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Date : 20050518

Dossiers : T-2134-00

T-2203-00

T-2204-00

Référence : 2005 CF 715

ENTRE :

                                                       BRUCE ALLAN BEATTIE

                                                                                                                        demandeur (appelant)

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                      défenderesse (intimée)

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]                Les présents appels sont formés par Bruce Allen Beattie contre trois jugements en date du 6 mai 2004 par lesquels le protonotaire Lafrenière a rejeté trois actions qui relevaient de sa compétence en application de la règle 50(2) des Règles des Cours fédérales, la somme réclamée dans chacune d'elles ne dépassant pas 50 000 $, à l'exclusion des intérêts et des dépens.

[2]                M. Beattie poursuit Sa Majesté la Reine du chef du Canada (Sa Majesté ou la Couronne fédérale) en qualité de cessionnaire de personnes se disant descendants d'Indiens qui avaient adhéré au Traité no 6, conclu en1876 entre Sa Majesté d'une part, et les Indiens des plaines, les Cris des bois et d'autres tribus, d'autre part.

[3]                M. Beattie poursuit également Sa Majesté en qualité de cessionnaire de personnes se disant chefs de famille et descendants d'Indiens qui adhéraient au Traité no 11, conclu entre Sa Majesté et des autochtones à Fort Good Hope (T.N.-O.) le 21 juillet 1921.

[4]                Chaque cédant avait cédé à M. Beattie [traduction] « à titre absolu, tous les arriérés impayés des rentes annuelles par chef, plus les intérêts qui sont légalement exigibles et payables... conformément aux modalités dudit Traité [no 6 ou no 11] ... jusqu'à la date de la présente cession, et toutes causes d'action se rapportant à telle créance » .

[5]                Un trait commun aux trois actions est l'allégation que chaque cédant a reçu des rentes annuelles constituées par traité à partir d'une certaine date (par exemple 1987 qui est la date d'inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens), mais non pas avant cette date d'inscription.

[6]                Dans sa défense, la Couronne fédérale nie que les cédants aient droit aux rentes constituées par traité pendant les périodes visées ou, subsidiairement, aux intérêts courus sur les arrérages. Elle conteste aussi la validité des cessions en question en invoquant la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP).


[7]                Conformément à une ordonnance rendue en application de la règle 107, le protonotaire Lafrenière était appelé à se prononcer, séparément des autres points soulevés dans les plaidoiries, sur les deux points suivants :

(a)         quel est l'effet de la LGFP, s'il en est, sur les cessions faites au profit de M. Beattie?

(b)         y a-t-il des intérêts à payer sur les arrérages de rente au cas où il serait jugé qu'ils sont dus et, dans l'affirmative, quel en serait le taux, simple ou composé, et comment ce taux devrait-il être calculé?

[8]                Le protonotaire Lafrenière a conclu que les cessions en question étaient nulles et non avenues par application de la LGFP et qu'aucun intérêt n'est payable sur les arrérages qui seraient dus aux cédants.

LES FAITS DE LA CAUSE

[9]                Il est constant que M. Beattie n'est pas un Indien inscrit, mais qu'il a des liens de parenté avec des Indiens inscrits.

[10]            Le Traité no 6 prévoit notamment ce qui suit :


                Et, en outre, que les commissaires de Sa Majesté devront, aussitôt que possible après l'exécution de ce traité, faire prendre un recensement exact de tous les Sauvages habitant l'étendue de pays ci-dessus décrite, en les rangeant par familles, et ils devront, chaque année après la date de ce recensement, à une certaine époque de l'année, dont on donnera dûment avis aux Sauvages, et dans un endroit ou des endroits désignés à cet effet, dans l'étendue des limites des territoires cédés, payer à chaque personne Sauvage la somme de cinq piastres par tête annuellement. [Non souligné dans l'original.]

Le Traité no 11 renferme à peu près les mêmes termes, comme suit :

                Et en considération du plaisir causé à Sa Majesté par la bonne conduite de ses Indiens, et en compensation de toutes les réclamations antérieures, Il s'engage, par son commissaire, de faire à chaque chef un présent de trente-deux dollars en argent, à chaque conseiller un présent de vingt-deux dollars, et à chaque autre Indien, de tout âge, des familles représentées à l'époque et au lieu des paiements, un présent de douze dollars.

SA MAJESTÉ convient aussi que l'an prochain et toutes les années subséquentes pour toujours, il fera payer auxdits Indiens en argent, à des endroits et des dates convenables, dont avis leur sera donné, vingt-cinq dollars à chaque chef, à chaque conseiller, quinze dollars, et à chaque autre Indien de tout âge, cinq dollars; ces montants devront être payés au chef de famille pour tous ceux qui en font partie, étant entendu, aux fins du présent traité, que chaque bande comptant au moins trente personnes peut avoir des conseillers ou des dirigeants à raison d'un conseiller ou d'un dirigeant par centaine de membres. [Non souligné dans l'original.]

[11]            Les deux points litigieux séparés ont été examinés à la lumière de l'exposé conjoint des faits propre à chaque action, du témoignage par affidavit de Nicholas Mitchell et de Michael McGinty, des preuves documentaires contenues dans un recueil conjoint de documents (recueil conjoint), et des dépositions tirées de l'interrogatoire préalable du demandeur et des cédants. Aucun témoin n'a été cité au procès.

[12]            Dans les motifs de sa décision, le protonotaire a reproduit l'exposé conjoint des faits versé au dossier de l'affaire no T-2203-00, lequel exposé étant jugé représentatif des exposés conjoints des faits dans les deux autres dossiers. Le voici :

                                            EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS


1.              Les cédants, Philip George Harris, Mary Martha Harris, Margaret Mary Napora, Kevin Kimberley Napora et Shannon Trevor Napora (les cédants) sont des enfants ou petits-enfants de signataires initiaux du Traité no 11 et sont tous actuellement inscrits comme Indiens conformément à la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.

2.              La signature du Traité no 11 est antérieure à la naissance de tous les cédants.

3.              Le demandeur, Bruce Beattie, n'est pas un Indien signataire du Traité no 11, et il n'est pas non plus inscrit comme Indien selon la Loi sur les Indiens, mais il est un membre de la famille de chacun des cédants, par mariage.

4.              Le ministère des Affaires indiennes et du Nord (le MAIN) a reconnu que chacun des cédants était fondé à recevoir des rentes en application du Traité no 11 (les « rentes » ) depuis la date de sa demande d'inscription comme Indien selon la Loi sur les Indiens, mais non avant ladite date.

5.              Les registres de versement des rentes indiquent les paiements qui n'ont pas été faits à tel ou tel Indien ayant le droit de recevoir une rente selon le traité.

6.              Le demandeur a envoyé au receveur général un avis de cession de créance sur Sa Majesté, pour la cession opérée par le cédant, Charles Edward Harris, dans l'action connexe no T-2134-00. Cependant, la cession n'a pas été approuvée par le receveur général.

7.              Par suite de la réponse du receveur général à l'avis de cession signifié par Charles Edward Harris, le demandeur n'a envoyé au receveur général aucun autre avis semblable de cession à l'égard des cessions opérées par les autres cédants.

8.              Le Traité no 11 ne renferme pas de modalités expresses se rapportant au versement d'intérêts sur des arriérés de rentes.

9.              Les documents historiques énumérés par les parties aux actions engagées devant la Cour ne disent pas qu'il a été question d'intérêts sur les arriérés de rentes au cours des négociations qui ont conduit à la signature du Traité no 11.

10.            Toute cause d'action relative à des créances découlant de la violation par la Couronne de son obligation conventionnelle de payer des arriérés de rentes, avec les intérêts, a pris naissance dans plus d'une province, ou en dehors d'une province. [Non souligné dans l'original.]

[13]            Le protonotaire n'a fait, sur le plan factuel, aucune distinction entre les cédants ou entre les traités, et les parties à l'appel n'y voyaient aucune objection.

[14]            Il s'est fondé sur l'affidavit de M. Mitchell pour décrire les modalités de paiement des rentes prévues à l'un et l'autre traités. Voici ce qu'on peut lire au paragraphe 16 des motifs de sa décision :

[16]       Deuxièmement, le Traité no 6 et le Traité no 11 promettent tous deux le paiement annuel, par la Couronne, de cinq dollars à chacun des signataires initiaux des deux traités ainsi qu'à leurs descendants naturels. Dans son affidavit, M. Mitchell expose le mode de paiement des rentes:

1. Les rentes étaient payées annuellement par le ministère des Affaires indiennes, à l'aide de crédits votés par le Parlement chaque année. Les sommes employées pour payer les rentes étaient votées d'après le budget des dépenses du ministère.

2. Les rentes étaient payées aux Indiens visés par traité, à des dates et des endroits prédéterminés, et les paiements étaient inscrits pour chaque bande dans des registres de paiement.

3. Quand les paiements avaient été effectués pour une année, les sommes restantes non affectées à des rentes étaient retournées au receveur général. Elles n'étaient pas conservées pour utilisation les années suivantes.

4. La même procédure était répétée pour chaque exercice.

5. Le budget annuel des dépenses préparé par le ministère des Affaires indiennes chaque année comprenait des sommes destinées au paiement des arriérés de rentes aux Indiens visés par traité à qui des paiements n'avaient pas été faits.

6. Les arriérés étaient payés sur les sommes destinées aux rentes, pour le même exercice au cours duquel étaient faites les demandes de paiement d'arriérés.

7. Il n'était pas payé d'intérêts sur les arriérés des rentes visées par les traités. [Non souligné dans l'original.]

LA DÉCISION DU PROTONOTAIRE- [2004 CF 674]

a)         La validité des cessions en cause

[15]            La Couronne fédérale a fait valoir devant le protonotaire trois raisons pour lesquelles les cessions faites à M. Beattie étaient nulles et non avenues :


a)         l'article 67 de la LGFP interdit la cession des créances sur Sa Majesté sauf dans les cas prévus en son article 67. La Couronne fédérale soutient qu'aucune de ces exceptions ne s'applique aux arrérages de rentes annuelles constituées par traité. En particulier, les traités ne sont pas des marchés au sens du paragraphe 68(1) de la LGFP.

b)         les rentes constituées par traité ne peuvent faire l'objet d'une cession même si elles relèvent de l'exception prévue au paragraphe 68(1) de la LGFP puisque les droits issus des traités sont incessibles de par leur statut spécial. Cet argument est lié au paragraphe 68(4) de la LGFP aux termes duquel toute cession est assujettie à « toutes les conditions et restrictions, relatives au droit de transfert, qui se rattachent à la créance originale ou qui découlent du marché original » , ce qui a amené le protonotaire à prendre en compte les dispositions de l'article 90 de la Loi sur les Indiens.

c)         l'avis de cession signifié par M. Beattie n'était pas conforme au Règlement sur la cession des dettes de la Couronne. Le protonotaire n'a pas fait droit à cet argument, et la Couronne fédérale ne l'a pas fait valoir devant la Cour.

