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Date : 20000706


Dossier : IMM-3750-99


OTTAWA (ONTARIO), LE 6 JUILLET 2000

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE PIERRE DENAULT


ENTRE :

     RUHENA AKHTER, ARIF MD. MONSUR KHAN

     et ATEF MD. AHBAB KHAN

     demandeurs

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 22 juin 1999 est accueillie. Par conséquent, la décision de la Commission est annulée et l'affaire renvoyée devant la SSR pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

    

     Juge

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.





Date : 20000706


Dossier : IMM-3750-99



ENTRE :

     RUHENA AKHTER, ARIF MD. MONSUR KHAN

     et ATEF MD. AHBAB KHAN

     demandeurs


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT :




[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui refusait aux demandeurs, une mère et ses deux enfants mineurs originaires du Bangladesh, le statut de réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS :


[2]          La demanderesse principale, âgée de 28 ans, revendique le statut de réfugié au Canada, alléguant avoir une crainte fondée de persécution dans son pays d'origine en vertu de son appartenance à un groupe social particulier, à savoir les femmes victimes de violence conjugale. Ses deux fils mineurs qu'elle a représentés à l'audience réclament le même statut en se basant sur son récit.



[3]          Le 20 juin 1991, alors âgée de 20 ans, elle épousait Altafur Rahman Khan, un agent de voyage travaillant pour son compte de neuf ans son aîné. Après son mariage, elle est allée vivre avec lui dans la maison de ses beaux-parents et de leurs enfants. Son mari se serait alors adonné à la boisson et aux drogues, en plus de connaître souvent des difficultés financières. Pendant cette époque, elle a été violentée, particulièrement lorsqu'elle refusait de demander de l'argent à sa famille.



[4]          La demanderesse est tombée enceinte en janvier 1993 et elle a été accusée d'adultère par les membres de sa belle-famille qui l'ont battue pour lui faire révéler l'identité du père. Lorsque les membres de sa propre famille ont appris la chose, ils ont soumis l'affaire au conseil d'arbitrage du village (salish), qui a autorisé la demanderesse à résider durant sa grossesse au domicile de ses parents1. Après la naissance de l'enfant le 9 octobre 1993, la demanderesse a réintégré la maison de ses beaux-parents avec son premier fils en janvier 1994. La demanderesse a donné naissance à un deuxième fils le 25 août 1995. En mars 1996, les difficultés de la demanderesse avec son mari et sa belle-famille se sont aggravées au point où le conseil d'arbitrage municipal est intervenu de nouveau et celui-ci a invité l'époux [TRADUCTION] « à s'abstenir de se comporter à l'avenir de cette façon » .2



[5]          La demanderesse a un frère, Abul Md Shamin, qui a obtenu le statut de réfugié au Canada. Grâce à l'aide de celui-ci, le père, la mère, la soeur et les trois frères de la demanderesse se sont établis au Canada en novembre 1995. Le 25 novembre 1998, la demanderesse, ses deux fils et son conjoint, suite à une décision que ce dernier aurait prise 11 mois plus tôt, quittaient leur pays pour le Canada à l'aide de faux documents de voyage, y arrivant le 4 décembre 1998. Ils ont tous demandé le même jour le statut de réfugié en se fondant sur les opinions politiques du mari.



[6]          La demanderesse et sa famille ont résidé dans l'appartement occupé par ses parents que son mari a quitté le 7 décembre 1998, après avoir brutalisé et menacé de tuer toutes ces personnes. Arrêté par la police le lendemain pour cette agression et pour avoir proféré des menaces de mort, l'accusé a plaidé coupable par la suite et a été condamné à deux ans de probation.



[7]          Le 22 janvier 1999, un membre de la Commission a fait suite à la demande présentée par la demanderesse qui sollicitait de la Commission que sa demande et celles de ses deux enfants, qui devaient être entendues conjointement avec celle de son mari, soient séparées de la demande de celui-ci. D'après le formulaire de renseignements personnels du mari, celui-ci vit à Toronto depuis février 1999, mais le dossier ne contient aucun élément indiquant quel est le statut actuel de sa demande de statut de réfugié. Le couple est maintenant légalement séparé.



[8]          La Commission a conclu que la crainte de persécution de la demanderesse n'est pas fondée. Elle a d'abord conclu que la demanderesse avait encore une grand-mère et des oncles maternels au Bangladesh, malgré son allégation selon laquelle elle n'avait plus de parents dans son pays susceptibles de la protéger. Elle a également conclu que le retour du mari de la demanderesse au Bangladesh était « purement hypothétique » puisqu'il vivait maintenant à Toronto en attendant que sa demande de statut de réfugié soit entendue, et elle a noté que la demanderesse n'a eu aucun problème lorsqu'elle s'est séparée de son mari en 1993 et en 1996. La Commission ajoute qu'un tribunal municipal du lieu de résidence de la demanderesse avait jugé en sa faveur et l'avait protégé en avril 1993 et en juin 1996 lorsqu'elle a porté plainte contre son mari en raison de son comportement violent. La Commission a finalement décidé que la demande de la demanderesse ne reposait sur aucun élément de preuve crédible au sens du paragraphe 69.1 (9.1) de la Loi sur l'immigration3.



