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Date : 20210209


Dossiers : T-577-20

T-677-20

T-735-20

Référence : 2021 CF 130

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2021

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

Dossier T-577-20

ENTRE :

COALITION CANADIENNE POUR LE DROIT AUX ARMES À FEU, RODNEY GILTACA, LAURENCE KNOWLES, RYAN STEACY, MACCABEE DEFENSE INC. et WOLVERINE SUPPLIES LTD.

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier T-677-20

ENTRE :

MICHAEL JOHN DOHERTY, NILS ROBERT EK,

RICHARD WILLIAM ROBERT DELVE,

CHRISTIAN RYDICH BRUHN, PHILIP ALEXANDER MCBRIDE,

LINDSAY DAVID JAMIESON, DAVID CAMERON MAYHEW, MARK ROY NICHOL et PETER CRAIG MINUK

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier T-735-20

ENTRE :

CHRISTINE GENEROUX, JOHN PEROCCHIO et VINCENT PEROCCHIO

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le 1er mai 2020, par la voie du décret CP 2020-0298 [le Décret], le gouverneur en conseil [le GC] a promulgué le Règlement modifiant le règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction, DORS/2020-96 [le Règlement].

[2] Le Règlement a pour effet d’ajouter une liste d’armes à feu autrefois considérées comme étant à autorisation restreinte ou sans restriction aux définitions d’une « arme à feu à autorisation restreinte », d’une « arme à feu prohibée » et d’un « dispositif prohibé » qui figurent aux paragraphes 84(1) et 117.15(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Il prohibe également toute arme à feu dotée d’une âme dont le calibre est de 20 mm ou plus et les armes à feu ayant la capacité de tirer un projectile avec une énergie initiale de plus de 10 000 joules. Le GC est donc d’avis qu’une arme à feu de ce type ne « peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport » (Code criminel, art 117.15(2)).

[3] Le Règlement est assorti d’un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [le REIR]. Selon ce dernier, neuf modèles principaux d’armes à feu sont aujourd’hui prohibés : « puisqu’ils (1) ont une action semi-automatique avec une capacité de tir rapide soutenu (conception tactique/militaire avec un chargeur grande capacité), (2) sont de conception moderne, et (3) se retrouvent en grand nombre sur le marché canadien ».

[4] La Cour est saisie de six demandes de contrôle judiciaire — gérées ensemble — qui contestent le Décret pour plusieurs raisons :

Ÿ il viole les articles 7, 8, 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Loi constitutionnelle de 1982];

Ÿ il est ultra vires de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 5;

Ÿ il viole l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

Ÿ il viole le paragraphe 117.15(2) du Code criminel;

Ÿ il viole les alinéas 1a) et 2a) de la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44;

Ÿ le Règlement a été pris de mauvaise foi.

[5] Dans trois de ces demandes (T-577-20, T-677-20 et T-735-20), les demandeurs ont présenté les présentes requêtes en injonction interlocutoire, au titre de l’article 373 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[6] Dans le cadre de ces requêtes, ils ont soulevé une objection préliminaire quant au témoignage d’expert de M. Murray Smith [l’affidavit de M. Smith], et à l’affidavit de documents qu’a déposé Mme Adrienne Deschamps [l’affidavit de Mme Deschamps] pour le compte du défendeur.

[7] Sur le fond, les demandeurs sollicitent une injonction interlocutoire suspendant l’application du Règlement et l’effet du Décret fixant une période d’amnistie (2020), DORS/2020-97 [le Décret d’amnistie]. Celui-ci autorise provisoirement les propriétaires à posséder et à entreposer les armes à feu et les dispositifs visés d’une manière conforme à la loi, à remettre les armes à feu pour qu’il en soit disposé par destruction ou autrement et, notamment, à les remettre à leurs propriétaires. Il n’autorise pas à faire usage de l’arme à feu visée, sauf pour la chasse dans le cadre de l’exercice d’un droit visé à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ou pour subvenir à ses propres besoins ou à ceux de sa propre famille avant d’obtenir une arme à feu non prohibée. La période d’amnistie prend fin le 30 avril 2022.

