Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040520

Dossier : IMM-3403-03

Référence : 2004 CF 737

Toronto (Ontario), le 20 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                         MICHAEL OSADOLOR

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agent d'immigration B. Lloyd, datée du 10 avril 2003, qui a rejeté la demande du demandeur fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire (CH) en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).


LES FAITS

[2]                Le demandeur est un citoyen nigérian âgé de 38 ans qui est arrivé au Canada en janvier 1998, en tant que demandeur d'asile. En 1999, il a soumis une demande CH en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration et les directives CH de l'époque.

[3]                Le demandeur a fondé sa demande CH sur sa relation, suivie de son mariage en 2001, avec une citoyenne canadienne, son établissement au Canada, l'épreuve de la séparation d'avec son épouse, ainsi que sa crainte d'être persécuté au Nigéria.

[4]                Après avoir tenu compte de l'établissement du demandeur au Canada, de son mariage et de sa crainte de retourner au Nigéria, l'agent a conclu que le demandeur ne souffrirait pas de difficultés inhabituelles, injustes ou indues s'il était contraint de présenter une demande de résidence permanente de la manière habituelle. L'agent a fait remarquer que le demandeur avait vécu sa période de développement au Nigéria, qu'il avait fait ses études au Nigéria, qu'il avait habité avec ses deux parents avant de quitter le Nigéria et qu'il avait occupé un emploi au Nigéria avant son départ. L'agent n'était pas convaincu que le demandeur ne serait pas en mesure d'obtenir un emploi, de louer un endroit pour vivre ou d'habiter chez ses parents s'il retournait au Nigéria.


[5]                L'agent a conclu que, puisque le demandeur faisait l'objet d'une mesure de renvoi au moment où il a débuté sa relation avec sa petite amie (maintenant son épouse), ils auraient dû envisager la possibilité et les conséquences d'une séparation. L'agent a fait remarquer que l'épouse du demandeur occupait un emploi et que rien dans la preuve n'indiquait qu'elle éprouverait des difficultés financières excessives du fait du renvoi de son mari. L'agent n'était pas convaincu que les coûts pour l'épouse du demandeur pour se rendre au Nigéria ou la séparation des époux constituaient des motifs suffisants pour accorder une dispense.

[6]                L'agent a examiné les observations et la preuve documentaire en ce qui a trait à la crainte du demandeur d'être persécuté au Nigéria et a reconnu que le demandeur n'était pas une personne à protéger. Enfin, l'agent a tenu compte de l'évaluation psychologique du Dr J. Pilowsky (l'évaluation psychologique), datée du 6 juillet 2000, et a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour étayer ses affirmations.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]                La demande soulève les questions suivantes :

1)         L'agent a-t-il commis une erreur en appliquant rétroactivement les nouvelles directives CH, datées de novembre 2002, lesquelles n'étaient pas en vigueur au moment où la demande CH a été déposée?

2)         Lorsqu'il a rendu sa décision, l'agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve ou en l'interprétant mal?


ANALYSE

La position du demandeur

[8]                Le demandeur soutient que, lorsqu'il s'est marié, la politique explicite du défendeur était de permettre que les demandes soient traitées à partir du Canada dans les cas où il y avait un mariage véritable. Il prétend que, du fait qu'il a formulé sa demande en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, il y a une présomption selon laquelle il bénéficiera des anciennes directives à moins qu'il y ait une indication expresse contraire. Le demandeur soutient également que le rejet par l'agent de l'évaluation psychologique est déraisonnable, étant donné que sa torture au Nigéria n'a jamais été mise en doute.

La position du défendeur

[9]                Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas établi qu'il avait droit à une évaluation sur la base des anciennes directives parce que l'article 190 de la LIPR et la Note de service sur les opérations IP-02-09 du défendeur indiquent clairement que les nouvelles directives devaient s'appliquer dès l'entrée en vigueur de la LIPR. Le défendeur soutient que l'agent a exercé sa discrétion de manière raisonnable.


Le droit applicable aux demandes CH

[10]            Les demandes CH sont régies par le paragraphe 25(1) de la LIPR qui prévoit :


Séjour pour motif d'ordre humanitaire

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

Humanitarian and compassionate considerations

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.


Question no 1 :             L'agent a-t-il appliqué les bonnes directives CH en matière d'immigration?

[11]            La LIPR énonce expressément que les demandes d'immigration en traitement seront régies par la LIPR. L'article 190 est une disposition transitoire de la LIPR et il prévoit :


Application de la nouvelle loi

190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

Application of this Act

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.


