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Date : 20210112

Dossiers : T-97-19

T-98-19

T-503-19

T-504-19

Référence : 2021 CF 1

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

Dossier : T-97-19

ENTRE :

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. ET BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND UNLIMITED COMPANY

demanderesses

et

PHARMASCIENCE INC.

défenderesse

Dossier : T-98-19

ET ENTRE :

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. ET BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND UNLIMITED COMPANY, ET PFIZER INC.

demanderesses

et

PHARMASCIENCE INC.

défenderesse

Dossier : T-503-19

ET ENTRE :

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. ET BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND UNLIMITED COMPANY, ET PFIZER INC.

demanderesses

et

SANDOZ CANADA INC.

défenderesse

Dossier : T-504-19

ET ENTRE :

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO.

ET BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND UNLIMITED COMPANY

demanderesses

et

SANDOZ CANADA INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS MODIFIÉS

(Le jugement et les motifs confidentiels ont été rendus le 4 janvier 2021, ils ont été modifiés en vertu du paragraphe 397(2) des Règles le 8 janvier 2021, et aucun caviardage n’est nécessaire)

[1] Sur consentement des parties, ces quatre actions ont été instruites « de façon coordonnée ». Les demanderesses [appelées collectivement « BMS »] ont intenté ces actions en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 en vue d’empêcher les défenderesses, Pharmascience Inc. [Pharmascience] et Sandoz Canada Inc. [Sandoz], d’obtenir des avis de conformité pour commercialiser leurs versions génériques du produit ELIQUISMC de BMS.

[2] ELIQUIS est un anticoagulant qui bloque certaines protéines de coagulation dans le sang; plus précisément, c’est un inhibiteur du facteur Xa [FXa]. Deux brevets concernant ELIQUIS sont en cause. Le brevet canadien no 2461202 [le brevet 202] concerne l’apixaban, l’ingrédient pharmaceutique actif d’ELIQUIS. Il est en cause dans les dossiers de la Cour T-97-19 et T-504-19. Le brevet canadien no 2791171 [le brevet 171] concerne la formulation des comprimés de 2,5 mg et 5 mg d’apixaban de BMS. Il est en cause dans les dossiers de la Cour T-98-19 et T-503-19.

UN BREF CONTEXTE

[3] La preuve factuelle produite par M. Donald J. P. Pinto et M. Jantin Patel quant à l’historique de la recherche et du développement d’ELIQUIS par BMS ainsi que ses prédécesseures est largement incontestée. De nombreuses sociétés pharmaceutiques menaient des recherches pour inventer un composé destiné à remplacer la warfarine, qui était alors le produit pharmaceutique standard utilisé pour traiter et prévenir les caillots sanguins. La warfarine était un médicament difficile à administrer, pour au moins deux raisons : elle avait des effets secondaires dangereux et faisait courir au patient le risque de saignements abondants, et elle exigeait que les patients subissent constamment des examens. Ces facteurs ont incité à inventer un traitement de substitution plus facile à administrer.

[4] Au début des années 1990, les recherches initiales de BMS se sont concentrées sur les médicaments qui inhiberaient l’enzyme thrombine. En 1996, l’accent a été mis sur les composés qui inhiberaient l’enzyme FXa.

[5] M. Pinto déclare qu’en 2001, BMS a [traduction] « finalement découvert l’apixaban : un inhibiteur du facteur Xa structurellement différencié, puissant, sécuritaire et sélectif ayant un ensemble unique et spécial de propriétés pharmacocinétiques. » Le brevet 202, lequel revendique l’apixaban, a été déposé au Canada le 17 septembre 2002. Sa date de publication est le 3 avril 2003 et il a été délivré le 12 juillet 2011.

[6] Le brevet 171 porte sur la formulation des comprimés de l’apixaban. L’équipe de développement a été formée en 2001 et il a fallu environ 7 ans pour développer la formulation maintenant brevetée pour ELIQUIS. Le brevet 171 a été déposé le 2 février 2011. Sa date de publication est le 1er septembre 2011 et il a été délivré le 29 août 2017.

L’EXPOSÉ CONJOINT DES QUESTIONS EN LITIGE

[7] Les parties ont très utilement préparé et soumis à la Cour, pour qu’elle en tire profit, un exposé conjoint des questions en litige, qui est reproduit ci-dessous :

[traduction]

1. Les revendications invoquées dans les présentes actions sont les suivantes (les revendications) :

a) Le brevet 202 (dossiers de la Cour numéros T-97-19 et T-504-19) :

(i) La revendication 2; la revendication 4, étant subordonnée à la revendication 2; les revendications 5 à 7, étant chacune subordonnée à la revendication 4, laquelle est subordonnée à la revendication 2.

b) Le brevet 171 (dossier de la Cour no T-98-19) :

(i) La revendication 18, étant subordonnée à la revendication 14, étant subordonnée à la revendication 13 ou à la revendication 12, étant chacune subordonnée à la revendication 6, étant subordonnée à la revendication 5, laquelle est subordonnée à la revendication 4;

(ii) Les revendications 30 à 32, étant subordonnées à la revendication 29, étant subordonnée à la revendication 25, étant subordonnée à la revendication 24, laquelle est subordonnée à la revendication 23.

c) Le brevet 171 (dossier de la Cour no T-503-19) :

(i) La revendication 18 étant subordonnée à la revendication 14, étant subordonnée à la revendication 13 ou à la revendication 12, étant subordonnée à la revendication 6, étant subordonnée à la revendication 5, laquelle est subordonnée à la revendication 4;

(ii) Les revendications 30 et 31, étant subordonnées à la revendication 29, étant subordonnée à la revendication 25, étant subordonnée à la revendication 24, laquelle est subordonnée à la revendication 23.

