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Date : 2004-02-16

Dossier : IMM-4519-03

Référence : 2004 CF 233

Ottawa (Ontario), le 16 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                               RAMNAUTH, FRANCIS ANTHONY

                                                 RAMNAUTH, RAWATTIE ALANA

                                               RAMNAUTH, SHANIA ANASTACIA

                                                  RAMNAUTH, ALLAN ANTONIO

                                                RAMNAUTH, LUCINDA RAFEENA

                                              RAMNAUTH, REYNALDO ANTONIO

                                         RAMNAUTH, ROSETTA SUSIANNA ROSE

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE O'REILLY


[1]                M. Francis Ramnauth et M. Allan Ramnauth ont tous les deux demandé l'asile au Canada pour le motif que leurs adversaires politiques au Guyana les ont menacés, agressés et volés. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a joint leurs demandes et les demandes de leurs épouses et de leurs enfants. Au moment de joindre les demandes, la Commission a dit que [traduction] « les décisions seront prises à l'égard de chaque demande séparément » .

[2]                La Commission a en fin de compte rejeté les deux demandes dans des motifs communs. Les demandeurs allèguent que la Commission a manqué à son engagement de trancher leurs demandes séparément, qu'elle a enfreint le principe de justice naturelle et qu'elle a omis de donner des motifs adéquats. Ils sollicitent, par le truchement de la présente demande de contrôle judiciaire, la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission.

[3]                Je conviens que la Commission a commis une erreur, et je ferai droit à la demande des demandeurs.

[4]                Lors de l'audience qui a eu lieu devant moi, les avocats ont mentionné que le dossier du tribunal était incomplet. On a convenu que j'allais entendre les observations des parties concernant les questions mentionnées ci-dessus et, si cela s'avérait nécessaire, tenir une autre audience au sujet des questions qui n'ont pas été abordées. Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur les questions qui n'ont pas été abordées.


[5]                À mon avis, la Commission n'a pas manqué à son engagement ou enfreint le principe de justice naturelle en tranchant les demandes de Francis et d'Allan Ramnauth dans des motifs communs. Toutefois, en procédant ainsi, la Commission a omis d'aborder quelques éléments de preuve importants propres à chacune des demandes.

[6]                En ce qui concerne certains faits, les deux demandes étaient très semblables. Les deux demandeurs étaient des chauffeurs de taxi gagnant un bon salaire, ils ont tous les deux été victimes d'agression et de vol pendant qu'ils travaillaient, et ils ont tous les deux été menacés par téléphone par leurs adversaires politiques. Aucun des demandeurs n'a porté plainte à la police. La Commission a conclu que les demandeurs étaient simplement des _ cibles faciles pour les voleurs qui savent que les chauffeurs de taxi transportent souvent d'importantes sommes d'argent avec eux _.

[7]                La Commission est parvenue à sa décision en se fondant uniquement sur les circonstances communes aux deux demandes. Elle n'a pas tenu compte des faits propres à chacune des demandes. Ainsi, en ce qui concerne Allan Ramnauth, la Commission n'a pas mentionné :

·            qu'il avait utilisé son véhicule pour amener des camarades politiques à des réunions et à des assemblées du parti;

·            que sa voiture avait été saccagée, que ses pneus avaient été tailladés et qu'une note renfermant des menaces avait été laissée dans sa voiture après qu'il a participé à un rassemblement politique;

·            qu'il avait reçu des menaces après avoir participé aux funérailles d'un allié politique;

·            qu'il avait dû suivre un traitement médical de deux semaines à la suite d'une des agressions dont il avait été victime.


[8]                En ce qui concerne Francis Ramnauth, la Commission n'a pas mentionné :

·            qu'il organisait des réunions politiques dans sa maison, mais qu'il avait cessé de le faire après avoir reçu de nombreuses menaces;

·            qu'il avait craint de demander à la police d'établir un rapport sur une des agressions dont il avait été victime parce que cette agression avait eu lieu dans une région habitée par ses adversaires politiques;

·            que, de façon générale, il avait peur de la police.