[16]            Pour plus de commodité, la définition d' « argent des Indiens » figurant à l'article 2 ainsi que les articles 66, 67 et 68 de la LGFP, et les articles 87, 89 et 90 de la Loi sur les Indiens sont reproduits ci-après :



           Loi sur la Gestion des finances publiques

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

"public money"

« fonds publics » Fonds appartenant au Canada, perçus ou reçus par le receveur général ou un autre fonctionnaire public agissant en sa qualité officielle ou toute autre personne autorisée à en percevoir ou recevoir. La présente définition vise notamment :

a) les recettes de l'État;

b) les emprunts effectués par le Canada ou les produits de l'émission ou de la vente de titres;

c) les fonds perçus ou reçus pour le compte du Canada ou en son nom;

d) les fonds perçus ou reçus par un fonctionnaire public sous le régime d'un traité, d'une loi, d'une fiducie, d'un contrat ou d'un engagement et affectés à une fin particulière précisée dans l'acte en question ou conformément à celui-ci.

66. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

« agent payeur » "paying officer"

« agent payeur » Personne désignée à ce titre par règlement.

« agent payeur compétent » "appropriate paying officer"

« agent payeur compétent » L'agent payeur qui règle une créance sur Sa Majesté.

« créance sur Sa Majesté » "Crown debt"

« créance sur Sa Majesté » Dette existante ou future, échue ou à échoir, de Sa Majesté, ainsi que tout autre droit incorporel dont le recouvrement peut être poursuivi en justice contre Sa Majesté.

« marché » "contract"

« marché » Contrat prévoyant un versement de fonds par Sa Majesté.

« Sa Majesté » "Crown"

« Sa Majesté » Sa Majesté du chef du Canada.

L.R. (1985), ch. F-11, art. 66; 1999, ch. 31, art. 113(F).

Interdiction générale

67. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale :

a) les créances sur Sa Majesté sont incessibles;

b) aucune opération censée constituer une cession de créances sur Sa Majesté n'a pour effet de conférer à quiconque un droit ou un recours à leur égard.

S.R., ch. F-10, art. 80.

Cas particuliers

68. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les créances suivantes sont cessibles :

a) celles qui correspondent à un montant échu ou à échoir aux termes d'un marché;

b) celles qui appartiennent à une catégorie déterminée par règlement.

Conditions de validité

(2) La cession n'est valide que si les conditions suivantes sont remplies :

a) elle est absolue, établie par écrit et signée par le cédant;

b) elle n'est pas censée faite à titre de sûreté seulement;

c) il en a été donné avis conformément à l'article 69.

Conséquences

(3) Sous réserve des droits qui, en l'absence du présent article, auraient pris rang avant celui du cessionnaire, la cession a pour effet de transférer, à compter de la date de la signification de l'avis :

a) le droit à la créance sur Sa Majesté;

b) les recours juridiques et autres concernant la créance;

c) le pouvoir de donner quittance à cet égard sans l'assentiment du cédant.

Conditions

(4) Une cession faite en conformité avec la présente partie est assujettie à toutes les conditions et restrictions, relatives au droit de transfert, qui se rattachent à la créance originale ou qui découlent du marché original.

Incessibilité des salaires, allocations, etc.

(5) Par dérogation au paragraphe (1), les créances sur Sa Majesté échues ou à échoir à titre de traitements, salaires ou allocations sont incessibles; aucune opération censée constituer une cession de ces créances n'a pour effet de conférer à quiconque un droit ou un recours à leur égard.

L.R. (1985), ch. F-11, art. 68; 1991, ch. 24, art. 49(A).

                                Loi sur les Indiens

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

Idem

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

Idem

(3) Aucun impôt sur les successions, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la mort d'un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession visant un tel bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d'aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 des Statuts révisés du Canada de 1952, ou l'impôt payable, en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, chapitre E-9 des Statuts révisés du Canada de 1970, sur d'autres biens transmis à un Indien ou à l'égard de ces autres biens.

S.R., ch. I-6, art. 87; 1980-81-82-83, ch. 47, art. 25.

89. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien ou une bande.

Dérogation

(1.1) Par dérogation au paragraphe (1), les droits découlant d'un bail sur une terre désignée peuvent faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution.

Ventes conditionnelles

(2) Une personne, qui vend à une bande ou à un membre d'une bande un bien meuble en vertu d'une entente selon laquelle le droit de propriété ou le droit de possession demeure acquis en tout ou en partie au vendeur, peut exercer ses droits aux termes de l'entente, même si le bien meuble est situé sur une réserve.

L.R. (1985), ch. I-5, art. 89; L.R. (1985), ch. 17 (4e suppl.), art. 12.

Biens considérés comme situés sur une réserve

90. (1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été :

a) soit achetés par Sa Majesté avec l'argent des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l'usage et au profit d'Indiens ou de bandes;

b) soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

sont toujours réputés situés sur une réserve.

Restriction sur le transfert

(2) Toute opération visant à transférer la propriété d'un bien réputé, en vertu du présent article, situé sur une réserve, ou un droit sur un tel bien, est nulle à moins qu'elle n'ait lieu avec le consentement du ministre ou ne soit conclue entre des membres d'une bande ou entre une bande et l'un de ses membres.

Destruction de biens

(3) Quiconque conclut une opération déclarée nulle par le paragraphe (2) commet une infraction; commet aussi une infraction quiconque détruit, sans le consentement écrit du ministre, un bien meuble réputé, en vertu du présent article, situé sur une réserve.

S.R., ch. I-6, art. 90.

                     Financial Administration Act

2. In this Act,

« fonds publics »

"public money" means all money belonging to Canada received or collected by the Receiver General or any other public officer in his official capacity or any person authorized to receive or collect such money, and includes

(a) duties and revenues of Canada,

(b) money borrowed by Canada or received through the issue or sale of securities,

(c) money received or collected for or on behalf of Canada, and

(d) all money that is paid to or received or collected by a public officer under or pursuant to any Act, trust, treaty, undertaking or contract, and is to be disbursed for a purpose specified in or pursuant to that Act, trust, treaty, undertaking or contract;

66. In this Part,

"appropriate paying officer" « agent payeur compétent »

"appropriate paying officer", in relation to a Crown debt, means the paying officer who makes the payments in respect of that debt;

"contract" « marché »

"contract" means a contract involving the payment of money by the Crown;

"Crown" « Sa Majesté »

"Crown" means Her Majesty in right of Canada;

"Crown debt" « créance sur Sa Majesté »

"Crown debt" means any existing or future debt due or becoming due by the Crown, and any other chose in action in respect of which there is a right of recovery enforceable by action against the Crown;

"paying officer" « agent payeur »

"paying officer" means any person designated as such by regulation;

"prescribed" Version anglaise seulement

"prescribed" means prescribed by regulation.

R.S., 1985, c. F-11, s. 66; 1999, c. 31, s. 113(F).

General prohibition

67. Except as provided in this Act or any other Act of Parliament,

(a) a Crown debt is not assignable; and

(b) no transaction purporting to be an assignment of a Crown debt is effective so as to confer on any person any rights or remedies in respect of that debt.

R.S., c. F-10, s. 80.

Assignments of specified Crown debts

68. (1) Subject to this section, an assignment may be made of

(a) a Crown debt that is an amount due or becoming due under a contract; and

(b) any other Crown debt of a prescribed class.

Conditions for validity

(2) The assignment referred to in subsection (1) is valid only if

(a) it is absolute, in writing and made under the hand of the assignor;

(b) it does not purport to be by way of charge only; and

(c) notice of the assignment has been given to the Crown as provided in section 69.

Effect of assignment

(3) The assignment referred to in subsections (1) and (2) is effectual in law, subject to all equities that would have been entitled to priority over the right of the assignee if this section had not been enacted, to pass and transfer, from the date service on the Crown of notice of the assignment is effected,

(a) the legal right to the Crown debt;

(b) all legal and other remedies for the Crown debt; and

(c) the power to give a good discharge for the Crown debt without the concurrence of the assignor.

Original conditions and restrictions

(4) An assignment made in accordance with this Part is subject to all conditions and restrictions in respect of the right of transfer that relate to the original Crown debt or that attach to or are contained in the original contract.

Salary, wages, pay and allowances not assignable

(5) Notwithstanding subsection (1), any amount due or becoming due by the Crown as or on account of salary, wages, pay or pay and allowances is not assignable and no transaction purporting to be an assignment of any such amount is effective to confer on any person any rights or remedies in respect of that amount.

R.S., 1985, c. F-11, s. 68; 1991, c. 24, s. 49(E).

                                       Indian Act

87. (1) Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83, the following property is exempt from taxation, namely,

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

Idem

(2) No Indian or band is subject to taxation in respect of the ownership, occupation, possession or use of any property mentioned in paragraph (1)(a) or (b) or is otherwise subject to taxation in respect of any such property.

Idem

(3) No succession duty, inheritance tax or estate duty is payable on the death of any Indian in respect of any property mentioned in paragraphs (1)(a) or (b) or the succession thereto if the property passes to an Indian, nor shall any such property be taken into account in determining the duty payable under the Dominion Succession Duty Act, chapter 89 of the Revised Statutes of Canada, 1952, or the tax payable under the Estate Tax Act, chapter E-9 of the Revised Statutes of Canada, 1970, on or in respect of other property passing to an Indian.

R.S., c. I-6, s. 87; 1980-81-82-83, c. 47, s. 25.

89. (1) Subject to this Act, the real and personal property of an Indian or a band situated on a reserve is not subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress or execution in favour or at the instance of any person other than an Indian or a band.

Exception

(1.1) Notwithstanding subsection (1), a leasehold interest in designated lands is subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress and execution.

Conditional sales

(2) A person who sells to a band or a member of a band a chattel under an agreement whereby the right of property or right of possession thereto remains wholly or in part in the seller may exercise his rights under the agreement notwithstanding that the chattel is situated on a reserve.

R.S., 1985, c. I-5, s. 89; R.S., 1985, c. 17 (4th Supp.), s. 12.

Property deemed situated on reserve

90. (1) For the purposes of sections 87 and 89, personal property that was

(a) purchased by Her Majesty with Indian moneys or moneys appropriated by Parliament for the use and benefit of Indians or bands, or

(b) given to Indians or to a band under a treaty or agreement between a band and Her Majesty,

shall be deemed always to be situated on a reserve.

Restriction on transfer

(2) Every transaction purporting to pass title to any property that is by this section deemed to be situated on a reserve, or any interest in such property, is void unless the transaction is entered into with the consent of the Minister or is entered into between members of a band or between the band and a member thereof.

Destruction of property

(3) Every person who enters into any transaction that is void by virtue of subsection (2) is guilty of an offence, and every person who, without the written consent of the Minister, destroys personal property that is by this section deemed to be situated on a reserve is guilty of an offence.

