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Date : 20060503

Dossiers : T‑1807‑04

T‑1808‑04

 

Référence : 2006 CF 551

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

FIDELITY INVESTMENTS CANADA LIMITED

demanderesse

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

DEMANDE PRÉSENTÉE EN VERTU de l’article 231.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 300 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Introduction

 

[1]               Fidelity Investments Canada Limited (la demanderesse) présente deux demandes de contrôle judiciaire conformément à la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, dans sa forme modifiée, à l’égard de deux mises en demeure (l’avis ou les avis) délivrées par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC ou la défenderesse) en vertu de l’article 231.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, dans sa forme modifiée (la Loi). La réparation sollicitée par la demanderesse est une ordonnance modifiant ou déclarant sans effet les avis.

 

II.  Les faits

 

[2]               La demanderesse est une personne morale constituée en 1987 en vertu des lois du Canada et maintenue, en vertu des lois de l’Ontario, en 1989. Elle a été fusionnée en vertu des lois de l’Ontario, en 1994. Elle a déposé l’affidavit de M. Kevin Ross Barber, son vice‑président, Finances, à titre de preuve dans la présente instance. Par un avis daté du 12 juillet 2004, la demanderesse était tenue de fournir des renseignements et de produire les états financiers de Fidelity Investments Money Management, Inc. (FIMMI) pour les années d’imposition ayant pris fin en 1999, en 2000, en 2001 et en 2002. Si les états financiers ne sont pas préparés, la défenderesse sollicite la production de tableaux ou de sommaires qui indiquent le revenu, les dépenses, l’actif et le passif à la fin de l’exercice. La contestation de cet avis par la demanderesse fait l’objet de l’instance T‑1807‑04.

 

[3]               Par un autre avis daté du 12 juillet 2004 et délivré par l’ARC, la demanderesse était tenue de fournir des renseignements et les états financiers de Fidelity Management and Research Co. (FMR Co.) pour l’année d’imposition 1998. Cet avis fait l’objet de l’instance T‑1808‑04.

 

[4]               Selon la preuve, la demanderesse fait l’objet d’une vérification de la part de l’ARC pour les années d’imposition 1998 à 2002 inclusivement. La vérification a commencé au mois de février 2002. Avant la réception des avis, la demanderesse avait reçu une lettre en date du 22 mars 2004 dans laquelle l’ARC lui demandait de fournir certains renseignements et documents. La demanderesse s’est conformée à la demande, mais elle n’a pas fourni à la défenderesse les états financiers de FIMMI et de FMR Co.

 

[5]               La demanderesse est une filiale à cent pour cent de FMR Corp., qui est une société des États‑Unis établie à Boston (Massachusetts). Elle est la société mère d’un groupe de sociétés, collectivement connues sous le nom de « groupe FMR », qui comprend également FIMMI. Le groupe FMR gère des fonds mutuels et fournit d’autres services, notamment des services d’impartition en matière de courtage, d’assurance‑vie, de retraite, de ressources humaines et d’avantages sociaux. Elle fournit des services de gestion de placements à des particuliers et à des investisseurs institutionnels, au Canada, par l’entremise de la demanderesse. FMR Corp., et ses filiales, y compris FIMMI, sont toutes des sociétés privées dont les actions ne sont pas cotées à la bourse.

 

[6]               FIMMI, une filiale à cent pour cent de FMR Corp., est un conseiller en placement inscrit aux États‑Unis d’Amérique. Elle fournit des services de placement connexes à l’égard de certains portefeuilles de fonds distribués par la demanderesse. Il s’agit d’une société privée et ses actions ne sont pas cotées à la bourse.

 

[7]               M. Barber a déclaré que la demanderesse avait sous‑traité certaines de ses responsabilités à FIMMI, qui a conclu des contrats avec FMR Co. en vue de gérer les portefeuilles de certains fonds. Il a en outre déclaré que M. Gregory Wass, vice‑président, Impôt, FMR Corp., l’avait informé que FIMMI fournit divers services à d’autres membres du groupe FMR, mais non à des non‑membres du groupe FMR.

