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Date : 20050623

Dossier : IMM-9550-04

Référence : 2005 CF 893

Vancouver (Colombie Britannique), le jeudi 23 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

MOHAMMAD LIAQAT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Il s'agit d'une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), visant à obtenir le contrôle judiciaire, en application de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, d'une décision prise le 28 juin 2004 par un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) de l'Agence des services frontaliers du Canada (l'agent), selon laquelle Mohammad Liaqat (le demandeur) n'est ni un réfugié ni une personne à protéger.


[2]         Le demandeur est un citoyen pakistanais âgé de 55 ans qui souffre de maladie mentale. Suivant ses propres observations, il est arrivé au Canada en juillet 1999 avec celle qui était à lpoque sa femme, et sa fille les a suivis peu après. Tous trois ont demandé le statut de réfugié. Selon les documents figurant au dossier du tribunal, il semble que les revendications aient été liées à un vol qualifié ainsi qu'aux menaces subies par la famille au Pakistan de la part du Sipak/Shaha (le SSP), en raison de l'adhésion de M. Liaqat à la confession musulmane chiite.

[3]         Suivant les observations du demandeur, ses problèmes mentaux ont commencé après le vol qualifié dont il a été victime en avril 1999. Avant son arrivée au Canada, le demandeur avait eu des contacts limités avec les autorités de santé mentale au Pakistan en mai 1999, et il avait reçu certains médicaments pour soigner la psychose, la paranoïa et les hallucinations.

[4]         Un an après son arrivée, c'est-à -dire le 13 juillet 2000, le demandeur a été placéinvolontairement à l'hôpital universitaire de la Colombie-Britannique où il a fait l'objet d'un diagnostic de schizophrénie et de dépression avec caractéristiques psychotiques. En décembre 2000, il a reçu son congé de l'hôpital après avoir été traité, et il a été placé sous les soins de son médecin de famille.


[5]         Entre-temps, le demandeur s'est séparé de son épouse et sa revendication du statut de réfugié a été dissociée de celles de cette dernière et de leur fille. En novembre 2000, la revendication du demandeur a été rejetée. En janvier 2001, les revendications de son ex-épouse et de sa fille ont été accueillies et elles ont obtenu le statut de réfugié.

[6]         Après le rejet de sa revendication, le demandeur a vécu comme un clochard; il dormait sur un matelas dans le bois, près du temple sikh de Vancouver, par lequel il était nourri et où il effectuait des petits travaux. Le demandeur a été arrêté pour renvoi et détenu. Le 30 avril 2004, il a fait une demande d'ERAR depuis son lieu de détention. Son état s'est détérioré et, 14 mai 2004, il a été placé involontairement dans un autre hôpital, où il a fait l'objet d'un diagnostic de dépression psychotique.

[7]         Le 28 juin 2004, une décision défavorable a été rendue relativement à sa demande d'ERAR; le demandeur a reçu cette décision le 11 novembre 2004.


[8]         Vu qu'il n'a pas comparu aux fins de son renvoi, le demandeur a été arrêté et il est demeuré en détention et/ou en liberté surveillée pendant six à sept mois environ. Deux audiences relatives à la détention ont été tenues les 16 avril et 21 mai 2004. Les transcriptions de ces audiences (pages 414-420 et 485-489 du dossier du tribunal) contiennent quelques renseignements additionnels pertinents. Il semble qu'une comparaison d'empreintes digitales effectuée par la GRC ait révélé qu'il s'agit de la troisième tentative du demandeur pour obtenir le statut de réfugié au Canada. Celui-ci aurait apparemment essayéde revendiquer le statut de réfugié à Toronto en octobre 1991 sous le nom d'Ali Liaqat, et sa revendication aurait été rejetée en avril 1993. Il aurait par la suite tenté de revendiquer le statut de réfugié en janvier 1994 sous le nom de Liaqatullah Malik, mais la double revendication aurait été découverte et il aurait été renvoyé du Canada en avril 1994. Il serait revenu au Canada en juillet 1999 sous le nom de Mohammad Liaqat pour intenter cette troisième revendication.

OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

[9]         Au commencement de la procédure, le demandeur a fait quatre observations :

1)          L'agent a commis une erreur de droit en ntablissant pas de lien avec un motif reconnu par la Convention, en dépit de l'appartenance du demandeur à un groupe social, c'est-à -dire les personnes atteintes de maladie mentale.

2)          L'agent a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en ne tenant pas compte du fait que le demandeur n'a pas de famille immédiate pour prendre soin de lui au Pakistan.

3)          L'agent a contrevenu aux obligations dquité procédurale en ne divulguant pas au demandeur les documents trouvés sur Internet qui ont servi de fondement à la prise de la décision.

4)          L'agent a contrevenu aux obligations dquité procédurale en ne fournissant pas de motifs adéquats.


[10]       Au commencement de l'audience, l'avocat du demandeur a informé la Cour que son client abandonnait les troisième et quatrième questions.

Question 1 :    L'agent a-t-il commis une erreur de droit en ntablissant pas de lien avec un motif reconnu par la Convention, en dépit de l'appartenance du demandeur à un groupe social, c'est-à -dire les personnes atteintes de maladie mentale?

[11]       Le demandeur cite la décision Zefi c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2003 CFPI 636, qui traite de la méthode d'analyse de l'appartenance à un groupe social au sens de la Convention. Comme l'indiquent les arrêts Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, et Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1995] 3 R.C.S. 593, la première étape consiste à établir qu'il existe un problème concernant les droits de la personne ou la discrimination. La seconde étape consiste à établir que la persécution est causée par l'appartenance à ce groupe.

[12]       Le demandeur invoque également les trois facteurs énoncés dans l'arrêt Ward, précité, qui peuvent être utilisés pour reconnaître les membres d'un groupe social : 1) les caractéristiques innées ou immuables du groupe; 2) l'association volontaire au groupe pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et 3) l'association à un groupe par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.


[13]       Le demandeur prétend que sa maladie mentale constitue une caractéristique innée et immuable. Le demandeur ajoute que bien que sa gravité puisse varier selon les traitements, la dépression psychotique est un trait fondamental de son état psychologique.

[14]       Le demandeur note que l'ancienne Section du statut de réfugié (la SSR) avait reconnu qu'une personne souffrant d'une incapacité physique faisait partie d'un groupe social susceptible dtre persécuté, et que le United States Immigration and Naturalization Service (US INS) a conclu également qu'un enfant autiste pakistanais était susceptible dtre persécuté en raison de son état de santé. Le demandeur poursuit en disant que, dans la [traduction] « jurisprudence antérieure » , il a été conclu que les personnes souffrant d'incapacités physiques et mentales faisaient partie d'un groupe social, et que l'agent n'avait aucune raison de scarter de ces décisions. (On ne sait pas avec certitude si le demandeur se réfère aux conclusions de la SSR et du US INS, ou bien à une jurisprudence qui n'est pas citée.)

Question 2 :    L'agent a-t-il fondésa décision sur une conclusion de fait erronée en ne tenant pas compte du fait que le demandeur n'a pas de famille immédiate pour prendre soin de lui au Pakistan?


[15]       Le demandeur prétend que l'agent a fondé ses conclusions concernant l'existence de traitements au Pakistan sur le fait que le demandeur avait reçu une assistance médicale limitée avant son départ pour le Canada. Le demandeur déclare qu'il avait alors les moyens de se payer des médicaments, ce qui n'est plus le cas, ainsi que de la famille pour l'aider, ce qui n'est plus le cas non plus. Le demandeur déclare que ceux de ses enfants qui restent au Pakistan - dont j'aborderai le cas plus tard - vont venir rejoindre son ex-épouse au Canada, et qu'un [traduction] « différend foncier » l'a éloigné de ses frères.