[8] Les demandeurs sollicitent de plus des injonctions interdisant à la Gendarmerie Royale du Canada [la GRC] de désigner des armes à feu comme armes à autorisation restreinte ou prohibées dans le Tableau de référence des armes à feu [le TRAF]. Le TRAF est une base de données que tiennent les Services spécialisés de soutien en matière d’armes à feu, dans le cadre du Programme canadien des armes à feu de la GRC, et il présente une évaluation technique quant au fait de savoir si des armes à feu sont sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibées. Après la promulgation du Règlement, le TRAF a été mis à jour de façon à refléter le classement des armes à feu énumérées dans le Règlement et des armes à feu qui étaient des variantes, de l’avis d’un technicien des Services spécialisés de soutien en matière d’armes à feu.

[9] Enfin, les demandeurs dans le dossier T-735-20 (représentés à l’audience par Mme Generoux) sollicitent aussi une injonction interdisant à la Couronne de faire des [TRADUCTION] « déclarations publiques non prouvées, diffamatoires et calomnieuses au sujet des détenteurs de permis d’arme à feu en tant que groupe ».

[10] Étant donné qu’une injonction suspendant l’effet du Règlement se répercuterait sur le Décret d’amnistie et le TRAF, les présents motifs porteront principalement sur le Règlement.

[11] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que les demandeurs ne satisfont pas au critère relatif à la délivrance d’une injonction interlocutoire, car ils n’ont pas présenté une preuve claire et non conjecturale démontrant qu’ils subiraient un préjudice irréparable si le Règlement demeurait en vigueur en attendant que la Cour se prononce sur le fond de leurs demandes.

II. Les questions en litige

[12] Les présentes requêtes soulèvent les questions suivantes :

  1. L’affidavit de M. Smith et l’affidavit de Mme Deschamps constituent-ils une preuve admissible?

  2. Les demandeurs satisfont-ils au critère à trois volets qui s’applique à une injonction interlocutoire (RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p 334 [RJR-MacDonald])? Les trois volets sont :

  • 1) s’il existe une question sérieuse à juger;

  • 2) si les demandeurs subiront un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée;

  • 3) si la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

[13] Le critère énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald est de nature conjonctive. Le fait de ne pas satisfaire à l’un des trois volets du critère porte un coup fatal aux demandeurs. Comme il a été mentionné plus haut, je suis d’avis que la question déterminante qui se pose dans les présentes requêtes est de savoir si les demandeurs subiront un préjudice irréparable s’ils n’obtiennent pas une injonction; comme je suis d’avis que ce n’est pas le cas, il n’est nul besoin que je traite des deux autres volets du critère.

III. Analyse

  1. L’affidavit de M. Smith et l’affidavit de Mme Deschamps constituent-ils une preuve admissible?

[14] M. Murray Smith est un expert en criminalistique et un ancien employé de la GRC; il travaille aujourd’hui comme consultant auprès du Programme canadien des armes à feu, au sein de la GRC.

[15] Mme Adrienne Deschamps est l’adjointe juridique de Me Sarah Jiwan, avocate au service du Procureur général du Canada.

[16] Les demandeurs font valoir que l’affidavit de Mme Deschamps contient une preuve par ouï-dire inadmissible, car cette dernière n’a pas contribué aux articles joints à son affidavit et n’a aucune connaissance de leur contenu. Ils n’ont donc pas pu la contre-interroger sur le contenu des articles joints à son affidavit. Qui plus est, le GC n’avait aucun de ces documents en main quand il a pris le Règlement.

[17] Quant à l’affidavit de M. Smith, les demandeurs soutiennent qu’on ne peut pas considérer ce dernier comme un témoin impartial ou indépendant. Son témoignage présente à la fois un parti pris d’association et un parti pris professionnel. Après tout, il a passé toute sa carrière professionnelle au sein de la GRC (comme employé ou comme consultant), il a pris part à la création du Règlement et il a participé directement au processus de nouvelle désignation qui a été utilisé pour le TRAF. Essentiellement, M. Smith a un motif pour étayer son opinion professionnelle sur le Règlement et le TRAF. À cela s’ajoute, disent-ils, la disposition de M. Smith à fournir un témoignage qui déborde son champ d’expertise.

[18] Le défendeur soutient que l’affidavit de Mme Deschamps n’est pas produit pour la véracité de son contenu, mais plutôt pour le fait que les articles qui y sont joints sont accessibles au public sur les sites ou aux endroits mentionnés.

[19] Quant à l’affidavit de M. Smith, les demandeurs prétendent qu’il répond aux exigences relatives à l’admission d’une preuve d’expert, exigences que la Cour suprême du Canada a énoncées dans R c Mohan, [1994] 2 RCS 9. La preuve est pertinente et nécessaire, elle ne tombe pas sous le coup d’une règle d’exclusion et elle est produite par un expert dûment qualifié. Ils ajoutent que les avantages de l’admission de sa preuve l’emportent sur tout risque éventuel (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23 aux para 22-24 [White Burgess]).

