Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050906

Dossier : IMM-1259-05

Référence : 2005 CF 1203

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                             RAVINDER SINGH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire est présentée à l'encontre d'une décision d'Helene Panagakos (Section de la protection des réfugiés), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Par cette décision, datée du 3 février 2005, la Commission a décidé que le demandeur n'avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).


LA QUESTION EN LITIGE

[2]                La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire indiquant que le demandeur serait exposé au risque d'être persécuté s'il était renvoyé en Inde?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs qui suivent, je réponds à cette question par la négative. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

LE CONTEXTE

[4]                Le demandeur, Ravinder Singh (M. Singh ou le demandeur), est âgé de 25 ans. Il vient de la province du Pendjab, en Inde. Son père était membre du parti Shironmani Akali Dal Amritsar et, en conséquence, il a été arrêté illégalement et maltraité à plusieurs reprises par les autorités. Son père s'est réfugié aux Philippines, où il a ensuite été assassiné.


[5]                Le 27 juin 2000, un vieil ami de son père, membre du parti Mann, a rendu visite au demandeur à sa ferme. Le lendemain, la police a effectué une descente au domicile du demandeur et il a été arrêté. Amené au poste de police, on l'a maltraité et faussement accusé d'entretenir des liens avec des militants. M. Singh a finalement été relâché trois jours plus tard, après avoir versé un pot-de-vin. Par la suite, la police est revenue de temps en temps chez le demandeur pour insulter sa famille et s'informer au sujet des militants. À quelques occasions, le demandeur a été amené au poste de police où il a été maltraité et menacé. Il a chaque fois obtenu des soins médicaux.

[6]                Le demandeur a pris des mesures pour informer les autorités de ces problèmes. Il a rencontré un avocat pour engager une poursuite judiciaire contre la police. Suite à cette rencontre, la police l'a arrêté de nouveau. On a pris ses empreintes digitales et il a été photographié. On l'a agressé et il a dû signer des documents en blanc.

[7]                M. Singh a quitté le Pendjab et il est arrivé au domicile d'un parent à Rajasthan le 10 mai 2003. La police a cherché à le retrouver au Pendjab et a battu son jeune frère le 1er octobre 2003, pour chercher à savoir où se trouvait le demandeur. La résidence où le demandeur était hébergé a par la suite été fouillée, mais il était absent à ce moment-là. Cela étant, on ne voulait plus l'héberger. C'est alors que M. Singh s'est entendu avec un passeur de clandestins pour se rendre au Canada.


LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

[8]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire uniquement de la partie de sa demande jointe en vertu de l'alinéa 97(1)a) de la LIPR, à savoir qu'en tant que sikh ainsi que demandeur d'asile débouté et renvoyé du Canada, il sera personnellement exposé au risque d'être soumis à la torture par les autorités indiennes à son retour. Il ne demande pas le contrôle judiciaire des conclusions de la Commission quant à sa crédibilité.

[9]                Dans sa décision, la Commission a déclaré qu'aucune preuve documentaire n'avait été présentée démontrant que le demandeur serait exposé au risque d'être persécuté s'il retournait en Inde en tant que demandeur d'asile débouté. Elle a ensuite cité une preuve documentaire mentionnant que seuls les ressortissants indiens qui n'avaient pas respecté les lois indiennes à leur départ étaient susceptibles d'être poursuivis. De plus, la preuve démontrait que les demandeurs d'asile déboutés revenant en Inde pouvaient subir un bref interrogatoire, mais que d'habitude, ils pouvaient ensuite quitter l'aéroport (ou tout autre port d'entrée). La Commission a aussi cité une preuve documentaire qui mentionnait que les personnes recherchées par les services de police ou de sécurité indiens étaient livrées à ces services. Autrement, les autorités ne procèdent généralement qu'à une courte entrevue.

[10]            Le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire qui appuyait ses dires selon lesquels les demandeurs d'asile déboutés rencontraient souvent des difficultés lors de leur retour en Inde, spécialement s'ils étaient sikhs. Le demandeur a souligné la preuve documentaire qui démontrait que les sikhs étaient quelquefois victimes de sévices pendant leur détention et soumis à des interrogatoires inhumains, notamment à la torture. Le demandeur a aussi fourni des renseignements au sujet de terroristes sikhs situés au Canada, parmi d'autres pays, ce qui selon lui amènerait les autorités indiennes à examiner son cas encore de plus près à son retour. Le demandeur soutient que la Commission était tenue de traiter de cette preuve.