 

[8]               En outre, M. Barber a déclaré que la demanderesse payait FIMMI et FMR Co. pour leurs services de consultation. L’ARC est en train d’examiner le caractère raisonnable de ces frais. À cet égard, FMR Corp. a retenu les services du cabinet comptable Ernst & Young, qui a procédé à l’analyse comparative des frais en utilisant les données des frais de consultation en matière de placement fournies par un tiers indépendant pour l’année d’imposition 1998 de la demanderesse. Une copie de ce rapport a été fournie à l’ARC. Un rapport antérieur avait été préparé en 1996 par Coopers & Lybrand; ce document a également été fourni à la défenderesse.

 

[9]               La demanderesse a reçu une autre lettre, de Mme Donna O’Connor, vérificatrice, Section de la vérification internationale, ARC, en date du 8 juin 2004. Dans cette lettre, qui est jointe à titre de pièce à l’affidavit de M. Barber, Mme O’Connor tentait de répondre aux préoccupations exprimées par la demanderesse au sujet de la fourniture des renseignements et documents demandés dans la lettre du 8 mars 2004. Après examen de certaines dispositions de la Loi qui autorisent l’ARC à demander des renseignements et documents, elle faisait savoir que l’ARC ne pouvait pas garantir que les renseignements obtenus ne seraient pas utilisés dans une autre vérification ou à quelque autre fin que la vérification de la demanderesse.

 

[10]           En outre, Mme O’Connor rejetait l’idée selon laquelle l’ARC devait examiner les états financiers à Boston sans que des copies soient faites. Enfin, elle faisait mention d’une « Note de service sur le prix de transfert », TPM‑4, qui était un document préparé par l’ARC, et faisait savoir que l’ARC n’utiliserait qu’en dernier ressort dans un autre dossier les renseignements demandés en tant que [traduction] « renseignements comparables secrets », comme fondement de la cotisation, si elle n’était pas en mesure d’utiliser des documents accessibles au public.

 

[11]           Les préoccupations de la demanderesse concernant l’utilisation des renseignements et documents demandés à l’égard de FIMMI et de FMR Co. ont de nouveau été exprimées dans une lettre datée du 25 juin 2004, que les avocats de celle‑ci ont envoyée à Mme Maria Praulins, directrice à l’ARC. La demanderesse offrait de fournir, d’une façon précise, les renseignements financiers contenus dans les états financiers de FIMMI et de FMR Co. Premièrement, la demanderesse proposait l’examen par l’ARC des renseignements financiers de FIMMI et de FMR Co. qui traitaient expressément des opérations conclues avec la demanderesse. Si ces renseignements étaient inadéquats, la demanderesse était prête à discuter des autres renseignements qui seraient nécessaires. Subsidiairement, la demanderesse proposait à l’ARC de conclure une entente de confidentialité concernant son examen des états financiers de FIMMI et de FMR Co. La demanderesse affirme que les renseignements demandés n’ont rien à voir avec la question de savoir si les frais qu’elle a versés à FIMMI et à FMR Co. étaient raisonnables.

 

[12]           L’ARC a répondu à ces propositions par une lettre datée du 30 juin 2004. Elle a refusé de s’engager à ce que les renseignements qu’elle avait demandés de FIMMI et de FMR Co. soient protégés contre leur utilisation à des fins autres que la vérification de la demanderesse ou à ce que les renseignements ne soient pas portés à la connaissance du public par suite de leur utilisation dans la vérification d’un autre contribuable canadien. L’ARC a pris la position selon laquelle une telle approche, c’est‑à‑dire un engagement visant la protection des éléments confidentiels, est régie par l’article 241 de la Loi et par la convention pertinente.