[20] En ce qui concerne l’affidavit de Mme Deschamps, je signale que nul ne conteste que cette dernière n’a aucune connaissance du contenu des pièces jointes à son affidavit. Elle l’a elle-même reconnu lors de son contre-interrogatoire. Je conviens toutefois avec le défendeur que la jurisprudence confirme que son affidavit peut être admis comme preuve que les articles qu’elle y a joints existent aux endroits ou sur les sites mentionnés.

[21] La plupart des pièces jointes à l’affidavit de Mme Deschamps satisferaient au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald, car ils ont surtout trait à ce qui a amené le gouvernement à prendre le Règlement. Par exemple :

Ÿ l’effet des réformes apportées aux lois sur les armes à feu dans l’Union européenne;

Ÿ l’accessibilité des armes à feu et le risque de suicide et d’homicide parmi les membres des ménages qui en possèdent;

Ÿ les lettres de mandat adressées au ministre de la Justice et au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile;

Ÿ la déclaration de l’Association des chefs de police de l’Ontario au sujet du contrôle des armes à feu.

[22] Vu que je suis disposée à reconnaître, pour les besoins de l’analyse et sans avoir à prendre position sur le fond, que les demandes des demandeurs satisfont au seuil peu élevé à atteindre pour conclure qu’elles soulèvent une question sérieuse à juger, il ne sera pas nécessaire que j’apprécie la valeur probante de cette preuve.

[23] Cependant, les quatre pièces suivantes concernent plutôt le deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald que j’analyserai plus en détail ci-après :

Ÿ Pièce J : une copie de deux messages publiés par Maccabee Defense Inc. sur sa page Twitter les 23 et 28 novembre 2017, et accessibles au public à l’adresse https://twitter.com/macdef inc, tels qu’affichés le 4 octobre 2020;

Ÿ Pièce U : une copie des résultats d’une recherche sur Maccabee Defense Inc. dans les listes de sociétés/organismes à but non lucratif. Mme Deschamps a été informée par Mme Ewa Ferreira, parajuriste au bureau du ministère de la Justice à Calgary, en Alberta, qu’elle avait fait la recherche le 25 septembre 2020, en consultant en ligne le Corporate Registry System (CORES), à l’adresse https://cores.reg.gov.ab.ca/cores/cr/cr login.login page;

Ÿ Pièce V : une copie des résultats d’une recherche d’entreprise concernant Wolverine Supplies Ltd. Mme Deschamps a été informée par Mme Tandra Malm, adjointe juridique au bureau du ministère de la Justice à Calgary, en Alberta, qu’elle avait fait la recherche le 25 septembre 2020, au moyen de Companies Online, à l’adresse https://companiesonline.gov.mb.ca;

Ÿ Pièce W : une copie de la page Web « About Us - Maccabee Defense Inc. », telle qu’affichée le 4 octobre 2020 à l’adresse www.macdefmc.com/about-us/.

[24] Cette preuve émane soit de deux des demandeurs, soit de sources neutres fiables, et je suis donc disposée à lui accorder une grande valeur probante, d’autant plus que les demandeurs directement concernés par ces pièces n’ont pas nié expressément la véracité de leur contenu.

[25] J’en viens maintenant à l’affidavit de M. Smith. Les parties conviennent qu’une preuve d’expert doit être indépendante, impartiale et objective, mais ils ne s’entendent pas sur la question de savoir si la preuve de M. Smith satisfait à ces critères. Il incombe aux demandeurs de montrer que M. Smith ne peut ou ne veut s’acquitter de son obligation d’être juste, objectif et impartial (White Burgess, au para 48). Le défendeur allègue que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau, et je suis d’accord.

