau font référence à des zones. Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Beale a spécifiquement fait référence au second niveau contenant la passerelle comme étant la délimitation entre ces premier et second volumes d’espace.

[114] Le demandeur est d’avis que cette explication a été présentée en réponse au témoignage donné par M. Brindle sur l’interprétation et la validité des revendications. Or, elle a eu pour effet d’introduire une nouvelle interprétation en ce qui concerne la validité des revendications 1 à 8, ce qui n’est pas approprié et a une incidence sur le poids du témoignage présenté par M. Beale dans la présente instance.

[115] Au paragraphe 6.76 de son rapport d’expert du 5 novembre 2020, M. Brindle adhère à l’interprétation proposée par M. Bishop au paragraphe 69 de son rapport d’expert du 10 août 2020, ce qui signifie qu’un niveau est une élévation au-dessus du sol. M. Brindle a témoigné que la personne versée dans l’art interpréterait le niveau comme étant le [traduction] « sommet de la structure d’acier » d’un module. Au cours du contre‑interrogatoire, il a ajouté qu’un niveau comprend l’élément transversal en acier et les éléments qui y reposent. Cela dit, au paragraphe 8.102 de son rapport d’expert du 10 août 2020, M. Brindle désigne les niveaux d’un ensemble de tuyauterie d’une manière qui contredit l’interprétation qu’il a avancée.

[116] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la personne versée dans l’art ne conclurait pas qu’un niveau est limité par le placement d’un seul élément transversal en acier, et que le volume de l’espace associé à un niveau ne serait pas si large qu’il contourne les avantages du brevet no 627. En fait, étant donné le caractère ambigu des revendications 1, 4 et 11, le terme « niveau » et le volume y associé doivent être interprétés selon leurs fonctions et objets, comme le prévoit le mémoire descriptif du brevet no 627. La personne versée dans l’art conclurait que le premier niveau est limité par le fait que les conduites d’écoulement sont connectées à un niveau inférieur, sans qu’il soit nécessaire d’utiliser un échafaudage. Le second niveau est délimité par une passerelle qui donne accès aux vannes, aux régulateurs et à l’instrumentation.

[117] Plus précisément, la personne versée dans l’art conclurait que la position relative d’un « premier niveau », considérée dans le contexte du mémoire descriptif du brevet no 627 dans son ensemble, renvoie à un plan horizontal situé à une hauteur donnée au‑dessus du sol qui permet aux opérateurs d’accéder aux conduites d’écoulement au niveau du sol, sans nécessiter l’utilisation d’échafaudages, ce qui a pour effet de réduire les problèmes et les coûts liés à la sécurité et d’offrir aux opérateurs un accès plus facile aux conduites d’écoulement. Les termes « premier » et « second » s’entendent l’un par rapport à l’autre, le premier niveau se situant à une altitude inférieure au‑dessus du sol par rapport au second niveau.

[118] Si l’on considère que le premier niveau est un volume amorphe situé sous le second, on peut imaginer que les conduites d’écoulement pourraient être situées à une hauteur nécessitant un échafaudage, ce qui compromet l’avantage de l’invention, comme le précise le paragraphe [53] du mémoire descriptif du brevet no 627 (reproduit ci-dessus).

[119] En outre, les figures accompagnant le brevet no 627 font systématiquement référence aux conduites d’écoulement comme étant sur un plan horizontal unique, et non sur des élévations multiples, notamment dans les figures 1 à 7 et 12. À mon avis, cela montre que la personne versée dans l’art conclurait que le premier niveau est limité, comme je l’ai décrit ci‑dessus.

(4) Revendications 1 et 8 : Chemins de câbles

[120] Les revendications 1 et 8 décrivent l’élément suivant : [traduction] « […] ledit second niveau supporte des chemins de câbles recevant des câbles électriques et de communication […] ». Dans son témoignage, M. Brindle a fait une distinction entre les types de chemins de câbles, notamment les chemins de câbles de « transmission » primaires et les chemins de câbles de « distribution » secondaires. Il est d’avis que les chemins de câbles mentionnés dans les revendications 1 et 8 sont des chemins de câbles de transmission primaires, qui s’étendent de bout en bout du réseau de tuyauterie. Il s’appuie à cet égard sur diverses figures du brevet no 627. M. Brindle a reconnu que les revendications du brevet no 627 ne font pas de distinction entre les types de chemins de câbles, mais qu’il avait cherché à résoudre une ambiguïté qui existe selon lui en se référant aux figures.

[121] Je conclus que l’opinion exprimée par M. Brindle dans son rapport d’expert du 5 novembre 2020 et au procès contredit directement les éléments de preuve présentés dans son rapport d’expert du 10 août 2020, qui précise, au paragraphe 7.053, [traduction] « [l]e terme “chemins de câbles” […] est un terme technique, et leur conception et fonction sont bien connues de la personne versée dans l’art ». À mon avis, M. Brindle n’a pas précisé, mais a plutôt compliqué, le sens du terme « chemins de câbles » dans les versions ultérieures de son interprétation, et il a changé son interprétation dans le rapport d’expert qu’il a produit ultérieurement et au procès.