 

[13]           Dans son affidavit, M. Barber a déclaré que M. Gregory Wass l’avait informé que les renseignements financiers concernant FIMMI et FMR Co. qui font l’objet des avis sont [traduction] « un secret commercial ou industriel extrêmement confidentiel » et que la communication publique de ces renseignements pourrait nuire à la position concurrentielle du groupe FMR sur le marché. Enfin, M. Barber a déclaré que M. Wass l’avait informé que FIMMI et FMR Co. remettraient les renseignements demandés à la demanderesse si l’ARC fournissait une protection appropriée en cas de la perte de confidentialité et de l’utilisation de ces renseignements à d’autres fins. La demanderesse n’est pas en mesure de contraindre FIMMI et FMR Co. à communiquer les renseignements demandés.

 

[14]           De son côté, l’ARC a déposé l’affidavit de Mme Donna O’Connor. Dans son affidavit, Mme O’Connor examine l’historique de la vérification, l’envoi de lettres et de documents conformément aux avis, et la raison pour laquelle les avis ont été délivrés. L’ARC prend la position selon laquelle les renseignements contenus dans les états financiers de FMR Co. et de FIMMI lui sont nécessaires pour mener la vérification à bonne fin. Elle déclare que l’ARC n’est pas convaincu de la fiabilité des études concernant les prix de transfert préparées à l’égard des frais que la demanderesse versait à FMR Co. et FIMMI. Elle se demande également si les rapports sont fondés sur une méthode adéquate.

 

[15]           Lorsqu’elle a été contre‑interrogée au sujet de son affidavit, Mme O’Connor a déclaré que l’ARC cherchait à obtenir les états financiers afin de faire avancer son travail concernant l’examen des prix de transfert, c’est‑à‑dire les frais que la demanderesse versait à FIMMI et à FMR Co. Elle a déclaré que l’étude de 1996 préparée par Coopers & Lybrand n’était ni pertinente ni utile puisqu’elle avait été préparée pour les autorités fiscales des États‑Unis. De même, elle a déclaré que l’étude de 1999, préparée par Ernst & Young, n’était pas acceptable parce que l’ARC ne pouvait pas déterminer la relation entre les parties afin d’établir les meilleurs chiffres comparables. Cette question, c’est‑à‑dire la question des meilleurs chiffres comparables, est importante pour la défenderesse lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère raisonnable des frais en question.

 

[16]           De plus, selon Mme O’Connor, les deux études qui avaient été fournies par la demanderesse ne renfermaient pas suffisamment de renseignements de qualité pour justifier une application appropriée de la méthode du PCML, c’est‑à‑dire la méthode du « prix comparable sur le marché libre ». Elle a déclaré que l’ARC ne croit pas que la méthode du PCML soumise par la demanderesse est fiable lorsqu’il s’agit d’évaluer les prix de transfert. En outre, elle a déclaré que [traduction] « l’examen de la situation financière d’une personne liée visant à établir si les résultats financiers sont conformes aux frais exigés par cette autre personne pour ces services, indépendamment de la méthode d’établissement des prix de transfert employée » fait partie d’une vérification régulière.

 

[17]           Mme O’Connor a exprimé des doutes au sujet du fait que les cabinets Coopers & Lybrand et Ernst & Young s’étaient tous deux fondés sur les données Lipper en procédant à leurs études respectives des prix de transfert relativement aux frais que la demanderesse avait versés à FIMMI et à FMR Co.

 

III.  L’argumentation des parties

 

[18]           La demanderesse fait valoir que, conformément à la Loi, la Cour doit déterminer si les avis sont raisonnables. Elle soutient que les avis sont déraisonnables, et ce, pour plusieurs motifs. Premièrement, elle affirme que les avis ont une portée trop générale et qu’ils se rapportent à des sociétés qui sont des sociétés distinctes. Elle affirme ensuite que l’ARC n’a pas démontré pourquoi elle a besoin de ces renseignements ou que ces renseignements sont pertinents pour l’application de la Loi.

