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Date : 20011017

Dossier : IMM-4593-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1126

ENTRE :

                                                                    TARIG DAFALLA

                                                         (alias Tarig Dafalla M. Dafalla)

                                                                 RIHAB FADLALLA

                                                       (alias Rihab Mohamed I. Fadalla)

                                                                                                                                                    demandeurs

                                                                                 - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Tarig Dafalla et son épouse Rihab Fadlalla, les demandeurs, sont citoyens du Soudan et contestent, par la présente demande de contrôle judiciaire, une décision datée du 4 août 2000 rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) par laquelle leurs revendications du statut de réfugié fondées sur la persécution que Tarig Dafalla prétend avoir subie au Soudan du fait de ses opinions politiques, ont été rejetées.


LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[2]                 Le tribunal a mentionné que M. Dafalla a témoigné qu'il était membre du Parti démocratique unioniste (PDU) au cours des années 1980 et qu'il avait continué d'exercer des activités pour le parti après le coup d'État de 1989 et l'interdiction de tous les partis d'opposition. Le tribunal a déclaré que le demandeur a témoigné que, avant de se rendre en Arabie saoudite en 1994, il avait été arrêté à trois reprises, détenu chaque fois pendant plusieurs mois et traité avec brutalité, ce qui lui a causé des problèmes de reins.

[3]                 M. Dafalla a déclaré s'être rendu illégalement en Arabie saoudite en 1994 où il a reçu des soins médicaux. En 1994 ou 1995, il est retourné au Soudan pour un mois pour obtenir la certification de documents à l'ambassade de l'Arabie saoudite à Khartoum. Il a témoigné s'être caché chez un ami, un policier nommé Ali Shareef également membre du PDU.

[4]                 M. Dafalla a déclaré que, en juin 1998, il était en voyage en Hollande pour participer à un cours lorsqu'il a appris que le gouvernement du Soudan avait accordé une amnistie. Le demandeur a affirmé être retourné au Soudan parce qu'il pensait qu'il pouvait le faire en sécurité et parce qu'il était désireux de voir sa famille qui avait été victime d'inondations durant la saison des pluies.

[5]                 Le tribunal mentionne alors le témoignage de M. Dafalla qui a déclaré qu'à son arrivée au Soudan il a été arrêté à l'aéroport et a été détenu, mais qu'avec l'aide de son ami Ali Shareef il a été libéré et s'est enfui du Soudan une fois de plus. Il est retourné en Arabie saoudite.

[6]                 Selon M. Dafalla, lui et son épouse, avec qui il venait tout juste de se marier, ont quitté l'Arabie saoudite lorsque son permis de travail, dont il ne pensait pas pouvoir obtenir le renouvellement, était sur le point d'expirer. Ils ont obtenu des visas pour les États-Unis où ils sont restés pendant environ six semaines avant de venir au Canada et de revendiquer le statut de réfugié le 2 novembre 1999. Le 30 mars 2000, leur fille est née au Canada.

[7]                 Mettant en question la crédibilité des demandeurs, le tribunal a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Il a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n'était pas retourné au Soudan en juillet 1998 et qu'il n'était pas recherché par les autorités soudanaises pour sa participation aux activités du PDU ni pour le service militaire obligatoire. Le tribunal a tiré cette conclusion pour les motifs ci-après exposés.

[8]                 Premièrement, le tribunal n'a pas cru que le demandeur était retourné au Soudan parce que le gouvernement avait accordé une amnistie. Le tribunal a déclaré que les éléments de preuve documentaire ne faisaient aucunement référence à une amnistie, mais référaient effectivement à une tentative de coup d'État survenue à la fin de juin 1998 (les 29 et 30 juin 1998) que le gouvernement avait réprimée et qui avait été suivie d'arrestations de membres du PDU. Le tribunal a déclaré :


Il n'est pas vraisemblable que le revendicateur principal puisse croire que le gouvernement proclame une amnistie maintenant.

[9]                 Deuxièmement, le tribunal a conclu que même si ce que M. Dafalla avait voulu dire c'est qu'il était retourné au Soudan en raison d'un cessez-le-feu et non pas d'une amnistie, une telle confusion n'aidait pas sa cause parce que :

[...] il a néanmoins précisé dans son témoignage qu'il en avait entendu parler vers le 25 juin, qu'il s'était informé pour savoir si cela était bien vrai et qu'il était parti pour la Hollande au début de juillet. Cela n'est pas conforme aux documents qui précisent que les belligérants ne se sont entendus sur un cessez-le-feu qu'en juillet.