[122] Au vu de ces éléments, j’estime que la personne versée dans l’art conclurait qu’un chemin de câbles s’entend des plateaux ou des conduits au second niveau dans lesquels le câblage servant, par exemple, au régulateur, peut être placé et supporté. À cet égard, je souscris à l’interprétation donnée par M. Bishop quant à cet élément des revendications 1 et 8, ainsi qu’à celle présentée par M. Brindle dans son rapport d’expert du 10 août 2020.

(5) Revendications 2 et 9 : Ayant une passerelle

[123] Les revendications 2 et 9 contiennent l’élément [traduction] « ayant une passerelle » (having a walkway). M. Brindle interprète ce terme « walkway » (passerelle) en se référant à la définition qu’en donne le dictionnaire Oxford de la langue anglaise, à savoir [traduction] « [un] passage ou chemin pour se promener, en particulier un passage surélevé reliant différentes parties d’un bâtiment, ou un large chemin dans un parc ou un jardin » (Italiques ajoutés). M. Brindle reproche par ailleurs à M. Bishop d’avoir confondu les termes « plateforme » et « passerelle » dans son interprétation des revendications. Or, au cours du contre‑interrogatoire de M. Brindle, des incohérences ont été relevées dans l’ensemble du brevet no 627 en ce qui concerne l’utilisation des termes passerelle et plateforme.

[124] J’estime que la définition du dictionnaire Oxford donnée par M. Brindle n’est ni utile ni pertinente. J’estime aussi que les motifs qu’il a avancés pour attaquer l’interprétation proposée par M. Bishop ne sont pas valables étant donné les incohérences relevées dans le brevet no 627.

[125] En ce qui concerne la revendication 2, la personne versée dans l’art conclurait qu’une passerelle signifie une zone offrant un accès aux vannes et à l’instrumentation. À cet égard, je souscris à l’interprétation de MM. Bishop et Beale selon laquelle cet élément désigne une zone du second niveau qui est supportée et qui permet à un opérateur d’accéder facilement à l’équipement et aux instruments qui s’y trouvent et de les activer.

[126] La revendication 9 comprend la limite supplémentaire selon laquelle les passerelles sont [traduction] « alignées de bout en bout les unes avec les autres ».

(6) Revendications 3 et 10 : Un escalier

[127] Les revendications 3 et 10 comprennent l’élément [traduction] « un escalier montant depuis ledit premier niveau […] à ladite passerelle dudit second niveau ». À cet égard, le point de désaccord entre les experts est de savoir si l’escalier peut commencer au niveau du sol ou s’il commence au sommet de la structure d’acier du premier niveau. L’interprétation des termes « premier niveau » et « second niveau » résout cette question, la définition du premier niveau signifiant effectivement que l’escalier peut commencer au niveau du sol.

(7) Revendication 4 : Joint en relation de bout à bout

[128] La revendication 4 comprend l’élément suivant : [traduction] « […] ledit premier ensemble de tuyauterie étant joint en relation de bout à bout audit second ensemble de tuyauterie […] ». En ce qui concerne cet élément, les experts divergent d’avis quant à savoir si les ensembles de tuyauterie doivent être physiquement joints d’une manière ou d’une autre ou s’ils sont simplement alignés de bout en bout. La preuve présentée était axée sur le sens du terme « joint » et sur la question de savoir si la personne versée dans l’art conclurait que ce terme a un sens différent du terme « connecté », qui est utilisé dans les revendications en rapport avec les conduites d’écoulement.

[129] M. Bishop est d’avis que la personne versée dans l’art conclurait que cet élément signifie que la tuyauterie des conduites d’écoulement des deux premiers ensembles est raccordée de telle sorte que les extrémités des conduites d’injection de vapeur sur un module sont connectées aux extrémités des conduites d’injection de vapeur sur un module adjacent, et de manière analogue pour les conduites de production de pétrole lourd.

[130] De l’avis de M. Brindle, ces phrases veulent dire que les deux ensembles de tuyauterie (modules) ne sont pas seulement reliés entre eux par leurs conduites d’écoulement respectives, mais qu’ils sont physiquement joints bout à bout. M. Brindle comprend qu’il est acceptable de donner aux verbes « joints » (pour les modules) et « connectés » (pour les conduites d’écoulement) des sens différents dans le contexte de cette revendication. Il a dit en contre‑interrogatoire que, dans le langage courant, les termes « joints » et « connectés » peuvent avoir le même sens, mais qu’il avait reçu comme instruction de l’avocat de leur attribuer un sens différent.

[131] Selon M. Beale, la personne versée dans l’art conclurait que le premier ensemble de tuyauterie et le second ensemble de tuyauterie sont placés bout à bout de sorte que les tuyaux s’étendant longitudinalement le long de chaque ensemble puissent être joints. M. Beale n’adhère pas à l’interprétation de M. Brindle qui cherche à établir une distinction entre les termes « joints » et « connectés ». La revendication 4 n’indique pas que les seconds niveaux de chaque ensemble de tuyauterie sont mutuellement reliés, mais simplement que les modules ou unités sont placés bout à bout, ou sont colinéaires les uns par rapport aux autres, ce qui permet de connecter les conduites d’écoulement. La personne versée dans l’art conclurait qu’il y a quelques redondances en ce qui concerne la connexion des conduites d’écoulement et l’organisation des modules en bout à bout.