[16]       Le demandeur déclare que la preuve documentaire indique que les personnes souffrant de maladie mentale au Pakistan n'ont accès à des traitements que si elles disposent de ressources financières et d'aide familiale. Autrement, celles-ci sont laissées à [traduction] « la merci de la société en général et de ltat » , une situation que le demandeur qualifie de [traduction] « tragique » .

[17]       Le demandeur ajoute que la preuve documentaire dont l'agent était saisi montrait précisément le caractère largement répandu au Pakistan des maladies mentales - qui sont communément attribuées à la magie noire ou à de mauvais esprits -, la perpétration d'[traduction] « atrocités et [de] brutalités » par des [traduction] « charlatans » sous guise de traitements (y compris l'administration dlectrochocs par les médecins de ltat, ou bien l'enchaînement à des sanctuaires par des guérisseurs spirituels), le caractère improbable du changement de cette situation dans un avenir prochain, la discrimination et la stigmatisation dont sont victimes les personnes atteintes de maladie mentale, et la pénurie grave de psychiatres au Pakistan (seulement 300 pour une population de 140 millions d'habitants).


[18]       Le demandeur souligne également un courriel d'un éminent psychiatre pakistanais (à la page 400 du dossier du tribunal) selon lequel les personnes atteintes de maladie mentale qui n'ont pas de ressources familiales se retrouvent souvent dans la rue. Le demandeur prétend que depuis sa séparation de sa famille au Canada, il est devenu un clochard et qu'il pourrait difficilement anticiper un sort meilleur au Pakistan où il n'y a pas de filet de sécurité sociale comparable à celui qui se trouve au Canada.

OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR

[19]       Le défendeur fait trois observations.

1)          Compte tenu de l'ensemble de la preuve, la décision était raisonnable

Le défendeur prétend que l'agent a étudié soigneusement les observations du demandeur, son état de santé, sa situation personnelle, la situation au Pakistan et, en particulier, le traitement des malades mentaux dans ce pays. Le défendeur déclare que l'agent a conclu qu'en tant que membres d'un groupe social, les malades mentaux ntaient pas persécutés au Pakistan : une pénurie d'installations de soins aux patients nquivaut pas à une absence totale d'installations ni à de la persécution.


[20]       Le défendeur prétend qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves « claires et convaincantes » , comme l'exige l'arrêt Ward, précité, démontrant que la protection accordée par ltat aux malades mentaux au Pakistan stait détériorée au point où il était devenu impossible de présumer l'existence de cette protection, selon une norme plus rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités (Ward, précité; Doka c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 449. Le défendeur ajoute que le demandeur avait, selon son propre témoignage, déjà reçu au Pakistan, avant d'entrer au Canada, un traitement médical pour sa maladie.

[21]       Le défendeur ne répond pas aux observations du demandeur concernant l'absence d'aide familiale, au motif que cette preuve est liée à l'existence de considérations d'ordre humanitaire, ce qui n'est pas en cause ici, plutôt qu l'existence de persécution.

[22]       Le défendeur prétend que le demandeur tente de faire réévaluer la décision de l'agent, alors qu'il est bien établi que les conclusions de l'agent sont assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable et qu'elles ne peuvent être réévaluées par la Cour.

[23]       Le défendeur soutient que l'agent a étudié la totalité des circonstances pertinentes, qu'il a cité des documents concernant la situation dans le pays et qu'il a décidé que la demande du demandeur ntait pas fondée. Le défendeur ajoute que le demandeur n'a fourni, ni preuve, ni observation, en ce qui concerne la partie de sa demande concernant l'article 97, mais que l'agent s'est penché de toute manière sur cette question, notant que le demandeur ne saurait prétendre être une personne à protéger en application du sous alinéa 97(1)b)(iv). (Cette disposition de la LIPR prévoit expressément que le risque ou la menace ne saurait résulter de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santéadéquats.) Le défendeur prétend que toutes ces conclusions étaient à la fois adéquates et raisonnables.


