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Date : 20051012

Dossier : IMM-1516-05

Référence : 2005 CF 1391

ENTRE :

                                                           RAAD KHALID LUTFI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Il s'agit d'une histoire d'amour et de guerre qui s'est passée en Irak. En 1983, Raad Khalid Lutfi s'est marié avec Dunia al Safi, une fille de son entourage. Ils ont eu deux enfants ensemble. Ils ont divorcé en 1995. Peu après, Dunia et leurs deux enfants ont immigré au Canada. Dunia est maintenant citoyenne canadienne.

[2]                En 2002, Dunia est allée à Baghdad et s'est réconciliée avec Raad. Ils se sont remariés et Dunia a déposé une demande de parrainage au Canada au titre du regroupement familial en faveur de Raad.

[3]                La demande de parrainage a été rejetée pour deux motifs. Premièrement, M. Lutfi est membre d'une des catégories de personnes interdites de territoire visées à l'alinéa 35(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) parce qu'il occupe un poste de rang supérieur au sein du gouvernement irakien qui, de l'avis du ministre, s'est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne, ou a commis un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre. M. Lutfi était un officier de la force aérienne irakienne entre 1976 et 1996.

[4]                Le deuxième motif est que le divorce en était un de convenance. L'agent d'immigration était d'avis que le divorce prononcé en 1995 avait pour but principal de permettre à Mme Lutfi d'immigrer au Canada.

[5]                En l'espèce, il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision. Après l'audience, j'ai accordé la demande de contrôle judiciaire en précisant que les motifs écrits suivraient. Les voici :


ATTEINTE AUX DROITS HUMAINS OU INTERNATIONAUX

[6]                L'alinéa 35(1)b) de la LIPR prévoit :

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

¼

b) occuper un poste de rang supérieur -- au sens du règlement -- au sein d'un gouvernement qui, de l'avis du ministre, se livre ou s'est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l'humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre;

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

(¼)

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; or

[7]                Le 3 septembre 1996, les gouvernements irakiens d'Ahmed Hassan Al-Bakr et de Saddam Hussein, qui étaient au pouvoir depuis 1968, ont été décrits comme des régimes qui, de l'avis du ministre, avaient commis des crimes, en se livrant notamment à des violations graves des droits de la personne.

[8]                M. Lutfi n'a pris part personnellement à ces atrocités ni par ses propos, ni par ses actions. La question est de savoir s'il occupe un poste de rang supérieur. Le cas échéant, il n'est tout simplement pas pertinent que M. Lutfi ne soit pas personnellement blâmable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Adam, [2001] 2 C.F. 337 (C.A.F.)).

[9]                L'article 16 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) prévoit :

16. Pour l'application de l'alinéa 35(1)b) de la Loi, occupent un poste de rang supérieur au sein d'une administration les personnes qui, du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d'influencer sensiblement l'exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment :

16. For the purposes of paragraph 35(1)(b) of the Act, a prescribed senior official in the service of a government is a person who, by virtue of the position they hold or held, is or was able to exert significant influence on the exercise of government power or is or was able to benefit from their position, and includes

a) le chef d'État ou le chef du gouvernement;

(a) heads of state or government;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

(b) members of the cabinet or governing council;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

(c) senior advisors to persons described in paragraph (a) or (b);

d) les hauts fonctionnaires;

(d) senior members of the public service;

e) les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure;

(e) senior members of the military and of the intelligence and internal security services;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomatique de haut rang;

(f) ambassadors and senior diplomatic officials; and

g) les juges.

(g) members of the judiciary.

[10]            La question est de savoir si M. Lutfi était un responsable des forces armées. La seule définition du terme responsable est celle d'une personne qui, du fait de ses fonctions, est ou était en mesure d'exercer beaucoup d'influence.

[11]            L'agent des visas a conclu que M. Lutfi était un colonel. Au vu du dossier, il s'agit d'une erreur. Il était lieutenant-colonel. Selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, l'erreur serait suffisante en soi pour justifier une nouvelle audience.


[12]            Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, [2005] A.C.S. no 39 (QL), les faits étaient quelque peu différents en ce sens que M. Mugesera était réputé avoir commis personnellement, à l'étranger, des infractions qui auraient incité au meurtre, au génocide et à la haine au Rwanda. La Cour mentionne ce qui suit au paragraphe 43, en parlant de la décision de la Section de première instance (d'alors) de la Cour fédérale :

Saisi de la première demande de contrôle judiciaire, le juge Nadon, de la CF 1re inst., a écarté à juste titre les conclusions de M. Bourbonnais et de Mme Champoux Ohrt au motif qu'elles étaient manifestement déraisonnables. Il a estimé que « rien dans la preuve ne justifi[ait] les conclusions » (paragraphe 43).

De la même manière, en l'espèce, aucune preuve n'étaye la conclusion selon laquelle M. Lutfi occupait un poste de rang supérieur au sein du gouvernement irakien.

[13]            Citoyenneté et Immigration Canada a établi des lignes directrices aux fins d'évaluer l'interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux. Il est conseillé aux agents de s'adresser à leur unité des crimes de guerre régionale ou à tout autre unité compétente pour les aider à préparer le dossier. Il n'y a aucune preuve que cela a été fait. Il est également recommandé de prendre les mesures nécessaires pour vérifier le rang de la personne en question et savoir qui étaient ses supérieurs hiérarchiques et ses subalternes. Cette démarche a été entreprise, mais de manière inadéquate.

[14]            M. Lutfi était un technicien d'entretien d'aéronef qui n'avait jamais participé au combat, et qui n'était membre d'aucun parti politique. Le dossier ne comprend aucun renseignement sur la taille des forces armées, le nombre de grades supérieurs à celui de lieutenant-colonel et le nombre de personnes qui étaient titulaires de ces postes. Il y avait peut-être 100 000 généraux dans les forces armées irakiennes, la Cour n'en sait rien. Quels étaient les grades? Étaient-ce les mêmes grades qu'au Canada? Un lieutenant-colonel est loin d'être un chef d'État, un membre du cabinet, un conseiller principal, un ambassadeur ou un membre du service diplomatique de haut rang ou encore un juge; ces postes apparaissent tous à l'article 16 du Règlement.

[15]            Mis à part le contrôle judiciaire, rien n'empêche M. Lutfi de demander une exemption conformément au paragraphe 35(2) de la LIPR.

LE REGROUPEMENT FAMILIAL

[16]            Mme Lutfi est arrivée au Canada en janvier 1996, bien des mois avant que le régime irakien ne soit déclaré hors-la-loi. L'argument selon lequel, puisque M. Lutfi était interdit de territoire, tous les membres de la famille l'auraient été s'ils avaient présenté une demande d'immigration conjointe, n'est pas fondé.

[17]            Il est déraisonnable de déduire que le divorce n'était pas légitime parce M. Lutfi avait gardé des relations amicales avec son ex-épouse.


[18]            Si le divorce en était un de convenance, et rien dans le dossier n'étaye cette conclusion, ce n'était que pour faciliter le départ de l'Irak de Mme Lutfi et non pour l'aider à immigrer au Canada.

[19]            Les parties ont convenu qu'il n'y a aucune question de portée générale à certifier et je suis d'accord.

                                                                              « Sean Harrington »                   

                                                                                                     Juge                              

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 12 octobre 2005

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-1516-05

INTITULÉ :                            RAAD KHALID LUTFI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 5 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :           LE 12 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Sawsan Habbal                         POUR LE DEMANDEUR

Helen Park                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sawsan A. Habbal                     POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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