 

[19]           La demanderesse déclare que ces avis vont à l’encontre des dispositions de la Convention entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, 31 août 1984, R.T. Can. 1984, no 15, dans sa forme modifiée (la convention). Enfin, elle soutient que l’absence de garantie de protection des renseignements confidentiels permet de conclure au caractère déraisonnable des avis.

 

[20]           De son côté, la défenderesse prend la position selon laquelle elle peut demander des renseignements en vue de s’assurer que les contribuables se conforment aux principes d’autodéclaration et d’autocotisation, comme l’autorise la Loi. Elle fait valoir que la demanderesse n’a pas fourni de preuve acceptable que les renseignements recherchés sont des renseignements confidentiels. Elle soutient que la norme de contrôle applicable en l’espèce est le caractère déraisonnable et elle dit que, de toute façon, les avis ne sont pas déraisonnables, compte tenu des pouvoirs que la Loi confère aux fins de la production des renseignements ou des documents qui sont nécessaires pour l’application ou l’exécution de la Loi.

 

[21]           La défenderesse affirme que l’article 231.6 n’est pas incompatible avec les exigences de la convention. Elle fait remarquer que, conformément au paragraphe 3c) de l’article XXVII de la convention, il n’y a pas d’obligation de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial ou dont la communication serait contraire à l’ordre public. Elle affirme que le paragraphe 3c) limite l’obligation d’un État contractant de se conformer au paragraphe 1 de cet article, mais qu’il ne renferme aucune interdiction. L’article XXVII prévoit que les États contractants échangent des renseignements au sujet des impôts. La défenderesse affirme que la demanderesse n’a pas démontré que les renseignements contenus dans les états financiers sont visés par les dispositions du paragraphe 3c) et que, s’ils le sont, leur communication serait contraire à l’ordre public.

 

[22]           Deuxièmement, la défenderesse soutient que les affidavits de M. Barber constituent une preuve par ouï‑dire qui n’est pas admissible parce qu’ils sont fondés sur des renseignements et sur des convictions plutôt que sur une connaissance personnelle. Elle déclare que les affidavits devraient être radiés.

 

[23]           Enfin, la défenderesse allègue que la demanderesse a désigné d’une façon inappropriée l’ARC à titre de défenderesse dans la présente instance. Elle affirme que le ministre du Revenu national (le ministre) est le défendeur approprié puisque c’est le ministre et non l’ARC qui est autorisé à délivrer des avis conformément à l’article 231.6 de la Loi.

 

IV.  Examen et dispositif

 

[24]           La présente instance découle de l’article 231.6 de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

 

231.6. (1) Pour l’application du présent article, un renseignement ou document étranger s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, à l’étranger, qui peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi.

231.6. (1) For the purposes of this section, "foreign‑based information or document" means any information or document that is available or located outside Canada and that may be relevant to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person.

(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne résidant au Canada ou d’une personne n’y résidant pas mais y exploitant une entreprise de fournir des renseignements ou documents étrangers.

(2) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, by notice served personally or by registered or certified mail, require that a person resident in Canada or a non‑resident person carrying on business in Canada provide any foreign‑based information or document.

(3) L’avis doit :

(3) The notice referred to in subsection 231.6(2) shall set out

a) indiquer le délai raisonnable, d’au moins 90 jours, dans lequel les renseignements ou documents étrangers doivent être fournis;

(a) a reasonable period of time of not less than 90 days for the production of the information or document;

b) décrire les renseignements ou documents étrangers recherchés;

(b) a description of the information or document being sought; and

c) préciser les conséquences prévues au paragraphe (8) du défaut de fournir les renseignements ou documents étrangers recherchés dans le délai ci‑dessus.

(c) the consequences under subsection 231.6(8) to the person of the failure to provide the information or documents being sought within the period of time set out in the notice.

(4) La personne à qui l’avis est signifié ou envoyé peut, dans les 90 jours suivant la date de signification ou d’envoi, contester, par requête à un juge, la mise en demeure du ministre.