LA NORME DE CONTRÔLE

[24]       La question de la norme de contrôle applicable à la décision d'un agent d'ERAR ne semble pas réglée, et cette confusion transparaît dans les observations. Les divergences de vues dans la jurisprudence concernant l'ERAR ont été analysées récemment par le juge Blanchard dans la décision Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 872, au paragraphe 16 :

[16] Les agents chargés de procéder aux examens des risques avant renvoi ont des connaissances spécialisées en matière dvaluation des risques. Leurs conclusions sont en général dictées par les faits et, à mon avis, elles justifient de la part d'une juridiction de contrôle une retenue considérable. La jurisprudence ne semble pas totalement fixée sur la question de savoir si les conclusions d'un agent d'ERAR sont réformables selon la norme de la décision raisonnable simpliciter ou selon la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir l'affaire Sidhu c. Canada (MCI), [2004] A.C.F. n ° 30, en ligne : QL, 2004 CF 39, au paragraphe 7, et l'affaire Joseph c. Canada (MCI), [2004] A.C.F. n ° 392, en ligne : QL. Il ne m'est pas nécessaire de décider ce point, vu les circonstances de la présente affaire, puisque ma conclusion est la même quelle que soit la norme appliquée.

[25]       Le juge Linden de la Cour d'appel fédérale (2005 CAF 160) a confirmé cette décision, bien qu'il n'ait pas abordé précisément le commentaire concernant la norme de contrôle.

[26]       En l'instance, la question peut être réglée par une analyse de la nature des questions en litige.


[27]       La question concernant l'absence de famille peut vraisemblablement être tranchée en fonction de l'exactitude des faits, comme l'indiquera mon analyse, et le lien entre la maladie mentale et l'appartenance à un groupe social semble être reconnu par le défendeur.

[28]       La dernière question est la protection de ltat, qui sera analysée dans la section des présents motifs intitulée « L'insuffisance de lien » . Dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2005 CF 193, la juge Tremblay-Lamer a récemment appliqué la méthode pragmatique et fonctionnelle et a conclu que la norme de contrôle applicable à une décision concernant l'existence d'une protection étatique était la décision raisonnable simpliciter. Cette décision a résolu un conflit jurisprudentiel sur ce point.

ANALYSE

(i)          L'insuffisance de lien        

[29]       Le défendeur semble reconnaître qu'en raison de sa maladie mentale, le demandeur appartient à un groupe social. Je suis d'accord avec le défendeur. Le défendeur prétend que l'agent en a tenu compte et a conclu à l'absence de lien entre l'appartenance à ce groupe et un traitement équivalant à de la persécution. Bien que le libellé de la décision de l'agent n'indique pas du tout clairement qu'il s'agissait bel et bien de la conclusion tirée, les constatations de l'agent semblent fondées sur la faiblesse du lien avec la persécution plutôt que sur l'appartenance à un groupe social.


[30]       Le défendeur assimile le traitement médical à la protection de ltat, et prétend qu'il y a toujours lieu de présumer l'existence de celle-ci, comme l'indique l'arrêt Ward, sauf en cas d'effondrement complet de l'appareil étatique. À l'encontre de cette thèse, le demandeur semble prétendre que, vu le nombre très restreint de psychiatres par personne au Pakistan et les formes de traitements qui prolifèrent en leur absence, il serait victime de traitements cruels et inusités. Le demandeur cite la preuve documentaire à l'appui de cet argument.

[31]       Le problème que pose la présomption de l'existence de traitements pour les maladies mentales est que ces traitements sont en général insuffisamment développés, même dans les pays occidentaux; comme le demandeur l'a noté, même au Canada, il s'est retrouvé dans la rue en raison de ses problèmes de santé mentale. Par conséquent, le niveau normal de protection de ltat contre cette éventualité est déjà très bas partout dans le monde.