[132] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, y compris le mémoire descriptif du brevet no 627, je conclus que la personne versée dans l’art dotée d’un esprit désireux de comprendre conviendrait avec M. Bishop et M. Beale que les mots « joints » et « connectés » sont interchangeables, et que les modules ne doivent pas être physiquement joints, mais plutôt alignés bout à bout, pour permettre le raccordement des conduites d’écoulement. Je conclus que le témoignage de M. Brindle a été indûment forcé, surtout qu’il a reconnu que les termes étaient interchangeables dans le langage courant. Si l’on revient aux principes fondamentaux de l’interprétation des revendications, à savoir que les revendications doivent être interprétées par la personne versée dans l’art de façon éclairée et téléologique, et avec un esprit désireux de comprendre, les trois experts, dont M. Brindle, conviennent qu’il n’est pas nécessaire de distinguer conceptuellement les termes « joints » et « connectés ».

VII. Contrefaçon

[133] Il y a contrefaçon lorsqu’il est porté atteinte au droit du demandeur de jouir pleinement du monopole que lui confère le brevet, tel que défini par les revendications. Ce n’est que si tous les éléments essentiels des revendications 1 à 8 sont présents dans les modules MRCP que ces revendications peuvent être considérées comme contrefaites (Free World Trust, au paragraphe 31).

[134] Le demandeur reconnaît que la décision sur la contrefaçon repose sur l’interprétation des revendications 1 à 8 qui est retenue en l’espèce. Les revendications 1 à 8 du brevet no 627 sont contrefaites si la Cour souscrit à l’interprétation qu’a proposée le demandeur et que ses experts ont présentée.

[135] S’agissant de la contrefaçon, la défenderesse fait valoir que toutes les revendications du brevet no 627 renferment l’idée que la conduite d’injection de vapeur et la conduite de production d’huile lourde doivent être situées au niveau le plus bas, au premier niveau des modules, pour permettre aux travailleurs sur le terrain de connecter ces conduites d’écoulement entre les modules sans avoir à utiliser d’échafaudage. Dans tous les modules MRCP de la défenderesse, les conduites d’écoulement des puits de production de pétrole lourd ne sont pas situées au niveau le plus bas, au premier niveau des modules. Elles sont plutôt situées à un second niveau, plus élevé, de sorte que les travailleurs sur le terrain ne peuvent y accéder et les raccorder sans échafaudage. La défenderesse affirme que les modules MRCP comportent 5 niveaux au total.

[136] Après avoir examiné la preuve, y compris le programme Navisworks, je conviens avec la défenderesse que les modules MRCP ne contrefont pas les revendications 1 à 8 du brevet no 627 parce qu’on n’y trouve pas l’élément de pluralité de conduites d’écoulement au premier niveau inférieur.

[137] La clé de cette conclusion est que les modules MRCP comportent plusieurs niveaux, notamment :

  1. Un premier niveau, inférieur, où sont situées une conduite d’injection de vapeur et une conduite de gaz annulaire (conduite de service);

  2. Un ou plusieurs niveaux intermédiaires, nécessitant un échafaudage, qui soutiennent les conduites du groupe d’émulsion et les conduites d’essai, y compris une conduite de production de pétrole lourd et une conduite de gaz résiduel (conduite de service). On trouve en outre au(x) niveau(x) intermédiaire(s) des conduites de services publics, de la tuyauterie et des boucles d’expansion additionnelles;

  3. Un niveau supérieur, qui supporte les conduites, les commandes et l’instrumentation servant à réguler le débit vers les puits, et les chemins de câbles secondaires (distribution). De plus, ce niveau supérieur contient un caillebotis en acier qui sert de plateforme aux travailleurs pour se déplacer et actionner les commandes manuelles ou voir les instruments.

[138] Les modules MRCP sont en outre dotés d’escaliers qui vont du niveau du sol au niveau supérieur. Les modules MRCP sont connectés physiquement au moyen des conduites d’écoulement. Dans certains cas, des poutres traversières sont également situées entre les modules.

[139] Les revendications indépendantes 1 et 4 ne sont pas contrefaites parce que la conduite de production de pétrole lourd n’est pas située à un premier niveau inférieur des modules MRCP, où la connexion des conduites d’écoulement peut se faire sans échafaudage. J’accepte le témoignage de M. Brindle, qui a affirmé qu’un échafaudage est nécessaire pour relier la conduite de production de pétrole lourd sur les modules MRCP de la défenderesse, laquelle conduite est située sensiblement plus haut et verticalement au-dessus du premier niveau desdits modules.

[140] Pour cette même raison, aucune des revendications dépendantes 2 à 3 et 5 à 8 n’est contrefaite. La revendication dépendante 2 intègre la revendication indépendante 1. La revendication dépendante 3 comprend la revendication dépendante 2. Les revendications dépendantes 5 à 8 intègrent la revendication indépendante 4. Par conséquent, les revendications 1 à 8 intègrent cet élément de [traduction] « pluralité de conduites d’écoulement » sur le premier niveau inférieur.