[26] Dans leurs arguments, les demandeurs se fondent dans une large mesure sur le fait que M. Smith était un employé de la GRC et qu’il travaille aujourd’hui comme consultant auprès du Programme canadien des armes à feu de la GRC. Toutefois, dans l’arrêt White Burgess, la Cour suprême a clairement indiqué que l’existence d’une simple relation d’emploi avec une partie n’est généralement pas suffisante pour rendre inadmissible le témoignage d’un expert proposé :

[49] Ce critère n’est pas particulièrement exigeant, et il sera probablement très rare que le témoignage de l’expert proposé soit jugé inadmissible au motif qu’il ne satisfait pas au critère. Le juge de première instance doit déterminer, compte tenu tant de la situation particulière de l’expert que de la teneur du témoignage proposé, si l’expert peut ou veut s’acquitter de sa principale obligation envers le tribunal. Par exemple, c’est la nature et le degré de l’intérêt ou des rapports qu’a l’expert avec l’instance ou une partie qui importent, et non leur simple existence : un intérêt ou un rapport quelconque ne rend pas d’emblée la preuve de l’expert proposé inadmissible. Dans la plupart des cas, l’existence d’une simple relation d’emploi entre l’expert et la partie qui le cite n’emporte pas l’inadmissibilité de la preuve. En revanche, un intérêt financier direct dans l’issue du litige suscite des préoccupations. Il en va ainsi des liens familiaux étroits avec une partie et des situations où l’expert proposé s’expose à une responsabilité professionnelle si le tribunal ne retient pas son opinion. De même, l’expert qui, dans sa déposition ou d’une autre manière, se fait le défenseur d’une partie ne peut ou ne veut manifestement pas s’acquitter de sa principale obligation envers le tribunal. Je tiens à souligner que la décision d’exclure le témoignage à la première étape de l’analyse pour non-conformité aux critères d’admissibilité ne devrait être prise que dans les cas manifestes où l’expert proposé ne peut ou ne veut fournir une preuve juste, objective et impartiale. Dans les autres cas, le témoignage ne devrait pas être exclu d’office, et son admissibilité sera déterminée à l’issue d’une pondération globale du coût et des bénéfices de son admission.

[27] À mon avis, les demandeurs n’ont relevé rien de plus important qu’une simple relation d’emploi. M. Smith n’a pas rédigé le Règlement en cause, quoiqu’il ait effectivement admis y avoir contribué d’une certaine manière. La relation de consultation qu’il entretient avec la GRC ne veut pas dire qu’il est financièrement investi dans l’issue des présentes requêtes.

[28] Les demandeurs font valoir que M. Smith a dépassé les limites de son expertise lors de son contre-interrogatoire. À mon avis, par leur argument, ils ne sont pas loin d’admettre que M. Smith possède une expertise qui pourrait aider la Cour à trancher les questions qui lui sont soumises. Je ne pense pas qu’il soit ressorti du contre-interrogatoire de M. Smith que ce dernier était incapable de fournir une preuve impartiale. Il a reconnu les limites du TRAF et le fait qu’aussi bien des entreprises que des propriétaires d’armes à feu pourraient arriver à une conclusion différente de celle des techniciens de la GRC quant à la classification d’armes à feu. Il a reconnu ne pas avoir d’expertise en droit et ne pas s’exprimer au nom de l’industrie des armes à feu. Il a explicitement admis qu’il n’avait aucune expertise dans le domaine de la chasse, mais plutôt dans le fonctionnement des armes à feu.

[29] Je suis donc d’avis que les faits qui sont ressortis du contre-interrogatoire de M. Smith n’étayent pas les observations des demandeurs. J’ajouterais enfin que tous les demandeurs se sont fondés sur des éléments du témoignage de M. Smith dans le cadre de leurs observations, reconnaissant implicitement sa pertinence.

[30] Cette preuve est bel et bien avantageuse pour la Cour et, cela étant, elle devrait être admissible.

A. Les demandeurs satisfont-ils au critère à trois volets qui s’applique à une injonction interlocutoire ou subiront-ils un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée?

[31] Une partie qui sollicite une injonction interlocutoire « doit établir, au moyen d’éléments de preuve clairs et non conjecturaux, [que, sans l’intervention de la Cour, elle] subira un préjudice irréparable d’ici à ce qu’une décision finale soit rendue au sujet de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente » (Droits des voyageurs c Canada (Office des transports), 2020 CAF 92 au para 28; voir aussi International Longshore and Warehouse Union c Canada (Procureur général), 2008 CAF 3 au para 22). Un préjudice irréparable désigne généralement un préjudice auquel il ne peut être remédié par des dommages-intérêts (RJR-MacDonald, à la p 341).

