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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20130123

Dossiers : IMM-1780-05

IMM-1783-05

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Barnes

 

Dossier : IMM-1780-05

ENTRE :

 

A, A

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

Dossier : IMM-1783-05

ENTRE :

 

A, M

A, R

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            VU la requête présentée par les demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance de modification de l’intitulé et du caviardage des éléments permettant d’identifier les personnes dont il s’agit dans les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendue par le juge Michel Beaudry le 10 février 2006;

 

            ET VU que le défendeur n’a pas pris de position;

 

            ET VU la décision selon laquelle la présente requête devrait être accueillie pour les motifs suivants :

 

1.                  Le demandeur a décrit un risque pour sa sécurité personnelle en raison de l’accessibilité en ligne des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance mentionnée ci‑dessus.

 

2.                  Il est donc approprié de modifier l’intitulé en substituant les noms des demandeurs par leurs initiales afin d’éviter la publication de quelque renseignement qui pourrait permettre d’identifier les demandeurs.

 

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT : les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendue par le juge Beaudry le 10 février 2006 seront caviardés en conformité avec l’annexe ci‑jointe. La version caviardée des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance remplacera ensuite les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance originale contenue dans les dossiers de la Cour dans les deux langues officielles. Les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance originaux porteront la mention « confidentiel » et seront mis sous scellés.

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LLM., M.A.Trad.jur.

 

 


Cour fédérale

Federal Court


Date : 20060210

Dossier : IMM-1780-05

 

Référence : 2006 CF 122

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2006

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

A, A

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

Dossier : IMM-1783-05

 

 

A, M

A, R

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie de demandes conjointes de contrôle judiciaire, présentées en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le [...] par le commissaire [...] dans laquelle celui‑ci a rejeté les demandes des demandeurs.

 

[2]               La Commission a conclu que [...] (le demandeur principal) ne pouvait pas avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger en raison de l’application de l’alinéa a) de la Section F de l’article premier de la Convention auquel renvoie l’article 98 de la Loi, et qu’il n’avait pas été établi que son épouse, [...], et sa fille, [...] (les demanderesses secondaires), craignaient avec raison d’être persécutées en [...] pour des motifs prévus dans la Convention ou d’être exposées à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumises à la torture.

 

Les questions en litige

[3]               Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que le demandeur principal ne pouvait ni avoir la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger en raison de l’application de l’alinéa a) de la Section F de l’article premier de la Convention, auquel renvoie l’article 98 de la Loi?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que les demanderesses secondaires n’avaient ni établi qu’elles craignaient avec raison d’être persécutées en [...] pour des motifs prévus dans la Convention ni qu’elles risquaient d’être exposées à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumises à la torture?

 

[4]               La réponse à ces questions est non. Les demandes seront rejetées.

 

LE CONTEXTE

[5]               Les demandeurs sont citoyens de [...]. Ils se sont mariés le [...], et leur fille [...] est née le [...].

 

[6]               Ils sont arrivés au Canada le 1er décembre 2001, ils ont déposé une demande conjointe, et ils ont présenté un seul Formulaire de renseignements personnels (FRP) à l’appui de leur demande. Les faits qu’ils avancent sont exposés ci‑dessous.

 

[7]               Entre 1989 ou 1990 et 2001, le demandeur principal a été officier militaire au sein du [...]. Pendant cette période, il a obtenu une promotion au poste de [...] et il a été plus tard nommé [...], il occupait le rang de major.

 

[8]               Le demandeur principal prétend n’avoir jamais participé, pendant sa carrière, à quelque activité que ce soit qui serait susceptible de constituer un crime contre l’humanité. Le [...] était responsable de trouver et d’arrêter les membres de groupes terroristes islamistes. Un service différent était chargé de la détention et de l’interrogatoire des suspects.

 

[9]               Le demandeur principal n’a eu aucune connaissance des atrocités perpétrées par les autorités contre la population civile avant juillet 2000, lorsqu’il a appris le décès de deux personnes qui étaient en détention. Les questions qu’il a posées à ses supérieurs concernant l’incident n’ont pas été bien reçues, et bien qu’il ait présenté sa démission en octobre 2000, ses supérieurs ne l’ont pas acceptée.

