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Date : 20050524

Dossier : IMM-7502-04

Référence : 2005 CF 738

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE GAUTHIER

ENTRE :

                                             CARLOS EDUARDO CORTES SILVA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demande de contrôle judiciaire du demandeur M. Cortes Silva vise la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) qui rejette sa revendication en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);


[2]                Le demandeur est un citoyen de la Colombie. Sa demande d'asile a été entendue en même temps que celle de sa conjointe de fait, Mme Lopez Rosero, dont la demande d'asile fut acceptée par la SPR. En effet, la SPR a déterminé que Mme Lopez Rosero était ciblée par les forces de l'armée révolutionnaire de la Colombie à cause de ses activités d'enseignante. Elle a quitté la Colombie vers les États-Unis en mai 1999. Ce n'est qu'en 2002 que le demandeur la rencontre.

[3]                À l'audience devant la SPR, le demandeur a témoigné qu'il n'avait personnellement eu aucun problème en Colombie et qu'il n'avait aucune crainte d'être persécuté s'il retournait seul dans son pays. Il soumet que c'est son appartenance à la famille qui le qualifie comme réfugié. Sa revendication fut rejetée parce que la SPR a conclu qu'il ne pouvait fonder sa revendication sur les problèmes vécus par Mme Lopez Rosero avant son départ de Colombie en 1999. Selon la SPR, le demandeur n'a pas établi qu'il risquait personnellement d'être persécuté dans son pays.

[4]                Le demandeur argue que la SPR a commis deux erreurs. D'abord, elle a erré en ne reconnaissant pas le concept d'unité familiale. Ensuite, et c'est là son argument principal, la SPR a manqué à son obligation de respecter les règles de justice naturelle. À cet égard, il soumet qu'elle ne lui a pas fourni une audition équitable et qu'elle n'a pas suffisamment motivé sa décision.

A.         Unité familiale


[5]                Bien qu'à l'audition le demandeur n'ait pas insisté sur son premier argument, la Cour note que la Cour fédérale dans Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190 (1ère inst.) a clairement indiqué que le concept d'unité familiale n'était pas pertinent au Canada lorsqu'il s'agit de définir un réfugié au sens de la Convention. C'est d'ailleurs pourquoi dans Lakatos c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2001] A.C.F. 657 (1ère inst.) (QL), la Cour a souligné que le fait qu'un membre de la famille soit persécuté ne donne pas automatiquement le statut de réfugié en vertu de la Convention à tous les membres de cette famille.

[6]                En vertu de l'article 176 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/ 2002-227, une personne dont la demande d'asile a été acceptée peut inclure dans sa demande de résidence permanente les membres de sa famille.

[7]                Donc, quelque soit la norme de contrôle qui s'applique à cette question, la SPR n'a pas commis d'erreur révisable à cet égard dans ce dossier puisque le demandeur devait établir qu'il risquait personnellement d'être persécuté s'il retournait en Colombie. Le demandeur n'a pas argué qu'il avait déposé une telle preuve devant la SPR.

B.          Équité procédurale


[8]                Avant d'examiner la deuxième question, il est opportun de noter que, comme il s'agit de déterminer si la SPR a manqué à son devoir de respecter les règles de justice naturelle et d'équité procédurale, il n'y a pas lieu d'appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle pour établir quelle norme de contrôle est applicable (Canada (Solliciteur général) c. Fetherston, [2005] A.C.F. no 544 au para. 16 (C.A.F.) (QL)). S'il y a eu un manquement, la décision doit être cassée à moins que le rejet de la revendication soit inévitable (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office-Canada - Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 et Yassine c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.) (QL) De-Robbles c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 135 (1ère inst.) (QL) au para.17.)

[9]                Le demandeur reproche à la SPR, de l'avoir privé de son droit de présenter sa revendication et sa preuve avant d'être contre-interrogé par l'agent de la protection des réfugiés (APR). Il indique que depuis le 1er décembre 2003, la directive numéro 7 du président de la Commission d'immigration et du statut de réfugié[1] a officialisé une pratique qui existait depuis un certain temps et qui consiste d'abord à dispenser le revendicateur de reprendre devant la SPR l'exposé des faits relatés dans son FRP. Ceci permet de passer au contre-interrogatoire de l'APR et aux questions de la SPR. Ce n'est qu'après cet exercice que le revendicateur a l'opportunité de présenter lui-même sa position et ses autres moyens de preuve, s'il en a.


[10]            Par ailleurs, le demandeur reconnaît que la SPR n'a pas limité le temps qui lui était alloué pour faire cette preuve. Il ne plaide pas non plus que dans ce dossier, la SPR était partiale. Ce qu'il argue c'est que dans les faits, compte tenu de l'attitude de plus en plus partisane des APRs, cet ordre de présentation désavantage le revendicateur et constitue en soi un manquement à l'équité procédurale.