R.S., c. I-6, s. 90.


(1)        Le premier motif d'invalidité

[17]            Le premier motif d'invalidité se trouve dans la conclusion tirée par le protonotaire que les dettes qui engagent la Couronne en application d'un traité ne relèvent pas de l'exception prévue au paragraphe 68(1) parce qu'un traité n'est pas un « marché » au sens de ce dernier.

[18]            Voici, sans les références, les paragraphes de sa décision portant sur ce point :

[32]       Le principe moderne d'interprétation des lois requiert d'interpréter les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur...

[33]       En accord avec le principe moderne d'interprétation des lois, lorsque le législateur établit une règle générale et énumère certaines exceptions, les exceptions doivent être interprétées étroitement. Une exception ne doit pas être interprétée de telle manière que l'objet global du texte législatif soit menacé....

[34]       L'article 68 de la LGFP soustrait les « créances qui correspondent à un montant échu ou à échoir aux termes d'un marché » à l'interdiction générale de la cession des créances sur Sa Majesté, interdiction énoncée à l'article 67. Puisqu'il s'agit là d'une exception à la règle générale, cette exception doit être interprétée étroitement, d'autant que cette partie de la LGFP a pour objet fondamental de limiter la cessibilité des créances sur Sa Majesté.

[35]       Les traités conclus avec les Indiens ont souvent été assimilés à des contrats. Cependant, la jurisprudence et la doctrine invoquées par le demandeur ne parlent pas des traités dans le contexte de la LGFP. Elles sont donc d'un secours limité.

[36]       En fait, la Cour suprême du Canada a jugé qu'un traité n'est pas un contrat commercial et que les principes du droit des contrats ne s'appliquent pas aux traités....

[19]            Il fait ensuite observer que « le législateur semble avoir délibérément fait une distinction entre traités et contrats (ou marchés) dans la LFGP » et rappelle que dans la définition de « fonds publics » à l'article 2 de la même loi, « traité » et « contrat » (c'est-à-dire marché) sont mentionnés séparément alors que par contraste, il n'est question à l'article 68 que de « marché » et non de « traité » .

[20]            Il rejette l'argument proposé par le demandeur que le terme « traité » figurant à l'article 2 doit s'entendre exclusivement des traités au sens international, par cette conclusion au paragraphe 39 :

[39]       Le demandeur affirme que le mot « traité » , employé dans l'article 2 de la LGFP, devrait se limiter aux traités selon le droit international, mais aucun précédent n'est invoqué à l'appui d'une telle affirmation. Au contraire, l'emploi du pronom indéfini « un » ou « une » , avant le mot « traité, loi, fiducie, contrat ou engagement » , donne à entendre que le mot « traité » devrait recevoir une interprétation large plutôt que restreinte.

[21]            Il cite ensuite la version française du paragraphe 68(1) qui, dit-il, « milite également en faveur d'une interprétation qui exclut les traités de la signification du mot "contrat" ou "marché" » .

[22]            Il s'est attaché au terme « marché » du texte français et, après en avoir examiné le sens ordinaire selon le dictionnaire, a tiré la conclusion suivante :

[45]       Le mot « marché » se limite donc aux opérations commerciales. Cette signification plus restreinte est celle qui est commune au mot anglais « contract » et au mot français « marché » . Puisqu'un traité est beaucoup plus large qu'une simple opération commerciale, le législateur ne voulait pas, à l'évidence, inclure les traités dans l'article 68 de la LGFP.

(2)        Le second motif d'invalidité

[23]            Pour ce qui est du second motif d'invalidité, le protonotaire a centré son analyse sur l'article 90 de la Loi sur les Indiens. Voici le raisonnement qui a abouti à sa conclusion à l'invalidité :


[49]          Dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. Kakfwi, [1999] 99 DTC 5639, la Cour d'appel fédérale a jugé que l'expression « biens meubles » , à l'article 90 de la Loi sur les Indiens, comprend les sommes d'argent et les créances : voir aussi l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, aux paragraphes 95 et 96, le juge La Forest, et au paragraphe 41, le juge en chef Dickson. Par conséquent, une simple lecture de l'article 90 permet d'affirmer que les rentes prévues par traité, ainsi que les droits à telles rentes, sont réputés situés sur une réserve, et leur cession est interdite sans le consentement du ministre des Affaires indiennes et du Nord.

[50]          Selon le demandeur, la mise à exécution d'un droit essentiel prévu par traité, ainsi que toute mesure licite raisonnablement nécessaire à cette fin, y compris la cession d'une dette de la Couronne, sont des activités qui sont raisonnablement accessoires à un droit essentiel prévu par traité, et bénéficient donc d'une immunité dans la même mesure que le droit essentiel lui-même qui est prévu par traité. Il dit que les cessions en cause ici montrent que la cession en sa faveur était le moyen privilégié par chacun des Indiens cédants pour exercer son droit accessoire de faire exécuter, par la Couronne, le paiement d'arriérés de rentes prévues par traité. Selon le demandeur, dans la mesure où les dispositions de la LGFP empiètent sur ce droit accessoire, telles dispositions devraient être justifiées par la défenderesse en application du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[51]          Je ne suis pas disposé à instruire une contestation constitutionnelle en l'absence d'un avis régulier ou suffisant. En tout état de cause, j'ai beaucoup de mal à voir comment l'on pourrait dire que les dispositions de la LGFP ont porté atteinte aux droits des cédants, droits que leurs titulaires peuvent faire valoir à titre individuel.

[52]          D'après la preuve que j'ai devant moi, il semble que, par principe, la Couronne ne consent pas à la cession de rentes à des tiers. Il est établi que des paiements ont parfois été faits à une personne autre que l'Indien visé par traité qui figurait au registre des versements, mais les arrangements en question n'avaient été pris qu'avec des proches parents de l'Indien, avec un chef ou avec un mandataire indien, et cela afin de faciliter le paiement.

[53]          Je suis donc d'avis que, sans le consentement de la Couronne, il ne peut y avoir transfert de rentes visées par traité. [Non souligné dans l'original.]

b)          La question des intérêts


[24]            Pour notre propos, il suffit de récapituler le raisonnement tenu par le protonotaire Lafrenière sur la question de savoir si des intérêts sont exigibles sur les arrérages non payés de rentes, qui est la seule débattue à ce sujet devant la Cour. Dans ses jugements, il s'est penché sur les questions telles que l'immunité de la Couronne pour ce qui est des intérêts sur les dettes de l'État, les dispositions dérogeant à cette immunité dans la Loi sur la Cour suprême et la Loi sur la Cour de l'Échiquier, ainsi qu'à l'article 36 de la Loi sur les Cours fédérales et dans la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Il a aussi examiné la question de savoir, au cas où des intérêts seraient exigibles sur les arrérages de rentes, s'ils seraient composés.

[25]            Le protonotaire a commencé l'analyse de la question de savoir si des intérêts sont exigibles sur les arrérages de rentes constituées par traité, par un rappel des règles de common law et des traités en question. Voici l'observation qu'il fait à ce sujet :

[59]       La règle générale de common law est que des intérêts ne sont pas payables sur une dette ou sur un prêt en l'absence d'un accord exprès ou de quelque entente ou usage en ce sens.

[60]       Les parties reconnaissent que ni le Traité no 6 ni le Traité no 11 ne prévoient le paiement d'intérêts. Les parties ont aussi reconnu que le paiement d'intérêts n'avait pas été débattu lorsque le Traité no 6 et le Traité no 11 avaient été négociés. Eu égard aux documents historiques versés dans le dossier, il semble que, après la signature du Traité no 6 et du Traité no 11, la Couronne n'a pas payé d'intérêts sur les arriérés de rentes, sauf dans les cas où les rentes étaient versées dans des comptes d'épargne individuels, sur l'ordre des bénéficiaires de rentes.

[26]            Il s'est penché ensuite sur l'argument proposé par M. Beattie que les intérêts sont exigibles par application du paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens, dont l'article 61 porte :

61. (1) L'argent des Indiens ne peut être dépensé qu'au bénéfice des Indiens ou des bandes à l'usage et au profit communs desquels il est reçu ou détenu, et, sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des clauses de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si les fins auxquelles l'argent des Indiens est employé ou doit l'être, est à l'usage et au profit de la bande.

(2) Les intérêts sur l'argent des Indiens détenu au Trésor sont alloués au taux que fixe le gouverneur en conseil. [Non souligné dans l'original.]

61. (1) Indian moneys shall be expended only for the benefit of the Indians or bands for whose use and benefit in common the moneys are received or held, and subject to this Act and to the terms of any treaty or surrender, the Governor in Council may determine whether any purpose for which Indian moneys are used or are to be used is for the use and benefit of the band.

(2) Interest on Indian moneys held in the Consolidated Revenue Fund shall be allowed at a rate to be fixed from time to time by the Governor in Council. [emphasis mine]


[27]            La Couronne fédérale réplique à cet argument que les « rentes annuelles » ne sont pas assimilables à l' « argent des Indiens » au sens de la définition à l'article 2 de cette loi, puisqu'il ne s'agit pas de « sommes perçues, reçues ou détenues par Sa Majesté » . Selon la Couronne fédérale, les sommes destinées au paiement de ces rentes proviennent du Trésor et sont payables en application d'une autre disposition, distincte, de la Loi sur les Indiens, savoir l'article 72.

[28]            Pour plus de commodité, je reproduis ci-dessous la définition d' « argent des Indiens » à l'article 2, ainsi que l'article 72 de la Loi sur les Indiens :

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« argent des Indiens » "Indian moneys"

« argent des Indiens » Les sommes d'argent perçues, reçues ou détenues par Sa Majesté à l'usage et au profit des Indiens ou des bandes.

72. Les sommes payables à des Indiens ou à des bandes d'Indiens en vertu d'un traité entre Sa Majesté et la bande, et dont le paiement incombe au gouvernement du Canada, peuvent être prélevées sur le Trésor. [Non souligné dans l'original.]

2. (1) In this Act,

"Indian moneys" « argent des Indiens »

"Indian moneys" means all moneys collected, received or held by Her Majesty for the use and benefit of Indians or bands;

72. Moneys that are payable to Indians or to Indian bands under a treaty between Her Majesty and a band and for the payment of which the Government of Canada is responsible may be paid out of the Consolidated Revenue Fund. [emphasis mine]

[29]            Le protonotaire a conclu que c'est l'article 72 qui s'applique en l'espèce, puisque les rentes constituées par traité sont des « sommes payables à des Indiens ou à des bandes d'Indiens en vertu d'un traité » , et non en vertu de l'article 61 qui porte sur « l'argent des Indiens » .