 

[10]           Après avoir été nommé au poste de [...], on lui a remis une liste d’opposants politiques au régime qu’il devait arrêter afin qu’un autre service les soumettent à la torture dans le but de leur soutirer de faux aveux.

 

[11]           À sa demande, il a finalement obtenu son renvoi en juin 2001. Sa lettre de renvoi lui interdisait de quitter le pays pendant cinq ans et son supérieur l’a assuré que les cinq années suivantes de sa vie seraient extrêmement difficiles. Un ami haut placé qui avait tenté de le protéger lui a conseillé de quitter le pays.

 

[12]           Le comportement du demandeur principal a amené le régime à le considérer comme un opposant. Il a reçu plusieurs menaces et a été incapable de se trouver un emploi. La police a tenté de le piéger en fabriquant des preuves; il a été roué de coups et a dû s’enfuir de l’hôpital parce qu’il craignait pour sa vie. Sa fille a été la cible de deux tentatives d’enlèvement.

[13]           En novembre 2001, le demandeur principal a obtenu des visas pour les États‑Unis pour lui‑même et pour les demanderesses secondaires. Les demandeurs ont ensuite franchi la frontière canadienne à Niagara Falls, où ils ont déposé leur demande.

 

La décision soumise au PRÉSENT contrôle

[14]           La Commission a conclu qu’il y avait des motifs sérieux de croire que le demandeur principal avait commis des crimes contre l’humanité ou avait participé à des crimes contre l’humanité perpétrés par les forces de sécurité du gouvernement contre la population civile.

 

[15]           Dans ses motifs, la Commission a procédé à une analyse en six volets pour évaluer si oui ou non le demandeur principal avait été complice de crimes contre l’humanité :

1.      La méthode de recrutement : la Commission a décidé que le demandeur principal s’était joint au [...] de son plein gré, qu’il avait cherché à obtenir des promotions à la suite d’un travail acharné. La Commission n’a pas été convaincue par les tentatives du demandeur principal, lors de l’audience, de nuancer les déclarations qu’il avait faites à ce sujet dans son FRP ou de s’en distancier.

2.      Le poste ou grade dans l’organisation : la Commission a conclu qu’il y avait des divergences entre le FRP du demandeur principal et les déclarations qu’il avait faites lors de l’audience; en effet, le demandeur avait minimisé voire nié le rôle qu’il avait joué dans les activités susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité. La Commission a aussi souligné que le demandeur principal avait gravi les échelons jusqu’à un poste relativement élevé car, à la fin de sa carrière, il dirigeait huit officiers.

3.      La nature de l’organisation : la Commission s’est fondée sur la preuve documentaire pour tirer la conclusion selon laquelle les forces de sécurité et de police avaient commis de nombreux crimes contre l’humanité; elles auraient notamment commis, en toute impunité, des arrestations arbitraires et des exécutions sommaires. L’importance de ces activités a amené la Commission à conclure que le demandeur principal avait été un « membre actif et enthousiaste des institutions de sécurité de l’État qui ont commis des crimes contre l’humanité, qu’il a connu du succès dans son travail au sein des institutions et qu’il était donc complice de leurs agissements ».

4.      La connaissance des atrocités : la Commission a déclaré qu’il était hautement invraisemblable qu’un officier tel que le demandeur principal n’ait pas été au courant des atrocités commises par les forces de sécurité de [...], avant juillet 2000. La Commission a conclu que même si la preuve n’établissait pas que le demandeur principal avait lui-même joué un rôle dans la perpétration des crimes contre l’humanité, il avait au moins délibérément fermé les yeux sur les actes perpétrés par les forces gouvernementales contre la population.

5.      La durée dans l’organisation : le demandeur principal a été membre du [...]  pendant plus de douze ans. La Commission a décidé qu’il s’agissait d’une période de temps très longue et qu’il était donc permis de mettre en doute ses prétentions selon lesquelles, tout au long de presque toute sa carrière, il n’était pas au courant que des crimes contre l’humanité étaient commis ou qu’il n’avait jamais participé à ces crimes.