[11]            Il soumet que certains commentaires du juge Pelletier, alors en première instance, dans Veres c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1ère inst.) supportent sa position de même que deux décisions récentes de la Cour, soit celle du juge Campbell dans Herrera c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2004 CF 1724, [2005] A.C.F. no 118 (1ère inst.) (QL) et du juge O'Keefe dans Sandor c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2004] A.C.F. no 2183 (1ère inst.) (QL).

[12]            Selon le défendeur, la Cour suprême du Canada dans Prassad c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1989] 1 R.C.S. 560 au paragraphe 16, a confirmé que la SPR est maître de sa procédure. Le paragraphe 162(2) de la Loi précise de plus qu'elle fonctionne sans formalisme et aussi rapidement que le permettent les circonstances et le respect des règles d'équité et justice naturelle.

[13]            En l'espèce, la pratique suggérée dans la directive numéro 7 intitulée Directives concernant la préparation de la tenue des audiences à la section de la protection des réfugiés ne constitue pas un manquement à la règle audi alteram partem puisqu'il est évident que le demandeur a pleinement eu le droit d'être entendu afin de faire valoir le bien-fondé de sa demande d'asile.


[14]            Le défendeur rappelle que cette même pratique a été examinée par cette Cour dans Del Moral c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1998] A.C.F. no 782 (1ère inst.) (QL) au para. 8; Cota c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1999] A.C.F. no 872 (1ère inst.) (QL) aux paras. 24-26; Cruz c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1999] A.C.F. no 1266 (1ère inst.) (QL) aux paras. 32-34 et Ithibu c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2001] A.C.F. no 499 (1ère inst.) (QL) aux paras. 55-58.

[15]            Dans ces affaires, la Cour a confirmé qu'en soi, commencer par le contre-interrogatoire de l'APR ne constitue pas une violation des règles de justice naturelle.

[16]            Le défendeur soumet aussi que dans l'espèce, quelque soit la conclusion de la Cour sur cette question, une nouvelle audience ne saurait changer le fait que la revendication du demandeur ne peut être acceptée puisqu'il admet qu'il n'a aucune crainte personnelle d'être persécuté (Rizkallah c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1992] A.C.F. no 412 (C.A.F.) (QL) aux paras. 2-4).[2]


[17]            La règle audi alteram partemest définie généralement comme le droit d'être entendu pour faire valoir ses moyens, sa défense ou son point de vue (Brown and Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, 5e ed., Toronto; Canvasback Publishing 1998-2004, ch. 7 page 7:1300.)

[18]            Elle implique nécessairement que la partie connaisse les éléments sur lesquels elle doit être entendue. La méthode utilisée pour faire ses représentations est flexible et varie selon les circonstances.

[19]            Ce sont ces grands principes qui doivent guider la Cour dans l'examen de la question soulevée par le demandeur.

[20]            Normalement, l'ordre de présentation de la preuve me semble plus lié à la question du fardeau de la preuve qu'au droit d'être entendu. Par exemple, un défendeur pourrait arguer qu'il y a eu un renversement du fardeau de preuve si on l'obligeait à présenter sa preuve en premier. En effet, cela pourrait le priver de son droit de ne présenter aucune preuve lorsqu'après avoir entendu la preuve du demandeur, il juge que celui-ci n'a pas rempli son fardeau de présenter une preuve prima facie.

[21]            Comme l'indique le juge Pelletier dans Veres, précité, la SPR est maître de sa procédure. « Elle est fondée à tenir compte de l'économie de temps dans l'élaboration de ses règles de procédure. Elle peut également décider quelle preuve elle veut entendre de la bouche du témoin et quelle preuve elle le dispense de présenter. » (paragraphe 28) Toutefois, les choix qu'elle fait peuvent lui imposer des obligations qu'elle n'aurait pas autrement. Par exemple, lorsqu'elle dit qu'elle n'a pas besoin d'entendre un témoin, elle ne peut par la suite se plaindre de ne pas l'avoir entendu. Donc, comme le dit le juge au paragraphe 32 « le sacrifice à consentir pour la maîtrise de la marche à suivre est l'acceptation de la responsabilité en ce qui concerne les points qui ont été omis » . L'honorable juge explique ensuite que la Cour devra, dans chaque cas particulier, s'interroger si l'interaction qui a eu lieu pendant l'audience mettrait raisonnablement le revendicateur au fait que l'absence d'explications complémentaires serait préjudiciable à sa cause. Ces commentaires se rapportent à l'absence de preuve et non à la question de savoir si la preuve présentée est suffisante ou non.

