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Date : 20050617

Dossier : T-66-86A

Référence : 2005 CF 865

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

LA BANDE DE SAWRIDGE

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

- et -

LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

LE NATIVE COUNCIL OF CANADA (ALBERTA)

LA NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

L'ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

intervenants

ET ENTRE :

    Dossier : T-66-86B

LA PREMIÈRE NATION TSUU T'INA

(auparavant la bande indienne de Sarcee)

demanderesse

- et -


SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

- et -

LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

LE NATIVE COUNCIL OF CANADA (ALBERTA)

LA NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

L'ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

intervenants

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         La genèse de la présente requête des demanderesses est une requête interlocutoire de la défenderesse, Sa Majesté la Reine (la Couronne). La Couronne, dans sa requête, sollicite une décision sur la question de savoir si certains des témoins que les demanderesses proposent de convoquer au procès peuvent apporter un témoignage pertinent et admissible sur les questions en litige dans les actions. À l'appui de sa requête, la Couronne présente notamment l'affidavit de Lana Dolezal. La première partie de l'affidavit de madame Dolezal consiste en un compte-rendu des événements qui se rapportent à la requête. La seconde partie de l'affidavit comprend des copies de documents (les documents) sur lesquels la Couronne s'appuie dans ses observations écrites. Mme Dolezal ne fait ni déclaration ni commentaire sur les documents et ne fait que les joindre à son affidavit.

[2]         Dans la requête qui m'est présentée par écrit en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale, les demanderesses sollicitent une ordonnance enjoignant la Couronne de faire comparaître un témoin informé à leur contre-interrogatoire sur affidavit, comme elles le font valoir dans leur lettre datée du 12 janvier 2005. Voici la partie pertinente de cette lettre :

[traduction] Premièrement, je souhaite procéder à un contre-interrogatoire sur l'affidavit déposé par la Couronne et souscrit le 6 janvier 2005 à l'appui de sa récente requête. ...


L'affidavit a été souscrit par une technicienne juridique, nommée Lana Dolezal, dans le bureau régional du ministère de la Justice. La plus grande partie de l'affidavit fournit des informations contextuelles qui ne sont généralement pas litigieuses. Cependant, à partir du paragraphe 13 de l'affidavit, un certain nombre de documents sont joints qui ont trait à la politique du gouvernement fédéral sur l'autonomie politique; la mise en oeuvre du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale des autochtones; des ententes entre Sa Majesté la Reine et la bande de Sawridge et un document de discussion sur les négociations sur l'autonomie politique de la bande de Sawridge apparemment rédigé par le ministère des Affaires indiennes et daté du 7 juillet 1989. Je souhaite procéder à un contre-interrogatoire sur ces paragraphes et documents.

Je tiens à dire d'emblée que je ne crois pas qu'un technicien juridique soit la personne appropriée pour répondre au genre de questions que je veux poser relativement à ces documents et je vais demander à la Couronne de faire comparaître une personne informée pouvant répondre à mes questions. Par exemple, ma préférence serait de demander que l'on fasse comparaître ceux qui ont rédigé ces procédures et documents et qui en sont responsables pour répondre à mes questions. La Couronne a choisi de s'appuyer sur ces documents. Je pense qu'il n'est que juste qu'elle fasse comparaître une personne capable de répondre aux questions qui les concernent. ...

[3]         Comme je l'ai déjà noté, on me demande d'ordonner à la Couronne de faire comparaître une personne différente pour répondre aux questions sur les documents. Cependant, il faut d'abord déterminer si les demanderesses ont le droit de contraindre la souscriptrice, Mme Dolezal, à répondre. Il s'agit d'une question préliminaire. Si les demanderesses ne peuvent contraindre la souscriptrice choisie à répondre, il s'ensuit qu'une autre personne ne devrait pas être contrainte à répondre aux questions.

[4]         À mon avis, l'énoncé le plus succinct de l'état actuel du droit en ce qui a trait à l'étendue du contre-interrogatoire sur un affidavit, dans le contexte d'une requête interlocutoire comme la présente, se trouve dans la décision Castlemore Marketing Inc. c. Intercontinental Trade and Finance Corp. [1996] A.C.F. no 201, le juge Reed dit ceci au paragraphe 1 :

L'auteur d'un affidavit est tenu de répondre aux questions portant sur des points exposés dans l'affidavit, ainsi qu'à toute question secondaire découlant de ses réponses initiales. Dans la décision Bally-Midway Mfg. c. M.J.Z. Electronics Ltd. (1984), 75 C.P.R. (2d) 160, le juge Dubé a dit que les contre-interrogatoires sur affidavits se limitent « aux questions intéressant l'injonction interlocutoire ou à l'ensemble des allégations faites dans l'affidavit ou aux deux » . Dans la décision Weight Watchers (précitée), le juge Heald s'est fondé sur une jurisprudence portant que la personne qui procède à un contre-interrogatoire sur un affidavit n'est pas limitée à la teneur de l'affidavit même, mais qu'elle peut aborder toute question liée à l'objet de l'affidavit. En plus d'être pertinente, la question doit, évidemment, ne pas être générale au point qu'il soit impossible d'y répondre intelligemment, et la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire pour rejeter toute question qu'elle considérera assimilable à une « recherche à l'aveuglette » .


[5]         Les demanderesses ont invoqué plusieurs jugements pour étayer leur position sur cette requête. Cependant, on n'y trouve aucune conclusion ou point de vue contraire à l'extrait précité de Castlemore Marketing.

[6]         Appliquant ces principes à l'affaire dont je suis saisie, je rejetterais la requête.