[32]       Bien que l'on puisse considérer ou non le renvoi de quelqu'un à une vie de démuni comme un traitement cruel et inusité, d'autres méthodes de « soins » aux maladies mentales au Pakistan possèdent également quelques-unes de ces caractéristiques, c'est-à -dire l'enchaînement à des sanctuaires (à la page 372 du dossier du tribunal), la discrimination et la stigmatisation (à la page 374 du dossier du tribunal), [traduction] « les atrocités et les brutalités » (à la page 377 du dossier du tribunal), ainsi que les peines destinées à chasser les « mauvais esprits » (à la page 393 du dossier du tribunal).

[33]       Selon un article d'IRIN News faisant partie de la preuve documentaire (à la page 372 du dossier du tribunal) :

[traduction] Bien que le sanctuaire offre la tranquillité d'esprit dans un pays qui ne dispose que de peu d'installations pour la prestation de soins de santé mentale, des critiques ont été faites à lgard de la manière dont certaines personnes sont abandonnées là , en particulier les personnes qui sont enchaînées. Toutefois, les autorités locales prétendent qu'elles ne sont pas au courant de cette situation. « Je ne connais pas ce sanctuaire, mais si nous apprenons que des gens sont maltraités ou torturés, nous les ferons relâcher immédiatement » , nous a dit l'agent de coordination du district de Tatta, Mahmud Ahmad Khan. Il a ajouté qu'il reconnaissait qu'il s'agissait là d'un problème sérieux de droits de la personne.

Les dirigeants religieux locaux désapprouvent également ces pratiques. « Les gens ne devraient pas être enchaînés. Cela va l'encontre de la dignité humaine et c'est inutile » , nous a dit Muhammad Tufayl Thattvi, un expert en religion. Il a ajouté que dans la plupart des cas, les membres des familles amenaient leurs proches enchaînés parce qu'ils pensaient que ceux-ci étaient dangereux. « Il est de tradition de les amener enchaînés ou menottés » , a-t-il expliqué.

[34]       L'article indique également que ltat a fait un effort pour prendre en charge ces sanctuaires, mais que ceux-ci ne sont pas encore tous dirigés par ltat. D'autres documents montrent que le gouvernement déploie des efforts importants pour améliorer la prestation des services de santé mentale, ainsi que les attitudes sociales envers les malades mentaux (on trouve aux pages 384-388 du dossier du tribunal des détails sur les programmes gouvernementaux à cet égard). Le gouvernement pakistanais a également adopté en 2001 une nouvelle loi concernant les soins aux malades mentaux (à la page 390 du dossier du tribunal).


[35]       La norme de contrôle applicable à cet aspect de la décision est la décision raisonnable. L'arrêt Ward, précité, impose également au demandeur l'obligation de réfuter la présomption de protection de ltat. Compte tenu des graves problèmes de crédibilité du demandeur, il lui est difficile dtre convaincant sur toute question de fait, sauf pour ce qui concerne son propre état psychologique, lequel a été confirmé de manière indépendante par des professionnels de la santé dont les rapports figurent au dossier. Par conséquent, la preuve relative à la situation dans le pays constitue la source d'information déterminante.

[36]       Même si l'on peut considérer comme assez primitives certaines des formes de traitements utilisées à certains endroits au Pakistan, l'agent dans sa décision souligne à bon droit que des efforts sont déployés afin de corriger la situation et fait état des progrès accomplis jusqu présent. On ne s'attend pas à ce que la protection de ltat soit parfaite, comme l'a répété récemment la juge Mactavish dans la décision Varga c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2005 CF 617 :

[11]        Comme la Cour suprême l'a fait remarquer dans l'arrêt Ward, précité, l'intéressé qui veut démontrer que la protection étatique n'est pas accordée ne doit pas simplement se contenter de démontrer que la protection accordée par ltat n'est pas parfaite, c'est-à -dire que le fait qu'un gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger les gens qui se trouvent dans la même situation que le demandeur d'asile en cause ne suffit pas pour établir que la protection étatique n'est pas accordée à celui-ci dans son pays d'origine, et ce, parce qu'on ne saurait s'attendre à ce qu'un gouvernement garantisse en tout temps la sécurité de tous ses citoyens : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.).