[10]            Troisièmement, le tribunal a remarqué que, selon son témoignage, le demandeur voulait retourner au Soudan pour aider sa famille, qui avait éprouvé des difficultés pendant la saison des pluies. Le tribunal a déclaré, dans les termes ci-après exposés, aux pages 2 et 3 de sa décision, avoir deux raisons de mettre en doute ce témoignage :

En premier lieu, compte tenu de tout ce qui serait arrivé au revendicateur par le passé, il n'est pas plausible qu'il retourne au Soudan même en supposant qu'en raison des pourparlers de paix de mai, on pouvait prévoir un cessez-le-feu en juin. Il y a eu de nombreux cessez-le-feu au cours de la guerre au Soudan et si le revendicateur principal était un opposant au gouvernement et qu'il avait peur de ce qu'on pouvait lui faire subir, il n'est pas plausible qu'il retourne dans son pays en ne sachant pas dans quelle mesure ce cessez-le-feu serait respecté. En second lieu, àla lumière du coup d'État avorté, àla fin de juin, et des arrestations de membres des partis d'opposition, l'idée que le revendicateur retourne au Soudan àce moment-làdevient encore plus improbable, quels que soient ses problèmes familiaux. [Non souligné dans l'original.]


[11]            Quatrièmement, le tribunal n'a pas cru que le demandeur craignait la conscription obligatoire et a référé à la preuve documentaire en provenance du British Home Office qui établissait que tous les hommes de 18 à 33 ans devaient faire leur service militaire et que les jeunes hommes devaient joindre les Forces armées pour obtenir un certificat de fin d'études secondaires leur permettant d'entrer à l'université.

[12]            Le tribunal a déclaré que le demandeur principal devait être âgé de 43 ans en 1998, selon la date de naissance inscrite à son passeport, ou de 36 ans, selon la date inscrite sur son certificat de naissance. Le tribunal a conclu :

Ànotre avis, il n'est pas plausible que les autorités auraient étéinté ressées par le fait qu'un homme de son âge effectue son service militaire. Notre conclusion est renforcée par le fait qu'Adil et Saïd, deux autres frères nés au début des années 1960, vers la même époque que le revendicateur principal, n'ont pas ététenus de servir dans les Forces armées. [Non souligné dans l'original.]

[13]            Cinquièmement, le tribunal n'a pas cru que M. Dafalla avait été arrêté à son arrivée à l'aéroport à cause du service militaire obligatoire, qu'il avait été détenu dans une prison militaire et qu'on lui avait ordonné de se présenter pour faire son service militaire. Le tribunal n'a pas cru que son ami Ali Shareef était capable de prendre le passeport du demandeur et de le faire renouveler, de faire libérer le demandeur et de lui faire quitter le Soudan par enchantement. Il a déclaré à la page 4 :

Le premier problème que pose ce scénario concerne le retour du passeport. Le revendicateur aurait étéarrêt éàl'aé roport en raison de la similaritéde son nom et de celui de quelqu'un d'autre qui était recherchépour faire son service militaire. Il n'est pas vraisemblable que les autorités permettent au revendicateur de garder son passeport sur lui, surtout du fait qu'elles avaient l'intention de l'envoyer au front de toute façon.


En deuxième lieu, le passeport était valide jusqu'en janvier 1999. Ali Shareef prenait des risques considérables en aidant le revendicateur principal. Pourquoi prendrait-il encore plus de risques en renouvelant un passeport qui n'avait pas besoin de l'être? À notre avis, cette initiative qui se serait insérée dans le cadre d'un plan d'évasion plus vaste n'est pas vraisemblable. [Non souligné dans l'original.]

[14]            En résumé, le tribunal a conclu qu'il n'y avait pas de preuve suffisante ou digne de foi que M. Dafalla était retourné au Soudan en juillet 1998 à cause d'une amnistie ou d'un cessez-le-feu, qu'il avait été arrêté à l'aéroport et qu'il avait par la suite été détenu ou qu'il s'était échappé du Soudan avec l'aide d'un ami.