[9]                Certes, la Commission peut et est souvent obligée de trancher des demandes présentées par plusieurs demandeurs dans une même décision (paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (voir l'annexe)). Toutefois, les motifs doivent faire état du fondement de sa décision à l'égard de chacun des demandeurs. La question qu'il faut se poser est de savoir si _ la jonction s'est traduite par une injustice à l'égard de l'une ou l'autre des revendications entendues simultanément _ : Zewedu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1369 (QL) (1re inst.), paragraphe 9. Il n'y a pas d'injustice lorsque la Commission omet d'analyser une demande dont le sort dépend de l'issue d'une demande qui y est jointe : Tofan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1379 (QL) (1re inst.); Boros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 892 (QL) (1re inst.). Toutefois, si une demande soulève des questions distinctes, elles doivent être abordées séparément : Retnem c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 428 (QL) (C.A.F.); Csonka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1294 (QL) (1re inst.).

[10]            En l'espèce, en ne traitant que des éléments communs aux deux demandes principales qu'elle devait trancher, la Commission a omis d'analyser d'importants éléments de preuve propres à chacune de ces demandes. Elle a peut-être considéré que la preuve en question n'était pas digne de foi. Si c'est le cas, elle était tenue d'expliquer clairement les raisons pour lesquelles elle ne l'a pas trouvée crédible.

[11]            L'avocat du défendeur a fait valoir que les omissions dans les motifs ne portaient pas à conséquence parce que la Commission avait conclu que les demandeurs avaient été victimes d'actes criminels ordinaires. Dans un tel contexte, les renseignements additionnels au sujet de ce qui était arrivé à chacun des demandeurs n'étaient pas pertinents. Je crois pour ma part que l'omission de la Commission de donner des précisions sur les allégations des demandeurs rend la conclusion à laquelle elle est arrivée suspecte.

[12]            Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

[13]            L'avocat des demandeurs a proposé plusieurs questions aux fins de certification. Toutefois, compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé concernant la présente demande de contrôle judiciaire, il n'y a pas lieu de les certifier.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

2.          Aucune question de portée générale n'est énoncée.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _       

                                                                                                                                                     Juge                    

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                                        Annexe



Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228

JONCTION OU SÉPARATION DE DEMANDES

49. (1) La Section joint la demande d'asile du demandeur d'asile à celle de son époux ou conjoint de fait, son enfant, son père, sa mère, son frère, sa soeur, son petit-fils, sa petite-fille, son grand-père et sa grand-mère.

(2) La Section joint les demandes d'annulation ou les demandes de constat de perte d'asile dans le cas où les demandes d'asile des personnes protégées étaient jointes.

Refugee ProtectionDivision Rules, SOR/2002-228

JOINING OR SEPARATING CLAIMS OR APPLICATIONS

49. (1) The Division must join the claim of a claimant to a claim made by the claimant's spouse or common-law partner, child, parent, brother, sister, grandchild or grandparent.

(2) Applications to Vacate Refugee Protection or Applications to Cease Refugee Protection are joined if the claims of the protected persons were joined.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4519-03

INTITULÉ :                                       RAMNAUTH, FRANCIS ANTHONY, RAMNAUTH, RAWATTIE ALANA; RAMNAUTH, SHANIA ANASTACIA; RAMNAUTH, ALLAN ANTONIO;RAMNAUTH, LUCINDA RAFEENA; RAMNAUTH, REYNALDO ANTONIO; RAMNAUTH, ROSETTA SUSIANNA ROSE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 5 FÉVRIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                     LE 16 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS:

Jacques Despatis                                  POUR LES DEMANDEURS

Catherine A. Lawrence                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jacques Despatis                                  POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)                                                                      

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada       POUR LE DÉFENDEUR


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