Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200825


Dossier : IMM-5191-19

Référence : 2020 CF 851

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2020

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

JIN HUI FANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Fang sollicite le contrôle judiciaire de la décision (la décision) de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) rejetant son appel interjeté à l’égard du refus par un agent d’immigration de la demande de résidence permanente de sa deuxième épouse. La SAI a confirmé la conclusion de l’agent selon laquelle l’épouse de M. Fang, Mme Chen, ne peut pas être considérée comme une épouse parce qu’elle est visée à l’article 4.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[2] Dans sa décision, la SAI a tiré un certain nombre de conclusions défavorables quant à la crédibilité reposant sur des contradictions importantes dans le témoignage et les éléments de preuve de M. Fang et de Mme Chen relativement à l’historique de leur relation. Les conclusions du tribunal ont miné les affirmations principales du couple selon lesquelles leur première relation n’était pas conjugale et le bref mariage subséquent de M. Fang avec une citoyenne canadienne était authentique. La SAI a aussi mis en doute les circonstances qui ont mené à la prétendue reprise de la relation de M. Fang avec Mme Chen après son divorce.

[3] La conclusion de la SAI selon laquelle Mme Chen est visée à l’article 4.1 du Règlement est étayée par les éléments de preuve. La décision est justifiée et intrinsèquement cohérente. M. Fang n’a relevé aucune erreur dans l’analyse ou la conclusion de la SAI qui justifie l’intervention de la Cour. Par conséquent, j’ai conclu que la décision est raisonnable, et je rejette la demande de contrôle judiciaire de M. Fang.

I. Aperçu

[4] M. Fang et Mme Chen, tous deux des ressortissants de la Chine, ont commencé une relation amoureuse en Chine en 2003, mais se sont séparés en 2004 et se sont perdus de vue. Selon leur récit, Mme Chen était alors enceinte de l’enfant, mais n’a pas informé M. Fang de sa grossesse.

[5] M. Fang a aussi fait la connaissance de sa première épouse en 2004. Ils se sont mariés le 2 juin 2005 et son épouse l’a parrainé pour qu’il vienne au Canada. M. Fang est arrivé au Canada en mars 2006. Son épouse et lui se sont séparés en 2007.

[6] M. Fang et Mme Chen ont repris contact par l’intermédiaire d’un ami commun en Chine en 2008. M. Fang est retourné temporairement en Chine en 2009 et est demeuré avec Mme Chen et leur enfant au domicile de sa famille à lui. M. Fang et Mme Chen se sont mariés en 2011 et ont eu un deuxième enfant.

[7] M. Fang a tenté de parrainer Mme Chen pour la première fois pour qu’elle obtienne le statut de résident permanent au Canada en 2015, mais sa demande a été rejetée. Il a présenté une deuxième demande en 2017. Cette deuxième demande a été rejetée le 16 janvier 2018, conformément à l’article 4.1 du Règlement, et M. Fang a fait appel du refus devant la SAI. La SAI a tenu deux jours d’audience (le 2 mai 2019 et le 7 juin 2019) et a rejeté l’appel le 2 août 2019. La décision de la SAI fait l’objet de la présente demande.

[8] La SAI a tiré trois conclusions factuelles essentielles dans son analyse de l’article 4.1. Elle résume son analyse en ces termes :

[5] La principale question à trancher en l’espèce a trait à la crédibilité des parties [M. Fang et Mme Chen]. Les témoignages que les parties ont livrés ne correspondaient pas aux déclarations qu’elles avaient faites par le passé, et elles n’ont pas su justifier ces divergences de façon crédible. Mis au fait de ces incohérences, [M. Fang], plutôt que de tenter de les éclaircir, s’est mis à prétendre qu’il ne se souvenait plus clairement de ce qui s’était passé. Les circonstances entourant la fin de la relation entre les parties n’étaient pas crédibles; celle‑ci, selon leurs dires, semblerait être survenue dans la même période que le premier mariage de [M. Fang]. Plusieurs éléments donnent à penser que [M. Fang] a contracté son premier mariage principalement dans le but d’acquérir un statut, et qu’il ne s’agissait pas d’une relation authentique. Les circonstances entourant la reprise de la relation entre les parties en 2008 étaient également invraisemblables et manquaient de substance. […]

II. Question en litige et norme de contrôle

[9] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision est raisonnable. Les observations de M. Fang portent essentiellement sur les appréciations négatives de la SAI quant à la crédibilité de Mme Chen et la sienne.