[15]            Le tribunal a alors examiné la question des activités de M. Dafalla au sein du PDU pour lesquelles, comme je l'ai mentionné, il a témoigné que, au début des années 1990, il avait été arrêté, détenu et traité avec brutalité. Le tribunal a exprimé son opinion à la page 5 :

Compte tenu de nos conclusions ci-dessus, nous ne sommes pas prêts àaccepter les affirmations du revendicateur principal sur ses activités au sein du DUP et ses emprisonnements prétendus au début des années 1990. Le revendicateur a affirmé que les mauvais traitements qu'il avait subis en prison lui avaient occasionné des problèmes de reins et il a présenté un certain nombre de documents précisant ses problèmes de reins et les traitements subis, mais ses problèmes de reins sont antérieurs aux détentions. En outre, rien n'indique qu'il ait étéquestionné sur ses activités au sein du DUP lorsqu'il est entréau Soudan en 1998. Compte tenu de la récente tentative de coup d'État et des prétendus antécédents du revendicateur, cela est surprenant. Ànotre avis, il y a un nombre insuffisant de preuves crédibles ou dignes de foi voulant que le revendicateur principal ait étéun activiste au sein du DUP qui ait connu des problèmes avec le régime soudanais. Nous avons une preuve attestant que le revendicateur est membre du DUP. Toutefois, le statut de membre d'un parti ne suffit pas àlui seul pour qu'un revendicateur soit considérécomme visépar la définition. [Non souligné dans l'original.]

[16]            L'élément de preuve auquel le tribunal a référé relativement à l'appartenance de M. Dafalla au PDU est une lettre datée du 21 mars 2000 de la section canadienne du PDU qu'on peut en lire en partie à la page 73 du dossier certifié :

[TRADUCTION]

Le Parti démocratique unioniste du Soudan (PDU) certifie que Tarig Dafalla Mohamed Dafalla, né le 25 octobre 1962, est membre du PDU. Depuis son arrivée au Canada, Tarig est en contact avec nous.

[...]

Le but et le mandat du PDU sont d'exposer au grand jour le régime actuel quant à tous les aspects des crimes commis à l'égard du peuple du Soudan, soit les violations des droits de l'homme, le génocide, la persécution, etc. Le rétablissement de la démocratie et la reconstruction du nouveau Soudan unifié sont les buts que nous nous efforçons d'atteindre.

Dans l'éventualité où Tarif Dafalla serait forcé de retourner au Soudan, il ferait l'objet de harcèlement et de persécution par les autorités soudanaises pour ses liens et ses activités avec le PDU.

[Non souligné dans l'original.]

[17]            Le tribunal s'est par la suite penché sur la question du séjour de six semaines des demandeurs aux États-Unis, où ils n'ont pas revendiqué le statut de réfugié. Il a déclaré que le motif invoqué pour ne pas avoir revendiqué le statut de réfugié, savoir le taux de criminalité trop élevé, était un motif peu convaincant. Le tribunal a exprimé son opinion comme suit, à la page 5 :

Il est difficile àcroire que deux personnes originaires d'un pays ravagé par la guerre et bien connu pour sa violence et ses violations des droits de la personne trouvent qu'une démocratie de premier plan comme les États-Unis ne satisfait pas aux normes de sécurité des personnes. Le délai mis àrevendiquer le statut de réfugié ou le fait de ne pas le faire à la première occasion ne suffit pas habituellement àrejeter en soi une revendication du statut de réfugié. Mais, si on ajoute à cela nos problèmes en rapport avec la crédibilité, c'est un facteur qui mine la crédibilité du revendicateur et de la revendicatrice.


L'ARGUMENTATION DES DEMANDEURS

[18]            En début d'argumentation, l'avocat des demandeurs a contesté un certain nombre de conclusions de fait sous-jacentes aux conclusions quant à la vraisemblance, qui ont été, selon lui, tirées par le tribunal parce qu'il s'est mépris sur la preuve et parce qu'il n'a pas tenu compte de l'ensemble des éléments de preuve ou de certains d'entre eux.

[19]            Les conclusions que l'avocat des demandeurs conteste pour manque de fondement de la preuve sont :

(1)        le moment où Tarig Dafalla a été informé de l'amnistie ou du cessez-le-feu, passé ou présent, qui expliquerait son retour au Soudan sans qu'il craigne d'être persécuté;

(2)        la tranche d'âge pour laquelle les autorités obligent au service militaire;

(3)        la mauvaise interprétation du rapport médical;

(4)        les circonstances du retour du demandeur au Soudan en 1998 et du renouvellement de son passeport.