6.       L’occasion de quitter l’organisation : la Commission a conclu que la déclaration du demandeur principal selon laquelle ce n’est qu’en octobre 2000, qu’il a été en mesure de savoir exactement ce qui s’était passé, ou qu’il a tenté de démissionner immédiatement, n’était pas crédible. La Commission a ajouté que même si ces déclarations étaient véridiques, elles ne l’exonéraient pas suffisamment de sa responsabilité en tant que complice de crimes contre l’humanité.

 

[16]           Se fondant sur son analyse en six volets de la preuve, la Commission a conclu que le demandeur principal était exclu de la protection accordée aux réfugiés, conformément à l’alinéa a) de la Section F de l’article premier de la Convention.

 

[17]           La Commission s’est ensuite penchée sur la demande des demanderesses secondaires. Comme elles n’avaient ni présenté de FRP individuel ni témoigné à l’audience, la Commission a fondé ses conclusions sur les prétentions contenues dans la demande du demandeur principal.

 

[18]           La Commission a relevé de nombreuses incohérences et contradictions dans les déclarations du demandeur principal, et elle a conclu que ses explications n’étaient pas crédibles. La Commission a relevé, entre autres, les incohérences suivantes :

1.   Le demandeur principal prétend avoir reçu sa lettre de renvoi en juin 2001, mais la lettre est datée du 23 novembre 2001, quelques jours seulement avant le départ des demandeurs pour le Canada. Le demandeur principal a dit que la lettre avait pu être postdatée, mais la Commission a conclu que son témoignage relatif à la manière dont il avait quitté le [...] n’était pas crédible.

2.   Dans son FRP, le demandeur principal a prétendu qu’on avait tenté d’enlever sa fille à l’extérieur de son école et ensuite dans la maison familiale, mais l’ordre de ces incidents était inversé dans les notes prises au point d’entrée (PDE). Le demandeur principal a dit qu’il pouvait s’agir d’une erreur de traduction, mais la Commission a conclu que cette explication n’était pas crédible.

 

[19]           La Commission a conclu que la preuve n’établissait ni que les demanderesses secondaires craignaient avec raison d’être persécutées en [...] pour des motifs prévus dans la Convention ni qu’elles seraient exposées à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumises à la torture.

 

Analyse

[20]           Les dispositions pertinentes de la Loi sont ainsi libellées :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention -- le réfugié -- la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes -- sauf celles infligées au mépris des normes internationales -- et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

 

2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

ANNEXE

 

(paragraphe 2(1))

 

SECTIONS E ET F DE L’ARTICLE PREMIER DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES RELATIVE AU STATUT DES RÉFUGIÉS

 

E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; […]

 

SCHEDULE

 

(Subsection 2(1))

 

SECTIONS E AND F OF ARTICLE 1 OF THE UNITED NATIONS CONVENTION RELATING TO THE STATUS OF REFUGEES

 

E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes; […]

 

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que le demandeur principal ne pouvait avoir la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger en raison de l’application de l’alinéa a) de la Section F de l’article premier de la Convention, auquel renvoie l’article 98 de la Loi?

 

[21]           La question de savoir si le demandeur principal est exclu de la qualité de réfugié et de celle de personne à protéger par application de l’article 98 de la Loi pour avoir été complice de crimes contre l’humanité est une question mixte de fait et de droit et la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable simpliciter (Rocha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.F. 304).

 

[22]           Le demandeur principal prétend que la Commission a commis des erreurs, qu’elle a mal interprété la preuve dont elle disposait ou qu’elle n’en a pas tenu compte. Il cite les exemples suivants :

1.   La Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur principal occupait un rang élevé, alors qu’il avait reçu seulement trois promotions pendant neuf années de service. En outre, la preuve documentaire dont la Commission disposait ne précisait pas le grade des officiers du [...] qui avaient commis des crimes contre l’humanité.

2.   De la nomination du demandeur principal au poste de [...] la Commission a tiré, sans fondement, l’inférence qu’il était complice de crimes contre l’humanité.