[30]            Il cite également l'article 62 de la Loi sur les Indiens qui éclaire le sens d' « argent des Indiens » , pour conclure en ces termes au paragraphe 67 :

[67]       Les rentes prévues par traité ne sont manifestement pas des sommes qui proviennent de la vente de terres cédées. L'article 62 prévoit qu'un autre type d'argent des Indiens consiste dans le compte de revenu d'une bande. L'expression « compte de revenu » n'est pas définie dans la Loi sur les Indiens, mais il ressort clairement des dispositions de la Loi sur les Indiens que ces sommes d'argent sont des sommes qui appartiennent à la bande, et non aux Indiens individuellement.

[31]            Citant le Règlement sur les revenus des bandes d'Indiens, il a tiré cette conclusion au paragraphe 69 :

[69]       Le Règlement sur les revenus des bandes d'Indiens, C.R.C. 1978, ch. 953, et modifications, concerne la capacité de certaines bandes de contrôler, d'administrer et de dépenser leurs revenus. Il ressort clairement de ses dispositions que les rentes prévues par traité ne peuvent être considérées comme des revenus, et par conséquent n'entrent pas dans la définition de « argent des Indiens » .

[32]            Il fait ensuite observer que l'article 90 de la Loi sur les Indiens distingue entre revenus et argent des Indiens, pour conclure en ces termes aux paragraphes 71 et 72 :

[71]       Les mentions distinctes de l' « argent des Indiens » et des biens meubles « donnés aux Indiens... en vertu d'un traité » , à l'article 90 de la Loi sur les Indiens, donnent à entendre que le législateur ne voulait pas que l'argent des Indiens englobe les sommes dérivées d'un traité. S'il l'avait voulu, il ne lui aurait pas été nécessaire de mentionner séparément, à l'article 90, les biens meubles donnés en vertu d'un traité.

[72]       Rien ne permet donc d'affirmer que les rentes constituent de l' « argent des Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens.

[33]            Il a rejeté l'argument proposé par M. Beattie que la Couronne fédérale était tenue à l'obligation fiduciaire de payer les intérêts, et a conclu en ces termes au paragraphe 79 :


[79]       À mon avis, même si les cédants étaient fondés à recevoir des rentes depuis leurs dates de naissance respectives, ainsi que le prétend le demandeur, le non-paiement des rentes par la Couronne à cause de la définition du mot « Indien » dans la loi n'équivaut pas à la violation d'une obligation fiduciaire. Lorsque la Couronne décide qui est un « Indien » aux fins d'un traité, elle exerce une fonction administrative qui ne fait intervenir aucun pouvoir discrétionnaire et qui par conséquent ne saurait donner naissance à des obligations fiduciaires.

LES POINTS LITIGIEUX

[34]            M. Beattie a soulevé les points suivants, savoir :

(1) si le protonotaire a commis une erreur en concluant que, faute de consentement de la Couronne, les rentes constituées par traité ne peuvent être cédées par un Indien visé par traité, et les arrérages non payés de rentes ne sont pas cessibles;

(2) si le protonotaire a commis une erreur en écartant purement et simplement le principe juridique posant que les délais de prescription qui limitent les droits que les Indiens tiennent des traités doivent être interprétés de façon restrictive, et qu'une interprétation généreuse et libérale des droits d'Indiens doit être préférée à une interprétation étroite et littérale;

(3) si le protonotaire a commis une erreur en concluant que les arrérages de rentes constituées par traité ne sont pas assimilables à l' « argent des Indiens » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens; et

(4) si le protonotaire a commis une erreur en écartant purement et simplement l'obligation première de la Cour qui est de reconnaître et de confirmer les droits issus de traités conformément aux principes d'interprétation établis en la matière, afin de donner effet à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.


[35]            M. Beattie soutient que le protonotaire s'est fourvoyé sur les quatre points. La Couronne fédérale soutient au contraire que celui-ci n'a commis aucune erreur.

[36]            Le quatrième point soulève une question constitutionnelle qui n'a pas été débattue à l'audience, la Couronne fédérale ayant objecté que cette question n'avait pas été débattue devant le protonotaire. Je rendrai une décision à part sur ce point au vu des mémoires supplémentaires à déposer par les parties.

ANALYSE

a)    La norme de contrôle

[37]            Dans Grenier c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1435, le juge Blanchard s'est penché sur la norme de contrôle applicable sur appel d'un jugement rendu par le protonotaire Morneau dans une action simplifiée, conformément aux Règles.

[38]            Il a conclu que la norme applicable n'était pas celle dégagée dans l'affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, mais celle observée par la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, parce que sur appel d'un jugement rendu dans une action relevant de la compétence du protonotaire sous le régime des Règles, la Cour n'était pas saisie de la contestation d'une décision discrétionnaire, mais d'une décision au fond dans une action. Je partage cette vue et cette analyse de la norme dégagée dans Housen.


[39]            Le juge Blanchard a interprété la norme dégagée dans Housen, précité, comme suit :

[15]       Le principe qui se dégage de l'arrêt Housen est à l'effet que, sur des questions de droit, les cours d'appel appliquent la norme de la décision correcte. Cependant, en ce qui a trait aux questions de fait, une erreur manifeste et dominante doit être identifiée dans les conclusions du juge de première instance pour qu'une cour d'appel puisse intervenir. Enfin, sur des questions mixtes de fait et de droit, la norme d'intervention doit être taillée en fonction de l'ensemble des faits propre à chaque cas.

La norme de contrôle applicable aux pures questions de droit est celle de la décision correcte et, en conséquence, il est loisible aux cours d'appel de substituer leur opinion à celle des juges de première instance. (...)

                Suivant la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait, ces conclusions ne peuvent être infirmées que s'il est établi que le juge de première instance a commis une « erreur manifeste et dominante. » (p. 237)

[40]            Cette analyse s'accorde avec le raisonnement tenu par le juge Blais dans Giroux c. Canada, 2001 CFPI 531, confirmé en appel, 2002 CAF 319.

b) Les preuves historiques


[41]            Les preuves historiques ont été administrées devant le protonotaire Lafrenière par voie d'affidavit de Nicholas Mitchell, qui est titulaire d'un diplôme d'études supérieures d'histoire et qui préparait un doctorat dans cette discipline durant les années de 1994 à 2002. Depuis 1999, il travaille au ministère des Affaires indiennes à titre de chercheur, chargé de compiler et d'analyser pour en rendre compte, les données historiques relatives aux traités numérotés du Canada et, en particulier, à l'institution et au paiement des rentes constituées par traité, ainsi qu'aux pratiques et méthodes suivies par le gouvernement pour le paiement des charges prévues dans les traités. Il n'a pas été contre-interrogé.

[42]            L'affidavit de M. Mitchell était accompagné de trois pièces, dont la pièce « C » consistant en deux volumes épais de documents représentatifs qui illustrent les usages observés dans le financement et le paiement des rentes constituées par traité et les arrérages.

[43]            Aux paragraphes 17 et 18 de l'affidavit, il témoigne, au sujet du Traité no 6 comme au sujet du Traité no 11, que durant les négociations entre les commissaires aux traités et les Indiens assemblés, les premiers prévoyaient de payer pour l'avenir les rentes et arrérages de rentes aux Indiens soumis aux traités, mais nullement de payer des intérêts sur les arrérages de rentes pour l'avenir.


[44]            En ce qui concerne le paiement de ces rentes constituées par traité, M. Mitchell fait savoir que pendant les mois d'été, aux dates et lieux prévus à l'avance, l'agent des affaires indiennes distribuait de l'argent en espèces aux Indiens soumis aux traités. Ces paiements étaient portés sur les registres de paiement prévus par traité pour chaque bande. À l'automne de chaque année, après qu'il eut terminé le paiement de ces rentes, les registres de paiement, les récapitulatifs et les prévisions de paiement pour l'année suivante étaient envoyés à l'administration centrale à Ottawa pour inspection et vérification. Chaque agent des affaires indiennes portait le solde non distribué de l'argent des rentes au crédit du Receveur général. M. Mitchell fait savoir que l'argent des rentes était comptabilisé séparément des autres comptes indiens, et l'argent non distribué n'était pas disponible aux fins de paiement des rentes les années subséquentes. Aucune affectation non autorisée de l'argent des rentes par les agents des affaires indiennes n'était permise.

[45]            Aux paragraphes 39 et suivants de son affidavit, M. Mitchell donne un aperçu du paiement des rentes comme suit :

a) le système financier mis en place par le ministère des Affaires indiennes pour administrer le paiement des rentes avait suffisamment de fonds pour payer les arrérages de rentes, en sus des besoins annuels per capita pour les Indiens soumis aux traités;

b) au paragraphe 40, il indique que les arrérages de rentes étaient payés sur l'argent des rentes affecté à l'exercice au cours duquel la demande de paiement d'arrérages était faite;

c) le paragraphe 42 de l'affidavit porte sur les méthodes de paiement aux Indiens soumis aux traités et qui étaient absents lors de la paie, comme suit :

                [traduction]

42. Le ministère des Affaires indiennes prévoyait trois méthodes de paiement aux Indiens visés par les traités et qui étaient absents lors du paiement des rentes au cours d'une année donnée. En premier lieu, ils étaient autorisés à désigner un membre de la famille, ou un membre de la bande en qui ils avaient confiance, pour toucher en leur nom leur rente, sous condition de permission par écrit... En deuxième lieu, ils pouvaient demander la rente directement à l'agent des affaires indiennes à une date ultérieure, et le ministère leur enverrait d'Ottawa un chèque pour les arrérages... En troisième lieu, ils pouvaient attendre jusqu'au jour de paie suivant pour réclamer les arrérages en sus de la rente de l'année. [Non souligné dans l'original.]

[46]            M. Mitchell témoigne que le ministère des Affaires indiennes n'avait pas mis en place un mode de calcul ou de paiement des intérêts sur les arrérages de rentes, mais indique, au paragraphe 44, que dans certains cas, les rentes constituées par traité étaient détenues en fiducie par le ministère, auxquels cas ces fonds produisaient des intérêts composés aux taux variables selon le moment. Les comptes d'épargne individuels ouverts au bénéfice des enfants indiens dans les pensionnats en sont un exemple.

[47]            Comme nous l'avons vu précédemment, les parties ont versé au dossier une compilation conjointe de documents (recueil conjoint) qui renferme essentiellement les extraits des documents formant la pièce « C » annexée à l'affidavit. Il convient d'en relever certains éléments.