2. Les défenderesses ont confirmé que leur seule allégation d’absence de contrefaçon est qu’aucune des revendications ne sera contrefaite, parce qu’elles ne sont pas valides. En outre, les défenderesses conviennent que, si la Cour conclut que l’une des revendications invoquées est valide, alors les ordonnances recherchées par les demanderesses dans le cadre des présentes actions devront être rendues. En d’autres termes, il n’y aura aucune instruction sur des questions de contrefaçon autres que celles relatives à la validité des revendications, et les parties conviennent que les demanderesses ne sont pas tenues d’établir qu’il y a contrefaçon des éléments essentiels de l’une ou l’autre des revendications de brevet invoquées pour les besoins des présentes actions.

3. Sans préjudice aux arguments des demanderesses concernant la validité et la manière dont les allégations relatives à la validité ci-dessous ont été formulées sur le plan juridique par les défenderesses, ces dernières ont l’intention de soulever les allégations suivantes relatives à validité :

A. Le brevet 202 – dossiers de la Cour numéros T-97-19 et T-504-19

4. La question à trancher dans les dossiers de la Cour no T-97-19 (BMS c Pharmascience) et no T-504-19 (BMS c Sandoz) est de savoir si l’une des revendications du brevet 202 est valide et serait donc contrefaite, et plus précisément les questions relatives à la validité que Pharmascience et Sandoz entendent actuellement soulever sont :

(i) L’insuffisancele brevet 202 satisfait-il aux exigences des alinéas 27(3)a) et b) de la Loi sur les brevets?

(ii) Le double brevet – les revendications du brevet 202 sont-elles invalides pour cause de double brevet à la lumière du brevet canadien no 2349330 (le brevet 330)?

(iii) L’antériorité – l’objet que définissent les revendications du brevet 202 est-il antériorisé par le brevet 330 (ou la demande visant l’obtention d’un brevet international correspondant, WO 00/39131)?

(iv) L’évidence – à la date de la revendication (le 21 septembre 2001), l’objet défini par les revendications du brevet 202 aurait-il été évident pour une personne versée dans l’art?

(v) La portée excessive – les revendications du brevet 202 ont-elles une portée excessive du fait qu’elles visent davantage que l’invention réalisée ou divulguée par les inventeurs?

(vi) L’inutilité – les revendications du brevet 202 sont-elles invalides pour absence d’utilité, c’est‑à‑dire qu’il n’y a eu aucune démonstration ni prédiction valable de l’utilité?

(vii) L’insuffisance et l’inutilité d’un brevet de sélection – l’apixaban est-il l’un des composés visés par le brevet 330? Dans l’affirmative, les revendications du brevet 202 sont-elles invalides pour avoir omis de divulguer un avantage important par rapport aux composés visés par le brevet 330 ou les revendications du brevet 202 sont-elles invalides du fait que le composé revendiqué n’a aucun avantage important par rapport aux composés visés par le brevet 330?

B. Le brevet 171 – dossiers de la Cour no T-98-19 (Pharmascience) et no T-503-19 (Sandoz) :

5. La question à trancher dans les dossiers de la Cour no T-98-19 (BMS c Pharmascience) et no T-503-19 (BMS c Sandoz) est de savoir si l’une des revendications du brevet canadien no 2791171 (le brevet 171) est valide et serait donc contrefaite, et plus précisément les questions relatives à la validité que Pharmascience et Sandoz entendent actuellement soulever sont :

(i) L’évidence – à la date de la revendication (25 février 2010), l’objet défini par les revendications du brevet 171 aurait-il été évident pour une personne versée dans l’art?

(ii) La portée excessive – les revendications du brevet 171 ont-elles une portée excessive du fait qu’elles visent davantage que l’invention réalisée ou divulguée par les inventeurs?

(iii) L’insuffisance – le brevet 171 satisfait-il aux exigences des alinéas 27(3)a) et b) de la Loi sur les brevets?

(iv) Inutilité – les revendications du brevet 171 sont-elles invalides pour absence d’utilité, c’est‑à‑dire qu’il n’y a eu aucune démonstration ni prédiction valable de l’utilité?

(v) L’ambiguïté – le brevet 171 satisfait-il aux exigences du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets?

[8] Comme il a déjà été souligné, la seule allégation d’absence de contrefaçon soulevée par les défenderesses est qu’aucune des revendications invoquées ci-dessus [les revendications] dans ces deux brevets ne sera contrefaite, parce qu’elles sont invalides. Aux termes du paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, le brevet 202 et le brevet 171 délivrés sont présumés valides. Il incombe aux défenderesses de prouver l’invalidité.

LES TÉMOINS EXPERTS

[9] Un certain nombre de témoins experts ont été cités par les parties. La Cour a accepté leur accord sur les qualifications, en se fondant sur le dossier dont elle disposait :

A. Les témoins experts cités par Pharmascience

Le Dr Michael Rieder est un médecin expert et un pharmacologue clinicien spécialisé dans la recherche pharmacologique in vitro et in vivo et les essais cliniques.

M. Paul Laskar est un expert en formulation pharmaceutique et en libération des médicaments, notamment en ce qui concerne l’évaluation de préformulations, la conception et le développement de formulations, la fabrication, la caractérisation, les essais et l’analyse, y compris pour les formes posologiques orales solides.