[32] À l’appui de leurs arguments concernant le préjudice irréparable, les demandeurs font référence aux nombreux affidavits qu’ont présentés à la Cour des personnes traitant de leur expérience personnelle quant à la possession d’armes à feu. Un grand nombre de ces personnes relatent les façons dont le Règlement les a personnellement touchés en prohibant des armes à feu dont elles se servaient antérieurement. Parmi les effets mentionnés figurent une diminution des activités commerciales, une atteinte à des droits ancestraux, la perte d’un passe-temps apprécié, tel que le tir sportif ou la chasse, la perte de possibilités de parfaire ses aptitudes, les troubles psychologiques associés à la perspective d’une sanction pénale, la perte d’activités de chasse de subsistance et, enfin, la perte de ce qu’on appelle une [TRADUCTION] « culture des armes à feu ».

[33] Je vais examiner séparément chacune des catégories de préjudice allégué.

(1) Les pertes financières

[34] Pour déterminer si le préjudice que subit un demandeur est irréparable, le tribunal doit en examiner la nature plutôt que son étendue. Un préjudice est dit irréparable s’il ne peut être quantifié en dommages-intérêts ou s’il est presque impossible ou peu probable que le requérant obtienne des dommages-intérêts de l’intimé (RJR-MacDonald, à la p 341).

[35] Au début des demandes en l’espèce, trois des demandeurs étaient des sociétés (dans le dossier T-577-20) : Maccabee Defense Inc. [Maccabee], Wolverine Supplies Ltd. [Wolverine] et Magnum Machine Ltd. Cette dernière a, depuis lors, déposé un avis de désistement et engagé une action en vue d’obtenir des dommages-intérêts compensatoires pour perte d’achalandage et de stock; il s’agit du dossier T-1415-20 dont la Cour est saisie.

[36] Pour pouvoir satisfaire à ce second volet du critère, seul le préjudice subi par le requérant est pris en compte (Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 33 [Glooscap]). La Cour ne tiendra donc pas compte de la preuve d’expert que les demandeurs ont produite dans le dossier T-577-20, à propos de l’effet du Règlement sur l’économie canadienne dans son ensemble, pas plus que de la preuve par affidavit de M. Rick Timmins, représentant et fondateur de Magnum Machine Ltd., qui, comme il a été mentionné plus tôt, ne fait plus partie des requérants.

[37] M. Wyatt Signer a témoigné pour le compte de Maccabee, mais aussi au sujet du temps, de l’argent et des fonds qu’il a investis dans la conception de la SLR-Multi de Maccabee, une [TRADUCTION] « arme à feu sans restriction et axée sur la sécurité, conçue pour attirer les chasseurs et tireurs sportifs débutants ». Les activités tout entières de l’entreprise sont liées à ce modèle en particulier. Maccabee a dû mettre fin aux ventes de la SLR-Multi à la suite de la nouvelle désignation faite dans le TRAF et du risque possible de responsabilité criminelle. Maccabee et M. Singer ajoutent qu’ils n’ont aucune confiance qu’une arme à feu nouvelle qu’ils concevraient et fabriqueraient à partir de zéro ne subirait pas le même sort arbitraire que la SLR-Multi.

[38] Wolverine possède à l’heure actuelle pour plus de 477 000 $ de stock maintenant prohibé par le Règlement et la nouvelle désignation du TRAF. Ce stock ne peut pas être vendu au Canada et Wolverine n’a aucun moyen d’en disposer, que ce soit par exportation, par droit acquis ou par rachat. Elle a déposé la preuve d’expert par affidavit de M. Jeff Pellarin, comptable professionnel agréé et évaluateur d’entreprise agréé. Celui-ci a exprimé l’avis que : i) les ventes de Wolverine baisseraient de 21 % à 33 %, ii) les gains pro forma diminueraient chaque année de 41 % à plus de 100 % et iii) les gains de Wolverine seraient minimes, générant des rendements par rapport au capital investi qui varieraient d’un montant négatif à, tout au plus, 8,2 % et qui seraient, en moyenne, de 2 %. Il a conclu que, [TRADUCTION] « les ventes de Wolverine sont nettement touchées et les gains seraient minimes, tandis que le rendement du capital investi n’en vaudrait pas la peine ».