[48]            L'onglet 1 du recueil conjoint porte un rapport dressé le 30 novembre 1883 à Winnipeg par l'inspecteur McColl. On peut lire dans ce rapport de 1883 ce qui suit : [traduction] « Le commissionnaire Bélanger [de la Compagnie de la Baie d'Hudson] m'a informé que 12 familles comprenant 57 rentiers étaient absentes lors de la paie d'août dernier et qu'elles l'avaient mandaté pour toucher leurs rentes en leur nom, mais que l'agent des affaires indiennes a refusé d'accepter les mandats présentés pour la réception des rentes pour ces absents bien qu'ils eussent été établis conformément à ses instructions, sur une formule que lui-même avait distribuée. M. Bélanger soutient que cette action de l'agent des affaires indiennes était contraire à celle qu'il avait adoptée à Norway House et en d'autres lieux, et différente de ce qu'il avait fait par le passé. »

[49]            Le surintendant général des Affaires indiennes à Ottawa a approuvé le refus par l'agent de verser au commissionnaire Bélanger les rentes des 12 familles en question. En outre, il a adopté la recommandation suivante, faite par l'inspecteur McColl :

[traduction] ... je recommanderais respectueusement que les rentes dues aux absents ne soient payées à leur ordre qu'à leurs plus proches parents, aux chefs, conseillers ou autres membres respectables de leur bande respective, mais jamais à un négociant qui pourrait facilement contrefaire la signature des absents s'il avait eu les bons sous la main par le passé. [Non souligné dans l'original.]

Selon l'information portée sur cet onglet, la recommandation ci-dessus est devenue par la suite politique officielle du ministère.

[50]            L'onglet 2 marque une lettre en date du 26 juin 1884, adressée par M. McColl au surintendant général pour lui demander d'approuver un exemplaire des instructions générales et spéciales destinées à tous les agents des affaires indiennes au sujet du paiement des rentes. L'article 6 de ces instructions porte ce qui suit :

[traduction] Si un Indien, absent les années précédentes mais ayant droit aux arrérages, se trouvait présent lors de la paie, ou avait régulièrement autorisé un autre Indien de la bande par mandat dûment signé devant témoin, et dont l'original doit être joint à vos registres de paiement, à toucher sa rente, vous ne lui verserez que les arrérages pour une seule année écoulée ainsi que la rente pour l'année en cours, mais vous n'accepterez aucun mandat de rentier absent ou que vous présenteront sous quelque forme que ce soit afin de toucher sa rente, les négociants, leurs employés ou autres tiers que les personnes susmentionnées. [Non souligné dans l'original.]

[51]            L'onglet 3 marque une lettre en date du 10 mai 1892 de M. McColl, devenu entre-temps inspecteur des agents des affaires indiennes pour les Territoires du Nord-Ouest et le Manitoba. On peut y lire ce qui suit :


[traduction] En réponse à votre lettre par laquelle vous demandez si un négociant peut légalement avancer de l'argent à valoir sur les rentes d'Indiens, je dois vous informer que l'agent doit, sans avoir égard aux mandats donnés par écrit ou de vive voix par qui que ce soit et sans avoir égard à quelque compte à régler que ce soit, verser en main propre à chaque Indien marié sa part de l'argent des rentes, ainsi que celle de sa conjointe/son conjoint et des enfants mineurs célibataires qui vivent avec lui, et à chaque Indien célibataire majeur sa part propre, et à personne d'autre, et toute dérogation à cette règle est contraire aux règles établies par le ministère et exposera l'agent à la révocation. [Non souligné dans l'original.]

[52]            L'onglet 4 marque une lettre en date du 30 juillet 1900 par laquelle l'agent des affaires indiennes d'Onion Lake transmet au secrétaire du ministère des Affaires indiennes copie des registres de paiement pour 1900 ainsi que des explications sur les paiements faits à trois rentiers, savoir Louis Amable no 29 de la bande Chippewayan no 124, John Catfish no 34 de la même bande, et Frying Pan no 44 de la bande no 121.

[53]            Voici ce que l'agent des affaires indiennes d'Onion Lake écrit au sujet de Louis Amable :

[traduction] Cet homme et sa famille étaient à la chasse et son bon a été présenté par son père Amable no 24. J'ai refusé de payer. Cependant, après que j'eus pensé en avoir fini avec les paiements pour la journée, le R.P. Le Goff ... m'a dit que Louis Amable était très pauvre, et devait partir à la chasse pour chercher de la nourriture et ne savait pas qu'il y avait paiement des rentes. Il m'a demandé de verser au père l'argent de la rente du fils. J'ai versé l'argent au père LeGoff, je lui ai fait signer un reçu dont copie ci-jointe, et je l'ai vu donner l'argent à Amable no 24.

[54]            Et ceci au sujet de John Catfish :

[traduction] Cet homme et sa famille étaient absents, se trouvant à Isle à la Crosse. Il a envoyé la déclaration ci-jointe pour demander que l'argent lui revenant soit versé entre les mains de M. Thomas William Harris. Le témoin de la signature (ou la marque) apposée par l'Indien était le R.P. Pinard ... et le père Legoff lui aussi m'a demandé de verser l'argent à M. Harris. J'ai donc accepté, et le reçu signé par M. Harris est joint au bas de la déclaration susmentionnée.

[55]            Et au sujet de Frying Pan et d'autres :


[traduction] ... chacun de ces Indiens était absent mais avant leur départ, ils m'avaient demandé de verser l'argent à la Compagnie de la Baie d'Hudson. J'ai toujours leur argent et, pour me conformer à la note de service jointe aux registres de paiement de cette année, je demande maintenant l'autorisation de verser cet argent à la Compagnie de la Baie d'Hudson. Je tiens à vous informer que j'ai reçu ces demandes avant la réception des registres de paiement, autrement j'aurais demandé plus tôt l'autorisation de verser l'argent à la Compagnie de la Baie d'Hudson.

En ce qui concerne la déclaration des agents des affaires indiennes, je l'ai signée étant convaincu que je n'ai versé l'argent à personne d'autre qu'un représentant légal.

[56]            Le 6 septembre 1900, cet agent des affaires indiennes fait savoir qu'il a versé l'argent entre les mains des rentiers concernés, faute d'avoir reçu l'autorisation de le verser à la Compagnie de la Baie d'Hudson.

[57]            L'onglet 5 comprend la correspondance subséquente entre Ottawa et l'agent des affaires indiennes d'Onion Lake. La première lettre, datée du 17 octobre 1900 et envoyée d'Ottawa par le secrétaire adjoint du ministère des Affaires indiennes, porte ce qui suit : [traduction] « Je vous informe que le ministère ne peut consentir à ce que le montant de la rente de Frying Pan no 44, de la bande no 121, soit versé à la Compagnie de la Baie d'Hudson, puisqu'il n'y a aucune preuve d'une quelconque contre-partie à titre onéreux pour ce montant. Le ministère n'approuve pas l'acceptation par les agents de quelque mandat que ce soit au sujet des rentes. » [non souligné dans l'original, les mots « quelque mandat que ce soit » étant soulignés dans l'original.]

[58]            L'onglet 6 marque une note de service de juillet 1911 du ministère des Affaires indiennes à l'intention des agents. Les paragraphes 5 et 6 portent ce qui suit :

[traduction]


5. Il est interdit de payer l'argent aux marchands ou à des tiers qui ne sont pas Indiens, sauf permission spéciale du ministère.

6. Il est interdit de payer l'argent à aucun Indien autre que celui qui y a droit, sauf présentation d'un mandat par écrit, lequel doit être joint au registre de paiement. [Non souligné dans l'original.]

[59]            L'onglet 7 marque des instructions données le 25 octobre 1913 par le sous-surintendant général des Affaires indiennes, et dont les paragraphes 51, 52, 53, 57 et 59 portent :

[traduction]

51. La rente ou les intérêts ne sont payés qu'aux Indiens dont le nom figure sur les registres de paiement et qui y ont droit en application de traités et de la Loi sur les Indiens.

52. L'argent doit être versé au chef de famille ou à son représentant dûment habilité.

53. Il est interdit de verser l'argent à un Indien autre que celui qui y a droit, sauf présentation d'un mandat par écrit, lequel doit être joint au registre de paiement.

                                                                      . . .

57. Lorsqu'il y a paiement d'arrérages, les années à l'égard desquelles ils sont payés doivent être mentionnées sur le registre de paiement.

                                                                      . . .

59. Il est interdit aux agents des affaires indiennes d'intervenir pour recouvrer des créances sur des Indiens, et d'accepter à quelque titre que ce soit des mandats relatifs aux sommes dues aux Indiens. Ils doivent informer les marchands et autres tiers qui peuvent avoir affaire avec les Indiens que le ministère ne tiendra pas compte des mandats de ce genre et décline toute responsabilité pour ce qui est de les honorer. La présence d'agents de recouvrement n'est pas permise à la table ou dans la salle de paie, au moment du paiement. [Non souligné dans l'original.]


[60]            L'onglet 13 du recueil conjoint porte les instructions données le 1er septembre 1933 par le sous-surintendant général des Affaires indiennes aux agents des affaires indiennes. Les paragraphes 49, 50, 51 et 57 sont semblables aux paragraphes correspondants des instructions de 1913.

[61]            Le dernier document à relever se trouve à l'onglet 73 de la pièce « C » jointe à l'affidavit de M. Mitchell. Il s'agit de la photocopie d'un mandat donné par Dentah le 6 août 1917 à Nelson (C.-B.) et dont voici la teneur :

[traduction] L'agent des affaires indiennes de Fort Simpson

Veuillez verser à Toni Headman ma rente de 1917. La composition de ma famille est 1917 un homme, une femme, un garçon, témoin Ed Heron.

c) Analyse

(i) Principes généraux d'interprétation des traités

[62]            Le principal argument proposé par M. Beattie dans les appels en instance est que le protonotaire a commis une erreur de droit faute d'avoir appliqué les règles spéciales d'interprétation des traités dans son application de la LGFP en l'espèce. Dans R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393, page 406, le juge Cory a articulé ces règles spéciales en ces termes :

[24]       Les principes d'interprétation qui doivent être suivis à l'égard des traités signés par les premières nations ont été résumés ainsi dans R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, au par. 41 :


Premièrement, il convient de rappeler qu'un traité est un échange de promesses solennelles entre la Couronne et les diverses nations indiennes concernées, un accord dont le caractère est sacré. [. . .] Deuxièmement, l'honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsqu'elle transige avec les Indiens. Les traités et les dispositions législatives qui ont une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités doivent être interprétés de manière à préserver l'intégrité de la Couronne. Il faut toujours présumer que cette dernière entend respecter ses promesses. Aucune apparence de « manoeuvres malhonnêtes » ne doit être tolérée. [. . .] Troisièmement, toute ambiguïté dans le texte du traité ou du document en cause doit profiter aux Indiens. Ce principe a pour corollaire que toute limitation ayant pour effet de restreindre les droits qu'ont les Indiens en vertu des traités doit être interprétée de façon restrictive. [. . .] Quatrièmement, il appartient à la Couronne de prouver qu'un droit ancestral ou issu de traité a été éteint. Il faut apporter la « preuve absolue du fait qu'il y a eu extinction » ainsi que la preuve de l'intention claire et expresse du gouvernement d'éteindre des droits issus de traité. [Références omises.]