B. Les témoins experts cités par Sandoz

M. Eliot Ohlstein est un pharmacologiste expert, spécialisé dans la découverte et le développement de médicaments, et plus particulièrement dans le domaine de la biologie cardiovasculaire.

M. Michael Chong est un expert en chimie organique, spécialisé dans la chimie organique et la chimie organique de synthèse.

M. John Gleason est un expert en chimie thérapeutique, spécialisé dans la découverte et le développement de médicaments.

Le Dr Gordon Moe est un cardiologue expert, spécialisé dans le traitement et la prévention des maladies thromboemboliques.

M. Arthur Kibbe est un expert en formulation pharmaceutique et en libération des médicaments, notamment en ce qui concerne l’évaluation de préformulations, la conception et le développement de formulations, la fabrication, la caractérisation, les essais et l’analyse, y compris pour les formes posologiques orales solides.

C. Les témoins experts cités par BMS

Le Dr Jeffrey Weitz est un hématologue expert, spécialisé dans la recherche sur la thrombose, la coagulation par cascade et leur traitement, ainsi que dans les essais précliniques et cliniques relatifs aux anticoagulants.

M. David Taft est un expert en pharmacocinétique.

M. Martyn Davies est un expert en formulation pharmaceutique et en libération des médicaments, notamment en ce qui concerne l’évaluation de préformulations, la conception et le développement de formulations, la fabrication, la caractérisation, les essais et l’analyse, y compris pour les formes posologiques orales solides.

[10] Les défenderesses soutiennent que leurs experts devraient être privilégiés par rapport à ceux cités par BMS.

[11] En ce qui concerne le Dr Weitz, elles notent (1) qu’il a une [traduction] « relation étroite » avec BMS qu’il veut poursuivre, (2) qu’il [traduction] « a fait l’éloge de l’apixaban » tout en omettant de révéler que c’était en fait toute la classe des anticoagulants directs administrés par voie orale [ADAVO] dont la pratique s’est trouvée modifiée, et (3) qu’il a été évasif, rejetant un principe de son propre article [traduction] « selon lequel les ADAVO, “qui comprennent le dabigatran, le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban” ont “une efficacité similaire, une meilleure innocuité et une plus grande praticité” » que la warfarine, ce qu’il n’a admis qu’après que le document lui eut été présenté.

[12] Je n’accepte pas les observations des défenderesses concernant le poids à accorder à la preuve du Dr Weitz.

[13] Le Dr Weitz a volontiers reconnu sa relation avec BMS, et a déclaré dans son témoignage qu’il avait travaillé avec de nombreuses sociétés pharmaceutiques. Il a signé le Certificat relatif au code de déontologie régissant les témoins experts prévu à l’article 52.2 des Règles, et n’a donné à la Cour aucune raison de penser qu’il n’avait pas respecté le Code de déontologie.

[14] Le Dr Weitz déclare bel et bien que l’apixaban est unique parmi les ADAVO. Il atteste que bien qu’il ait prescrit tous les ADAVO approuvés au Canada, ELIQUIS est son choix préféré pour les patients présentant un risque élevé de saignement. Il note que le New England Journal of Medicine a reconnu en 2019 qu’ELIQUIS était un médicament qui modifiait la pratique. Il atteste en outre que, dans ses [traduction] « propres expériences avec ELIQUIS, cela reflète à quel point ce médicament a modifié la pratique. » Avec égards, bien que les ADAVO aient collectivement modifié la pratique, il est clair pour la Cour, d’après la preuve de ce témoin et celle d’autres personnes, qu’ELIQUIS est le plus important d’entre eux.

[15] Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire si les ADAVO [traduction] « [avaient] une efficacité similaire, une meilleure innocuité et une plus grande praticité que des médicaments tels que la warfarine », le Dr Weitz a répondu ainsi :

[traduction]

Non, je ne tirerais pas une telle conclusion. […] Je pense qu’il y a des différences entre ces agents en ce qui concerne leurs performances par rapport à la warfarine, et pour dire que l’un est meilleur que l’autre, eh bien, il faudrait faire des essais comparatifs directs. Mais ils ont bel et bien montré des différences comme dans les essais, et nous utilisons ces informations en tant que cliniciens pour choisir l’un par rapport à l’autre lors du traitement de nos patients.

[16] Dans son article qui lui a été présenté en contre-interrogatoire, il a écrit :

[traduction]

Les anticoagulants directs administrés par voie orale, les ADAVO, qui comprennent le dabigatran, le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban, peuvent être administrés par doses fixées sans exercer une surveillance systématique de la coagulation. Les essais cliniques ont montré que les ADAVO étaient au moins aussi efficaces que les antagonistes de la vitamine K, tels que la warfarine, pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux (AVC) dus à la fibrillation auriculaire non valvulaire et pour le traitement de la thromboembolie veineuse, et qu’ils provoquaient des saignements moins graves. Avec une efficacité similaire, une meilleure innocuité et une plus grande praticité, les ADAVO remplacent désormais les antagonistes de la vitamine K pour ces indications.

[17] Il a admis que cela était exact lorsqu’il l’a écrit, et lorsqu’on lui a demandé si cela n’était pas en contradiction avec son témoignage oral, il a déclaré :

[traduction]

Quand j’ai fait cette déclaration, je me suis dit que, si l’on rassemble toutes les données et que l’on compare tous les ADAVO avec la warfarine, c’est la conclusion à laquelle on arrive. Mais encore une fois, la comparaison de chaque ADAVO à la warfarine pourrait donner des résultats différents dans chacun de ces essais. En tant que classe, oui, ce que je dis ici est exact.