[20]            Le deuxième élément de la contestation des demandeurs s'articule autour des activités de Tarig Dafalla au sein du PDU et de la prétendue omission du tribunal d'avoir rempli son obligation qui consistait à examiner la question de savoir si la revendication du demandeur pouvait être accueillie sur le fondement de l'élément de preuve documentaire fourni quant à son appartenance à ce parti, obligation qui existait même si le tribunal ne croyait pas que le demandeur était retourné au Soudan en juillet 1998 et qu'il était recherché pour le service militaire.

ANALYSE

(1)        Les conclusions quant à la vraisemblance ont-elles été tirées d'une manière déraisonnable?

[21]            M. le juge Décary, dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), établit tout à fait clairement que le tribunal, qui est un tribunal spécialisé en la matière, a pleine compétence pour décider de la vraisemblance d'un témoignage dans la mesure où les conclusions tirées sont fondées sur des éléments de preuve et ne sont pas déraisonnables.

[22]            En outre, M. le juge Pratte dans l'arrêt Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), dossier A-388-92, 24 mars 1994, a déclaré ce qui suit :

[...] on ne nous a pas convaincus que la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité était abusive ou arbitraire. Contrairement à ce qu'on a parfois dit, la Commission a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens.

[23]            Mon examen des prétentions de l'avocat des demandeurs et de l'avocat du défendeur et l'examen de la transcription et de la preuve documentaire m'amènent à conclure que les demandeurs n'ont pas établi que leur cause justifie l'intervention de la Cour sur la question de la vraisemblance.


[24]            À cet égard, je rappelle la mise en garde que Mme le juge l'Heureux-Dubé a, dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844, rédigée dans les termes suivants :

[85]      Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue : Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest aux pp. 849 et 852. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable [...].

[25]            À mon avis, le tribunal disposait d'éléments de preuve sur lesquels il pouvait raisonnablement se fonder pour tirer ses conclusions défavorables quant à la vraisemblance.

[26]            Par exemple, la contestation des demandeurs fondée sur la soi-disant incertitude de Tarig Dafalla quant au moment où il a été informé de l'amnistie ou du cessez-le-feu ne peut être retenue une fois que son témoignage est analysé dans son ensemble (le retour au Soudan de certaines personnalités politiques, les fêtes prévues pour le 30 juin et les vérifications faites auprès de ses compatriotes soudanais lorsqu'il était en Hollande). On ne peut pas dire non plus que le tribunal a tiré une conclusion déraisonnable quant au retour de Tarig Dafalla au début de juillet alors que la preuve documentaire démontre qu'il y a eu une tentative de coup d'État les 29 et 30 juin à la suite de laquelle plusieurs membres du PDU ont été arrêtés.


[27]            La preuve documentaire fournissait au tribunal suffisamment d'éléments de preuve sur lesquels il pouvait se fonder pour tirer sa conclusion quant à la tranche d'âge pour la conscription au Soudan.

[28]            Je ne vois aucun motif justifiant une intervention quant à la prétendue mauvaise interprétation du tribunal relative à l'état de santé de Tarig Dafalla. Il convient de noter que l'état de ses reins a nécessité des soins médicaux en 1983 et en mai 1993 alors qu'il était soi-disant en état d'arrestation.                                                               

[29]            Finalement, le propre témoignage de Tarig Dafalla quant aux circonstances de son retour au Soudan en juillet 1998, à sa prétendue détention, au fait d'avoir pu conserver son passeport et de l'avoir fait renouveler, donnait au tribunal les éléments de preuve lui permettant de tirer les conclusions qu'il a tirées.

(2)        Le tribunal a-t-il omis d'analyser la revendication des demandeurs?


[30]            Comme je l'ai mentionné, les demandeurs allèguent que, bien que le tribunal ait tiré des conclusions défavorables quant à leur crédibilité, il existait toujours un élément de preuve, la lettre du PDU datée de mars 2000, qui aurait pu avoir une incidence sur l'analyse de leurs revendications, et l'omission du tribunal d'avoir pris en compte un tel élément de preuve constitue une erreur. L'avocat des demandeurs appuie ses prétentions principalement sur la décision de Mme le juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 694, et sur la décision de M. le juge Gibson dans l'affaire Mylvaganam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1195, de même que sur la décision de M. le juge O'Keefe dans l'affaire Baranyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 987.