[39] Sur la question du préjudice irréparable, les tribunaux canadiens font une distinction entre la perte d’une entreprise, comme la cessation de ses activités, et la perte de ses revenus ou de ses profits (RJR-MacDonald, à la p 341). Comme l’a fait remarquer le défendeur, ni Wolverine ni Maccabee n’ont été contraintes de mettre fin à leurs activités à cause du Règlement, pas plus qu’elles ne s’attendent à devoir le faire. Dans le cas de Maccabee, celle-ci vend déjà à ses clients de nouvelles armes à feu non prohibées et M. Singer a dit [TRADUCTION] « avoir foi » en la poursuite de l’entreprise. Maccabee et Wolverine font état toutes les deux de pertes qui sont quantifiables du point de vue pécuniaire, et cela n’est peut-être pas surprenant, car, après tout, Magnum Machine Ltd. et M. Rick Timmins ont effectivement quantifié leurs pertes dans une situation semblable et réclament des dommages-intérêts à la Couronne.

[40] Les deux sociétés demanderesses ont fourni peu d’éléments de preuve directs sur les répercussions financières concrètes du Règlement depuis le 1er mai 2020. De plus, l’expert de Wolverine a admis en contre-interrogatoire que, dans son opinion, il tenait pour acquis qu’une baisse quelconque ne pouvait pas être évitée par une hausse des ventes d’armes à feu non prohibées. Il a aussi reconnu que si Wolverine venait à vendre des armes à feu non prohibées à des clients qui possédaient antérieurement des armes à feu maintenant prohibées — et donc visées par le Règlement — les ventes de la société ne diminueraient pas, ou bien diminueraient nettement moins que ce qu’il avait prévu.

[41] Les demandeurs ont le fardeau de convaincre la Cour que, sans son intervention, ils subiront un préjudice irréparable, et pas seulement que ce préjudice surviendrait probablement. Je conviens avec le défendeur que ni Maccabee ni Wolverine n’ont produit des éléments suffisamment probants pour montrer qu’il y a une forte probabilité qu’un préjudice irréparable soit inévitablement causé (Glooscap, au para 31).

[42] Les demandeurs qualifient expressément le REIR de [TRADUCTION] « quasi-aveu que les mesures législatives contestées causeront un préjudice irréparable ». La Cour est d’avis que c’est le contraire, puisque le gouvernement a annoncé qu’il entendait créer un programme de rachat pour indemniser les propriétaires d’armes à feu de l’effet des nouvelles interdictions. Par conséquent, bien que les sociétés demanderesses puissent subir une diminution de courte durée de leurs profits à cause du Règlement, cette perte pourrait être atténuée par le programme de rachat, par la possibilité de remettre les armes à feu prohibées à leur fabricant et, peut-être, par l’achat de nouvelles armes à feu destinées à remplacer celles qui sont prohibées. Les pertes dont les sociétés demanderesses font état sont donc de nature plutôt conjecturale.

(2) L’atteinte à des droits ancestraux

[43] M. Laurence Knowles est Indien inscrit et membre de la Première Nation Haïda, en Colombie-Britannique. Il a déclaré qu’il se livrait à la chasse et se servait d’armes à feu en toute sécurité presque quotidiennement depuis plus de 40 ans. La chasse de subsistance représente une part importante de son régime alimentaire et de celui de nombreux autres membres de sa communauté isolée. À part la subsistance, la chasse sert également à d’autres fins culturelles pour les peuples autochtones. Il s’agit d’une activité sociale et cérémoniale qui rattache les Autochtones à leurs communautés ainsi qu’à leurs modes de vie anciens et traditionnels. Les animaux qu’ils chassent servent également à confectionner des œuvres d’art et des vêtements traditionnels.

[44] M. Knowles possède quatre armes à feu que le Règlement prohibe. Ces armes conviennent particulièrement bien à l’environnement que l’on trouve sur les îles Haida Gwaii ainsi qu’aux activités de chasse et de piégeage que pratique M. Knowles. Ce dernier devra remplacer ces armes à feu, ce qui lui causera un préjudice financier irréparable supplémentaire.

[45] Les demandeurs affirment que le préjudice que causera l’atteinte à l’exercice de droits ancestraux, tout comme la perte de la possibilité d’être consultés et de bénéficier de mesures d’accommodement, constitue un préjudice irréparable à première vue.

[46] Cependant, les demandeurs ne disent rien au sujet de l’exception que crée le Décret d’amnistie pour les Autochtones. Ceux-ci peuvent se servir de toutes les armes à feu que prohibe le Règlement pour exercer un droit que reconnaît l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, pourvu que ces armes à feu aient été classées comme des armes sans restriction le 30 avril 2020.

