Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040119

Dossier : IMM-810-02

Référence : 2004 CF 73

ENTRE :

                                                            SEAN MICHAEL HUONG

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                 La demande de M. Huong pour obtenir la résidence permanente au Canada a été rejetée par une agente des visas le 30 janvier 2002. Il désirait immigrer dans le cadre du programme concernant les entreprises familiales (maintenant discontinué), en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration,L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi). Il se présentait comme bijoutier et horloger-rhabilleur à l'entreprise de sa famille à Toronto (Ontario), Ngoc Chau Jewellery.


[2]                 M. Huong et son épouse sont nés au Vietnam, mais ils résident aux États-Unis et sont naturalisés américains. Leurs enfants sont citoyens américains. Tous les autres membres de la famille de M. Huong habitent au Canada.

[3]                 M. Huong est d'abord venu au Canada en qualité de visiteur en 1993. Il y est resté jusqu'en 1995, travaillant illégalement au magasin Ngoc Chau. Il a fait l'objet d'une mesure de renvoi en 1995 et il a quitté le Canada pour les États-Unis. En 1997, il a présenté une demande de résidence permanente dans le cadre du programme concernant les entreprises familiales, en qualité de gérant du magasin Ngoc Chau. Sa demande a été rejetée, au motif qu'il n'avait pas les aptitudes requises pour gérer un magasin.

[4]                 Depuis 1999, M. Huong habite officiellement en Californie mais il vient au Canada en visite. Ayant reçu une autre approbation en vertu du programme concernant les entreprises familiales en mars 2000, il a fait une autre demande de résidence permanente. Il a été reçu en entrevue au consulat du Canada à Détroit.

[5]                 M. Huong a reçu 66 points d'appréciation, ce qui est moins que les 70 points requis pour recevoir le droit d'établissement. Dans la lettre de rejet, l'agente des visas donne les motifs qui justifient le rejet de la demande. Voici les paragraphes pertinents de cette lettre :

[traduction]


Afin de vous qualifier pour l'immigration au Canada, vous devez recevoir 70 points d'appréciation. Vous n'avez pas reçu le nombre requis de points d'appréciation. En vertu du sous-alinéa 9(1)b)(i) du Règlement sur l'immigration de 1978 vous n'avez pas obtenu 70 points d'appréciation, soit le nombre minimum requis pour être choisi comme immigrant au Canada. Vous n'êtes donc pas une personne à qui je peux délivrer un visa d'immigrant en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi sur l'immigration et, en conséquence, votre demande est rejetée. De plus, vous êtes aussi inadmissible parce que vous n'avez reçu aucun point d'évaluation pour le facteur expérience. Je n'ai pu non plus vous accorder des points d'évaluation pour le facteur demande professionnelle, puisque je n'ai pas été convaincu que vous avez exercé les fonctions de bijoutier et d'horloger-rhabilleur.

À l'entrevue, vous n'avez pas démontré la capacité de parler l'anglais couramment. Pendant toute l'entrevue, il a fallu répéter et reformuler les questions. Vous avez fait montre d'une articulation et d'une énonciation pauvres. On vous a demandé de lire la description des fonctions de bijoutier dans la CNP. Me fondant sur vos compétences pour parler, lire et écrire, je vous ai accordé sept points d'appréciation pour la connaissance de l'anglais.

Je vous ai demandé de décrire en détail vos études, ainsi que votre formation et votre expérience comme bijoutier et horloger-rhabilleur. Vous avez eu de la difficulté à répondre. Je n'ai pu conclure que vous aviez une formation précise pour ces professions. Je vous ai posé des questions spécifiques pour évaluer vos connaissances en tant que bijoutier. En me fondant sur vos réponses, je ne peux être convaincue que vous avez exercé la profession de bijoutier telle qu'elle est décrite dans la CNP. Vous avez déclaré à l'entrevue que vous n'étiez pas un bijoutier. Vous avez dit pouvoir réparer des montres. Vous n'avez pu me convaincre que vous possédez une formation reconnue ou que vous avez fait des études en tant qu'horloger-rhabilleur, ou que vous pourriez obtenir le certificat en réparation de montres qui est obligatoire en Ontario. Je n'ai pu arriver à la conclusion que vous avez exercé les fonctions d'horloger-rhabilleur telle que cette profession est décrite dans la CNP, ou que vous rencontrez les conditions d'accès à cette profession.

