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     Date : 19971212

     Dossier : T-112-97

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE MULDOON

ENTRE :

     GARY WILLIAM CRAIB,

     requérant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     ORDONNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire et la demande visant à trancher une question d'ordre constitutionnel qui ont été entendues à Toronto le 5 décembre 1997, en présence du requérant lui-même et de l'avocate de l'intimée,

     LA COUR STATUE COMME SUIT :

     la demande visant à trancher une question d'ordre constitutionnel est rejetée, l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale n'ayant pas été respecté;

     pour les motifs ci-joints, la demande de contrôle judiciaire relative à la décision qu'a rendue le 24 décembre 1996 le sous-ministre par intérim au nom du ministre du Revenu national est rejetée;

     à l'exception des frais adjugés à l'intimée le 23 octobre 1997, aucune partie n'a droit à des frais, compte tenu de la Règle 1618.

                             F.C. Muldoon

                                     Juge

Traduction certifiée conforme             

                                 François Blais, LL.L.

     Date : 19971212

     Dossier : T-112-97

ENTRE :

     GARY WILLIAM CRAIB,

     requérant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[I.]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision par laquelle le ministre du Revenu national (MRN) a décidé de déduire pour compensation les montants que l'intimée devait au requérant des sommes que celui-ci devait à Sa Majesté. Le requérant est un débiteur aux termes d'un prêt canadien d'études, ayant omis de rembourser un prêt de 24 081,93 $ que lui avait consenti une banque à charte et qui était garanti par Sa Majesté. Sa Majesté a réglé la dette du requérant en août 1994 lorsque la banque a déposé une demande de remboursement sous le régime de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants. Ce paiement de la dette du requérant a entraîné une subrogation des droits du prêteur en faveur de Sa Majesté, si bien que le requérant est maintenant un débiteur de celle-ci.

[2]      La demande a été entendue à Toronto le 5 décembre 1997, en présence du requérant lui-même et de l'avocate de l'intimée.

[3]      En avril 1996, Revenu Canada a examiné la déclaration de revenus de 1994 du requérant, qui indiquait un montant remboursable de 3 578,76 $. Après avoir examiné l'évolution du compte du requérant, l'agent de recouvrement a également conclu qu'un montant de 15,70 $ était dû à titre d'intérêts. À cette date, Revenu Canada avait reçu du ministère du Développement des ressources humaines un avis de compensation à l'égard du montant impayé du prêt d'études. Revenu Canada a donc retenu un montant de 3 284,76 $ de la somme par ailleurs due au requérant. Un montant de 294 $ a été remis au requérant, parce que ce montant représentait les crédits d'impôt de l'Ontario auxquels il avait droit. Revenu Canada a pour politique de ne pas toucher les crédits d'impôt provinciaux, ce qui est bien compréhensible. Le requérant avait précédemment déposé une requête en vue de faire radier le privilège grevant sa dette fiscale jusqu'à ce que la présente demande soit tranchée de façon définitive. Le juge Gibson a rejeté cette requête le 14 juillet 1997.

[4]      Le requérant s'est opposé à la compensation effectuée par Revenu Canada dès l'avis initial et a tenté d'améliorer sa situation de différentes façons, notamment en écrivant au ministre du Revenu national et à son député. Il a finalement engagé des procédures devant la Cour fédérale après avoir reçu du sous-ministre par intérim de Revenu Canada, William J. Crandall, une lettre faisant apparemment état de la décision visée par la présente demande. Dans sa lettre en date du 24 décembre 1996, le sous-ministre par intérim mentionne que, conformément à l'article 155 de la Loi sur la gestion des finances publiques, infra, et au paragraphe 164(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le MRN a le droit de déduire pour compensation les montants dus au requérant des sommes que celui-ci doit.

[5]      Voici les extraits pertinents du paragraphe 155(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-10, et du paragraphe 164(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu :

     155. (1) Le ministre compétent responsable du recouvrement d'une créance soit de Sa Majesté du chef du Canada, ... peut autoriser, par voie de déduction ou de compensation, la retenue d'un montant égal à la créance sur toute somme due au débiteur ou à ses héritiers par Sa Majesté du chef du Canada.         
     164. (2) Imputation du remboursement. Lorsque le contribuable est redevable d'un montant à Sa Majesté du chef du Canada ou est sur le point de l'être, le ministre peut, au lieu de rembourser un paiement en trop ou une somme en litige, qui pourrait par ailleurs être remboursé en vertu du présent article, imputer la somme à rembourser sur ce dont le contribuable est ainsi redevable et en aviser celui-ci.