[10] Les parties soutiennent que la décision doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, et je souscris à leur opinion (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 10 (Vavilov)). Aucune des situations identifiées par la Cour suprême du Canada (la CSC) dans l’arrêt Vavilov qui permettent de s’écarter de la norme de contrôle présumée ne s’applique en l’espèce. Le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable est également conforme à la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov (voir, p. ex., Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1544 au para 24 (Li)).

[11] Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont donné des indications pour aider les cours de révision à appliquer la norme de la décision raisonnable. J’ai appliqué ces directives dans mon examen, en faisant preuve de retenue, tout en procédant à un examen rigoureux de la justification et de la cohérence interne de la décision (Vavilov, aux para 12 à 15, 85, 86 et 99; Société canadienne des postes c Syndicat canadien des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, aux para 28 et 29).

III. Analyse

[12] L’article 4.1 du Règlement empêche un couple de faire semblant de dissoudre une relation préexistante afin de permettre à un conjoint d’acquérir un statut d’immigration au Canada, par exemple, au moyen d’une relation non authentique avec un citoyen canadien, pour ensuite reprendre la première relation amoureuse. Il incombe à M. Fang d’établir que Mme Chen n’est pas visée à l’article (Li au para 48). Le libellé quelque peu alambiqué de l’article 4.1 figure à l’Annexe A de la présente décision.

[13] L’article 4.1 repose sur trois éléments conjonctifs. Si l’on reformule les trois éléments, Mme Chen ne sera pas considérée comme l’épouse de M. Fang au titre de l’article 4.1 si :

  1. M. Fang et elle ont déjà eu un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure;

  2. Le mariage antérieur ou la relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure a été dissous principalement en vue de permettre à Mme Chen ou à M. Fang d’acquérir un statut ou un privilège d’immigration au Canada;

  3. Mme Chen et M. Fang ont ensuite commencé une nouvelle relation conjugale.

[14] La SAI a conclu que Mme Chen et M. Fang n’étaient pas crédibles, que leur relation de partenaires conjugaux et de conjoints de fait de 2003-2004 n’avait pas pris fin et que le premier mariage de M. Fang n’était pas authentique. La Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions défavorables du tribunal quant à la crédibilité (Li au para 26; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 42).

[15] M. Fang conteste chacune des conclusions de la SAI, mais affirme que la présente demande concerne principalement la question de savoir si la SAI a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle Mme Chen et lui avaient entretenu une relation conjugale en Chine. S’ils n’ont pas entretenu une relation conjugale, Mme Chen ne peut pas être visée à l’article 4.1.

A. Relation conjugale/de conjoints de fait antérieure

[16] La SAI a conclu ce qui suit :

  • - M. Fang et Mme Chen ont entretenu une relation conjugale de février 2003 jusqu’à la rupture de cette relation, survenue en novembre ou en décembre 2004;

  • - En fait, le couple était en union de fait parce qu’il cohabitait depuis plus d’un an avant de rompre;

  • - Les déclarations faites par Mme Chen au moment des entrevues dans le cadre de la première demande de parrainage de 2015 étayaient ces conclusions. Mme Chen a affirmé que le couple s’était rencontré et avait noué une relation amoureuse en février 2003 et qu’il avait cohabité de mars 2003 jusqu’à novembre 2004. Lorsqu’elle a été interrogée pour la deuxième demande de parrainage, en 2017, Mme Chen a prétendu que le couple avait commencé à se fréquenter en février 2003 et commencé à vivre ensemble en novembre 2003, ce qui ne correspond pas tout à fait à ses propos antérieurs;