Je suis d'avis que les points que je vous ai accordés reflètent correctement vos possibilités de réussir votre établissement au Canada. Au vu des facteurs comme l'esprit d'initiative, l'ingéniosité, la motivation et la faculté d'adaptation, je ne peux arriver à la conclusion que vous pouvez vous établir avec succès au Canada.

[6]                 M. Huong me demande d'annuler la décision de l'agente des visas. Après avoir examiné ses arguments, je suis arrivée à la conclusion que ses allégations au sujet des erreurs qu'aurait commises l'agente des visas ne sont pas fondées et que sa demande doit être rejetée.


[7]                 M. Huong soutient que l'agente des visas n'a pas respecté son obligation d'équité procédurale en ne lui demandant pas de parler de son expérience en tant qu'horloger-rhabilleur, sauf pour lui demander s'il avait un certificat; en ne faisant pas état de ses préoccupations quant à son expérience et à la question de savoir s'il pouvait effectivement exercer la profession qu'il visait sans avoir de certificat; et en ne respectant pas sa promesse de lui donner 30 jours additionnels pour présenter ses documents.

[8]                 L'affidavit de l'agente des visas, ainsi que ses notes dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) font ressortir le fait qu'elle a examiné l'aptitude de M. Huong à exercer la profession d'horloger-rhabilleur. Elle lui a posé des questions au sujet de sa formation, a examiné avec lui la Classification nationale des professions (CNP) et lui a demandé ses commentaires, et elle lui a aussi demandé de décrire son travail comme horloger-rhabilleur. Bien qu'un agent des visas ne soit pas tenu de faire part à un demandeur de ses préoccupations par rapport aux questions précisées dans la Loi et le Règlement (Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 148 F.T.R. 245 (1re inst.); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 266 (1re inst.); Duan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1651 (1re inst.)), l'agente des visas lui a fait part de ses préoccupations, tant au cours de l'entrevue qu'à la fin de celle-ci.


[9]                 La CNP précise que le certificat en réparation de montres est obligatoire en Ontario. Il est reconnu que ce certificat n'est pas exigé. Toutefois, la question de savoir si M. Huong avait un certificat ou non ne permet pas de trancher la demande étant donné que l'agente a aussi tenu compte de ses études, de son expérience et de sa formation. Avec ou sans certificat, M. Huong n'a pas convaincu l'agente des visas qu'il pouvait s'acquitter des fonctions de la profession d'horloger-rhabilleur. Les notes STIDI font état de deux occasions au moins où M. Huong a dû répondre à des questions au sujet de ses études et de sa formation en tant qu'horloger-rhabilleur. L'agente des visas a aussi essayé de lui faire parler des réparations qu'il aurait réalisées à son domicile, mais il a répondu par une formule vague : [traduction] « quelques réparations à l'occasion » .

[10]            L'argument voulant que l'agente des visas se soit fondée sur une preuve extrinsèque pour rejeter sa demande comme bijoutier, lorsqu'elle lui a demandé de démontrer ses connaissances en examinant une bague à diamants, n'apparaît pas dans les prétentions écrites de M. Huong. Un demandeur ne peut reformuler ses arguments à l'audience. Lorsqu'une question n'est pas mentionnée dans le mémoire du demandeur, l'avocat du défendeur n'a pas l'occasion d'y répondre et il ne serait pas approprié que la Cour tranche une telle question : Coomaraswamy et autres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 289 N.R. 137 (C.A.F.); Kioroglo et autres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 86 F.T.R. 87 (1re inst.); Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 195 F.T.R. 9 (1re inst.); Kazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 222 F.T.R. 132 (1re inst.). Même si ce n'était pas le cas, cet argument n'a aucune portée étant donné le fait que M. Huong a admis qu'il n'était pas un bijoutier.