[18] Je conclus que le Dr Weitz n’a pas été évasif ni incohérent dans son témoignage. Il a admis qu’en tant que classe de médicaments, les ADAVO étaient supérieurs à la warfarine, mais a noté que chacun d’eux, comparé à la warfarine, donnait des résultats différents, de sorte qu’on ne peut pas dire que l’un est meilleur que les autres sans un essai comparatif direct.

[19] En ce qui concerne M. Taft, les défenderesses soutiennent [traduction] qu’« il était nettement inexpérimenté, par rapport aux experts des défenderesses, à l’égard de la question clé des inhibiteurs du FXa ». Toutefois, son témoignage ne portait pas sur les inhibiteurs du FXa :

[traduction]

L’avocat m’a demandé mon opinion sur ce que, le cas échéant, la personne ou l’équipe versée dans l’art comprendrait du brevet 202 qui décrit ou divulgue les objets de l’invention et l’objet des revendications du brevet 202, lorsqu’il est lu à la lumière de leurs connaissances générales courantes, à la date de sa publication (soit le 3 avril 2003).

[20] Il lui a également été demandé d’examiner les antériorités invoquées par les défenderesses (brevet canadien no 2349330 [le brevet 330] et la demande de brevet WO 00/39131), du point de vue de la personne versée dans l’art et de donner son opinion sur la question de savoir si l’un ou l’autre rendait le brevet 202 évident. Une connaissance approfondie des inhibiteurs de FXa n’est pas nécessaire à cette fin.

[21] Les défenderesses soutiennent également que sa lecture du brevet 202 était [traduction] « déformée », car [traduction] « il faisait fi du libellé clair du brevet, ou des concepts à interpréter qui sont totalement absents, chaque fois que cela servait la position de BMS. » Je rejette la proposition selon laquelle il a fabriqué son témoignage pour soutenir la position de BMS. Il a donné son opinion et rien dans la preuve ne permet, selon moi, de conclure qu’il ne l’a pas formée honnêtement. En fin de compte, la question de l’interprétation appropriée, que nous aborderons bientôt, relève du juge du procès, et non de l’un ou l’autre des témoins.

[22] Les défenderesses soutiennent enfin que ce témoin était évasif et elles soulignent son rejet d’un principe de ses propres écrits antérieurs. Voici le segment pertinent du contre-interrogatoire :

[traduction]

Q. Conviendrez-vous également que la connaissance de la liaison protéinique est nécessaire pour déterminer la dose appropriée pour les tests initiaux menés chez l’humain? [Non souligné dans l’original.]

R. Encore une fois, je ne pense pas que les tests initiaux chez l’humain nécessiteraient de prendre en compte la liaison protéinique. Les tests initiaux chez l’humain sont des études de phase 1, et ces études sont réalisées à de faibles doses, du moins au début, pour établir l’innocuité et évaluer la pharmacocinétique. Et donc non, je ne pense pas nécessairement que la liaison protéinique serait essentielle à la détermination de cette dose. [Non souligné dans l’original.]

[…]

Q. [L’article] commence ainsi :

« Néanmoins, les mesures de liaison protéinique sont importantes pendant le développement du médicament pour plusieurs raisons : premièrement, les différences qui existent entre les espèces influeront sur les prédictions allométriques des paramètres pharmacocinétiques. Deuxièmement, la connaissance de la liaison protéinique du médicament est nécessaire pour établir une dose appropriée chez l’humain. »

Et est-ce une déclaration exacte?

R. Je n’ai aucune raison d’écarter cette déclaration, non. Je pense que, si vous regardez le début du paragraphe, il renvoie à la publication du Dr Bennett et à l’analyse relative à l’importance de la liaison protéinique pour les interactions médicamenteuses. Mais, je n’ai aucune raison de contester cette déclaration, non.

[23] Je conclus que la déclaration de l’article sur une [traduction] « dose appropriée » chez l’humain vise le même problème que la question posée sur le dosage lors des tests initiaux chez l’humain. Il ne s’agit pas d’un [traduction« rejet » comme il est allégué. De toute façon, je ne conclus pas que M. Taft a été évasif dans son témoignage.

[24] J’ai par contre conclu que M. Laskar, un expert cité par les défenderesses, omettait souvent de répondre en contre-interrogatoire. Plutôt que de répondre à la question posée, il répondait souvent par une réponse à une question différente. Il a fallu lui rappeler qu’il avait été cité comme témoin pour aider la Cour (et non la partie qui le payait), et que les réponses qui ne répondaient pas aux questions posées n’étaient d’aucune utilité. C’est pourquoi, chaque fois que son témoignage diffère de celui d’un autre témoin, je préfère le témoignage de l’autre témoin.

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[25] Un brevet doit être lu de manière téléologique, du point de vue de la personne versée dans l’art, avec un esprit désireux de comprendre : arrêts Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 [Whirlpool], et Free World Trust c Electro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust]. Il n’y a pas de divergences importantes entre les parties au sujet de personne versée dans l’art. En ce qui concerne le brevet 202, la personne versée dans l’art est une équipe composée d’un chimiste thérapeutique, d’un pharmacologue ou d’un pharmacocinéticien et d’un clinicien. En ce qui concerne le brevet 171, la personne versée dans l’art est un formulateur qualifié.

[26] La première tâche de la Cour consiste à interpréter les revendications au regard du mémoire descriptif dans son ensemble afin de déterminer la portée de l’invention revendiquée.