  • - M. Fang a donné un témoignage contradictoire devant la SAI et les explications qu’il a fournies quant aux contradictions n’étaient pas crédibles. Il a commencé par affirmer qu’il avait rencontré Mme Chen en février 2004 et qu’ils n’avaient jamais vraiment cohabité. Le couple a plutôt passé quelques nuits par semaine ensemble, l’un chez l’autre, de février à décembre 2004. M. Fang a aussi laissé entendre qu’ils avaient habité ensemble à temps plein pendant les deux derniers mois de leur relation. En contre‑interrogatoire, M. Fang a affirmé qu’ils s’étaient rencontrés en février 2003, mais qu’ils avaient commencé à se fréquenter en février 2004. Invité à expliquer les contradictions avec les propos tenus par Mme Chen en 2015, M. Fang a déclaré que celle-ci avait dû se tromper. Quand il lui a été demandé de justifier le témoignage de Mme Chen en 2017, M. Fang est devenu confus et n’arrivait plus à se souvenir de détails;

  • - À l’audience tenue devant la SAI en 2019, Mme Chen a tenté de contrer son témoignage précédent en affirmant que le couple n’avait cohabité que d’octobre à décembre 2004, ce qui correspond au témoignage de M. Fang. Elle a imputé la contradiction à des erreurs contenues dans les notes de l’agent des visas;

  • - M. Fang et Mme Chen ont tenté d’induire la SAI en erreur en soutenant qu’ils n’avaient pas habité ensemble pendant un an avant la fin de leur relation;

  • - Les raisons données par M. Fang et Mme Chen pour leur rupture sont contradictoires. M. Fang a affirmé que sa mère n’acceptait pas Mme Chen parce que celle‑ci ne venait pas de la même ville que lui. Malgré cela, Mme Chen a emménagé avec lui de façon permanente en 2004, ce qui est incompatible avec la raison donnée pour la rupture qui s’annonçait (la désapprobation de sa mère). M. Fang a aussi prétendu que Mme Chen avait quitté leur domicile de son propre chef en décembre 2004 en raison du conflit avec sa mère, qu’elle avait changé son numéro de téléphone, et que le couple s’était perdu de vue;

  • - Mme Chen a donné une autre raison pour la désapprobation de la mère de M. Fang en soutenant qu’elle avait quitté ce dernier à la suite d’un appel téléphonique de sa mère lui demandant de le quitter parce qu’elle n’était pas issue d’une famille riche.

[17] M. Fang affirme que la SAI a commis une erreur en concluant que Mme Chen et lui entretenaient une relation conjugale avant leur rupture, à la fin de 2004, parce que le tribunal a omis de prendre en compte certains signes d’une relation conjugale et a mal interprété les éléments de preuve se rapportant à l’existence d’une telle relation entre les deux. Il renvoie aux éléments énoncés dans le Guide OP 2 d’IRCC intitulé Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial : engagement mutuel à une vie commune; exclusivité sexuelle; interdépendance (physique, émotive et financière); permanence; perception sociale et familiale des partenaires en tant que couple; et intentions personnelles.

[18] La SAI a conclu que M. Fang et Mme Chen entretenaient une relation conjugale et une union de fait en 2003-2004. Sur l’existence d’une relation conjugale, le tribunal a mentionné la durée de la relation intime et exclusive et le fait qu’ils se présentaient comme un couple en public, devant leurs amis et les membres de leur famille, qu’ils avaient discuté de projets de mariage, qu’ils avaient cohabité régulièrement et qu’ils se partageaient les tâches ménagères et les dépenses.

[19] M. Fang n’a contesté que quelques-unes des conclusions de la SAI dans ses observations et a omis un certain nombre des conclusions essentielles tirées par celle-ci.