[47] Outre le fait que M. Knowles soit visé par cette exception, des armes à feu non prohibées continuent d’être disponibles et conviennent à la chasse. Il y a fort peu d’éléments de preuve touchant à la question de savoir si M. Knowles possède ou non des armes à feu de ce type. Dans son affidavit, il laisse entendre qu’il possède une carabine de calibre .22 qui n’est pas toujours efficace pour la chasse. Cependant, la Cour ne peut traiter de la question de savoir si d’autres armes à feu non prohibées pourraient être aussi efficaces pour le genre de chasse que pratique M. Knowles. Le fait qu’il aurait à remplacer ses armes à feu aujourd’hui prohibées n’est pas assimilable à un préjudice irréparable, compte tenu surtout du futur programme de rachat que le gouvernement a annoncé.

[48] M. Knowles dit ne pas être personnellement au courant que des consultations ont été menées avec des Premières Nations avant la prise du Règlement, mais le REIR indique ceci :

De l’automne 2018 au printemps 2019, le gouvernement a tenu de vastes consultations auprès de groupes autochtones, des provinces et des territoires, des municipalités, d’organismes chargés de l’application de la loi, de théoriciens, de groupes d’aide aux victimes et d’autres intervenants clés relativement à la question de la restriction de l’accès aux armes à feu de style arme d’assaut et aux armes de poing. Cependant, afin d’atténuer le risque que certains chasseurs autochtones et chasseurs de subsistance puissent utiliser pour la chasse exclusivement une arme à feu nouvellement prohibée, mais auparavant une arme à feu sans restriction, et au regard du fait qu’il n’y a pas eu d’avis préalable relatif à la prohibition établie, ces chasseurs pourraient ne pas être en mesure de remplacer immédiatement les armes nouvellement prohibées; le Décret d’amnistie prévoit donc l’utilisation limitée de ces armes à feu à ces fins. Après la publication du Règlement, le gouvernement continuera de consulter les groupes autochtones en vue d’évaluer si la prohibition relative à ces armes à feu a une incidence continue sur les droits de chasse, tel qu’il est garanti par l’article 35 de la Constitution.

[49] Je suis donc d’avis que les demandeurs ne sont pas parvenus à fournir la preuve que, sans une injonction, il sera porté atteinte à des droits ancestraux que garantit la Loi constitutionnelle de 1982.

(3) La chasse ou le tir sportif et la culture des armes à feu

[50] La perte d’une arme à feu particulière qui sert à la chasse ou au tir n’est pas non plus un préjudice irréparable. Des armes à feu, il en existe d’autres et, en fait, les Canadiens qui souhaitent se livrer à ces activités peuvent choisir parmi un large éventail d’armes à feu sans restriction dont ils peuvent se servir raisonnablement à cette fin. Par exemple, M. Smith explique que la Remington 223 et la Winchester 308, deux armes initialement conçues pour un usage militaire, peuvent être remplacées par plusieurs carabines de chasse classiques sans restriction, qui ont une chambre compatible avec les cartouches de même calibre que la Remington 223 et la Winchester 308. On peut dire la même chose des déposants d’affidavit souffrant d’une affection médicale qui influence le choix de l’arme à feu qu’ils privilégient. Par exemple, la carabine semi-automatique BCL 102 dont se sert M. Richard Delve pourrait, semble-t-il, être remplacée par plusieurs [TRADUCTION] « autres armes à feu sans restriction qui sont disponibles sur le marché et qui ont, elles aussi, une chambre compatible avec la cartouche Winchester 308 et qui produisent le même recul, sinon moins, que le fusil BCL-102 lorsqu’on se sert de la même cartouche » (affidavit de M. Smith, au para 76).

[51] Quant à l’argument des demandeurs à propos de la disparition de leur culture des armes à feu en raison du Règlement, il n’est étayé par aucune observation précise. Pour les besoins des présentes requêtes, on ne sait trop quelle est l’incidence du Règlement sur la culture des armes à feu. Cela est dû au fait qu’il ne ressort pas clairement des observations de Mme Generoux en quoi consiste la culture des armes à feu, hormis le fait de [TRADUCTION] « participer aux activités de la collectivité et à des passe-temps », ce qui englobe la chasse et le tir sportif. Les demandeurs insistent beaucoup sur les activités récréatives qui comportent des armes à feu. Toutefois, comme il a été mentionné plus haut, les Canadiens qui souhaitent pratiquer la chasse et le tir sportif peuvent le faire en se servant d’un large éventail d’armes à feu sans restriction. Les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qu’ils avaient de produire une preuve convaincante et particulière à l’appui de l’existence d’un préjudice irréparable.