(4) The person on whom a notice of a requirement is served under subsection 231.6(2) may, within 90 days after the service of the notice, apply to a judge for a review of the requirement.

(5) À l’audition de la requête, le juge peut :

(5) On hearing an application under subsection 231.6(4) in respect of a requirement, a judge may

a) confirmer la mise en demeure;

(a) confirm the requirement;

b) modifier la mise en demeure de la façon qu’il estime indiquée dans les circonstances;

(b) vary the requirement as the judge considers appropriate in the circumstances; or

c) déclarer sans effet la mise en demeure s’il est convaincu que celle‑ci est déraisonnable.

(c) set aside the requirement if the judge is satisfied that the requirement is unreasonable.

(6) Pour l’application de l’alinéa (5)c), le fait que des renseignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés chez une personne non‑résidente qui n’est pas contrôlée par la personne à qui l’avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la garde de cette personne non‑résidente, ne rend pas déraisonnable la mise en demeure de fournir ces renseignements ou documents, si ces deux personnes sont liées.

(6) For the purposes of paragraph 231.6(5)(c), the requirement to provide the information or document shall not be considered to be unreasonable because the information or document is under the control of or available to a non‑resident person that is not controlled by the person served with the notice of the requirement under subsection 231.6(2) if that person is related to the non‑resident person.

(7) Le délai qui court entre le jour où une requête est présentée conformément au paragraphe (4) et le jour où il est décidé de la requête ne compte pas dans le calcul :

(7) The period of time between the day on which an application for review of a requirement is made pursuant to subsection 231.6(4) and the day on which the review is decided shall not be counted in the computation of

a) du délai indiqué dans l’avis correspondant à la mise en demeure qui a donné lieu à la requête;

(a) the period of time set out in the notice of the requirement; and

b) du délai dans lequel une cotisation peut être établie conformément au paragraphe 152(4).

(b) the period of time within which an assessment may be made pursuant to subsection 152(4).

(8) Si une personne ne fournit pas la totalité, ou presque, des renseignements ou documents étrangers visés par la mise en demeure signifiée conformément au paragraphe (2) et si la mise en demeure n’est pas déclarée sans effet par un juge en application du paragraphe (5), tout tribunal saisi d’une affaire civile portant sur l’application ou l’exécution de la présente loi doit, sur requête du ministre, refuser le dépôt en preuve par cette personne de tout renseignement ou document étranger visé par la mise en demeure.

(8) If a person fails to comply substantially with a notice served under subsection 231.6(2) and if the notice is not set aside by a judge pursuant to subsection 231.6(5), any court having jurisdiction in a civil proceeding relating to the administration or enforcement of this Act shall, on motion of the Minister, prohibit the introduction by that person of any foreign‑based information or document covered by that notice.

 

[25]           J’examinerai d’abord la norme de contrôle applicable. Contrairement aux prétentions de la défenderesse, la norme de contrôle dans ce cas‑ci est le caractère raisonnable. Cette norme de contrôle est mentionnée dans la Loi, à l’alinéa 231.6(5)c). Compte tenu du libellé de cette disposition, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle afin de déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer. Dans l’arrêt Saipem Luxembourg S.V. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] 3 C.T.C. 294 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] C.S.C.R. no 368 (QL), paragraphe 21, la Cour d’appel fédérale a confirmé cette norme de contrôle.

 

[26]           Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit au sujet du caractère raisonnable au paragraphe 56 :

56. [...] Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle‑même ou du raisonnement qui a à être appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n’avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

 

 

[27]           Il s’agit donc de savoir s’il était raisonnable pour l’ARC de demander la production, conformément à l’article 231.6, des états financiers de FMR Co. et de FIMMI, compte tenu de l’objet de la Loi et des faits connus. Je n’ai à examiner que la question de la production des états financiers de FMR Co. et de FIMMI étant donné que la preuve fournie par M. Barber, selon laquelle la demanderesse a fourni tous les documents et renseignements demandés, à l’exception des états financiers, est corroborée par Mme O’Connor dans la transcription du contre‑interrogatoire qu’elle a subi au sujet de son affidavit.