[11]            L'agente des visas nie qu'elle aurait offert un autre 30 jours à M. Huong pour qu'il puisse présenter une documentation additionnelle. Elle déclare que si elle l'avait fait ce serait noté dans le STIDI, ce qui n'est pas le cas. J'accepte la preuve de l'agente des visas à ce sujet.


[12]            M. Huong soutient aussi que l'agente des visas n'a pas tenu compte d'une preuve pertinente visant son aptitude à exercer la profession d'horloger-rhabilleur, savoir la lettre en provenance de Movado et les notes de la première agente des visas. Cet argument doit être rejeté pour les trois raisons suivantes.

[13]            Premièrement, un agent des visas a le pouvoir discrétionnaire d'évaluer l'expérience d'un demandeur en se fondant sur ses déclarations à l'entrevue, ainsi que d'accorder un poids moindre à la documentation écrite : Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 172 F.T.R. 262 (1re inst.); Kalia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 731, [2002] A.C.F. no 998; Atangan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 752, [2002] A.C.F. no 1017; Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1050 (1re inst.).


[14]            Deuxièmement, les notes de la première agente, même si on en tenait compte, n'auraient servi à rien. La première agente a noté que M. Huong avait une expérience de travail au magasin Ngoc Chau et à son domicile. Cette première demande a été examinée dans le contexte d'une fonction de gestion et non dans celui de la profession de bijoutier ou d'horloger-rhabilleur. La première agente évaluait la compétence de gestion de M. Huong et elle a fait état de l'expérience de travail qu'il décrivait en ce qu'elle était reliée à ses préoccupations. Elle n'a pas examiné la véracité de ces déclarations dans le contexte d'un poste de gestion, puisque la question n'était pas pertinente. Lors de la présente demande, l'agente des visas devait faire sa propre évaluation de la demande de M. Huong au vu de la preuve qui lui était présentée : Baber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 CFPI 1077, [2001] A.C.F. no 1480; Parmar c. Canada (1997), 139 F.T.R. 203 (1re inst.); Stanislaus c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 529, [2003] A.C.F. no 690. C'est exactement ce qu'elle a fait.

[15]            Troisièmement, les agents des visas ont un pouvoir discrétionnaire considérable lorsqu'il s'agit de déterminer si un demandeur satisfait aux exigences pour une profession donnée, y compris dans leur interprétation de la CNP. Ils ont une compréhension et une connaissance de ce document qui est au moins égale, sinon supérieure, à celle de la Cour chargée du contrôle : Madan, précité.

[16]            M. Huong conteste aussi le fait qu'on lui ait accordé deux points d'appréciation pour la personnalité, suggérant que ce chiffre est abusif. L'agente des visas a examiné son esprit d'initiative, son ingéniosité, sa motivation et sa faculté d'adaptation et elle a jugé qu'ils se situaient nettement sous la moyenne. M. Huong est sans emploi depuis plus de cinq ans; il s'est rendu à l'entrevue avec seulement une petite partie de la documentation requise; il a déclaré qu'il voulait venir au Canada parce que ses parents s'y trouvaient; et il ne pouvait répondre à des questions au sujet de sa demande parce que c'est son frère qui l'avait remplie. Je ne trouve rien à redire à l'évaluation de l'agente des visas.


[17]            Même si l'agente des visas avait commis une erreur, rien ne serait changé pour M. Huong, les paragraphes 11(1) et (3) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement), portent qu'on ne peut délivrer un visa à un demandeur qui n'a obtenu aucun point d'appréciation pour le facteur expérience ou qui n'obtient pas au moins un point d'appréciation pour le facteur demande professionnelle.

[18]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée et je délivrerai une ordonnance en ce sens. Les avocats n'ont pas proposé de question à certifier. Cette affaire ne soulève aucune question qu'il serait approprié de certifier.

         « Carolyn Layden-Stevenson »      

     Juge

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

Le 19 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-810-02

INTITULÉ :                                                     SEAN MICHAEL HUONG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 15 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                    LE 19 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :             

Calvin Huong                                                         POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Stephen Nguyen                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Stephen Jarvis                                        POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

Toronto (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.