LE BREVET 202

[27] Les revendications du brevet 202 en cause sont les revendications 2 et 4 à 7, qui se lisent ainsi :

[traduction]

2. Un composé représenté par la formule suivante :

4. Utilisation d’un composé visé par la revendication 1 ou la revendication 2 dans le traitement d’un trouble thromboembolique.

5. Utilisation selon la revendication 4, dans laquelle le trouble thromboembolique est une mort subite causée par l’ischémie, un accident ischémique transitoire ou un accident vasculaire cérébral.

6. Utilisation selon la revendication 4, dans laquelle le trouble thromboembolique est une thrombose veineuse profonde.

7. Utilisation selon la revendication 4, dans laquelle le trouble thromboembolique est une embolie pulmonaire.

[28] L’apixaban est le composé représenté dans la revendication 2.

[29] Les défenderesses soutiennent que BMS n’a présenté aucune preuve au sujet de l’interprétation des revendications du brevet 202 et que, par conséquent, les opinions de leurs experts reproduites ci-dessous sont tout ce dont la Cour dispose :

[traduction]

Les opinions de M. Ohlstein et du Dr Rieder indiquent que les revendications doivent être interprétées ainsi :

Revendication 2 : la composition de la matière, désormais connue sous le nom d’apixaban, censée être utilisée pour traiter ou prévenir les troubles thromboemboliques chez l’homme et les mammifères non humains.

Revendication 4 : l’utilisation d’apixaban, pour traiter ou prévenir les troubles thromboemboliques, chez les humains et les mammifères non humains, à l’exception des affections qui ne sont traitées que chez l’homme (c’est-à-dire le syndrome coronaire aigu, la mort subite causée par l’ischémie, les accidents ischémiques transitoires et la thrombose veineuse profonde).

Revendications 5 à 7 : identiques à la revendication 4, mais où le trouble thromboembolique est le suivant : revendication 5 – mort subite causée par l’ischémie, accident ischémique transitoire ou accident vasculaire cérébral; revendication 6 – thrombose veineuse profonde; revendication 7 – embolie pulmonaire.

[Non souligné dans l’original.]

[30] Je suis d’accord avec BMS pour dire que la tentative des [traduction] « défenderesses de lire dans les revendications du brevet 202 que l’invention doit traiter à la fois les humains et les mammifères non humains est contraire à l’enseignement clair du brevet 202 selon lequel le traitement est destiné aux “mammifères” ‒ et tout mammifère fera l’affaire ». Le terme [traduction] « traitement » est défini dans la divulgation du brevet 202 comme étant le traitement d’une maladie chez un mammifère :

[traduction]

Les termes « traiter », « traitement », employés dans les présentes désignent le traitement d’un état pathologique chez un mammifère, en particulier chez un humain et comprennent : a) la prévention de l’apparition de l’état pathologique chez un mammifère, en particulier, lorsque ce mammifère est prédisposé à l’état pathologique, mais n’a pas encore été diagnostiqué comme l’ayant; b) l’inhibition de l’état pathologique, c’est-à-dire l’arrêt de son développement; c) le soulagement de l’état pathologique, c’est-à-dire la provocation d’une régression de l’état pathologique.

[Non souligné dans l’original.]

[31] Si l’apixaban ne fonctionnait que chez les mammifères non humains, il serait toujours visé par le brevet 202.

[32] À mon avis, l’interprétation correcte des revendications invoquées dans le brevet 202 comporte deux volets. La revendication 2 du brevet 202 est une revendication pour le produit chimique connu sous le nom d’apixaban. Les revendications 4 à 7 revendiquent l’utilisation de l’apixaban chez un mammifère, dans le traitement ou la prévention des troubles thromboemboliques, y compris la mort subite causée par l’ischémie, l’accident ischémique transitoire ou l’accident vasculaire cérébral (revendication 5), la thrombose veineuse profonde (revendication 6) et l’embolie pulmonaire (revendication 7).

Le caractère insuffisant de la divulgation

[33] Le paragraphe 27(2) de la Loi sur les brevets prévoit que la demande de brevet doit comprendre une pétition et un mémoire descriptif de l’invention. Le mémoire descriptif comporte la divulgation et les revendications. Si toutes les conditions requises pour la délivrance d’un brevet au titre de la Loi sur les brevets sont remplies, alors, comme l’exige le paragraphe 27(1) de la Loi, le commissaire aux brevets « accorde un brevet d’invention ».

[34] Les exigences relatives à une divulgation appropriée sont prévues aux paragraphes 27(3) et (4) de la Loi sur les brevets :

(3) Le mémoire descriptif doit :

(3) The specification of an invention must

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

(4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject-matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

[35] Aux paragraphes 69 à 71 de l’arrêt Teva Canada Ltd c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60, [Sildenafil CSC], la Cour suprême du Canada, rappelant son jugement antérieur dans l’affaire Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, indique clairement que, pour que la divulgation soit suffisante, « le mémoire descriptif, constitué des revendications et de la divulgation, doit définir la “portée exacte et précise” du privilège revendiqué, de sorte que le public puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention de la même façon que l’inventeur [en italique dans l’original] ». Trois questions doivent être posées : 1) En quoi consiste votre invention? 2) Comment fonctionne‑t‑elle? 3) La description permet-elle à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la produire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation? Si le public ne peut pas le faire, alors la divulgation est insuffisante, et le brevet est invalide.

[36] Les défenderesses notent qu’au paragraphe 90 de l’arrêt Sildenafil CSC, la Cour suprême a observé que, « la bonne question consiste à savoir si la divulgation était suffisante à la date du dépôt [non souligné dans l’original] ».