 

[28]           D’une façon générale, la Loi vise à permettre au gouvernement fédéral de percevoir des fonds qui seront dépensés par le gouvernement du Canada. Le système fiscal canadien est fondé sur l’autodéclaration. L’objet de la Loi et le fait qu’elle se fonde sur l’autocotisation sont examinés dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, pages 636 et 637.

 

[29]           Dans l’arrêt McKinlay, la Cour suprême a également examiné les larges pouvoirs d’enquête des ministres, y compris le pouvoir d’exiger la production de renseignements et de documents; voir AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 878. L’article 231.6 est l’une de ces dispositions à portée étendue qui autorise le ministre à demander la production de renseignements et de documents. L’article 231.6 vise la production de renseignements ou de documents étrangers, selon la définition figurant au paragraphe 231.6(1).

 

[30]           L’article 231.6 mentionne le critère général, selon lequel le renseignement ou document demandé « peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution » de la Loi. Dans l’arrêt AGT, la Cour d’appel fédérale a fait les remarques suivantes au sujet de cette exigence de pertinence :

27.  Le paragraphe 231.2(1) est libellé en des termes larges, mais sa portée a été restreinte, par application des règles d’interprétation, aux situations dans lesquelles les renseignements réclamés par le ministre sont utiles pour établir la dette fiscale d’une ou de plusieurs personnes déterminées, et lorsque la dette fiscale de cette ou ces personnes fait l’objet d’une enquête véritable et sérieuse. [...]

[Renvois omis.]

 

 

[31]           En l’espèce, la défenderesse soutient que les états financiers sont pertinents quant à la conduite d’une vérification de la demanderesse. Cette vérification doit se rapporter à la dette fiscale de la demanderesse. Il est certain qu’une telle dette se rapporte à l’application et à l’exécution de la Loi. Le fait que la vérification a été entamée n’a pas soulevé d’objection.

 

[32]           Plus précisément, la défenderesse affirme que les états financiers de FMR Co. et de FIMMI, deux sociétés des États‑Unis qui sont liées à la demanderesse, sont nécessaires parce qu’elle n’est pas en mesure d’apprécier le caractère raisonnable des frais que la demanderesse a versés à FIMMI et à FMR Co. Compte tenu du paragraphe 231.6(6), la demanderesse étant liée à FMR Co. et à FIMMI, la mise en demeure de fournir les renseignements et documents n’est pas déraisonnable. Toutefois, à mon avis, le lien à lui seul ne rend pas les mises en demeure « raisonnables ». Il faut également satisfaire au facteur de pertinence. À mon avis, il doit être prouvé que les documents demandés sont pertinents pour l’application de la Loi.

 

[33]           La demanderesse conteste le rejet par la défenderesse des deux études de prix de transfert qu’elle a fournies, pour le motif que les employés de la défenderesse ne connaissent pas les méthodes Lipper et qu’ils n’ont pas enquêté d’une façon adéquate sur les fondements qui ont permis à Coopers & Librand et à Ernst & Young respectivement d’arriver à leurs conclusions. La demanderesse affirme que la défenderesse ne comprenait pas ces deux études.

 

[34]           Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la norme de contrôle applicable à la décision de la défenderesse de délivrer les avis est la décision raisonnable. La notion de caractère raisonnable comprend celle de pertinence, par rapport à la Loi. La demanderesse soutient que les renseignements recherchés ne sont pas pertinents et que sa principale préoccupation dans ce cas‑ci est liée à la protection d’éléments confidentiels, mais je ne suis pas convaincue que les éléments en question ne soient pas pertinents. Je tire cette conclusion de l’offre de la demanderesse de communiquer les renseignements à l’ARC, quoique dans un environnement protégé où aucune copie ne serait faite et à condition qu’un engagement de maintenir la confidentialité soit pris.