[31]            L'avocat du défendeur a invoqué en réponse plusieurs décisions, notamment Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, qui ont établi que lorsqu'il a conclu qu'un revendicateur n'était pas digne de foi, il est très difficile, voire impossible, pour le tribunal de trouver une preuve crédible quant à la crainte subjective du demandeur.

[32]            L'avocat du défendeur appuie aussi sa prétention sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238, quant aux conséquences d'une conclusion qu'un témoin n'est pas digne de foi.

[33]            Dans l'arrêt Shiekh, précité, M. le juge MacGuigan a déclaré ce qui suit :


[7]      Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

[8]      J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit.

[34]            Je ne suis pas disposé à accepter l'idée maîtresse des représentations des avocats des parties sur la question de la crédibilité parce que, à mon avis, les deux points de vue ne rendent pas justice au raisonnement du tribunal pris dans son ensemble.

[35]            Un examen des motifs montre que le tribunal a jugé que la crédibilité était la question déterminante, ce qui l'a amené à conclure que Tarig Dafalla n'était pas retourné au Soudan en juillet 1998 et qu'il n'était pas recherché par les autorités soudanaises pour des activités au sein du PDU.

[36]            Le tribunal a conclu, en raison des conclusions qu'il a tirées quant au peu de vraisemblance du témoignage du demandeur, qu'aucun aspect de son soi-disant retour au Soudan n'était étayé par une preuve suffisamment digne de foi.


[37]            Se fondant sur sa conclusion quant à ce retour, le tribunal a décidé qu'il n'était pas disposé à croire le témoignage de Tarig Dafalla quant à ses activités au sein du PDU et quant à ses prétendues incarcérations au début des années 1990. Le tribunal a ajouté son évaluation quant aux problèmes de reins du demandeur et a remarqué que rien n'indiquait qu'il avait été interrogé relativement à ses activités au sein du PDU lorsqu'il a témoigné être retourné au Soudan en juillet 1998. Le tribunal a conclu qu'il n'existait pas d'éléments de preuve suffisamment dignes de foi qui démontrent que Tarig Dafalla était un activiste du PDU qui avait eu par le passé des démêlés avec le régime soudanais.

[38]            C'est dans ce contexte que le tribunal a mentionné qu'il disposait d'un élément de preuve quant à l'appartenance du demandeur au PDU, selon l'attestation de la section canadienne du PDU, et qu'il a fait remarquer que cette appartenance comme seul élément de preuve n'était pas suffisante pour que M. Dafalla soit considéré comme étant une personne qui craint avec raison d'être persécutée, selon la définition de réfugié au sens de la Convention.

[39]            Mon interprétation de la décision du tribunal n'appuie pas la prétention de l'avocat des demandeurs selon laquelle le tribunal a omis de prendre en compte d'autres éléments de preuve digne de foi. Manifestement, le tribunal a pris en compte la lettre de la section canadienne du PDU datée de mars 2000, a reconnu qu'elle démontrait l'appartenance du demandeur à l'organisation, mais, ayant évalué l'ensemble de la preuve, y compris la preuve documentaire, le tribunal a affirmé que M. Dafalla n'avait pas établi qu'il craignait avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Étant donné qu'il existait des éléments de preuve sur lesquels le tribunal pouvait fonder sa conclusion, je suis d'avis qu'il n'existe pas de motifs justifiant l'intervention de la Cour.


[40]            Je ne suis pas disposé à certifier les questions soumises par l'avocat des demandeurs et par l'avocat du défendeur, parce qu'elles sont fondées sur des postulats non justifiés résultant de leur interprétation des motifs du tribunal, que je juge erronée.

DÉCISION

[41]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                        « François Lemieux »             

Juge                       

OTTAWA (ONTARIO)

LE 17 OCTOBRE 2001

                                                                            

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


  

Date : 20011017

Dossier : IMM-4593-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 OCTOBRE 2001

En présence de MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                            TARIG DAFALLA

                                                 (alias Tarig Dafalla M. Dafalla)

                                                           RIHAB FADLALLA

                                               (alias Rihab Mohamed I. Fadalla)

                                                                                                                                      demandeurs

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                              ORDONNANCE

Pour les motifs énoncés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

   

                                                                                                                        « François Lemieux »             

Juge                       

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                   IMM-4593-00

INTITULÉ :                               Tarig Dafalla et autre c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :           Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :            Le 24 juillet 2001       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :         Le 17 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Harvey Savage                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harvey Savage                                 POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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