[12]            Dans la décision Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 189, au paragraphe 35, j'ai conclu que l'article 190 exprimait clairement l'intention du législateur d'appliquer la LIPR rétroactivement et de permettre que des règlements soient pris avec un effet rétrospectif. Cette expression claire déroge à la présomption ordinaire à l'encontre de la rétroactivité ou de la rétrospectivité.

[13]            La demande CH du demandeur était en traitement en juin 2002, lorsque la LIPR est entrée en vigueur, et en novembre 2002, lorsque les nouvelles directives CH ont été adoptées. Ce n'est que le 10 avril 2003 que la décision concernant sa demande a été rendue. Les nouvelles directives n'ont pas force de loi, mais elles reflètent la manière dont le défendeur applique la législation pertinente en matière d'immigration. La Note de service sur les opérations IP-02-09 délivrée le 26 juin 2002 énonce au paragraphe G :

[...]          

Demandes en cours le 28 juin :Toutes les demandes pour motifs d'ordre humanitaire doivent être évaluées en vertu de la LIPR. De plus, il est à noter qu'il n'existe aucun condition qui permettrait de transférer une demande d'une catégorie à l'autre, c. à d. le transfert d'une demande pour motifs d'ordre humanitaire en demande de regroupement familial. [Souligné dans l'original.]

[...]

[14]       L'article 190 de la LIPR et la nouvelle Note de service sur les opérations indiquent clairement que l'agent devait traiter les demandes CH en traitement dans le cadre de la LIPR.


[15]            Les nouvelles directives CH dans le cadre de la LIPR n'ont été adoptées qu'en novembre 2002. Le demandeur soutient que l'intervalle de cinq mois entre la Note de service sur les opérations délivrée le 26 juin 2002 et les nouvelles directives CH adoptées en novembre 2002, signifie que la Note de service sur les opérations n'énonce pas clairement et expressément que les demandes CH en traitement devraient être traitées différemment, parce que le défendeur n'a eu des nouvelles directives CH dans le cadre de la LIPR que cinq mois après la délivrance de la Note de service sur les opérations. Ceci est faux. Les anciennes directives CH n'avaient aucune force après l'entrée en vigueur de la LIPR parce qu'elles reflétaient la loi abrogée.

[16]            La LIPR a modifié les lois et politiques pour les immigrants mariés à des Canadiens. Ce qui est différent après le 26 juin 2002, c'est que la LIPR a créé une nouvelle catégorie de personnes pouvant demander la résidence permanente depuis le Canada, laquelle constitue la « catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada » . Pour faire partie de cette catégorie, un demandeur doit détenir, selon l'article 124 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), un statut juridique au Canada. Le paragraphe 124b) du Règlement prévoit :


124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l'étranger qui remplit les conditions suivantes :

[...]

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

[...]

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

[...]

(b) have temporary resident status in Canada; and

[...]



Le droit nouveau signifiait que les immigrants légaux n'avaient pas besoin de présenter une demande CH s'ils étaient mariés à un citoyen canadien ou s'ils en étaient le conjoint de fait. Bien que le demandeur ait toujours le droit de faire une demande CH, sa demande ne peut être examinée dans le cadre de la nouvelle « catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada » parce qu'il faisait l'objet d'une mesure d'expulsion lorsqu'il s'est marié. Les nouvelles directives CH prévoient que « [l]e mariage [...] n'est pas automatiquement jugé comme un motif suffisant de décision CH favorable » . Antérieurement, le mariage constituait un facteur positif dans les décisions CH sans égard au statut du demandeur à titre d'immigrant. Ce droit nouveau signifiait que le fait de marier un Canadien ne donnait plus automatiquement le droit à un immigrant illégal au statut de résident permanent au Canada.

[17]            Le fait que le défendeur n'ait pas adopté de nouvelles directives CH dans le cadre de la LIPR avant novembre 2002 ne signifie pas que les nouvelles directives n'ont aucune force ou effet. De toute façon, l'intervalle entre la Note de service sur les opérations et les directives n'est pas pertinent à l'égard du demandeur dont la demande a fait l'objet d'une décision en avril 2003, soit après l'adoption des nouvelles directives CH.

[18]            Le demandeur n'a pas de droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu'elle existait par le passé. Dans l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 282, la Cour suprême du Canada a examiné cette question dans le contexte d'une modification au droit fiscal et a déclaré :

[...] Personne n'a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu'elle existait par le passé; en droit fiscal, il est impérieux que la législation reflète l'évolution des besoins sociaux et de l'attitude du gouvernement. Un contribuable est libre de planifier sa vie financière en se fondant sur l'espoir que le droit fiscal demeure statique; il prend alors le risque d'une modification à la législation.