 

[35]           Compte tenu de la preuve soumise par la défenderesse, je suis convaincue que les renseignements dont on a demandé la production, à savoir les états financiers de FIMMI et de FMR Co., sont pertinents quant à la conduite d’une vérification de la demanderesse. La conduite d’une vérification conformément à la Loi est pertinente pour l’application et l’exécution de la Loi.

 

[36]           Je n’ai pas à examiner en détail les arguments de la demanderesse concernant la convention. À mon avis, l’existence de la convention ne l’emporte pas sur le droit du ministre de chercher à obtenir les renseignements demandés au moyen d’avis délivrés conformément à l’article 231.6 de la Loi et elle ne limite pas ce droit. Telle est la ligne de conduite que l’on a choisie en l’espèce.

 

[37]           Je suis convaincue que les états financiers en question sont essentiellement des documents confidentiels. Sur ce point, je mentionnerai la décision Bande indienne de Montana c. Canada (1988), 51 D.L.R. (4th) 306 (C.F. 1re inst.), page 315. Je suis également convaincue que la preuve soumise par la demanderesse est suffisante pour étayer l’allégation relative au caractère confidentiel des états financiers des sociétés privées, à savoir FIMMI et FMR CO. et ce, même si l’affidavit de M. Barber est fondé sur des renseignements et sur une conviction et même si M. Barber n’a pas une connaissance personnelle du contenu de ces documents. La preuve fournie par M. Barber est la « meilleure preuve » dans les circonstances.

 

[38]           Je souscris aux prétentions de la demanderesse lorsqu’elle affirme que la preuve par ouï‑dire peut être admise à la condition de respecter certains principes, comme il en est fait mention dans les arrêts R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, et R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915. De plus, dans l’arrêt P.S. Partsource Inc. c. Canadian Tire Corp. (2001), 11 C.P.R. (4th) 386 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a examiné l’applicabilité des principes de common law en ce qui concerne l’admissibilité d’une preuve par ouï‑dire.

 

[39]           La production d’un affidavit de M. Wass aurait pu exposer celui‑ci à un contre‑interrogatoire, sous peine de voir son affidavit radié. Le contre‑interrogatoire de M. Wass aurait bien pu détruire toute allégation de non‑communication des états financiers fondée sur la confidentialité. Toute ordonnance radiant cet affidavit aurait pu influer sur le fondement de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse quant à la preuve.

 

[40]           La défenderesse invoque l’article 241 de la Loi en réponse aux préoccupations exprimées par la demanderesse au sujet de la protection des renseignements confidentiels. Les lettres qui ont été échangées entre les employés de l’ARC et la demanderesse montrent clairement que la défenderesse n’est pas prête à assurer à la demanderesse la confidentialité des renseignements et documents en question, si ce n’est ce qui est prévu à l’article 241 de la Loi. D’une façon générale, cette disposition prévoit que les renseignements confidentiels ne seront pas « sciemment » fournis à une personne, sauf autorisation prévue par cette disposition.

 

[41]           La qualité de « renseignements confidentiels » des renseignements qui sont ici recherchés concernant la demanderesse n’a pas été examinée dans la présente instance. La Toutefois, Mme O’Connor, en sa qualité de représentante de la défenderesse, a déclaré, lorsqu’elle a été contre‑interrogée, que la défenderesse appuierait une demande de la demanderesse en vue de la tenue d’une audience à huis clos si une telle demande était faite dans le cadre d’autres procédures judiciaires. De plus, Mme O’Connor a déclaré que la défenderesse donnerait l’avis requis si une demande était faite en vue de la communication des états financiers, afin de permettre à la demanderesse de s’adresser à la justice.