[12]        L'intéressé doit plutôt fournir une preuve claire et convaincante montrant que ltat ne sera pas en mesure de le protéger.


[37]       En ce qui concerne la prétention du demandeur selon laquelle sa protection dépend de ses ressources financières et de son soutien familial, il semble que celui-ci ait davantage de soutien familial au Pakistan qu'il ne le prétend (voir la section des présents motifs intitulée « L'absence de famille » ). Il semble également que le demandeur ait des contacts médicaux au Pakistan. La décision initiale en ce qui concerne sa revendication décrit comme suit sa situation au Pakistan (à la page 551 du dossier du tribunal) :

Vous êtes un homme d'affaires connu, réputé puisque vous êtes pharmacien-naturopathe. Vous êtes propriétaire de ldifice dans lequel se trouve la pharmacie que vous gérez avec un associé.

[38]       Il semble également qu'au Pakistan le demandeur n'ait pas uniquement reçu des médicaments, mais qu'il ait aussi été hospitalisé : les notes du médecin canadien font référence à l'hospitalisation du demandeur tout juste après l'incident de cambriolage ayant apparemment donné lieu à ses problèmes de santé mentale, ainsi qu'au traitement continu que le demandeur a reçu à la clinique externe pendant quelques semaines (page 366 du dossier du tribunal). D'autres notes médicales font état d'une hospitalisation au Pakistan il y a environ huit ans (page 403 du dossier du tribunal). Si ces notes sont exactes, le demandeur a reçu au Pakistan les formes plus usuelles de soins et il est connu par les autorités de santé mentale de ce pays. (Il convient de noter que l'ex-épouse du demandeur a déclaré (page 397 du dossier du tribunal) que ce dernier n'avait pas été hospitalisé au Pakistan. Elle a affirmé également que l'oncle du demandeur avait vendu sa pharmacie.)


[39]       Il semble donc que le demandeur ait cherché à obtenir et obtenu au Pakistan la protection de ltat sous la forme de soins de santé mentale, bien qu'on ne connaisse pas exactement ltendue de la protection obtenue.

[40]       En ce qui concerne l'article 97, il semble que le défendeur ait raison de prétendre que le sous-alinéa 97(1)b)(iv) empêche le demandeur d'invoquer l'absence de soins médicaux adéquats dans son pays d'origine :

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée_:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant_:

[...]

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

[...]

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.


[41]       Le juge Russell a commenté récemment l'interprétation de cette disposition dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 288. Il a déclaré que la question de l'accessibilité ou du caractère abordable, pour le demandeur, des soins de santé n'est pas pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer si ces soins sont adéquats pour l'application de l'exception prévue à l'article 97 :

[...] La question d'une menace à la vie suivant l'article 97 ne devrait pas inclure l'obligation dvaluer la question de savoir s'il existe des soins médicaux et de santéadéquats dans le pays en question. Il y a diverses raisons pour lesquelles les soins médicaux et de santépeuvent être « inadéquats » . Il se peut que ces soins n'existent pas du tout ou qu'ils ne soient pas offerts à un demandeur en particulier parce qu'il n'est pas dans une situation dans laquelle il peut en profiter. Lorsqu'un demandeur n'a pas la possibilité d'obtenir ces soins, alors ils ne sont pas adéquats pour lui[1].

(ii)         L'absence de famille

[42]       Le défendeur ne fait aucune observation sur ce point sinon pour noter que l'existence d'un soutien familial est une considération d'ordre humanitaire, et non pas un facteur de persécution.