[37] M. Chong a déclaré dans son témoignage que la demande de brevet 202, telle que déposée et publiée (c’est-à-dire la demande de brevet), revendiquait 10100 composés. Ce n’est que juste avant la délivrance du brevet 202 que BMS a réduit les revendications à un seul composé – l’apixaban. Les défenderesses soutiennent qu’avant de restreindre la revendication, la divulgation était insuffisante car, à la date de publication, on ne pouvait pas réaliser l’invention.

[38] BMS reconnaît que, dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Teva Canada Limited, 2013 CF 283 [Zoledronate CF], conf par 2013 CAF 244, la Cour a conclu que la suffisance de la divulgation devait être appréciée à la date de publication. Cependant, BMS soutient que les défenderesses confondent la date de l’appréciation avec le document à apprécier à cette date.

[39] Les défenderesses écrivent que la décision Zoledronate CF fut le premier examen complet de la question depuis l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Sildenafil CSC :

[traduction]

Le juge Hughes a décidé que la date de publication était la plus appropriée, car c’était « la date à laquelle le public [prenait] connaissance de la demande », et également la date à laquelle l’auteur de la demande de brevet « a[vait] arrêté les revendications de l’invention et les a[vait] communiquées au public. » Ainsi, le juge Hughes a considéré le contenu du brevet tel qu’il avait été publié, et non le contenu du brevet au moment du dépôt.

[Non souligné dans l’original.]

[40] Il y a un passage dans Zoledronate CF qui semble appuyer l’observation des défenderesses quant à l’appréciation de la suffisance du document à la date de publication. Le juge Hughes note au paragraphe 178 que le brevet qu’il examinait, lorsqu’il a été déposé à l’origine sous forme de demande, contenait des revendications portant sur de nombreux composés, notamment le zolédronate, mais que le brevet délivré ne revendiquait que le zolédronate. Il déclare ce qui suit :

[…] Si je devais juger du caractère suffisant du brevet à la date de dépôt de la demande, je conclurais que la demande n’était pas différente de celle soumise à l’examen de la Cour suprême dans l’arrêt Teva, et qu’elle était donc invalide pour cause de divulgation insuffisante.

[Non souligné dans l’original.]

[41] Dans l’arrêt Sildenafil CSC, la Cour suprême du Canada n’a pas examiné la demande, mais le brevet délivré. Je n’accepte pas l’allégation selon laquelle la décision Zoledronate CF appuie la proposition avancée par les défenderesses devant la Cour. La question dont la Cour est toujours saisie est de savoir si le brevet est valide ou si une revendication invoquée est valide ou non. Il ne s’agit pas de savoir si un document préexistant est valide ou si une « revendication » abandonnée par la suite est invalide ou non.

[42] Les défenderesses soutiennent, au paragraphe 32 de leurs observations écrites, que la [traduction] « date de publication était la date utilisée pour apprécier la suffisance de la divulgation dans d’autres affaires à la Cour fédérale ». Elles renvoient à Alcon Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Co, 2014 CF 149 au para 236, et Hospira Healthcare c Kennedy Trust for Rheumatology, 2018 CF 259 aux para 6 et 246, conf sur ce point par 2020 CAF 30 aux para 101-104.

[43] Je conviens que, dans chacune de ces décisions, la Cour a déclaré que la suffisance devait être déterminée à la date de publication; toutefois, aucune n’indique que le document examiné pour déterminer la suffisance était celui qui était disponible à cette date, plutôt que le brevet tel qu’il avait été délivré.

[44] Les défenderesses soutiennent en outre que [traduction] « la date de dépôt a également été invoquée dans plusieurs affaires et que, selon la CAF, “tout ce qui a pu se produire par la suite ne tire pas à conséquence” » : Novopharm Ltd c Pfizer Canada Inc, 2010 CAF 242 [Sildenafil CAF] au para 79. Elles renvoient également à Cobalt Pharmaceuticals Company c Bayer Inc, 2015 CAF 116 au para 67, et Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2018 CF 736 au para 123.

[45] Le passage du paragraphe 79 de l’arrêt Sildenafil CAF que les défenderesses citent est le suivant :

Quant aux arguments de l’appelante au sujet de certaines des observations du juge de première instance que l’appelante qualifie d’« étrangères », je n’ai aucun mal à convenir avec Pfizer que ces observations n’ont donné lieu à aucune erreur susceptible de révision. Pfizer souligne à juste titre que le juge de première instance devait décider si l’exposé de l’invention était suffisant à la date du dépôt. En conséquence, tout ce qui a pu se produire par la suite ne tire pas à conséquence. J’estime néanmoins que, bien que malavisées dans les circonstances, les observations du juge de première instance ne permettent pas de conclure que ce dernier a commis une erreur susceptible de révision. Comme l’invention revendiquée correspond au composé visé à la revendication 7, l’exposé de l’invention est suffisant.

[46] Les observations « étrangères » sont décrites au paragraphe 46, et sont les suivantes :

Ensuite, l’appelante affirme que le juge de première instance a tenu compte de facteurs étrangers et non pertinents, et plus particulièrement du fait que l’appelante avait attendu treize ans avant de contester la validité du brevet (en 2007), que Pfizer avait identifié il y a onze ans le sildénafil comme étant l’ingrédient actif et que le Viagra avait été lancé aux États-Unis il y a neuf ans.