[20] En premier lieu, M. Fang n’a pas contesté la conclusion de la SAI selon laquelle Mme Chen et lui avait habité ensemble pendant un an avant leur rupture et, par conséquent, qu’ils entretenaient une union de fait. Cette conclusion, à elle seule, satisfait au premier volet de l’article 4.1 du Règlement.

[21] En second lieu, M. Fang affirme que Mme Chen et lui n’ont qu’envisagé de se marier en 2004 et qu’il n’y a aucun élément de preuve qu’ils partageaient les dépenses ou qu’ils étaient interdépendants. J’ai examiné le témoignage devant la SAI souligné par M. Fang à l’appui de ses arguments, et je conclus que le tribunal n’a pas commis d’erreur dans ses observations relatives aux discussions qu’a eues le couple en ce qui concerne les projets de mariage, aux dispositions prises pour la cohabitation et le partage des dépenses, ou à leurs interactions avec leurs amis ou les membres de leur famille. Par exemple, le couple a affirmé que Mme Chen faisait la cuisine et que M. Fang assumait leurs frais de subsistance. Ce témoignage illustre l’interdépendance normale d’un couple qui habite ensemble et qui partage les responsabilités quotidiennes. En ce qui a trait aux discussions du couple quant aux projets de mariage, M. Fang a déclaré que leurs amis supposaient qu’ils allaient se marier et que telle était leur intention. La SAI a mentionné ces discussions en tant qu’un élément parmi d’autres de son appréciation globale du sérieux de la relation.

[22] De plus, M. Fang affirme que la SAI a omis de prendre en compte le fait que le couple n’avait pris aucune disposition pour la garde d’enfants, qui fait partie des éléments inscrits dans le Guide opérationnel d’IRCC. Cet argument ne tient pas compte du fait que, pendant la période au cours de laquelle il a été conclu qu’ils entretenaient une relation conjugale et une union de fait, M. Fang et Mme Chen n’avaient pas d’enfant. La SAI n’avait aucune raison de prendre en compte ce facteur.

[23] Les observations formulées par M. Fang ne tiennent pas compte des principales conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SAI. Elles omettent de reconnaître également que la conclusion de la SAI quant à l’existence d’une relation conjugale découle d’une appréciation cumulative de la relation entretenue par le couple, à la lumière de l’exclusivité, de la cohabitation, des discussions relatives à des projets de mariage et de la perception sociale. Cette appréciation, jumelée aux préoccupations sérieuses quant à la crédibilité entretenues par la SAI au sujet des efforts déployés par M. Fang et Mme Chen pour minimiser leur relation, est déterminante.

[24] Enfin, M. Fang soutient que la SAI a concentré son attention sur des contradictions mineures dans son témoignage et celui de Mme Chen, les qualifiant de [traduction] « versions légèrement différentes des raisons de leur rupture ». Cette observation ne me convainc pas puisque la SAI a relevé des contradictions répétées et importantes dans le témoignage des parties sur chaque élément de leur relation. En ce qui concerne la rupture elle-même et le rôle joué par sa mère à cet égard, M. Fang soutient que son témoignage et celui de Mme Chen ne diffèrent qu’à l’égard de détails et que les raisons qu’ils ont données tous les deux pour la désapprobation de la mère de M. Fang reflètent uniquement deux interprétations d’une même histoire. Toutefois, l’unique raison donnée pour la rupture de la relation du couple était le fait que la mère de M. Fang ne l’approuvait pas. Je conviens avec le défendeur que les contradictions entre les deux versions quant à la raison pour laquelle la mère désapprouvait la relation n’étaient pas mineures dans ce contexte.