(4) La perte de possibilités de parfaire des aptitudes

[52] Les demandeurs font valoir que, sans accès aux armes à feu que prohibe le Règlement, les agents d’exécution de la loi ou les membres des Forces armées canadiennes verront diminuer leurs aptitudes au tir. Ils ont déposé la preuve par affidavit de M. Matthew Overton, président de l’Association de tir Dominion du Canada [l’ATDC], et celle de M. Ryan Steacy, directeur technique à International Barrels Inc. et caporal à la retraite des Forces armées canadiennes. Ils ont déclaré que les tireurs sportifs civils mettent au point des techniques qu’ils peuvent ensuite enseigner aux militaires lors de concours tenus entre militaires, policiers et civils, qui sont organisés par l’ATDC.

[53] Cependant, et comme l’a signalé M. Murray Smith, lui aussi ancien militaire, les seules personnes véritablement touchées par le Règlement sont les civils qui participent à des concours armés de versions civiles d’armes destinées aux militaires ou aux agents d’exécution de la loi. Les agents d’exécution de la loi et les membres des Forces armées canadiennes disposent de programmes d’entraînement prescrits et ils ont accès à des champs de tir où ils peuvent s’entraîner avec leurs armes de service. La Cour convient avec le défendeur qu’il n’est pas obligatoire pour les Forces armées canadiennes ou d’autres membres des services d’exécution de la loi de participer à des concours de tir civils.

[54] Il n’existe aucune preuve convaincante que le Règlement aura pour effet de causer une baisse des aptitudes au tir des membres des Forces armées canadiennes ou des agents d’exécution de la loi.

IV. Conclusion

[55] Comme j’ai conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait au second volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald, il y a donc lieu de rejeter leurs requêtes en injonction interlocutoire.


ORDONNANCE dans les dossiers T-577-20, T-677-20 et T-735-20

LA COUR ORDONNE :

  1. Les requêtes en injonction interlocutoire des demandeurs sont rejetées;

  2. Les dépens à l’égard de ces requêtes sont accordés au défendeur.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B, juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

T-577-20

INTITULÉ :

COALITION CANADIENNE POUR LE DROIT AUX ARMES À FEU, RODNEY GILTACA, LAURENCE KNOWLES, RYAN STEACY, MACCABEE DEFENSE INC., et WOLVERINE SUPPLIES LTD. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T-677-20

INTITULÉ :

MICHAEL JOHN DOHERTY, NILS ROBERT EK,

RICHARD WILLIAM ROBERT DELVE, CHRISTIAN RYDICH BRUHN, PHILIP ALEXANDER MCBRIDE, LINDSAY DAVID JAMIESON, DAVID CAMERON MAYHEW, MARK ROY NICHOL et PETER CRAIG MINUK c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T-735-20

INTITULÉ :

CHRISTINE GENEROUX, JOHN PEROCCHIO et VINCENT PEROCCHIO c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JANVIER 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

LE 9 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Laura Warner

Ryan Phillips

David Marshall

Matthew Scott

Michael A. Loberg

POUR LES DEMANDEURS

DANS LE DOSSIER T-577-20

 

Bruce Hughson

Kerry Boyd

Jordan Milne

Jennifer Lee

Alexander Brooker

 

POUR LE DÉFENDEUR

DANS LE DOSSIER T-577-20

 

Arkadi Bouchelev

POUR LES DEMANDEURS

DANS LE DOSSIER T-677-20

 

Sean Gaudet

James Gorham

Andrew Law

Samantha Pillon

 

POUR LE DÉFENDEUR

DANS LE DOSSIER T-677-20

 

Christine Generoux

John Perocchio

 

POUR LES DEMANDEURS

DANS LE DOSSIER T-735-20

 

Robert MacKinnon

Zoe Oxaal

Jennifer Bond

Sarah Jiwan

POUR LE DÉFENDEUR

DANS LE DOSSIER T-735-20

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Jensen Shawa Solomon Duguid Hawkes LLP

Calgary (Alberta)

Loberg Law

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

DANS LE DOSSIER T-577-20

 

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

DANS LE DOSSIER T-577-20

 

 

Bouchelev Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

DANS LE DOSSIER T-677-20

 

 

Procureur général du Canada

Toronto(Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

DANS LE DOSSIER T-677-20

 

 

Procureur général du Canada

Ottawa, (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

DANS LE DOSSIER T-735-20

 

 

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