[43]       Cependant, les observations du demandeur peuvent être rejetées pour un autre motif : elles semblent inexactes. Les dossiers médicaux du demandeur fournissent des détails sur la situation au Pakistan de trois autres enfants, outre sa fille au Canada. Ces enfants, dont deux sont maintenant adultes, habitent chez des parents en attendant la possibilité d'entrer au Canada sous le parrainage de leur mère. Aux pages 121,126 et 128 des observations du demandeur, se trouvent des copies de notes médicales fournissant des détails sur la situation et lge de ces enfants au moment où ces notes ont été prises.

[44]       Le dossier du tribunal renferme également des documents démontrant l'existence de ces enfants. Un document de l'Agence des services frontaliers du Canada, à la page 440 du dossier du tribunal, nomme les enfants restés au Pakistan et donne leur date de naissance. Dans la décision initiale sur la revendication du demandeur, la Section du statut de réfugié parle également de ses enfants (à la page 548 du dossier du tribunal) :

S'il a laissé son héritier, son fils aîné, et ses autres enfants au Pakistan, c'est tout simplement parce que l'agent n'a pu les faire sortir. Pourtant, six mois après son arrivée au Canada en juillet 1999, sa fille Saidia est arrivée.

Plus loin dans sa décision, la Section du statut de réfugié fait de nouveau référence aux enfants (page 551 du dossier du tribunal) :

Votre fils aîné continue à gérer cette entreprise [...] Vos plus jeunes enfants demeurent chez des parents à Sialkot oùvous possédez également des biens que vous louez [...]


[45]       Il semble que l'un de ses enfants au Pakistan ait actuellement 22 ans, que l'autre ait 20 ans, et le troisième ait 17 ans. La seule mention de ces enfants faite dans le mémoire du demandeur se trouve dans sa déclaration suivant laquelle ceux-ci partiront bientôt pour le Canada, alors qu'ils ne l'ont apparemment pas encore fait, cinq ans après le départ de leurs parents et quatre ans après que leur mère et leur soeur ont obtenu le statut de réfugié au Canada. Le demandeur déclare également dans son mémoire qu'il n'a pas plus de contact avec ses frères et qu'il n'a pas d'autre famille proche, alors qu'un « oncle » semble avoir accepté de prendre ses enfants chez lui lorsque celui-ci est parti pour le Canada. Les motifs de l'incapacité de s'appuyer sur l'aide de ces membres de la famille immédiate semblent, pour le moins, vagues.

[46]       Toutefois, il convient de noter que l'ex-épouse du demandeur déclare que l'oncle qui avait initialement pris soin des enfants les avait obligés à partir, et que ceux-ci résidaient maintenant chez son cousin à elle. Elle déclare également qu'elle prévoit parrainer les autres enfants dès qu'elle aura la résidence permanente au Canada. Elle dit qu'elle ne parrainera pas le demandeur. Il est donc possible que, bientôt, il n'y ait plus au Pakistan de famille prête à s'occuper du demandeur, même si telle n'est pas la situation actuelle.

CONCLUSION


[47]       Bien que le demandeur ne semble pas « faire semblant » de souffrir de maladie mentale, chacune de ces revendications a fait l'objet d'inventions importantes. En raison de la difficulté qu'il y a à discerner ce qui est vrai dans les déclarations d'une personne dans ltat psychologique du demandeur, il est difficile de déterminer dans quelle mesure ses contradictions découlent de la confusion et dans quelle mesure il tente tout simplement de trouver une manière de demeurer ici pour faire soigner sa maladie. Cependant, en raison de ses revendications antérieures du statut de réfugié sous différents noms, et du manque de cohérence de ses déclarations sur divers points, il ne semble pas être justifié d'annuler les conclusions de fait tirées par l'agent.

[48]       La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l'une ni l'autre des parties n'avait de question à soumettre aux fins de certification.

ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Max M. Teitelbaum »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                   IMM-9550-04

INTITULÉ:                                                    MOHAMMAD LIAQAT

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                            VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 21 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux                                           POUR LE DEMANDEUR

Helen Park                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates                                     POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] Au paragraphe 24.

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