[47] Dans ce contexte, la déclaration selon laquelle tout ce qui s’est passé après la date de dépôt n’est pas pertinent n’appuie pas la proposition des défenderesses. Tout ce que l’on constate, c’est que les observations du juge portaient sur des faits qui s’étaient produits après la date de dépôt et qu’elles ne sont pas pertinentes pour déterminer si, à la date de dépôt, la divulgation était suffisante. La Cour d’appel fédérale a examiné le brevet tel qu’il avait été délivré, quelque chose qui s’était produit après le dépôt.

[48] Je suis d’accord avec l’observation de BMS selon laquelle le rôle de la Cour est d’examiner la suffisance des revendications délivrées pour les raisons avancées par BMS :

[traduction]

La Loi sur les brevets prévoit et autorise expressément les modifications apportées au mémoire descriptif après le dépôt, y compris les modifications telles qu’elles se sont produites en l’espèce. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau ce qui s’est passé durant la procédure. Il appartient au commissaire aux brevets de déterminer si une demande de brevet est suffisante. Il appartient à la Cour de déterminer si le brevet délivré est suffisant. [Non souligné dans l’original.]

[…]

S’il en était autrement, cela conduirait au résultat absurde que les procédures postérieures au dépôt prévues par la Loi sur les brevets (par exemple, les modifications de revendications, les modifications aux demandes divisionnaires, la redélivrance, la renonciation) seraient rendues sans objet pour des raisons de suffisance, mais pas pour d’autres motifs d’invalidité.

[49] Le critère du caractère suffisant est de savoir si, en appliquant les connaissances d’une personne versée dans l’art à l’époque pertinente (date de publication), il ou elle est en mesure d’exploiter l’invention. L’invention est celle qui est revendiquée dans le brevet, et tant qu’il n’est pas délivré, il n’y a pas de brevet.

[50] Les défenderesses soutiennent que le libellé du brevet 202 tel qu’il a été délivré est insuffisant pour quatre raisons. Premièrement, il ne révèle pas que l’apixaban est puissant ou sélectif. Deuxièmement, il est muet sur le risque que l’apixaban provoque des saignements excessifs. Troisièmement, il est muet quant au profil pharmacocinétique de l’apixaban. Quatrièmement, il contient des informations sur le dosage de l’apixaban chez l’humain que BMS savait erronées.

[51] Tout au long du procès, les défenderesses ont demandé aux témoins [traduction] « Où sont les données », c’est-à-dire où se trouvent les données du brevet qui confirment que l’apixaban est utile dans le traitement des troubles thromboemboliques. La question porte sur les trois premières des raisons avancées par les défenderesses à l’appui de leur observation à l’égard de l’insuffisance.

[52] Dans l’arrêt Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2008 CAF 108 [Lipitor CAF], la Cour d’appel fédérale indique clairement que la question de savoir si le brevet contient des données pour étayer l’invention n’est pas pertinente :

Le juge des demandes a eu tort d’interpréter l’exigence de divulgation du paragraphe 27(3) de la Loi comme exigeant qu’un breveté appuie son invention sur des données. Ce faisant, il a confondu l’exigence qu’une invention soit nouvelle, utile et non évidente avec l’exigence, suivant le paragraphe 27(3), que le mémoire descriptif divulgue « l’usage » auquel l’invention se prêtait selon l’inventeur : Consolboard, à la page 527. La question de savoir si un breveté a obtenu suffisamment de données pour étayer son invention n’est pas pertinente, à mon sens, au regard de l’application du paragraphe 27(3). L’analyse à cet égard met en cause le caractère suffisant de la divulgation et non le caractère suffisant des données sous-jacentes à l’invention. Permettre à Ranbaxy d’attaquer l’utilité, la nouveauté et/ou l’évidence du brevet ‘546 par le biais de l’exigence de divulgation élargit indûment la portée de l’obligation de l’inventeur suivant le paragraphe 27(3), et ignore l’objet de cette disposition.

[Non souligné dans l’original.]

[53] J’accepte le témoignage du Dr Weitz en contre-interrogatoire, selon lequel en distinguant l’apixaban dans les revendications, le brevet indique à la personne versée dans l’art que les inventeurs ont déterminé que l’apixaban était un inhibiteur du FXa sécuritaire, puissant et sélectif, avec une efficacité antithrombotique :

[traduction]

Q. Ainsi, une personne versée dans l’art qui examinerait un brevet pharmaceutique ne supposerait pas que le composé fonctionne, car elle saurait également que la majorité d’entre eux ne fonctionnent pas, n’est-ce pas juste?

R. C’est vrai, mais quand vous passez de cet énorme genre à un composé, je pense que la personne versée dans l’art penserait qu’il est extrêmement peu probable de proposer un composé qui n’a pas fonctionné et de le revendiquer dans cet énorme genre, parce qu’alors vous mettez vos œufs dans un seul panier ici, Vous devez penser que c’est un composé qui a les caractéristiques souhaitées et que c’est celui que vous allez retenir pour aller de l’avant.

[…]

Donc non, je pense que la personne versée dans l’art prendrait cela et dirait que ces personnes doivent avoir trouvé un composé qui a les propriétés qu’elles recherchent, c’est pourquoi elles revendiquent ce composé particulier de cet énorme genre pour un traitement des troubles thromboemboliques. Bien sûr, j’aimerais voir les données, mais ce n’est pas parce que je ne les vois pas que les données n’existent pas, et cela ne veut pas dire qu’elles ne l’ont pas fait.