Les traités peuvent sembler n'être que de simples contrats. Pourtant, ils sont bien plus que cela. En effet, ils constatent un échange solennel de promesses entre Sa Majesté et diverses premières nations. Ils ont souvent constitué le fondement de la paix et de l'expansion de la colonisation européenne. Bien souvent, sinon dans la plupart des cas, les membres des premières nations qui participaient à la négociation des traités ne savaient ni lire ni parler l'anglais, et ils se fiaient entièrement aux promesses verbales des négociateurs canadiens. Il existe de solides raisons historiques justifiant d'interpréter les traités de la manière résumée dans l'arrêt Badger. Appliquer toute autre méthode équivaudrait à refuser d'assurer l'équité et la justice dans les rapports entre les parties.

[63]            Il y a également lieu de rappeler les motifs de jugement prononcés par le juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, où il était question de l'interprétation de l'alinéa 90(1)b) de la Loi sur les Indiens :

[117]       Bien que les arguments fondés sur les textes et sur l'histoire que l'on avance pour restreindre le sens de l'expression « Sa Majesté » à l'al. 90(1)b) à la Couronne fédérale me paraissent irréfragables, je reconnais qu'il est nécessaire de se demander si les principes d'interprétation applicables à l'interprétation des lois relatives aux Indiens modifient ce résultat. Ces principes sont évidemment ceux formulés par le Juge en chef dans l'arrêt Nowegijick, précité, à la p. 36.

[118]       Je souligne au départ que je ne conteste pas le principe que les traités et les lois visant les Indiens devraient recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté devrait profiter aux Indiens. Dans le cas des traités, ce principe se justifie par le fait que la Couronne jouissait d'un pouvoir de négociation supérieur au moment de la négociation des traités avec les peuples autochtones. Du point de vue des Indiens, les traités ont été rédigés dans une langue étrangère et faisaient appel à des concepts juridiques d'un système de droit qui leur était inconnu. Dans l'interprétation de ces documents, il est donc tout simplement juste que les tribunaux tentent d'interpréter les diverses dispositions selon ce que les Indiens ont pu en avoir compris.


[119]       Mais selon ma conception de l'affaire, des considérations quelque peu différentes doivent s'appliquer dans le cas des lois visant les Indiens. Alors qu'un traité est le produit d'une négociation entre deux parties contractantes, les lois relatives aux Indiens sont l'expression de la volonté du Parlement. Cela étant, je ne crois pas qu'il soit particulièrement utile d'essayer de déterminer comment les Indiens peuvent comprendre une disposition particulière. Je pense que nous devons plutôt interpréter la loi visée en tentant de déterminer ce que le Parlement voulait réaliser en adoptant l'article en question. Ce point de vue ne constitue pas un rejet de la méthode d'interprétation libérale. Comme je l'ai déjà dit, il est clair que dans l'interprétation d'une loi relative aux Indiens, et particulièrement de la Loi sur les Indiens, il convient d'interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d'interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger. Donc si la loi porte sur des promesses contenues dans un traité, les tribunaux vont toujours s'efforcer de rejeter une interprétation qui a pour effet de nier les engagements pris par la Couronne; voir l'arrêt United States v. Powers, 305 U.S. 527 (1939), à la p. 533.

[120]       En même temps, je n'accepte pas que cette règle salutaire portant que les ambiguïtés législatives doivent profiter aux Indiens revienne à accepter automatiquement une interprétation donnée pour la simple raison qu'il peut être vraisemblable que les Indiens la préféreraient à toute autre interprétation différente. Il est également nécessaire de concilier toute interprétation donnée avec les politiques que la Loi tente de promouvoir.

[121]       C'est l'examen de ce facteur qui m'amène à rejeter l'interprétation que le juge de première instance donnerait à l'al. 90(1)b). Les Couronnes provinciales n'ont aucune responsabilité en matière de santé et de protection des peuples autochtones et je ne suis pas prêt à accepter que le Parlement, en adoptant l'al. 90(1)b), a voulu que les privilèges des art. 87 et 89 soustraient les bandes indiennes à la taxation et à l'application des règles du droit civil à l'égard de tous les biens personnels qu'ils peuvent acquérir conformément à tous les accords conclus avec ce palier de gouvernement, sans égard au lieu où ces biens sont situés. Cette interprétation est tout simplement trop large. Comme j'ai tenté de le démontrer, elle viserait tout accord relatif à des opérations purement commerciales que les bandes indiennes pourraient conclure avec les Couronnes provinciales lorsqu'elles entrent en concurrence sur le marché. À mon avis, cette interprétation nous mène au-delà de l'interprétation libérale et généreuse et modifie la nature même des engagements historiques pris par la Couronne à l'égard de la protection des biens des autochtones. J'ai déjà affirmé que je ne trouve aucune preuve dans le dossier historique que la Couronne se soit déjà engagée à protéger les biens des autochtones sans égard à la question de savoir si on peut dire que l' « emplacement prépondérant » de ces biens est situé sur une réserve ou si les biens en question échoient aux Indiens en raison de leur statut.

[64]            Toujours sur ce point, il convient de rappeler en dernier lieu le passage pertinent des motifs de jugement prononcés par le juge Dickson (plus tard juge en chef) dans Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29. Analysant l'article 87 de la Loi sur les Indiens dans le contexte de la prétention de M. Nowegijick à l'exemption d'impôt sur le revenu, il s'est prononcé en ces termes :


       Les Indiens possèdent la citoyenneté canadienne et, dans les affaires qui ne sont régies par des traités ni par la Loi sur les Indiens, ils ont les mêmes responsabilités, dont le paiement d'impôts, que les autres citoyens canadiens.

       Selon un principe bien établi, pour être valide, toute exemption d'impôts doit être clairement exprimée. Il me semble toutefois que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui, suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une exemption d'impôts, il faut, selon moi, préférer cette interprétation à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée pour refuser l'exemption. Dans l'affaire Jones v. Meehan, 175 U.S. 1 (1899), on a conclu que les traités avec les Indiens « doivent ... être interprétés non pas selon le sens strict de [leur] langage ... mais selon ce qui serait, pour les Indiens, le sens naturel de ce langage. »

(ii) Cession des arrérages de rentes constituées par traité -

Droit accessoire ou implicite découlant d'un traité?

[65]            Dans leurs conclusions écrites comme durant les débats, M. Beattie et l'avocat représentant la Couronne fédérale ont soulevé l'un et l'autre la question de savoir si la cession des rentes constituées par traité ou des arrérages de rentes était un droit accessoire ou implicite, issu du traité en jeu.


[66]            M. Beattie soutient tout au long de son mémoire des faits et du droit que s'il y avait eu observation des principes appropriés d'interprétation, le protonotaire aurait conclu que le droit de céder à des tiers les rentes constituées par traité était clairement implicite dans les termes des deux traités en question et que la cession des arrérages de rentes non payés était un élément raisonnablement accessoire du droit issu du traité. Il en conclut que tout texte de loi comme la LGFP qui a pour effet de limiter des droits d'Indiens ou d'y porter atteinte doit être interprété de façon restrictive, et qu'une interprétation généreuse et libérale des droits des Indiens doit être préférée à l'interprétation étroite et littérale que, dit-il, le protonotaire a adoptée.

[67]            L'avocat représentant la Couronne fédérale soutient qu'avant d'appliquer l'article 35 de la Loi constitutionnelle qui reconnaît et confirme les droits ancestraux ou issus de traités des Indiens ou d'appliquer des règles d'interprétation spéciales aux restrictions imposées par un texte de loi à un soi-disant droit issu de traité, le juge doit décider tout d'abord s'il y a vraiment un droit issu de traité en jeu et, en l'espèce, s'il y a le droit de céder les rentes constituées par traité.

[68]            Dans Sundown, précité, et dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, la Cour suprême du Canada a défini l'approche à suivre pour décider si un droit revendiqué est raisonnablement accessoire à un droit principal prévu par traité.

[69]            Dans Sundown, précité, M. Sundown tenait du traité en jeu le droit de chasser pour se nourrir sur les terres qui formaient alors le parc provincial de Meadow Lake. Il y a érigé une cabane en rondins en violation du règlement sur les parcs provinciaux, qui interdit d'y construire sans permission des habitations temporaires ou permanentes. M. Sundown a témoigné qu'il avait besoin de la cabane pour fumer les poissons et la viande et pour dépouiller le gibier à fourrure. Au procès, des preuves ont été produites sur l'usage de longue date de la bande qui organisait des « expéditions de chasse » sur la zone maintenant incluse dans le parc et qui érigeait des abris sur le terrain de chasse.

[70]            Le juge Cory a adopté le critère dégagé par le juge en chef Dickson dans Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, comme suit : « pour être réel, le droit de chasser doit comprendre les activités qui sont raisonnablement accessoires à l'acte de chasser lui-même, par exemple le fait de se déplacer jusqu'au terrain de chasse avec le matériel de chasse nécessaire » .

[71]            Le juge Cory s'est prononcé en ces termes dans Sundown :

[28]        Comment devrait-on définir et appliquer l'expression « raisonnablement accessoire » ? À mon avis, il faut répondre à la question suivante. Est-ce qu'une personne raisonnable, bien informée des méthodes de chasse ou de pêche pertinentes, jugerait l'activité en question raisonnablement liée à l'acte de chasser ou de pêcher? Le critère de la personne raisonnable peut peut-être sembler dépassé, mais je crois qu'il est à la fois utile et approprié.

                                                                      . . .

[30]       Afin de décider si une activité est raisonnablement accessoire à un droit de chasse issu de traité, la personne raisonnable doit examiner les modalités historiques et contemporaines de pratique de ce droit particulier par le groupe autochtone en question pour déterminer comment le droit a été exercé et continue de l'être. Est raisonnablement accessoire une activité qui permet au demandeur d'exercer son droit à la manière de ses ancêtres, compte tenu des méthodes modernes acceptables ou des modifications imprévues du droit en cause. Il faut se demander si l'activité que l'on prétend raisonnablement accessoire est en fait accessoire à un droit de chasse issu de traité vraiment pratiqué. Il s'agit dans une large mesure d'une analyse historique et factuelle. Le point central de cette analyse ne doit pas être la question abstraite de savoir si une activité donnée est « essentielle » pour permettre la pratique de chasse, mais plutôt la question concrète de savoir si, dans le passé, cette activité était considérée comme étant liée de manière appréciable à la chasse et si elle l'est encore aujourd'hui. Sont comprises parmi les activités accessoires non seulement celles qui sont essentielles au droit de chasse ou qui en font partie intégrante, mais aussi, de façon plus générale, celles qui y sont liées ou rattachées de façon significative.