3.   La Commission ne disposait d’aucune preuve établissant que chaque membre du [...] était coupable de violation des droits de la personne. L’objet principal du service était de combattre le terrorisme et de protéger la population.

4.   Le tribunal n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle les demandeurs avaient été persécutés en [...].

 

[23]           Dans une affaire comme celle en l’espèce, le ministre avait le fardeau d’établir qu’il y avait des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur principal avait été complice de crimes contre l’humanité. La norme de preuve requise est plus qu’une simple suspicion ou conjecture, mais moins qu’une preuve selon la prépondérance des probabilités (Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.).

 

[24]           La Commission a examiné la preuve en fonction des six critères établis par la Cour dans Ali c. Canada (Procureur général), 2005 C.F. 1306, et elle a conclu que le ministre s’était acquitté du fardeau qui lui incombait.

 

[25]           Malgré les arguments contraires du demandeur principal, je ne crois pas que la Commission ait mal interprété la preuve dont elle disposait ou qu’elle n’en ait pas tenu compte. Elle a tout simplement conclu que les prétentions du demandeur principal n’étaient pas crédibles et ces conclusions sont étayées par les nombreuses incohérences et prétentions invraisemblables contenus dans les déclarations du demandeur principal.

 

[26]           Après avoir examiné les motifs de la Commission au vu de la preuve dont elle disposait, j’estime que la décision n’était pas déraisonnable et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[27]           Aujourd’hui il est un principe bien établi selon lequel il n’est pas nécessaire que le demandeur du statut de réfugié ait participé directement à la violation des droits de la personne ou à la perpétration des crimes contre l’humanité commis par l’organisation dont il faisait partie pour qu’on décide qu’il était complice de tels actes (Ramirez, précité, Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1209 (C.A.F.) (QL)).

 

[28]           Vu la preuve documentaire qui établissait clairement que les forces de sécurité de [...] avaient participé à une violation généralisée des droits de la personne, il n’était pas déraisonnable que la Commission conclue qu’il était improbable que le demandeur principal n’ait pas eu connaissance de ces faits. Je souscris aux propos formulés par le juge Teitlebaum dans la décision Shakarabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 444 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 22 et 25 :

Je conclus que, si je devais l’accepter, l’argument du requérant pourrait être invoqué pour justifier les pires violations des droits de la personne. On pourrait ainsi soutenir que le but visé par de nombreuses organisations gouvernementales oppressives est la sécurité interne et étrangère, mais il ne s’ensuit pas pour autant que de graves violations des droits de la personne devraient être commises impunément. Cela irait à l’encontre des principes énoncés à l’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Je n’ai donc aucune difficulté à rejeter ce moyen d’appel.

 

[…] Il est beaucoup trop facile de dire qu’on n’est pas au courant des actes de barbarie d’une organisation pour essayer de se distancier de ces actes de barbarie. Si, comme c’est le cas en l’espèce, un individu vit et travaille dans un pays où des personnes de son entourage disparaissent et où il entend parler d’arrestations et de torture, il me semble tout à fait invraisemblable qu’il ne soit pas au courant de ce qui se passe. J’estime que la Commission en est arrivée à la bonne conclusion vu l’ensemble de la preuve portée à sa connaissance.

 

 

[29]           Malgré les prétentions du demandeur principal à l’effet contraire, je souscris à la conclusion de la Commission selon laquelle il a gravi les échelons jusqu’à un poste et un grade élevé au sein du [...]. Il est donc très probable qu’il ait été complice de nombreux abus perpétrés par les forces de sécurité de [...]. Au paragraphe 10 de Sivakumar, précité, le juge Linden a dit ce qui suit :

À mon avis, la complicité d’un individu dans des crimes internationaux est d’autant plus probable qu’il occupe des fonctions importantes dans l’organisation qui les a commis. Tout en gardant à l’esprit que chaque cas d’espèce doit être jugé à la lumière des faits qui le caractérisent, on peut dire que plus l’intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l’organisation, plus il est vraisemblable qu’il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l’organisation dans la perpétration de ce crime. En conséquence, peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l’organisation tout en sachant que celle-ci a été responsable de crimes contre l’humanité. […]

 

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que les demanderesses secondaires n’avaient ni établi qu’elles craignaient avec raison d’être persécutées en [...] pour des motifs prévus dans la Convention ni qu’elles risquaient d’être exposées à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumises à la torture?