[22]            Le demandeur soumet qu'au paragraphe 35 de cette décision, le juge Pelletier remet en question la validité de cette pratique, mais qu'il ne pouvait invalider la décision dans ce cas parce que M. Veres ne s'était pas objecté à cet ordre de présentation.


[23]            Selon moi, ce que nous dit le juge Pelletier, c'est que la pratique de dispenser d'un interrogatoire principal peut bien soulever des questions d'équité indépendamment de la question d'une lacune dans la preuve, mais que ces questions doivent être traitées par la Cour lorsqu'elle en est correctement saisie, c'est-à-dire, non seulement qu'il y a eu une objection en temps utile mais aussi que les circonstances particulières de l'affaire le justifient.

[24]            A cet égard, la Cour note que le demandeur a insisté sur le fait qu'une personne qui présente une demande d'asile est dans une situation très vulnérable. Elle se trouve dans un milieu étranger souvent dans une langue qui n'est pas la sienne et cela peut présenter de grandes difficultés sur le plan pratique et psychologique. Il est évident que chaque cas en est un d'espèce. C'est justement ce que prévoit le paragraphe 23 de la directive numéro 7. Il se lit comme suit:

Le commissaire peut changer l'ordre des interrogatoires dans des circonstances exceptionnelles. Par exemple, la présence d'un examinateur inconnu peut intimider un demandeur d'asile très perturbé ou un très jeune enfant au point qu'il n'est pas en mesure de comprendre les questions ni d'y répondre convenablement. Dans de telles circonstances, le commissaire peut décider de permettre au conseil du demandeur de commencer l'interrogatoire. La partie qui estime que de telles circonstances exceptionnelles existent doit soumettre une demande en vue de changer l'ordre des interrogatoires avant l'audience. La demande est faite conformément aux Règles de la SPR (article 44 des Règles de la Section de la protection des réfugiés).

(non souligné)

[25]            C'est d'ailleurs de cette façon que j'interprète toutes les causes qui ont été citées par les parties et dans le cadre desquelles la Cour a eu à s'interroger sur cette pratique. Dans les affaires Del Moral, précité, Cota, précité, Cruz précité et Ithibu précité, les juges Dubé, Teitelbaum et Blais respectivement ont déterminé que cette façon de faire, n'était pas dans les circonstances particulières des affaires devant eux, inéquitable.


[26]            Dans Herrera, précité, le juge Campbell à qui l'on avait présenté cet ordre de présentation de la preuve comme une procédure inhabituelle, a conclu après avoir examiné la transcription que dans le cas particulier devant lui où on avait clairement tenté d'intimider le témoin pendant le contre-interrogatoire, le revendicateur n'avait pas été entendu par un décideur impartial.

[27]            Le juge O'Keefe après avoir examiné la transcription dans son affaire, a aussi conclu qu'il y avait eu une injustice non seulement à cause de l'ordre de présentation de la preuve mais aussi à cause du type d'interrogatoire qu'avait subi le demandeur par la SPR elle-même. Il a conclu qu'il y avait eu partialité.

[28]            C'est pour cela que les questions d'équité procédurale ne doivent pas être examinées dans un contexte théorique.

[29]            Ici, après avoir relu les transcriptions, je suis satisfaite que l'équité procédurale ait été respectée. Le demandeur a eu l'opportunité de faire valoir pleinement tous les faits supportant sa demande d'asile.

[30]            Quant au dernier argument du demandeur, la Cour est aussi satisfaite que même si la décision est brève, les motifs sont complets et suffisants puisqu'il n'y avait plus rien à dire après avoir déterminé que le demandeur avait admis qu'il ne craignait pas d'être personnellement persécuté.

[31]            Finalement, même s'il y avait eu manquement de la part de la SPR, je n'aurais pas annulé la décision car dans les circonstances, il est évident que le rejet de revendication de M. Cortes Silva est inévitable. Il n'y a pas lieu de certifier une question dans ce dossier.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

             « Johanne Gauthier »                 

           Juge

                                                                                                                       


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                         IMM-7502-04

INTITULÉ :               CARLOS EDUARDO CORTES SILVA

c. LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 24 mai 2005

MOTIFSDE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                    L'HONORABLE JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                                   le 24 mai 2005


COMPARUTIONS :

MARCEL DUFOUR                            POUR LE DEMANDEUR

SIMONE TRUONG                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MARCEL DUFOUR                            POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR



[1]Ce pouvoir du président de la CISR d'émettre des directives est reconnu à l'alinéa 159(1)h) de la Loi.

[2] Dans son FRP le demandeur n'allègue pas de crainte personnelle et il a confirmé à l'audience n'avoir aucune modification à apporter à ce formulaire (page 140 du dossier certifié du tribunal). Il a aussi confirmé n'avoir aucun problème de sécurité qui le concerne personnellement (dossier certifié du tribunal, pages 174, 175 et 193).


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