[141] Ce qui précède permet de trancher la question de la contrefaçon et il n’est pas nécessaire d’examiner les autres caractéristiques prétendument distinctives soulevées par la défenderesse, qui se rapportent aux modules MRCP et aux revendications.

VIII. Validité

A. Allégations non étayées

[142] La défenderesse sollicite en outre, par demande reconventionnelle, un jugement déclarant que toutes les revendications 1 à 17 du brevet no 627 sont invalides pour cause d’évidence. Elle avait déjà fait valoir que le brevet était invalide en invoquant le moyen de défense Gillette, l’antériorité, la portée excessive, l’ambiguïté et le caractère indéfini, l’insuffisance du mémoire descriptif, le caractère inutile ou inutilisable, et la simple juxtaposition. Elle avait aussi soulevé au départ la question de l’applicabilité de la doctrine du manque de diligence.

[143] La défenderesse n’a présenté aucune preuve à l’appui de ces allégations. Elle semble avoir maintenu certaines d’entre elles, étant donné les interprétations subsidiaires proposées par M. Brindle à l’égard des revendications. Par exemple, l’allégation d’antériorité était au départ étayée par l’interprétation subsidiaire proposée par M. Brindle, à savoir que seule une partie des conduites d’écoulement, et non la totalité, devaient être situées au premier niveau. Cette interprétation n’a pas été avancée ou maintenue par la défenderesse et n’est pas retenue par la Cour.

[144] Quoi qu’il en soit, les allégations soulevées dans le cadre de la demande reconventionnelle ont été maintenues tout au long de l’instance, jusqu’aux plaidoiries finales. Qui plus est, la défenderesse avait au départ invoqué 68 antériorités, dont elle n’a réduit le nombre qu’à un stade avancé du procès. Dans l’ensemble, la conduite de la défenderesse à cet égard a fait perdre inutilement le temps et les ressources de la Cour et du demandeur. La seule question pertinente qu’il reste à trancher pour ce qui est de la validité est celle de savoir si les revendications en litige sont évidentes eu égard à l’art antérieur, comme je l’explique ci-dessous.

B. Évidence

(1) Le cadre juridique

[145] L’évidence est une attaque contre l’idée originale d’un brevet, codifiée à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

(a) information disclosed before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[146] Le critère de l’évidence est difficile à remplir et commande un examen minutieux de l’invention parce qu’[traduction] « avec le recul, tout est toujours plus net ». En outre, il ne suffit pas d’alléguer, dans le cas d’une invention de combinaison, que, parce que ses éléments constitutifs sont bien connus, la combinaison est évidente (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 aux para 50 et 51, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 33885 (14 avril 2011). Le cadre d’analyse à quatre volets établi dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli afin de déterminer s’il y a évidence est ainsi formulé :

[67] Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

(Sanof-Synthelabo, précité, au para 69)

[147] Dans le cadre du quatrième volet, il peut être opportun de se demander si l’invention résulte d’un « essai allant de soi » dans les domaines où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation. Dans de tels cas, la liste non exhaustive de facteurs qui suit s’appliquera selon la preuve offerte dans le cas considéré (Sanofi-Synthelabo, aux para 67 à 69) :

(1) Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

(2) Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

(3) L’art antérieur fournit‑elle [sic] un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[148] L’examen relatif à l’évidence doit être axé sur l’« idée originale de la revendication en cause » plutôt que sur l’« invention » plus large qui peut être décrite dans le mémoire descriptif du brevet (Sanofi-Aventis Canada c Apotex Inc, 2009 CF 676 au para 267, conf par 2011 CAF 300, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 34600 (12 juillet 2012)).

(2) Les positions des parties

[149] La défenderesse sollicite, par demande reconventionnelle, un jugement déclarant que les revendications 1 à 17 du brevet no 627 ne sont pas valides parce qu’elles sont évidentes pour la personne versée dans l’art, eu égard aux connaissances générales courantes dont cette personne dispose et à l’état de la technique, c’est‑à‑dire qu’il y aurait eu divulgation publique des modules de Cenovus à Foster Creek et des modules de CNRL.

[150] La défenderesse soutient que ces utilisations antérieures sont devenues [traduction] « accessibles au public » avant la date de priorité du 21 avril 2006. L’état de la technique en question consiste en une conduite à vapeur haute pression située à un niveau supérieur des modules et dont le déplacement au niveau inférieur, près des conduites de production de pétrole lourd, serait, selon la défenderesse, évident pour la personne versée dans l’art.

[151] Le demandeur est d’avis que l’utilisation publique antérieure des modules de Foster Creek et des modules CNRL n’a pas été établie. Il fait valoir que la confidentialité des dessins de la plateforme d’exploitation était protégée par des contrats d’emploi, des politiques de confidentialité et des pratiques normalisées. Même si l’utilisation publique antérieure des modules en question était établie, il ne serait pas évident de déplacer la conduite de vapeur au premier niveau inférieur des modules, parce que cela pourrait aggraver les problèmes de condensation et endommager la tuyauterie.