[11]            Le demandeur soutient que la preuve retenue par la Commission était pleine de passages assortis de conditions comme [Traduction] « les personnes rapatriées n'éprouvaient aucun problème si elles étaient munies, à leur retour, de titres de voyage valides et si elles étaient parties munies de titres de voyage valides » . Le demandeur souligne que même si c'est peut-être le cas, sa propre situation ne respecte pas certaines de ces conditions, puisque le demandeur a quitté l'Inde au moyen d'un faux passeport.


[12]            Le demandeur soutient de plus que la Commission est arrivée à sa décision en abordant la preuve de façon sélective, à savoir qu'elle n'a tenu compte que d'une partie de la preuve documentaire. Le demandeur a évoqué la décision Balendra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1352, pour appuyer la proposition selon laquelle même si les tribunaux ne sont pas tenus de faire référence à chaque élément de preuve contraire à leurs conclusions, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée est importante et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que le tribunal a tiré une conclusion erronée sans tenir compte de la preuve dont il disposait.

[13]            Enfin, le demandeur soutient que le bien-fondé de sa demande relative à l'article 97 n'est pas lié aux conclusions de la Commission quant à la crédibilité, car on peut en décider au seul vu de la documentation sur la situation dans le pays. La Commission aurait dû examiner le cas de personnes en situation semblable (c.-à-d. les demandeurs d'asile sikhs déboutés) pour étayer une preuve de difficultés importantes, et ne pas fonder sa conclusion seulement sur la crédibilité du demandeur ou sur son histoire personnelle. M. Singh croit sincèrement qu'on va l'interroger et le torturer étant donné que, comme il est un demandeur d'asile sikh débouté, l'Inde sera d'avis qu'il a des liens avec les organisations sikhes que l'on croit être implantées au Canada.

Le défendeur


[14]            Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre ou le défendeur), soutient qu'en général, le manque de crédibilité d'un demandeur aura un impact sur l'analyse fondée sur l'article 97, puisque la crainte alléguée doit être personnalisée. Un simple renvoi à la situation dans un pays ne suffit généralement pas à justifier qu'on accorde la protection prévue à l'article 97 de la LIPR. Le défendeur cite la décision Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 506, aux paragraphes 27 et 28 :

[27]      D'autre part, l'article 96 comporte un volet objectif et un volet subjectif, ce qui n'est pas le cas de l'article 97(1)(a) : la personne qui invoque cette dernière disposition doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle est plus susceptible d'être persécuté que de ne pas l'être ("more likely than not") (Chan c. M.E.I., [1995] 3 R.C.S. 593; Li c. M.C.I., [2005] F.C.J. no. 1 (C.A.F.)).

[28]       Ceci étant dit, l'appréciation du risque que pourrait courir le demandeur d'être persécuté s'il devait être retourné dans son pays doit être personnalisé. Ce n'est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l'on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné (Ahmad c. M.C.I., [2004] A.C.F. no. 995 (C.F.); Gonulcan c. M.C.I., [2004] A.C.F. no. 486 (C.F.); Rahim c. M.C.I., [2005] A.C.F. no 56, 2005 CF 18 (C.F.). À ce chapitre, le manque de crédibilité du demandeur pouvait être retenu contre lui tant sous l'article 96 que sous l'article 97(1)(a).

[15]            Le défendeur s'appuie aussi sur la décision Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 58 (Gill), où un argument semblable avait été utilisé. Dans cette affaire, la Cour a conclu que, puisque le demandeur n'avait pas été jugé crédible au sujet de son appartenance à un groupe donné, on ne saurait dire qu'il entrait dans la catégorie d'un groupe connexe plus large qui faisait souvent l'objet d'un traitement sévère. La Cour a aussi conclu que la question de savoir s'il y avait des motifs sérieux de croire qu'une personne risque d'être soumise à la torture à son retour est clairement de la compétence de la Commission, tant en sa qualité de tribunal spécialisé qu'en sa qualité de juge des faits en première instance.

[16]            Enfin, le défendeur soutient que les répercussions d'une violation des lois relatives au départ de l'Inde sont de la nature d'une poursuite et non d'une persécution.


La norme de contrôle

[17]            La norme de contrôle des décisions de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui traitent de la crédibilité, ou qui dépendent en grande partie des faits, est celle de la décision manifestement déraisonnable : Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 173, au paragraphe 42. Voir aussi l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4, où la Cour déclare que la Section du statut de réfugié, en sa qualité de tribunal spécialisé, a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage : « Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? »

Analyse

[18]            L'article 97 de la LIPR étend la qualité de personne à protéger à ceux qui ne sont pas des réfugiés, mais qui ne peuvent se réclamer de la protection de leur pays d'origine. Le demandeur en l'espèce déclare qu'il a besoin de cette protection, puisqu'en sa qualité de demandeur d'asile sikh débouté renvoyé du Canada en Inde, les autorités indiennes croiront qu'il a des liens avec des militants à l'étranger. Le demandeur soutient que la croyance générale veut qu'il existe au Canada un groupe sikh important assimilable à un groupe terroriste et que, par conséquent, il fera face à un sérieux risque de détention, de torture ou de persécution.