 

[30]           Les demanderesses secondaires prétendent que la Commission a commis une erreur parce qu’elle a mal interprété des éléments importants de la preuve dont elle disposait. Plus précisément, elles prétendent que la Commission n’a pas tenu compte des deux tentatives d’enlèvement de [...].

 

[31]           Malheureusement, les demanderesses secondaires n’ont pas témoigné et n’ont pas présenté de FRP individuel, de sorte que la Commission ne pouvait tirer une conclusion qu’en se fondant sur la preuve présentée par le demandeur principal.

 

[32]           Les demanderesses secondaires avaient le fardeau d’établir qu’elles craignaient avec raison d’être persécutées en [...] pour des motifs prévus dans la Convention ou qu’elles risquaient d’être exposées à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumises à la torture.

 

[33]           La Commission a conclu que le témoignage du demandeur principal quant à l’ordre des tentatives d’enlèvement était contradictoire, et elle a jugé que l’explication du demandeur principal selon laquelle il y avait eu erreur de traduction n’était pas crédible. Comme les demanderesses secondaires n’ont pas témoigné sur cette question, il n’était pas déraisonnable que la Commission tire une conclusion défavorable en matière de crédibilité relativement à ces prétendues tentatives d’enlèvement.

 

[34]           Les demanderesses secondaires prétendent aussi que la Commission n’a pas tenu compte du fait que le demandeur principal et les demanderesses secondaires avaient quitté le [...] parce qu’on croyait maintenant qu’ils étaient des opposants au régime et qu’ils seraient exposés à un grave danger s’ils devaient y retourner. Toutefois, les incohérences relatives à la date à laquelle le demandeur principal a obtenu sa lettre de renvoi ont amené la Commission à mettre en doute la véracité des circonstances du départ du demandeur principal de [...].

 

[35]           Comme la Commission a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi clairement les circonstances de son départ de [...], il n’était pas déraisonnable qu’elle conclue que les demanderesses secondaires n’avaient pas établi qu’elles seraient exposées à un danger si elles devaient retourner en [...].

 

[36]           Enfin, les demanderesses secondaires prétendent qu’on ne leur a pas permis de témoigner pendant l’audience. Humblement, je souligne que cette prétention est inexacte. Bien que, a posteriori, la décision des demanderesses secondaires de se fonder uniquement sur le témoignage du demandeur principal se soit révélée être un mauvais choix stratégique, cette erreur ne peut pas être utilisée comme motif de contrôle judiciaire. La transcription de l’audience révèle clairement que l’avocat des demandeurs a choisi de ne pas faire témoigner les demanderesses (page 865, dossier du tribunal).

[TRADUCTION]
Commissaire : Avez-vous l’intention de faire témoigner d’autres demandeurs?

Avocat : Si oui, j’appellerais peut-être la fille comme témoin.

Commissaire : Bien.

Avocat : Pas l’épouse.

Commissaire : Et je dirai tout simplement que ces demandes sont entendues conjointement parce qu’il s’agit d’une famille de demandeurs et parce que les demandes sont fondées sur le même récit […].

 

[37]           Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité des prétentions des demanderesses secondaires sont des questions de fait, qui sont susceptibles de contrôle seulement si elles ont été tirées de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont la Cour disposait (Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL)).

 

[38]           En l’espèce, compte tenu que la preuve présentée par le demandeur principal était entachée par des incohérences et des invraisemblances, j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a rejeté la demande des demanderesses secondaires.

 

[39]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE : les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LLM., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-1780-05

 

INTITULÉ :                                            A, A

                                                                  c

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                                  IMMIGRATION

 

DOSSIER :                                              IMM-1783-05

 

INTITULÉ :                                            A, M

                                                                  A, R

                                                                  c

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                                  IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 2 février 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                            Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                 Le 10 février 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur I. Yallen                                         POUR LES DEMANDEURS

 

Allison Engel-Yan                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yallen Associates                                      POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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