[6]      Le requérant soutient que la compensation opérée par le ministre du Revenu national constitue une saisie illégale et est inconstitutionnelle.

[7]      En ce qui a trait à la contestation de nature constitutionnelle du requérant, celui-ci ne s'est vraiment pas conformé à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, qui l'obligeait à aviser tous les procureurs généraux du Canada de cette question. Il appert du dossier de la Cour que, le 28 novembre 1997, le requérant a déposé un affidavit de signification (doc. 23) dans lequel il a déclaré sous serment que [TRADUCTION] "conformément à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale", *** [il a] "avisé les dix procureurs généraux provinciaux [sic ] et le procureur général fédéral que, le 5 décembre 1997, au 330 University Avenue, dans la ville de Toronto, il présenterait à la Cour fédérale une question concernant les droits individuels que la Charte des droits protège et ceux qui sont définis dans la Déclaration des droits du contribuable de Revenu Canada". Ce document n'indique pas à la Cour à quel moment et de quelle façon le requérant a avisé les procureurs généraux, de sorte que la preuve de la signification exigée aux termes de l'article 57 n'a pas été établie. De plus, le texte de l'avis en question indique de façon imprécise [TRADUCTION] "qu'une question d'ordre constitutionnel sera présentée *** [lieu et date] *** au sujet de la validité constitutionnelle des mesures de Revenu Canada et des droits individuels protégés par la Charte canadienne des droits et libertés et par la Déclaration des droits du contribuable de Revenu Canada". Cet avis ne fait nullement état de l'intention du requérant de contester le caractère constitutionnel du paragraphe 155(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques et du paragraphe 164(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce qui aurait permis aux procureurs généraux provinciaux d'intervenir s'ils craignaient qu'une disposition législative provinciale semblable ne soit mise en péril. En raison des lacunes de l'avis en question (même si celui-ci semble être daté du 1er novembre 1997) ainsi que de l'affidavit de signification, la Cour a refusé de conclure que l'article 57 avait été respecté et, par conséquent, la question d'ordre constitutionnel que le requérant soulève en l'espèce ne peut être examinée.

[8]      Le requérant a cité à la Cour un certain nombre de décisions et de documents qui lui permettraient apparemment de soutenir que Revenu Canada n'a pas le droit de retenir son remboursement d'impôt. Le volume d'autorités restreint et incomplet du requérant renferme plusieurs décisions présentées en vrac et peu d'entre elles s'appliquent. Le requérant tente essentiellement de distinguer l'arrêt Mintzer c. La Reine (1997), 95 D.T.C. 6027 (C.A.F.) (ci-après Mintzer) en disant que le MRN peut opérer la compensation seulement entre des dettes fiscales. Même si l'arrêt Mintzer portait sur la compensation opérée entre des dettes fiscales, aucun élément de la Loi de l'impôt sur le revenu ou de la décision en question ne restreint la compensation à ce type de dette. Voici les commentaires (résumés en partie) que le juge Stone a formulés au nom de la Cour :