[25] La SAI n’a pas commis d’erreur en faisant observer que les raisons pour lesquelles M. Fang et Mme Chen se sont séparés ont changé au fil du temps et étaient floues, compte tenu du fait que le couple entretenait une relation depuis plus d’un an et cohabitait. La SAI n’a pas non plus commis d’erreur en tirant une inférence défavorable du fait que Mme Chen avait tenté d’expliquer les différences dans les versions données par le couple lors de l’audience tenue en 2019 en reniant la raison qu’elle avait d’abord donnée pour expliquer pourquoi la mère de M. Fang ne l’acceptait pas.

B. Le premier mariage de M. Fang

[26] La SAI a conclu que le premier mariage de M. Fang avec une citoyenne canadienne n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut au Canada pour lui-même. Elle a concentré son attention sur le témoignage contradictoire de M. Fang quant au moment où il avait fait la connaissance de sa première épouse et quant aux conditions d’habitation du couple après l’arrivée de M. Fang au Canada en mars 2006.

[27] M. Fang soutient que la conclusion de la SAI selon laquelle son premier mariage n’était pas authentique n’est pas raisonnable. Il conteste l’importance de ses éléments de preuve contradictoires en ce qui concerne le moment où il a rencontré sa première épouse, la véracité des conclusions du tribunal quant à l’évolution précipitée de la relation, l’acceptabilité de la première épouse aux yeux de la mère, et les conditions d’habitation des époux au Canada. De plus, il affirme que la SAI a commis une erreur en omettant de prendre en compte le fait que son premier mariage n’avait jamais fait l’objet d’une enquête.

[28] La SAI a reconnu que le premier mariage de M. Fang n’avait pas fait l’objet d’une enquête, mais n’en a pas moins affirmé qu’il incombait à M. Fang de prouver de façon satisfaisante au tribunal que Mme Chen n’était pas visée à l’article 4.1 du Règlement. La SAI n’a pas commis d’erreur à cet égard ou en soutenant que les éléments de preuve relatifs au premier mariage de M. Fang étaient essentiels dans l’appréciation de la question de savoir si l’article 4.1 s’appliquait. Le fait que la SAI n’a pas considéré l’absence d’une enquête comme un élément favorable ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

[29] M. Fang soutient que les contradictions dans son témoignage concernant le moment où il a rencontré sa première épouse étaient sans importance puisque la période en question ne dure que quelques mois. J’estime que cet argument ne tient pas compte de l’importance de la période en cause. La SAI a conclu que M. Fang avait fait des démarches pour trouver une nouvelle épouse pendant qu’il fréquentait encore Mme Chen. Les dates contradictoires citées par M. Fang pour la première rencontre, soit septembre 2004 au lieu de janvier ou février 2005, se rapportent directement à cette conclusion. En septembre 2004, M. Fang fréquentait encore Mme Chen. La SAI a conclu que l’explication donnée par M. Fang comme quoi il s’était trompé n’était pas convaincante parce qu’il avait affirmé en 2006 que la première rencontre avait eu lieu en septembre 2004, dans le cadre du processus d’entrevue en vue de son parrainage au Canada par sa première épouse. Par conséquent, les éléments de preuve étaient plus susceptibles d’être exacts en raison de la proximité temporelle.

[30] L’analyse effectuée par la SAI de l’évolution précipitée de la relation de M. Fang avec sa première épouse correspond aux éléments de preuve figurant dans le dossier. Il ressort clairement que, dans le meilleur des cas, cette relation a commencé immédiatement après la rupture de M. Fang avec Mme Chen.

[31] La SAI a mis en relief l’absence d’éléments de preuve d’une cohabitation et d’une vie commune du couple au Canada à la suite de l’arrivée de M. Fang au Canada, en 2006. L’appréciation du tribunal comportait deux volets. En premier lieu, la SAI a conclu que M. Fang n’avait pas habité constamment avec sa première épouse et que les raisons données pour cette absence de cohabitation (lieux de travail, temps de déplacement) ne sont pas représentatives d’un mariage authentique. En second lieu, M. Fang a produit peu d’éléments de preuve documentaire à l’appui de la relation conjugale. Il a affirmé que son épouse et lui avaient en commun un compte bancaire, mais n’a pas présenté d’élément de preuve à ce sujet.