(3) Analyse relative à l’évidence

(a) Idée originale et état de la technique

[152] Les compétences de la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes ayant été établies ci‑dessus, je commencerai l’analyse de l’évidence à la deuxième étape du cadre d’analyse des arrêts Windsurfing et Pozzoli, décrit dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, c’est‑à‑dire que je définirai l’idée originale des revendications.

[153] MM. Brindle et Beale s’entendent pour dire qu’un des aspects de l’idée originale est que toutes les conduites d’écoulement (les conduites d’injection de vapeur et de production de pétrole lourd) sont situées à un premier niveau inférieur. La façon dont M. Beale conçoit l’idée originale est un peu plus large : l’équipement se trouve à un deuxième niveau supérieur et les modules ont une seule structure et sont transportables.

[154] Par ailleurs, les parties s’entendent en outre sur le troisième volet du cadre d’analyse Windsurfing et Pozzoli, dans la mesure où l’état de la technique peut être établi. Plus précisément, elles conviennent que, si l’état de la technique peut être établi au moyen des divulgations publiques ou des utilisations publiques antérieures des modules de Cenovus à Foster Creek et de CNRL, alors la seule différence entre l’idée originale et ces antériorités est la présence de la conduite d’injection de vapeur, ainsi que de la conduite de production de pétrole lourd, au niveau le plus bas du module. M. Beale a confirmé qu’il était d’accord avec M. Brindle à cet égard, tant au paragraphe 167 de son rapport d’expert du 5 novembre 2020 qu’en contre‑interrogatoire.

[155] La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que le troisième volet du cadre d’analyse des arrêts Windsurfing et Pozzoli exige en principe que l’idée originale ne soit pas comparée aux connaissances générales courantes, mais à l’art antérieur (Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c SNF Inc, 2017 CAF 225 aux para 47 à 51 [Ciba Specialty Chemicals], autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 37915 (14 juin 2018)). Comme je l’ai déjà dit, la preuve soumise en l’espèce montre aussi que la seule différence entre les connaissances générales courantes et l’invention 627 tient à l’emplacement des deux conduites d’écoulement au premier niveau inférieur. Quoiqu’il en soit, j’examinerai plus en détail les utilisations publiques antérieures ou les divulgations publiques qui auraient été faites des modules de Cenovus à Foster Creek et de CNRL afin de déterminer s’ils font partie de l’état de la technique auquel l’idée originale doit être comparée (Loi sur les brevets, article 28.3; Ciba Specialty Chemicals, précité, au para 56).

(i) Modules de Cénovus à Foster Creek

[156] L’extension de la plateforme d’exploitation B du puits de Cenovus à Foster Creek a été construite en 2004, et les plateformes d’exploitation F et G ont été construites au début de 2005 aux chantiers de Flint. Elles ont été transportées sur le site par le réseau routier public. Les modules de Cenovus à Foster Creek ont été conçus avec la conduite de production de pétrole lourd à un premier niveau inférieur et la conduite d’injection de vapeur à un niveau supérieur. Les boucles d’expansion sont contenues sur le module et des têtes pivotantes relient les tuyauteries des modules aux paires de puits respectives. Les modules sont assemblés de manière à créer une passerelle continue.

(ii) Modules de CNRL

[157] Les modules Primrose de CNRL sont opérationnels depuis 2005 et 2006. Ils comportent une conduite d’injection de vapeur à un niveau supérieur et une conduite de production de pétrole lourd à un premier niveau inférieur. Les boucles d’expansion s’étendent à l’extérieur des limites du module et les têtes pivotantes relient la tuyauterie des modules aux têtes de puits respectives. Les modules sont joints pour créer une passerelle surélevée continue.

(iii) Divulgations publiques alléguées

[158] La défenderesse allègue, au paragraphe 88 de son exposé des faits et du droit, que les modules de Cenovus à Foster Creek auraient fait l’objet des divulgations publiques suivantes :

  1. En juillet 2005, la journaliste Deborah Jaremko et le photographe Joey Podlubny ont pu accéder au site de Foster Creek, et en particulier à la plateforme d’exploitation F, sans obligation de confidentialité et à condition que les photographies prises soient utilisées dans une publication distribuée aux professionnels de l’industrie des sables bitumineux;

  2. Au printemps 2005 pendant environ deux à trois jours, deux modules de Foster Creek ont été assemblés à découvert dans un stationnement public à La Corey, en Alberta, ce stationnement étant situé à l’intersection des routes publiques 55 et 41. Ainsi, les travailleurs qui se rendaient à l’une des installations de Wolf Creek, de Primrose-Sud, de Primrose-Nord de CNRL et de Cenovus à Foster Creek seraient passés à côté;

  3. Au début de 2004, Projets IMV a présenté à Suncor des croquis montrant l’emplacement des conduites et la configuration de la structure en acier des modules de Foster Creek;

  4. En 2004 et en 2005, des visites de l’installation de Foster Creek, y compris des plateformes d’exploitation F et G, ont été organisées à l’intention des membres de la famille, sans obligation de confidentialité;