         L'appelant soutient que le paragraphe 65(1.1), entré en vigueur le 13 juillet 1995, interdit de compenser un arriéré d'impôt par des prestations, car pareille compensation vaut "exécution de saisie et saisie-arrêt". L'intimée propose trois arguments pour réfuter cette interprétation des mots "exécution de saisie" et "saisie-arrêt" qui cherche à faire échec au droit de compensation prévu à l'article 224.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu . En premier lieu [ne s'applique pas en l'espèce]. En deuxième lieu, de même que "compensation" et "saisie" sont deux concepts juridiques différents, de même "compensation" d'une part, et "saisie-arrêt" et "exécution de saisie" d'autre part. ***         
         *** *** ***         
         Dans Sigurdson v. The Queen in right of British Columbia, [1982], 132 D.L.R. (3d) 131 (C.A.C.-B.), le juge Carrothers de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, rendant le jugement de la majorité, s'est prononcé en ces termes à la page 592:         
         [traduction] Les règles de droit en matière de compensation véritable sont bien établies. Une compensation véritable de la dette ne peut avoir lieu qu'entre deux débiteurs qui sont aussi créanciers l'un de l'autre. La compensation est simplement la remise ou l'annulation à due concurrence de dettes réciproques en défalquant de la créance de l'un sa dette envers l'autre. Une compensation est une demande reconventionnelle à due concurrence de dettes mutuelles ou réciproques à l'égard des mêmes parties, en ce qui concerne le même droit.                 
     Il est manifeste que "compensation" est un concept juridique tout à fait différent de "saisie" et de "saisie-exécution" en common law comme en equity. (p. 6033-6034)         

     Cependant, même si cette compensation constituait une saisie, ce qui n'est pas le cas, cette mesure n'est pas déraisonnable, en autant qu'il est possible de faire trancher la question par un tribunal compétent. Après tout, si un défendeur ordinaire dans une affaire contractuelle (par exemple) peut invoquer une compensation à l'encontre d'une réclamation du demandeur, le gouvernement du Canada, qui représente tous les citoyens et tous les contribuables, devrait-il être privé du même droit simple et raisonnable?

[9]      Il appert clairement du libellé de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur la gestion des finances publiques que le Parlement n'avait pas l'intention de restreindre les pouvoirs du ministre du Revenu national de façon que celui-ci puisse percevoir uniquement les dettes fiscales dues à Sa Majesté aux termes des dispositions citées, mais qu'il voulait plutôt permettre le recouvrement de toute dette impayée ou la compensation s'y rapportant en faveur de Sa Majesté La Reine du chef du Canada.

[10]      La "Déclaration des droits du contribuable", dont une copie se trouve à la page 10 du dossier du requérant, ne semble reposer sur aucun fondement législatif ou constitutionnel. C'est un texte plein de bon sens, qui peut être considéré comme un document d'information. Cependant, le requérant, qui ne peut apparemment s'offrir les services d'un avocat, a été frappé par l'extrait suivant du document :

     Nous avons [c.-à-d. Revenu Canada] la responsabilité de percevoir le montant exact d'impôt, ni plus, ni moins.         

     C'est en se fondant sur cet extrait que le requérant a soutenu que les dispositions législatives précitées étaient inconstitutionnelles. En ce sens, l'intention juste et noble du gouvernement ne serait qu'un voeu pieux, le législateur n'ayant pas prévenu le profane qu'il existe néanmoins des dispositions permettant la compensation.

[11]      La véritable raison des procédures en l'espèce est le sentiment de frustration que ressent le requérant devant l'insensibilité, voire la brutalité avec laquelle l'agence de recouvrement du gouvernement a agi pour recouvrer ce que le requérant doit. Il se peut que l'agence de recouvrement se trouve en situation de conflit d'intérêts, selon la façon dont elle est rémunérée. Toutefois, si le requérant cessait de se comporter de façon infantile et si les fonctionnaires responsables du gouvernement (et non les agents de recouvrement) tentaient de discuter calmement et de façon rationnelle avec lui, les parties pourraient sans doute en arriver à un règlement à l'amiable au sujet du remboursement. Bien entendu, ce dialogue ne concerne nullement la Cour, dont le rôle se limite à trancher la demande de contrôle judiciaire du requérant. Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande est rejetée.

[12]      Compte tenu de la Règle 1618, en l'absence de raisons spéciales, aucuns frais supplémentaires ne sont adjugés aux parties. L'intimée acceptera peut-être de ne pas exiger les frais qui lui ont déjà été accordés le 23 octobre 1997, mais elle n'est pas tenue de le faire.

                             F.C. Muldoon

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 12 décembre 1997

Traduction certifiée conforme             

                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-112-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Gary William Craib c. Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          5 décembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU      juge Muldoon

EN DATE DU :              5 décembre 1997

ONT COMPARU :

M. Gary William Craib          le requérant, pour lui-même

Me Celia Rasbach              pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me George Thomson

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)              pour l'intimée


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