[32] M. Fang soutient que la SAI aurait dû accepter l’explication qu’il a donnée au sujet des dispositions de vie commune prises avec sa première épouse. En fait, M. Fang me demande de soupeser à nouveau les éléments de preuve et de tirer une conclusion différente. Il est bien reconnu que cela n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La SAI, en rejetant l’explication donnée par M. Fang, ne l’a pas laissée de côté ou mal interprétée, et elle n’a pas non plus omis de tenir compte d’aspects importants de son témoignage. La prise en compte par le tribunal des conditions de vie du couple au Canada ne représentait qu’une partie de l’analyse effectuée par la SAI d’une courte relation qui avait débuté pendant que M. Fang fréquentait toujours Mme Chen et qui avait pris fin peu après l’arrivée de celui-ci au Canada sans élément de preuve d’une véritable cohabitation. La Cour n’a aucune raison d’intervenir dans la conclusion de la SAI selon laquelle le premier mariage de M. Fang n’était pas authentique.

C. Réconciliation en 2008-2009

[33] Le dernier élément de l’analyse au titre de l’article 4.1 effectuée par la SAI portait sur la réconciliation de M. Fang et de Mme Chen survenue en 2008-2009 à la suite d’une rencontre fortuite, en août 2008, entre Mme Chen et un ami qu’elle avait en commun avec M. Fang. La SAI a conclu que le récit de la rencontre en août 2008 et la réconciliation qui avait suivi était peu plausible, en dépit de la réception d’une lettre d’appui de l’ami commun. Le tribunal n’a pas accepté le témoignage de Mme Chen quant à une rencontre dans sa ville d’origine située à des heures de route du lieu où M. Fang et elle avaient habité ensemble en Chine. La SAI a mis en doute leur réconciliation précipitée après s’être perdus de vue pendant quelques années.

[34] M. Fang affirme que la conclusion d’invraisemblance tirée par la SAI n’était pas justifiée. Il soutient que les conclusions d’invraisemblance devraient être limitées aux situations où il est clairement invraisemblable que les faits se soient produits ou qui débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre (Aguilar Zacharias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155 aux para 10 et 11).

[35] D’après les faits en l’espèce, je conclus que la conclusion d’invraisemblance tirée quant à la réconciliation survenue en 2008-2009 est raisonnable. Le tribunal a renvoyé à ses nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité se rapportant à la relation précédente de M. Fang et de Mme Chen. Dans ce contexte, les circonstances de la rencontre fortuite en 2008, peu après le divorce de M. Fang, qui a mené à une réconciliation précipitée et à des changements fondamentaux dans la vie du couple, peuvent raisonnablement être qualifiées d’invraisemblables.

D. Résumé

[36] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 105 à 110). Après avoir examiné l’ensemble de la preuve et tenu compte des observations formulées par les parties, je conclus que la décision est raisonnable. M. Fang n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions étoffées de la SAI quant à la crédibilité. La décision repose sur une série d’omissions et de contradictions importantes dans les témoignages de M. Fang et de Mme Chen qui minent tous les aspects de leur récit en ce qui concerne leur relation. Le raisonnement de la SAI est intrinsèquement cohérent et rationnel. Il est justifié selon les faits de l’espèce et les dispositions de l’article 4.1 du Règlement.

IV. Conclusion

[37] La demande est rejetée.

[38] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune ne se pose en l’espèce.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5191-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


ANNEXE A

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Reprise de la relation

4.1 Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle-ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

New relationship

4.1 For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the foreign national has begun a new conjugal relationship with that person after a previous marriage, common-law partnership or conjugal partnership with that person was dissolved primarily so that the foreign national, another foreign national or the sponsor could acquire any status or privilege under the Act.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5191-19

 

INTITULÉ :

JIN HUI FANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AOÛT 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 AOÛT 2020

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.