[9]          Dans son mémoire sur le droit et à l'audience, l'avocate des demandeurs a soulevé plusieurs points pour lesquels elle a contesté la décision de la section du statut. L'avocate soutient que la Commission a) n'a pas évalué le risque que la demanderesse soit maltraitée par des membres de la famille de son mari, si elle retournait au Bangladesh, b) a mal appliqué la norme en matière de crainte de persécution lorsqu'elle a déclaré que le retour du mari au Bangladesh était « purement hypothétique » , c) a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que les demandeurs avaient bénéficié de la protection de l'État sous la forme des verdicts du conseil d'arbitrage du village (salih), instance décrite à tort comme étant un « tribunal municipal » , d) a omis d'évaluer la demande des demandeurs mineurs malgré la présence d'éléments indiquant qu'ils avaient également été maltraités par leur père. L'avocate soutient enfin que la Commission a mal appliqué les critères permettant de conclure à l'absence d'éléments crédibles au sens du paragraphe 69.1(9.1) et que, compte tenu du jugement prononcé récemment par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada4, la Commission aurait dû motiver cette conclusion.



[10]          Après avoir examiné le dossier, je suis convaincu qu'en l'espèce, la Cour est fondée à intervenir.



[11]          Premièrement, le dossier indique clairement tant dans le FRP5 que dans son témoignage6 que la demanderesse principale a déclaré à plusieurs reprises qu'elle avait été agressée physiquement par la mère et les soeurs de son mari et qu'elle craignait que ces derniers ne la maltraitent encore si elle retournait au Bangladesh. Ce risque est encore aggravé du fait qu'elle est maintenant séparée de son mari au Canada et que celui-ci a été condamné à deux ans de probation après avoir plaidé coupable à une accusation d'agression et de menaces de mort. La Commission n'a toutefois pas mentionné ce motif de persécution. J'estime que la Commission était tenue d'évaluer la crainte de la demanderesse d'être persécutée par les membres de sa belle-famille.



[12]          J'estime que la Commission a également commis une erreur lorsqu'elle a déclaré que le retour du mari de la demanderesse au Bangladesh était « purement hypothétique » . L'ex-mari de la demanderesse n'est pas un ressortissant du Canada, il ne possède aucun statut officiel dans ce pays si ce n'est celui de demandeur du statut de réfugié en attente d'une décision. Il paraît impossible de présumer que celui-ci va obtenir le statut de réfugié. Au contraire, étant donné qu'il a encore un fils au Bangladesh7 et qu'il a maintenant un casier judiciaire, la Commission aurait dû déduire de ces éléments que, s'il n'obtenait pas le statut de réfugié, il était susceptible de retourner au Bangladesh. Son retour dans son pays d'origine n'est pas purement hypothétique, comme l'a déclaré la Commission.



[13]          Je conclus également que, dans la mesure où les demandeurs mineurs représentés par leur mère ont également sollicité le statut de réfugié, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d'évaluer les risques de persécution que courent ces enfants8, puisque les éléments de preuve montrent qu'ils ont été battus par leur père tant au Bangladesh9 qu'au Canada10. Les conclusions de la Commission au sujet de la demande de la demanderesse principale fondée sur son appartenance au groupe des femmes ne s'appliquent pas nécessairement aux demandes des enfants et ces derniers auraient dû faire l'objet d'une évaluation indépendante.11



[14]          Compte tenu du fait que j'ai conclu à l'annulation de la décision de la Commission, il ne sera pas nécessaire d'examiner les autres points soulevés par l'avocate de la demanderesse, ni de certifier l'une des trois questions graves d'importance générale soulevée par l'avocate de la demanderesse.



[15]          La présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l'affaire renvoyée devant la Commission pour qu'elle soit entendue par un tribunal composé de membres différents.


OTTAWA (Ontario)

Le 6 juillet 2000

    

     Juge

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3750-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          RUHENA AKHTER et autres

                     c.

                     MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 12 JUIN 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE DENAULT

EN DATE DU :              6 JUILLET 2000

ONT COMPARU :             
PIA ZAMBELLI              POUR LE DEMANDEUR
MARIE-NICOLE MOREAU          POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

PIA ZAMBELLI              POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


__________________

1      Dossier du tribunal (D.T.), p. 62.

2      D.T., p. 64.

3      L.R.C. (1985), ch. I-2.

4      [1999] 2 R.C.S. 817.

5      D.T., p. 26 et 27.

6      D.T., p. 236 et 237.

7      D.T., p. 200.

8      Seevaratnam c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-3728-98 (11 mai 1999).

9      D.T., p. 26 et 27.

10      D.T., p. 41 à 44.

11      Chehar c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-450-96, 27 nov. 1997.

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