[72]            Dans Marshall, précité, M. Marshall, un Indien mik'maq, était poursuivi pour avoir vendu des anguilles sans licence, avoir pêché sans permis, et avoir pêché hors saison avec des filets illégaux. Au procès, la seule question à trancher était de savoir s'il tenait des Traités de 1760-1761 le droit de pêcher et de vendre du poisson sans se conformer au règlement. Durant les négociations qui ont mené à ces traités, les dirigeants autochtones avaient demandé l'établissement de maisons de troc « afin de leur fournir des biens nécessaires, en échange de leurs pelleteries » dans la cueillette et le commerce de ce qui s'appelait en 1760 les biens nécessaires. M. Marshall soutenait que la clause relative aux maisons de troc incorporait non seulement le soi-disant droit de commercer, mais encore le droit de se livrer aux activités traditionnelles de chasse, de pêche et de cueillette pour alimenter ce commerce.

[73]            Selon le juge Binnie, la question qui se posait était de savoir si ces négociations avaient produit un accord plus général entre les Britanniques et les Mi'kmaq, lequel protégerait les activités de M. Marshall. Il a conclu que le texte du traité était incomplet et qu'il était nécessaire de déterminer quelles en étaient les stipulations, « non seulement à partir du dossier historique fragmentaire, tel que l'interprètent les experts historiens, mais aussi à la lumière des objectifs déclarés des Britanniques et des Mi'kmaq en 1760 et du contexte politique et économique dans lequel ces objectifs ont été conciliés » .

[74]            On peut lire l'observation suivante au paragraphe 43 des motifs de son jugement, au sujet des cas où les tribunaux tiennent pour avérée l'existence d'une stipulation jugée nécessaire pour donner plein effet au contrat, par exemple lorsque pareille stipulation est compatible avec le « critère de l'observateur objectif » :


[43]      ... En l'espèce, si l'observateur objectif doué d'ubiquité avait dit : « Tous ces propos concernant les maisons de troc c'est très bien, mais si les Mi'kmaq doivent faire ces promesses, auront-ils le droit de chasser et de pêcher pour prendre quelque chose à échanger à ces maisons de troc? » , compte tenu de l'honneur de la Couronne, il aurait fallu répondre: « évidemment » . Si le droit est disposé à suppléer aux lacunes de contrats écrits -- préparés par des parties bien informées et par leurs conseillers juridiques -- afin d'en dégager un résultat sensé et conforme à l'intention des deux parties, quoiqu'elle ne soit pas exprimée, il ne saurait demander moins de l'honneur et de la dignité de la Couronne dans ses rapports avec les Premières nations. De fait, l'honneur de la Couronne a été invoqué de façon expresse par les tribunaux au début du 17e siècle pour faire en sorte qu'une concession de la Couronne atteigne le but qu'elle visait : The Case of The Churchwardens of St. Saviour in Southwark (1613), 10 Co. Rep. 66b, 77 E.R. 1025, à la p. 67b et la p. 1026, et Roger Earl of Rutland's Case (1608), 8 Co. Rep. 55a, 77 E.R. 555, à la p. 56b et les pp. 557 et 558.

[75]            Le juge Binnie a évoqué les précédents Sundown et Simon, précités, en ces termes :

[44]       . . . De même, dans l'arrêt Sundown, précité, notre Cour a conclu que le droit explicite de chasser comportait le droit implicite de construire les abris requis pour pouvoir chasser. Voir également Simon, précité, où notre Cour a reconnu le droit implicite de porter une arme et des munitions dans l'exercice du droit de chasser. Dans ces arrêts, la notion de droits implicites a été utilisée pour appuyer l'exercice concret des droits explicites conférés aux Premières nations dans des cas où une telle inférence n'aurait pas nécessairement été faite n'eût été la nature sui generis des rapports de la Couronne avec les Autochtones. Bien que je ne croie pas que, dans les situations commerciales ordinaires, un droit de commercer emporte un droit d'accès aux biens faisant l'objet du commerce, j'estime que l'honneur de la Couronne n'exige rien de moins en vue de donner un sens au résultat des négociations de 1760.

d) Conclusions

(i) Les cessions en cause sont-elles valides ?

[76]            Pour les motifs qui suivent, je conclus que la cession des rentes ou arrérages n'est pas un élément implicite ou accessoire d'un droit issu du traité et que les cessions que fait valoir M. Beattie sont invalides pour non-conformité avec le paragraphe 68(4) de la LGFP qui intègre l'historique des cessions de rentes et arrérages et avec les conditions prévues au paragraphe 90(2) de la Loi sur les Indiens.

[77]            Je conviens avec l'avocat de la Couronne fédérale qu'il n'y a aucun droit issu de traités pour céder les rentes ou arrérages.

[78]            L'avocat de la Couronne fédérale soutient à juste titre qu'en termes juridiques, cession s'entend du transfert de droits ou de biens (voir Dukelow et Nuse, The Dictionary of Canadian Law, 1st ed., Carswell et Garner, Black's Law Dictionary, 7th ed., the West Group). Dans le contexte des appels en instance, la cession de rentes ou d'arrérages de rentes s'entend de la cession par un Indien couvert par les Traités no 6 et 11 à un tiers, du droit de recevoir de la Couronne fédérale des rentes ou arrérages auxquels il peut avoir droit.

[79]            Ainsi que le soutient l'avocat de la Couronne fédérale, la question soumise au jugement de la Cour est l'existence d'un droit de céder des rentes avant qu'elles ne soient touchées. En l'espèce, la Couronne fédérale ne conteste pas le moins du monde la capacité d'un rentier de dépenser les rentes après les avoir touchées.

[80]            Je conviens avec l'avocat de la Couronne fédérale que M. Beattie semble, tout au long de son argumentation, confondre cession de rentes avant qu'elle ne soient touchées, avec transfert et dépense après réception.


[81]            Je conviens également qu'il n'est pas du tout clair qu'une interprétation généreuse du droit, prévu par traité, de recevoir des rentes amènerait à conclure au droit de céder ces rentes et qu'en effet, on pourrait soutenir qu'une interprétation généreuse du droit issu de traité de recevoir les rentes, dans le sens où elle protégerait ce droit, serait celle qui le protégerait de la perte du fait de la cession aux tiers.

[82]            Comme nous l'avons vu précédemment, le critère de l'existence de droits accessoires ou implicites découlant de traités a été défini par le juge Cory dans Sundown, précité, comme étant le critère de la personne raisonnable, à savoir si une personne raisonnable, bien informée des circonstances du bénéficiaire du traité, considérerait l'acte en question (en l'occurrence la cession d'une rente ou des arrérages avant même qu'ils n'aient été touchés) comme étant raisonnablement lié au droit issu du traité, qui est le droit de recevoir la rente. Le contexte historique et la volonté des parties au moment du traité sont des facteurs à prendre en considération à cet égard.

[83]            Dans Marshall, précité, le juge Binnie a défini le critère de la clause implicite nécessaire pour donner effet à la convention, c'est-à-dire la clause nécessaire pour assurer l'exercice concret du droit expressément conféré par le traité.

[84]            Le dossier historique, tel que le rapporte M. Mitchell dans son affidavit, montre clairement, à mon avis, qu'il y avait des restrictions généralement appliquées (à l'exception du cas d'un M. Catfish) à la capacité des Indiens soumis aux traités de céder leurs rentes aux tiers et à la capacité de ces derniers de toucher ces rentes.


[85]            M. Mitchell reconnaît, au paragraphe 42 de son affidavit, que le ministère des Affaires indiennes permettait à des individus de toucher des rentes pour le compte de bénéficiaires absents dans certains cas. Je conviens avec l'avocat de la Couronne fédérale qu'il ne s'agissait pas là de cas de cession, dans lesquels le droit légal de recevoir les rentes a été transféré, mais de cas où le rentier absent a donné mandat à un chef, un conseiller de bande ou autre responsable pour toucher la rente à sa place.

[86]            Ces restrictions indiquent qu'il n'était pas prévu d'inclure dans les traités en question la capacité de céder les rentes à titre de droit accessoire.

[87]            Un autre facteur à prendre en considération est qu'à l'époque de la signature des Traités no 6 et 11, les créances sur la Couronne étaient considérées comme non cessibles (voir Bank of Nova Scotia v. The Queen (1961), 27 D.L.R. (2d) 120 (Cour de l'Échiquier) et Persons v. Canada, [1966] R.C.É. 538).

[88]            Une autre circonstance contextuelle qui force à conclure qu'il n'existe pas un droit accessoire de céder les rentes ou les arrérages est le contexte législatif de l'époque où les traités en question étaient négociés. La Loi des Sauvages de 1879 protégeait contre la saisie pour cause de dette ou autre, les présents faits aux Indiens ou les biens achetés au moyen de rentes qui leur étaient payées, cette politique étant maintenue dans toutes les révisions subséquentes de la Loi sur les Indiens.


[89]            Le protonotaire Lafrenière a fondé sur deux motifs à part sa conclusion que les cessions au profit de M. Beattie étaient invalides par l'effet de la LGFP, savoir en premier lieu, que les traités n'étaient pas des contrats au sens de l'alinéa 68(1)a) de la même loi et, en second lieu, que les rentes et les arrérages tombaient dans le champ d'application du paragraphe 68(4) de cette loi, aux termes duquel toute cession faite sous le régime de cette dernière est assujettie à toutes les conditions et restrictions relatives au droit de transfert, qui se rattachent à la créance originale.

[90]            Comme nous l'avons vu, le protonotaire Lafrenière était d'avis que le paragraphe 68(4) de la LGFP imposait de prendre en considération l'article 90 de la Loi sur les Indiens sur les biens meubles d'Indiens, dont l'alinéa 90(1)b) prévoit que les biens meubles « donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté sont toujours réputés situés sur une réserve » et dont le paragraphe 90(2) prévoit que « toute opération visant à transférer la propriété d'un bien réputé, en vertu du présent article, situé sur une réserve, ou un droit sur un tel bien, est nulle à moins qu'elle n'ait lieu avec le consentement du ministre ou ne soit conclue entre des membres d'une bande ou entre une bande et l'un de ses membres » .

[91]            Il y a également lieu de rappeler qu'il s'est fondé à bon droit sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Sa Majesté la Reine c. Kakfwi (1999), 99 D.T.C. 5639, où il a été jugé que le terme « biens meubles » figurant à l'article 90 de la Loi sur les Indiens s'entend également des sommes d'argent.

[92]            Je rappelle encore une fois sa conclusion sur ce point :


[52]       D'après la preuve que j'ai devant moi, il semble que, par principe, la Couronne ne consent pas à la cession de rentes à des tiers. Il est établi que des paiements ont parfois été faits à une personne autre que l'Indien visé par traité qui figurait au registre des versements, mais les arrangements en question n'avaient été pris qu'avec des proches parents de l'Indien, avec un chef ou avec un mandataire indien, et cela afin de faciliter le paiement.