[19]            Je trouve toutefois très difficile d'arriver à cette conclusion au vu des conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité. Il est certain que, si la Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible lorsqu'il invoquait ses supposés liens avec des militants sikhs et que le demandeur a ensuite choisi de ne pas remettre en question cette partie de la décision, il ne peut maintenant prétendre que, suite à son séjour au Canada, les autorités en Inde vont croire à l'existence de ces liens. Le demandeur a présenté une preuve documentaire à l'appui de son argument selon lequel les personnes soupçonnées d'avoir entretenu des liens avec un groupe terroriste à l'étranger ont des difficultés à leur retour en Inde. Il s'agit toutefois là d'un risque de nature générale (voir « Control on arrival » ( « Contrôle à l'arrivée » ), section 9.4 du Rapport danois). Le demandeur doit démontrer l'existence d'un risque personnalisé et, en l'absence d'une contestation de sa part des conclusions de la Commission quant à la crédibilité, il n'a pas établi l'existence d'un tel risque.

[20]            À ce sujet, je m'en rapporte à la décision Gill, précitée, où le juge Shore déclare que :

[...] La Cour voudrait également faire observer que, puisque le demandeur n'a pas été jugé crédible à propos de son lien avec des terroristes, on ne saurait dire qu'il entre dans la catégorie des « demandeurs d'asile indiens qui étaient déjà recherchés par les autorités indiennes pour des infractions antérieures, par exemple un rôle supposé dans un groupe terroriste » , lesquels pouvaient [...] être l'objet de sanctions plus graves.

[21]            Je ne vois aucune raison d'arriver à une conclusion différente en l'espèce.

[22]            Le demandeur soutient aussi que la Commission a commis une erreur en déclarant qu'il n'y avait pas de preuve documentaire démontrant qu'il serait exposé au risque d'être persécuté s'il retournait en Inde. Encore une fois, au vu de la conclusion quant à la crédibilité, il ne peut être considéré comme "suspect" d'activités terroristes. Par conséquent, il faut lire la preuve dans le contexte de la situation du demandeur telle qu'elle a été établie par la Commission. Le Rapport danois susmentionné n'appuie pas les prétentions du demandeur.

[23]            Enfin, le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle il ne sera pas persécuté à son retour, qui est fondée sur la preuve documentaire mentionnant que les demandeurs d'asile qui quittent l'Inde et y reviennent avec des titres de voyage en règle, ne tient pas compte du fait qu'il a quitté le pays avec des titres de voyage qui n'étaient pas en règle et qu'il a donc violé les lois de l'Inde en matière de sortie. On ne peut toutefois utiliser ceci comme une preuve qu'il sera persécuté par les autorités indiennes à son retour. La Commission a reconnu que M. Singh avait quitté l'Inde avec des documents falsifiés. En indiquant que ceux qui quittaient avec des titres de voyage en règle n'auraient pas de difficultés à leur retour, la Commission souligne en fait que M. Singh craint plutôt d'être poursuivi et non d'être persécuté. Dans Zandi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 35 Imm. L.R. (3d) 273 (C.F.), le juge Kelen cite l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Valentin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 390, qu'il paraphrase de la façon suivante :


[...] un transfuge ne peut acquérir de statut juridique au Canada en vertu de la LIPR en créant un « besoin de protection » au sens de l'article 97 de la LIPR en se rendant librement, de son propre chef et sans raison, passible de sanctions pour transgression d'une loi pénale d'ordre général de son pays d'origine visant le respect des conditions d'un visa de sortie, c'est-à-dire le retour au pays. Même si le demandeur est digne de se voir accorder le statut d'immigrant au Canada, la Commission et la Cour n'ont pas la compétence législative d'accorder le statut juridique aux transfuges.

[Non souligné dans l'original.]

[24]            Au fond, le demandeur cherche à obtenir que notre Cour apprécie à nouveau la preuve présentée à la Commission. En l'absence d'une erreur manifestement déraisonnable, la Cour n'est pas justifiée d'intervenir. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25]            Les parties ont été invitées à présenter des questions à certifier, mais elles n'en ont présenté aucune.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y aura pas de question certifiée.

     « Simon Noël »

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                                                     IMM-1259-05

INTITULÉ :                                                    RAVINDER SINGH

c.                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 31 août 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                               Le 6 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean-François Bertrand - Montréal

POUR LE DEMANDEUR          

Procureur général du Canada                           

Ministère de la Justice - Montréal

POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.