  5. Au cours de la période s’étendant de 2002 à 2005, au moins, des militaires et des Autochtones autorisés à chasser près des puits, ont pu inspecter les puits de l’installation de Cenovus à Foster Creek, sans obligation de confidentialité;

  6. Au début de 2005, des visites ont été organisées à l’intention de cinq entreprises de produits chimiques, alors qu’un nouveau programme de traitement était en voie d’élaboration;

  7. À l’automne 2005, des représentants de Tundra Process Solutions, un fournisseur de robinetterie, ont pu accéder aux plateformes d’exploitation F et G afin d’aider à résoudre des problèmes liés à la taille des valves régulatrices, sans obligation de confidentialité jusqu’à ce qu’ils aient par la suite été engagés pour fournir des solutions de modernisation;

  8. Des modules ont été transportés à découvert sur des routes publiques entre le chantier de construction de Flint et le site de Foster Creek, et ont notamment été assemblés dans un stationnement situé à l’intersection des autoroutes 55 et 41 à La Corey, en Alberta, pendant les heures de pointe.

[159] En ce qui concerne les modules de CNRL, la défenderesse allègue, au paragraphe 108 de son exposé des faits et du droit, qu’ils ont fait l’objet des divulgations publiques suivantes :

  1. En 2003 et en 2004, les modules Primrose de CNRL ont été fabriqués dans une installation en plein air du chantier de construction de Flint. Ils étaient à découvert et se trouvaient à moins de 200 pieds de la clôture. Rien n’empêchait les employés d’Imperial Oil ou de Cenovus de les inspecter;

  2. Au moins à l’automne 2003, les modules Primrose de CNRL ont été transportés à découvert sur les routes publiques entre le chantier de construction de Flint et le chantier Primrose de CNRL;

  3. En 2003, IMV Projects a fait une présentation aux employés de Cenovus associés à l’installation de Foster Creek de Cenovus, au cours de laquelle des dessins des modules Primrose de CNRL, y compris des croquis montrant l’emplacement des conduites et l’essentiel de la structure en acier, ont été divulgués, et avant 2006, elle a fait d’autres présentations divulguant les mêmes renseignements à au moins Nexen, Petro-Canada, Conoco, Osum et Lacrina;

  4. Des militaires ont pu régulièrement inspecter les plateformes d’exploitation, y compris les plateformes d’exploitation dotées des modules Primrose de CNRL sans aucune obligation de confidentialité;

  5. Au cours de l’été 2005, des employés d’Imperial Oil et de Cenovus ont pu visiter la plateforme 29 de CNRL dans un objectif d’échange des connaissances et d’amélioration du concept.

(iv) Analyse relative à l’utilisation publique antérieure et à la divulgation publique

[160] Il s’agit donc de déterminer si les éléments essentiels du brevet no 627 étaient accessibles au public et s’ils étaient évidents pour la personne versée dans l’art, dans les circonstances décrites ci-dessus (Easton Sports Canada Inc c Bauer Hockey Corp, 2011 CAF 83 au para 65 [Bauer Hockey CAF]). La Cour a déjà adopté le critère de la divulgation découlant de l’utilisation ou de la vente antérieure d’une machine :

[traduction]

Dans le cas d’une description écrite, c’est la description qui est rendue accessible au public, et il importe peu qu’elle ait été lue ou non. Dans le cas d’une machine, c’est la machine qui est rendue accessible, et il importe peu qu’on l’ait ou non fait fonctionner en public. Une machine, tout comme un livre, peut être examinée, et les renseignements découverts peuvent être consignés. Par conséquent, ce qui est rendu accessible au public dans une machine, par exemple un système de contrôle de la lumière, est ce que la personne versée dans l’art, si on lui demandait de décrire la construction et le fonctionnement de cette machine, écrirait après avoir effectué un essai ou un examen convenable. Pour invalider le brevet, la description consignée par la personne versée dans l’art devrait constituer une description claire et non ambiguë de l’invention revendiquée.

(Bauer Hockey Corp c Easton Sports Canada Inc, 2010 CF 361 au para 220 [Bauer Hockey CF], conf par Bauer Hockey CAF, précité, citant Lux Traffic Controls Limited v Pike Signals Limited, [1993] RPC 107 (Pat Ct) à la p. 134 [Lux Trafic])

[161] Le public a eu accès à l’information s’il y a eu accès à l’époque pertinente (Wenzel Downhole Tools Ltd c National-Oilwell Canada Ltd, 2011 CF 1323 [Wenzel CF], conf par 2012 CAF 333 [Wenzel CAF] aux para 70 et 74). Le « public » est défini comme étant [traduction] « une personne qui utilise sans contrainte en droit et en equity l’information » (Wenzel CF, précité, au para 89, citant Lux Traffic, précité, au para 132) :

[89] Le mot « public » a été défini comme étant [traduction] « une personne qui utilise sans contrainte en droit et en equity l’information » (Lux, précité, à la p. 132). La question de savoir si un acheteur décide de garder l’analyse confidentielle n’est pas pertinente; la vente inconditionnelle du produit en soi rend le produit accessible au public (Baker, précité, au paragraphe 97). Par conséquent, une divulgation ne rendra pas une invention « accessible au public » si elle survient dans une situation donnant lieu à une obligation de confidentialité (Weatherford CAF, précité, au paragraphe 52). Il en est ainsi parce que « [l’]obtention de renseignements confidentiels dans le cadre de rapports de confiance crée l’obligation de ne pas utiliser ces renseignements pour une autre fin que celle en vue de laquelle ils ont été donnés » (Lac Minerals Ltd c International Corona Resources Ltd, [1989] 2 RCS 574, au paragraphe 135, [1989] ACS no 83 (QL) [Lac Minerals]; Weatherford CAF, précité, au paragraphe 52).