[93]            Je rejette l'argument proposé par M. Beattie que le protonotaire a commis, dans son appréciation des éléments de preuve, une erreur qui l'a amené à tirer les conclusions sur les faits figurant au paragraphe 52 des motifs de sa décision. Au contraire, il ressort de mon propre examen de ces éléments de preuve que le protonotaire a judicieusement apprécié les preuves produites devant lui et ne les a pas interprétées à tort.

[94]            Je partage également sa conclusion que, sans le consentement de la Couronne, les rentes conférées par traité ne peuvent être cédées. En l'espèce, la seule cession soumise par M. Beattie au ministère des Affaires indiennes a été rejetée. Il n'a fait aucune autre tentative pour s'assurer le consentement de la Couronne pour les autres cessions.

[95]            Pour en terminer avec ce point, je reviens encore une fois brièvement sur les motifs de décision exposés par le juge La Forest dans Mitchell, puisqu'il s'agit d'une affaire mettant en jeu l'alinéa 90(1)b) de la Loi sur les Indiens.

[96]            L'affaire Mitchell portait sur la validité d'une ordonnance de saisie-arrêt avant jugement, des fonds détenus par le gouvernement du Manitoba pour régler la réclamation de la bande indienne Peguis en remboursement de la taxe illégalement imposée par Hydro Manitoba pour la vente d'électricité à sa réserve.

[97]            En page 136 du recueil, le juge La Forest conclut que l'interprétation de l'alinéa 90(1)b) de façon à lui assigner pour seul objet « d'empêcher les non-Indiens de gêner les Indiens dans leur pleine jouissance des biens personnels promis par traités et par accords accessoires, est tout à fait conforme à la teneur des obligations que la Couronne s'est toujours engagée à respecter à l'égard de la protection des biens des autochtones » .

[98]            Le juge La Forest a encore fait l'observation suivante au sujet du paragraphe 90(2) de la Loi sur les Indiens qui, répétons-le, requiert le consentement du ministre pour toute opération visant à transférer la propriété de quelque bien que ce soit, ce qui s'entend également des rentes :

[115]       Mon examen des par. 90(2) et (3) ne fait que renforcer ma conclusion que souscrire à l'interprétation de l'al. 90(1)b) que donne le juge de première instance et considérer cet alinéa comme une disposition qui est plus qu'une mesure de protection ayant spécifiquement et seulement pour objet d'assurer que des non-Indiens ne dépossèdent pas les Indiens des droits qui leur échoient par application de leurs traités et accords accessoires, revient à préférer une interprétation abstruse et forcée de l'article à une interprétation simple et ordinaire tout à fait justifiée par le dossier historique.

[99]            Enfin, je conclus que M. Beattie ne m'a pas convaincu que la cession d'une rente ou des arrérages, prévus par traité, est raisonnablement rattachée au droit de recevoir cette rente ou nécessaire pour en assurer la jouissance. Rien dans le dossier historique ne lui donne raison sur ce point; au contraire, ce dossier renferme d'amples indications du contraire, savoir que l'interdiction de céder à des tiers les rentes ou arrérages était nécessaire pour protéger ce droit. En outre, comme M. Mitchell l'a indiqué, il y avait des arrangements flexibles en place pour permettre à un Indien absent de toucher ses arrérages de rente.

[100]        Je préfère le second des motifs énoncés par le protonotaire pour conclure que les cessions faites au profit de M. Beattie étaient nulles et non avenues car il me semble qu'il est davantage fondé sur les principes, en ce sens qu'il repose davantage sur le dossier historique que ne le fait le premier motif.

[101]        Cependant, le fait que j'adopte le second motif d'invalidité exposé par le protonotaire Lafrenière ne signifie pas que je désapprouve le premier, que j'approuve également, savoir qu'au regard de la LGFP, il y a des raisons légitimes de conclure que les traités indiens ne sont pas des contrats pour l'application du paragraphe 68(1) de cette même loi.

(ii) Les arrérages de rentes produisent-ils des intérêts?

[102]        Pour l'examen de cette question, le protonotaire a présumé que les cédants étaient en droit de recevoir leurs rentes à compter de leur date de naissance respective, et non à compter de leur inscription comme Indiens sous le régime de la Loi sur les Indiens.

[103]        Les parties tiennent pour constant ce qui suit :

(1) Une fois les paiements terminés pour une année, l'argent des rentes non distribué était retourné au receveur général. Il n'était pas conservé pour servir aux mêmes fins les années suivantes.


(2) Le budget annuel des dépenses préparé par le ministère des Affaires indiennes chaque année comprenait les sommes destinées au paiement des arrérages de rentes aux Indiens visés par traité, qui ne les avaient pas touchés.

(3) Les arrérages étaient payés sur les sommes destinées aux rentes, pour le même exercice au cours duquel étaient faites les demandes de paiement d'arrérages.

(4)         Il n'était pas payé d'intérêts sur les arrérages de rentes constituées par traité.

[104]        Ce point est abordé dans l'affidavit de M. Mitchell, qui ne trouvait dans les documents relatifs aux Traités no 6 et 11 aucune indication d'une volonté quelconque de la part des commissaires aux traités de prévoir pour l'avenir le paiement d'arrérages de rentes aux Indiens soumis aux traités. Il indique au paragraphe 43 de son affidavit que le ministère des Affaires indiennes n'avait aucune procédure en place pour le calcul ou le paiement des intérêts sur les arrérages de rentes.

[105]        Dans ses conclusions, il fait observer à la lumière de tous les documents pertinents contenus dans la pièce « A » que le ministère des Affaires indiennes versait régulièrement les arrérages de rentes aux Indiens soumis aux traités, qui avaient été absents les jours de paie précédents. Ce paiement régulier d'arrérages de rentes constituées par traité ne comprenait à aucun moment le calcul ou le paiement d'intérêts. Il fait savoir en outre que le ministère des Affaires indiennes n'avait pas pour usage de garder les rentes ou les arrérages en fiducie au bénéfice de tous les Indiens.

[106]        Il y a lieu de noter aussi l'affidavit de Michael McGinty, conseiller financier principal du ministère des Affaires indiennes et du Nord, qui fait savoir que les rentes prévues aux Traités no 6 et 11 sont payées sur les fonds du Trésor et sont ainsi considérées comme étant prévues par la loi, puisqu'elles doivent provenir du Trésor conformément à l'article 72 de la Loi sur les Indiens.

[107]        Le protonotaire a exposé trois motifs pour conclure que les arrérages de rentes constituées par traité ne produisent pas d'intérêts : (1) il n'y a dans la Loi sur les Indiens aucune disposition prévoyant le paiement d'intérêts sur les arrérages de rente, (2) la Couronne n'est tenue à aucune obligation fiduciaire de placer ou de payer des intérêts sur les arrérages de rentes; et (3) à supposer même que le paiement d'intérêts soit fondé à titre de dommages-intérêts en common law, la doctrine de l'immunité de la Couronne exclurait le paiement d'intérêts courus avant le 1er févier 1992, date à laquelle l'article 31 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif a été adopté pour prévoir le paiement de l'intérêt avant jugement.

[108]        L'argument proposé par M. Beattie devant la Cour portait uniquement sur le premier motif susmentionné. Il soutient que le protonotaire Lafrenière s'est fourvoyé en concluant que les rentes conférées par traité ne représentaient pas l'argent des Indiens, lequel, en application du paragraphe 61(2), produit des intérêts.

[109]        M. Beattie n'a pas contesté les deux autres motifs de la décision du protonotaire sur la question des intérêts.

[110]        Dans le dispositif des jugements rendus le 1er juin 2004 dans chacune des actions en question, le protonotaire a jugé qu' « aucun intérêt n'est exigible sur les arrérages de rentes découlant du Traité no 6 [ou no 11], que la défenderesse Sa Majesté la Reine aurait pu être tenue de verser au demandeur » .

[111]        L'avocat représentant la Couronne fédérale demande à la Cour de modifier le jugement du protonotaire de façon à allouer des intérêts à compter du 1er février 1992, ainsi que l'a reconnu le protonotaire lui-même dans sa décision dont le paragraphe 88 porte notamment ce qui suit :

[88]       L'effet du paragraphe 31(6) est de limiter aux périodes postérieures au 1er février 1992 les intérêts qui peuvent être octroyés, sauf si un contrat ou une disposition législative prévoit le paiement d'intérêts avant cette date... .

[112]        À mon avis, il y a deux raisons de rejeter la prétention de M. Beattie aux intérêts sur les arrérages de rentes.

[113]        Le premier motif est fondé sur le paragraphe 68(4) de la LGFP, sur la logique et sur les preuves historiques.

[114]        Comme nous l'avons vu précédemment, le paragraphe 68(4) de la LGFP assujettit toute cession « à toutes les conditions et restrictions, relatives au droit de transfert, qui se rattachent à la créance originale » .

[115]        À supposer qu'un traité soit un contrat (c'est-à-dire un marché) soumis au paragraphe 68(4) de la LGFP et soit, de ce fait, cessible, la cession comprendrait tous les avantages de la créance originale sur l'État, y compris le droit aux arrérages. Cependant, la cession comprendrait aussi les charges de la créance originale. Il ressort des preuves historiques non contestées qu'il n'y avait nulle volonté de la part des commissaires aux traités de prévoir le paiement d'intérêts sur ces arrérages, et il est constant entre les parties qu'il n'y a eu aucun paiement d'intérêts sur les arrérages de rentes.

[116]        Je conclus de ce qui précède que les arrérages de rentes conférées par traité ne produisent pas d'intérêts pour la période antérieure au 1er février 1992.

[117]        Le second motif de rejet de l'argument de M. Beattie sur les intérêts est celui qu'a exposé le protonotaire Lafrenière. Vu la conclusion tirée de l'interprétation des textes, à la lumière de l'affidavit de M. McGinty, que les rentes sont versées en application de l'article 72 de la Loi sur les Indiens, et faute de preuves établissant que les cédants figuraient sur les registres de paiement des rentes conférées par traité avant leur inscription sous le régime de la même loi, le protonotaire a conclu à bon droit, me semble-t-il, que l'article 61 invoqué par M. Beattie ne s'applique pas en l'espèce, et que la disposition applicable est l'article 72.

[118]        Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens, sous réserve de la question de savoir si l'avis de question constitutionnelle de M. Beattie est recevable et, dans l'affirmative, sous réserve de l'issue de la contestation fondée sur les principes constitutionnels.


« François Lemieux »

                                                                                                                                                                      

Juge

                 

OTTAWA (ONTARIO)

Le 18 mai 2005

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :              T-2134-00    T-2203-00    T-2204-00

INTITULÉ :               Bruce Allan Beattie c. Sa Majesté la Reine

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            8 et 9 février 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                   18 mai 2005

COMPARUTIONS :

Bruce Allan Beattie                                            (occupant pour lui-même)

POUR LE DEMANDEUR

Rosanne M. Kyle                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Karl Burdak

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bruce Allan Beattie                                            (occupant pour lui-même)

Vancouver (C.-B.)                                           POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


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