 

[42]           L’article 231.6 ne mentionne pas la nature confidentielle des renseignements comme fondement de la non‑communication lorsqu’un avis est délivré conformément à cette disposition. Aucun élément de preuve ne donne à entendre que la défenderesse se livre à une recherche à l’aveuglette et qu’elle veut utiliser les états financiers de FIMMI et de FMR Co. à des fins autres que la conduite d’une vérification de la demanderesse. En général, le ministre est tenu d’agir de bonne foi. Cette obligation a été établie par les tribunaux judiciaires à l’égard d’avis délivrés conformément à l’article 231.2 de la Loi; voir M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.). En principe, je ne puis voir pourquoi la même obligation de bonne foi ne devrait pas exister dans le cas d’avis délivrés conformément à l’article 231.6 de la Loi.

 

[43]           Cela étant, je conclus que les préoccupations exprimées par la demanderesse au sujet de la nature confidentielle des états financiers en question n’établissent pas que la demande de production est déraisonnable. Compte tenu de la preuve mise à ma disposition, et notamment du contre‑interrogatoire de Mme O’Connor, je suis convaincue que les avis sont raisonnables.

 

[44]           Il y a une dernière question à examiner. La défenderesse soutient qu’elle n’est pas la défenderesse la plus appropriée dans la présente instance, et que le ministre aurait dû être désigné en cette qualité. Sur ce point, l’ARC mentionne le paragraphe 231.6(2) et dit que cette disposition autorise le ministre, et non l’ARC, à délivrer les avis. Elle affirme que la Loi sur l’Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17, article 69 (maintenant appelée la Loi sur l’Agence du revenu du Canada), qui prévoit qu’« [à] l’égard des droits et obligations qu’elle assume », l’Agence peut ester en justice sous son propre nom, ne remédie pas à la situation.

 

[45]           La demanderesse répond à cet argument en disant que les avis ont été délivrés par l’ARC, et non par le ministre. Elle fait en outre valoir que dans l’affaire Saipem, l’ARC avait été désignée à titre de défenderesse, sans que la Cour d’appel fédérale fasse de commentaires sur ce point.

 

[46]           Selon le paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), le demandeur, dans une procédure de contrôle judiciaire, désigne à titre de défendeur toute

personne « directement touchée » par l’ordonnance recherchée ou « toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application » qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande. Or, le ministre est clairement une personne « directement touchée » puisque l’ordonnance qui est ici recherchée, si elle était accordée, entraînerait la non‑communication des renseignements que le ministre a demandés. Le ministre serait certes à bon droit un défendeur.

 

[47]           La Loi ne dit rien au sujet de l’identification du défendeur dans une demande d’examen d’un avis délivré conformément au paragraphe 231.6(2). La règle générale est énoncée au paragraphe 303(1) des Règles. À mon avis, il serait peut‑être plus approprié de désigner le ministre comme défendeur, mais en l’espèce, l’absence du ministre à titre de partie n’a causé aucun préjudice ni aucune confusion. L’omission de désigner le ministre n’a pas eu d’effet important.

 

V.  Conclusion

 

[48]           Les demandes de contrôle judiciaire seront rejetées. La défenderesse fera taxer ses dépens selon la colonne III du tarif B, les honoraires d’avocat étant accordés pour un seul avocat et pour une seule instance.

 

ORDONNANCE

 

 

            Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. La défenderesse fera taxer ses dépens selon la colonne III du tarif B, les honoraires d’avocat étant accordés pour un seul avocat et pour une seule instance. La présente ordonnance sera déposée dans le dossier T‑1807‑04 avec copie dans le dossier T‑1808‑04.

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  T‑1807‑04 et T‑1808‑04

 

INTITULÉ :                                                   FIDELITY INVESTMENTS CANADA LIMITED c. L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 1er NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 3 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Salvador Borraccia                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

Peter Vita, c.r.                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Carol Shirtliff‑Hinds

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Salvador Borraccia

Avocat

Toronto (Ontario)                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                   POUR LA DÉFENDERESSE

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