[19]            Ces remarques incidentes ont été appliquées par le juge Rothstein (maintenant à la Cour d'appel fédérale) dans la décision Say c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 139 F.T.R. 165 (1re inst.), en examinant une décision dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC). Au paragraphe 4, il déclare :

Le requérant soutient qu'il possède un droit acquis et que sa demande d'établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada doit être examinée en fonction du libellé du Règlement sur l'immigration en vigueur le 4 juillet 1996 (date à laquelle il était réputé avoir présenté sa demande à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada), lequel n'excluait pas les personnes visées à la section F de l'article premier de la Convention. Le requérant n'avait aucun droit acquis semblable. Le droit qui lui était accordé par le Règlement était qu'il était réputé avoir présenté une demande d'établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada à cette date. Par contre, il n'avait aucun droit acquis quant au maintien du droit en vigueur à la date à laquelle il était réputé avoir présenté sa demande. (Voir Gustavson Drilling c. M.R.N., [1977] 1 R.C.S. 271, à la p. 282.)

[20]            Pour ces motifs, l'agent d'immigration a correctement appliqué les nouvelles directives CH relatives à la LIPR, qui reflétaient la LIPR. La LIPR a un effet rétrospectif, à savoir qu'elle a pour but de modifier les lois et politiques à l'égard des demandes en traitement au 26 juin 2002.

Question no 2 :             L'agent a-t-il omis de tenir compte de la preuve ou l'a-t-il mal interprétée pour tirer une conclusion déraisonnable?


[21]            En ce qui a trait à l'évaluation psychologique, je rejette l'affirmation du demandeur selon laquelle toutes les parties et les décideurs précédents conviennent qu'il avait été torturé au Nigéria. Ce qui a été accepté dans la décision relative à l'ERAR, et dans la décision de l'agent CH, c'était que le demandeur avait été blessé au genou au moment où il a été renvoyé de force des locaux de son employeur précédent au Nigéria. Cela n'équivaut pas à reconnaître que le demandeur était une victime de torture aux mains des forces de sécurité du Nigéria.

[22]            L'agent CH a fait remarquer que les renseignements sur lesquels avait été basée l'évaluation psychologique vieille de trois ans différaient de ce que le demandeur a décrit comme son expérience actuelle. Par exemple, dans sa demande CH, le demandeur s'est décrit comme une personne impliquée activement au sein de l'Église et de la communauté. Mais, dans l'évaluation psychologique, il était décrit comme une personne qui préférait la solitude et dont les seules interactions sociales étaient d'aller au gymnase et d'être avec sa petite amie. De plus, l'agent a fait remarquer que depuis le diagnostic initial en 2000, le demandeur n'avait pas sollicité ni obtenu de traitement pour l'anxiété post-traumatique et des symptômes de dépression. Par conséquent, je conclus que l'agent n'a pas omis de tenir compte de la preuve, qu'il ne l'a pas mal interprétée et qu'il avait un motif raisonnable d'accorder peu d'importance à l'évaluation psychologique.

QUESTION PROPOSÉE POUR LA CERTIFICATION

[23]            Le demandeur a proposé la question suivante pour la certification :

·            La présomption à l'encontre de la rétroactivité s'applique-t-elle aux nouvelles directives CH de la même façon qu'aux lois et aux règlements? Dans l'affirmative, y avait-il des dispositions expresses qui réfutaient la présomption à l'encontre de la rétroactivité?


Les directives dans le cadre de la LIPR n'ont pas force de loi et n'expriment qu'un avis administratif à l'intention des agents d'immigration sur la manière d'administrer ou d'appliquer la LIPR. En l'espèce, les nouvelles directives CH étaient clairement et expressément applicables à la décision CH lorsqu'elle a été rendue en avril 2003. Puisque la LIPR vise expressément à avoir un effet rétrospectif ou rétroactif, les directives ont le même effet. Puisque j'ai conclu que la présomption à l'encontre de la rétroactivité est expressément réfutée tant dans la LIPR que dans la Note de service sur les opérations, aucune question pour la certification ne serait déterminante en l'espèce.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »              

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                        Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                                 IMM-3403-03

INTITULÉ :                                                                MICHAEL OSADOLOR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 18 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                               LE 20 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040520

                                            Dossier : IMM-3403-03

ENTRE :

MICHAEL OSADOLOR

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                   


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.