[7]         La première difficulté en l'espèce tient à la nature générale de la requête des demanderesses, ce qui rend impossible d'obtenir une réponse sensée. Les demanderesses n'ont donné aucun renseignement sur la nature spécifique du contre-interrogatoire qu'elles se proposent de conduire. On ne nous a présenté que des déclarations générales selon lesquelles les demanderesses veulent poser des questions sur les documents.

[8]         Pour appuyer leur requête, les demanderesses se sont référées à un certain nombre de jugements dans lesquels les souscripteurs d'affidavit étaient obligés de répondre à des questions ou de s'informer eux-mêmes afin de répondre. Cependant, j'estime que cette jurisprudence est inutile, car, dans tous les jugements cités, des questions particulières ou des types de questions avaient été déterminées par l'auteur de la requête. En l'espèce, les demanderesses n'ont pas tenté d'interroger Mme Dolezal avant de présenter leur requête et n'ont donc pu établir devant la Cour que des questions particulières avaient été refusées. Ils n'ont pas non plus donné une liste de questions qu'ils voudraient poser. De plus, les demanderesses ne m'ont présenté aucune décision dans laquelle notre Cour ou un autre tribunal a contraint un souscripteur d'affidavit à s'informer sur des questions qui n'étaient pas précisées ou étaient décrites en termes généraux, comme c'est le cas en l'espèce, et à y répondre.

[9]         La partie qui tente de répliquer à une requête en vue d'obtenir des réponses à des questions ou de contraindre une partie à permettre l'interrogatoire d'un souscripteur d'affidavit en mesure de répondre doit sûrement pouvoir comprendre clairement quelle information l'auteur de la requête désire obtenir. En l'espèce, la Couronne de même que la Cour sont laissées dans l'ignorance et doivent spéculer sur les questions à poser. En fait, les demanderesses veulent mener une « recherche à l'aveuglette » . Sur ce seul fondement, la requête devrait être rejetée.


[10]       En outre, même si je réussissais par spéculation ou inférence à préciser les questions projetées, je rejetterais néanmoins la requête. Il semble que les demanderesses souhaitent interroger Mme Dolezal ou d'autres sur le contexte et le contenu d'une série de documents portant sur une question qui fait ou non partie du litige principal. À mon avis, le contre-interrogatoire sur cet affidavit particulier n'est pas le moyen approprié pour soulever les questions relatives aux actes de procédure eux-mêmes.

[11]       Les demanderesses font valoir que la Couronne a choisi de s'appuyer sur les documents et que « ce n'est que juste » qu'on leur permette de procéder à un contre-interrogatoire sur ces documents. Je ne suis pas persuadée que la Couronne s'est appuyée sur les documents aussi largement que ne le prétendent les demanderesses. La Couronne a produit les documents dans un but limité, celui de montrer que les négociations entre la Couronne et la bande demanderesse de Sawridge à propos de la politique d'autonomie gouvernementale étaient conduites « sous réserve de tous droits » . Par conséquent, il serait incorrect de permettre aux demanderesses de procéder à un interrogatoire sur le contenu des documents; le contenu des documents n'est pas une question liée à l'objet de l'affidavit. Le contre-interrogatoire sur l'affidavit devrait se limiter à la question soulevée par la requête à laquelle se rapporte l'affidavit. À mon avis, toute question qui va au-delà de la question de savoir si les négociations faisaient l'objet d'un privilège ou d'autres questions expressément visées dans la requête de la Couronne n'aurait pas d'impact sur le résultat de la requête sous-jacente de la Couronne et devrait donc être rejetée.

[12]       Comme les demanderesses ne m'ont pas convaincue que je devrais contraindre Mme Dolezal à répondre à toutes questions posées en contre-interrogatoire, qui sont suggérées (mais non précisément définies), il s'ensuit que je n'entends pas contraindre la Couronne à faire comparaître une personne pour répondre. De toute façon, les demanderesses ne m'ont cité aucune source, dans les Règles de la Cour fédérale ou ailleurs, qui requiert qu'une partie fasse comparaître un souscripteur éclairé au lieu de la personne qui souscrit l'affidavit.

[13]       En résumé, je refuse d'accueillir le redressement sollicité pour les motifs suivants :


1.       Les demanderesses n'ont pas indiqué, avec quelque détail que ce soit, les questions qu'elles désirent poser à Mme Dolezal ou tout autre souscripteur d'affidavit.

2.       Si les demanderesses veulent procéder à un contre-interrogatoire sur le contenu des documents au-delà de la fin restreinte pour laquelle la Couronne a produit ces documents dans sa requête, un tel contre-interrogatoire irait au-delà des questions liées à l'objet de l'affidavit.

ORDONNANCE

La Cour ordonne que la requête soit rejetée, avec dépens immédiatement.

« Judith A. Snider »

______________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                                                       

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                 T-66-86A et T-66-86B

INTITULÉ DE LA CAUSE:      LA BANDE DE SAWRIDGE c.

SA MAJESTÉ LA REINE ET AL ET

LA PREMIÈRE NATION TSUU TINA c.

SA MAJESTÉ LA REINE ET AL

REQUÊTE ADJUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA SANS LA PRÉSENCE DES PARTIES.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :             MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DE L'ORDONNANCE :        LE 17 JUIN 2005

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Catherine Twinn                            POUR LES DEMANDERESSES, LA BANDE DE SAWRIDGE

Philip P. Healey                             ET LA PREMIÈRE NATION TSUU T'INA

Martin Henderson         

Paul Fitzgerald                               POUR LES INTERVENANTS,

LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

Jon Faulds                                     POUR LES INTERVENANTS,

NATIVE COUNCIL OF CANADA (ALBERTA)

Michael J. Donaldson                    POUR LES INTERVENANTS, NON-STATUS INDIAN

ASSOCIATION OF ALBERTA

Mary Eberts                                  POUR LES INTERVENANTS,

L'ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA


John H. Sims, c.r.                           POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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