[162] Il n’est pas nécessaire que j’examine en détail chacune des allégations de divulgation publique soulevées par la défenderesse. La preuve montre que l’exposition des modules pendant les visites sur place et pendant le transport, ainsi que les présentations de mise en marché, suffisent pour rendre « les renseignements nécessaires accessibles » au public. Une inspection visuelle permettrait à la personne versée dans l’art d’accéder aux éléments essentiels des revendications (Baker Petrolite Corp c Canwell Enviro-Industries Ltd, 2002 CAF 158 au para 42(1)).

[163] Les divulgations n’ont pas eu lieu dans des circonstances donnant naissance à une obligation de confidentialité. Bien que les témoins des faits et les témoins experts aient convenu que les dessins des plateformes d’exploitation, pour ce qui est des caractéristiques techniques, étaient considérés comme confidentiels, il n’en allait pas de même des images des modules ou de l’accès aux modules sur les sites de Cenovus à Foster Creek et de Primrose de CNRL ou pendant leur transport. MM. Herbst et Baugh ont témoigné au sujet des obligations de confidentialité imposées par les contrats de travail et les codes de conduite de IMV Projects et d’Encana/Cenovus. Cependant, leurs témoignages ont démontré qu’ils ne connaissaient pas bien les pratiques en cours concernant les visites des plateformes d’exploitation et les présentations faites au sujet de ces plateformes, pas plus qu’ils n’étaient au courant des autres divulgations publiques dont les modules et les plateformes d’exploitation ont été l’objet, et où lesdits modules et plateformes ont clairement été exposés au public. J’estime en outre que les restrictions d’accès au polygone de tir aérien de Cold Lake n’ont pas empêché les modules de Cenovus à Foster Creek d’être ainsi divulgués au public. Cela n’a pas été établi par la preuve. Eu égard à la preuve présentée, la défenderesse a démontré que les antériorités citées, à savoir les modules de Cenovus à Foster Creek et les modules de CNRL, étaient effectivement accessibles au public.

[164] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur selon qui « le simple fait de voir, sans plus » n’est pas suffisant et que la preuve doit démontrer que la personne versée dans l’art peut reproduire les plateformes d’exploitation « sans effort excessif » (Bombardier Produits Récréatifs Inc c Arctic Cat Inc, 2017 CF 207 au para 490, inf en partie pour d’autres motifs par 2018 CAF 172 [Bombardier Produits Récréatifs). Au paragraphe 490 de la décision Bombardier Produits Récréatifs, précitée, la Cour a précisé ce qui suit :

[490] Le degré d’examen requis, bien sûr, variera d’un produit à l’autre pour que la divulgation permette la réalisation. Cependant, le simple fait de voir, sans plus, pourrait ne pas satisfaire à la condition de « permettre la réalisation ». La divulgation elle-même doit transmettre suffisamment de renseignements pour permettre à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention ou, comme dans le cas d’une chaussure de patin, de découvrir la structure interne, puis de reproduire l’invention sans effort excessif.

[165] Le degré d’examen requis lors d’une inspection visuelle dépend du contexte. Le degré d’examen requis pour discerner les éléments externes d’un patin dans un aréna public, comme dans l’affaire Bauer Hockey CF, précitée, est manifestement plus élevé que le degré d’examen requis pour voir les éléments d’un module SAGD de grande taille. Les éléments pertinents de ces grands modules pouvaient tous être identifiés par les témoins experts et les témoins des faits à partir des photographies. C’était tout particulièrement le cas pour ce qui est de la position de toutes les conduites d’écoulement – une caractéristique qui, semble‑t‑il, était facilement visible sur les modules pendant leur construction, pendant leur transport vers les sites de puits et une fois installés sur ces sites.

[166] Les utilisations publiques antérieures des modules de Cenovus à Foster Creek et des modules de CNRL ayant été établies, tel que mentionné ci‑dessus, les parties conviennent que la différence entre ces antériorités et l’idée originale est l’emplacement de la conduite d’injection de vapeur à un premier niveau inférieur.

[167] La question est de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art de placer la conduite d’injection de vapeur et la conduite de production de pétrole lourd sur le premier niveau inférieur.

[168] La défenderesse soutient que la personne versée dans l’art se rendrait compte que les conduites d’injection de vapeur et les conduites de production peuvent être toutes situées au niveau le plus bas – avec comme résultat une économie des coûts de fabrication et d’installation – où les performances de production des réservoirs sont plus faibles et où des conduites plus petites sont utilisées. La défenderesse dit du projet Orion SAGD de BlackRock, qu’il s’agit d’un [traduction] « indice secondaire d’évidence », en ce qu’il montre [traduction] « la motivation qui existait à la date de la demande pour déplacer les conduites d’écoulement au premier niveau lorsque les paramètres de processus le permettaient ». La fabrication des modules Orion de BlackRock a commencé en 2006. Les dessins du module montrent que la conduite d’injection de vapeur et la conduite de production de pétrole lourd étaient toutes deux situées au premier niveau inférieur.

[169] La défenderesse cite une décision de la Cour, et la décision rendue en appel de cette décision, à l’appui de la notion d’« indices secondaires d’évidence » (Janssen-Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1234 au para 113 [Janssen-Ortho], conf par 2007 CAF 217, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 32200 (6 décembre 2007). Dans la décision Janssen‑Ortho, la Cour a dressé une liste de facteurs qu’un tribunal peut prendre en considération pour se prononcer sur le caractère évident d’une manière objective, en se fondant sur des principes (Janssen-Ortho, précité, au paragraphe 113). Plusieurs « facteurs qui se rapportent à une époque postérieure à la réalisation de l’invention alléguée ne présentent qu’une importance secondaire étant donné que la Cour, en dernière analyse, doit examiner l’“ingéniosité inventive” exercée au moment de la conception de l’invention ». Cette décision n’appuie pas la proposition avancée par la défenderesse.

[170] Le demandeur soutient que le déplacement de la conduite d’injection de vapeur à un premier niveau inférieur n’aurait pas été évident parce que cela aurait aggravé les problèmes liés à l’accumulation de condensat de vapeur, qui est plus prononcée aux niveaux inférieurs et peut causer de graves dommages aux conduites d’écoulement.

[171] Compte tenu des utilisations publiques antérieures et de la preuve dans son ensemble, je conclus qu’il n’aurait pas été évident de placer la conduite d’injection de vapeur au même niveau que la conduite de production de pétrole lourd. Les deux parties ont soulevé une myriade de facteurs qui sont pris en compte pendant la conception des modules, notamment la taille des conduites, l’emplacement des boucles d’expansion, l’accumulation de condensats, la capacité des réservoirs, etc. Après avoir examiné ces facteurs, je conclus qu’il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art, à l’époque pertinente, de déplacer la conduite d’injection de vapeur à un premier niveau inférieur. En outre, la preuve démontre que personne dans l’industrie ne l’avait fait avant que l’invention brevetée 627 ne soit rendue publique. Les éléments de preuve invoqués par la défenderesse illustrent bien le problème que pose l’examen de la présente contestation fondée sur l’évidence, à savoir qu’[traduction] « avec le recul, tout est toujours plus net ».

[172] Je tiens à préciser que ma conclusion ne repose pas sur la thèse avancée par le demandeur en ce qui concerne l’accumulation de condensats. La preuve à cet égard a été présentée par M. Beale, qui a reconnu qu’il y avait de nombreuses de façons de gérer l’accumulation de condensats et qu’il n’avait aucune expertise en la matière. J’estime que cette preuve n’était pas convaincante.

IX. Réparations

[173] Compte tenu des conclusions qui précèdent quant à la non‑contrefaçon du brevet no 627, il n’est pas nécessaire d’examiner la question des réparations. Cela dit, tel que mentionné, je conclus que je n’accord aucun poids à l’avis de l’expert du demandeur, M. Lobo, et que je privilégierais la preuve présentée par les experts de la défenderesse pour l’établissement de l’assiette des redevances nécessaire au calcul des dommages-intérêts.

X. Conclusion

[174] En conclusion, la preuve ne permet pas de conclure que Nexen est propriétaire du brevet no 627 et que le demandeur n’a pas qualité pour présenter la présente demande. Les plateformes d’exploitation du MRCP de la défenderesse ne contrefont pas les revendications 1 à 8 du brevet no 627, même si je conclus que les revendications 1 à 17 sont valides.

XI. Dépens

[175] Les dépens sont accordés à la défenderesse dans la présente action. Les parties disposeront de dix (10) jours à compter de la date de la présente décision pour présenter des observations écrites sur les dépens, d’une longueur maximale de cinq (5) pages.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1158-18

LA COUR STATUE :

  1. Les revendications 1 à 17 du brevet no 627 sont valides;

  2. La construction et l’exploitation par la défenderesse de l’installation du MRCP du procédé SAGD ne contrefont pas les revendications 1 à 8 du brevet no 627;

  3. Aucuns dommages-intérêts ne sont accordés.

  4. Les parties disposeront de dix (10) jours à compter de la date de la présente décision pour présenter des observations écrites sur les dépens, d’une longueur maximale de cinq (5) pages.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1158-18

 

INTITULÉ :

MAOZ BETSER-ZILEVITCH c PETOCHINA CANADA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 NOVEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 JANVIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Mike Crinson

Yaseen Maman

Devin Doyle

Doak Horne

Patrick Smith

Kevin Unrau

Sharn Mashiana

 

POUR LE DEMANDEUR

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AITKEN KLEE LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.