[54] La quatrième raison invoquée par les défenderesses pour justifier l’insuffisance de divulgation du brevet est que le brevet 202 fournissait une fausse information sur le dosage pour l’humain. Cette information se trouve à la page 182 du brevet 202 :

[traduction]

En guise d’orientation générale, la posologie orale quotidienne de chaque ingrédient actif, lorsqu’elle est utilisée pour les effets indiqués, sera comprise entre environ 0,001 et 1000 mg/kg de poids corporel, de préférence entre environ 0,01 et 100 mg/kg de poids corporel par jour, et idéalement d’environ 1,0 à 20 mg/kg/jour.

[55] Ce passage ne vise pas spécifiquement les humains. En effet, il est précédé de la déclaration suivante : [traduction« Un médecin ou un vétérinaire peut déterminer et prescrire la quantité efficace du médicament nécessaire pour prévenir, neutraliser ou arrêter l’évolution du trouble thromboembolique » [non souligné dans l’original].

[56] L’expert des défenderesses, M. Ohlstein, en contre-interrogatoire, a convenu que la personne versée dans l’art devait lire cela comme étant seulement une orientation générale :

[traduction]

Q. Et donc, une personne versée dans l’art qui lirait cela comprendrait que c’est vraiment au médecin ou au vétérinaire qu’il appartient de déterminer la bonne dose ou la dose correcte, est-ce exact?

R. C’est exact.

Q. Bien. Et tout comme votre brevet, on s’attend à ce que le médecin qualifié soit en mesure de déterminer la dose correcte, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Et il pourrait faire cela dans le cadre de ses compétences et de son jugement habituels, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Et ce qui suit sous forme d’orientation générale n’est que cette orientation générale, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Et lorsqu’elle donne les gammes de doses en dessous du point 1 jusqu’à 1000 milligrammes, elle ne recommande pas une dose particulière pour l’apixaban, n’est-ce pas?

R. Non.

Q. Et quand elle donne la gamme préférée, elle ne recommande pas une dose pour l’apixaban, n’est-ce pas?

R. Non.

Q. Et quand elle donne la gamme privilégiée, elle ne recommande pas de dose pour l’apixaban?

R. D’accord, non.

[57] Je conclus que le passage contesté, qui n’est qu’une orientation générale, ne peut être considéré comme fournissant une fausse information sur le dosage.

[58] Pour ces motifs, je rejette l’observation selon laquelle le brevet 202 est invalide pour insuffisance de la divulgation.

L’inutilité

[59] L’article 2 de la Loi sur les brevets prévoit qu’une invention doit présenter « le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». L’utilité doit être démontrée ou valablement prédite à la date de dépôt : AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CSC 36 aux para 49, 54-57, et Sildenafil CSC, au para 40.

[60] Les défenderesses soutiennent que [traduction] « [d]ans les cas d’utilité démontrée, le renvoi à l’étude démontrant l’utilité doit être contenu dans la divulgation du brevet, afin que le public sache que l’utilité a été démontrée, malgré le fait que la preuve réelle ou la preuve de l’utilité démontrée n’a pas à être exposée dans la divulgation du brevet » [souligné dans l’original]. Elles citent et invoquent l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2011 CAF 236 au para 30, qui suit l’arrêt Sildenafil CAF, au para 90 :

L’argument de l’appelante suivant lequel Pfizer était tenue d’inclure dans l’exposé de l’invention du brevet des éléments de preuve pour démontrer l’utilité est non fondé. On peut satisfaire aux exigences en matière de démonstration de l’utilité en présentant des éléments de preuve au cours d’une instance en invalidité plutôt que dans le brevet lui-même. Il semble que, dès lors que l’exposé de l’invention cite une étude qui démontre l’utilité, il n’y ait aucune autre exigence à satisfaire pour respecter l’article 2.

[Non souligné dans l’original.]

[61] Cette déclaration de la Cour d’appel fédérale a été expressément rejetée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sildenafil CSC, aux paragraphes 39 et 40 :

L’exigence que l’invention soit utile au moment de la revendication ou du dépôt va dans le sens des remarques de notre Cour dans l’arrêt AZT, par. 56 :

Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si […] la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ». [Italiques dans l’original; je souligne.]

La Cour ne laisse aucunement entendre qu’il faut divulguer l’« utilité »; elle affirme seulement que « l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable ». La démonstration de l’utilité peut notamment se faire au moyen d’essais, mais il ne s’ensuit pas qu’il existe une exigence distincte de divulguer l’utilité. En fait, le par. 27(3) n’énonce aucune obligation de divulguer l’utilité de l’invention : voir, p. ex., les motifs du juge Dickson dans Consolboard : « [d]e plus, je suis convaincu que le par. 36(1) [l’actuel par. 27(3)] n’impose pas au breveté l’obligation de prouver l’utilité de son invention » (à la page 521).

[Non souligné dans l’original.]

[62] Plus récemment, et dans le même sens, la Cour suprême du Canada a déclaré au paragraphe 58 de l’arrêt AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CSC 36 [Esomeprazole CSC] :

Même si l’utilité de l’objet est une exigence pour que le brevet soit valide, le breveté n’est pas tenu de divulguer l’utilité de l’invention pour satisfaire aux exigences énoncées à l’art. 2. Comme l’a affirmé le juge Dickson dans Consolboard :

[...] je ne donne pas aux derniers mots du par. 36(1) [aujourd’hui le par. 27(4)] une interprétation qui oblige l’inventeur à décrire, dans sa divulgation ou ses revendications, en quoi l’invention est nouvelle et de quelle manière elle est utile. Il doit dire ce qu’il revendique avoir inventé. [p. 526]

Voir aussi l’arrêt Teva, par. 40.

[63] Les défenderesses soutiennent en outre que l’utilité n’avait pas été démontrée à la date de dépôt, car l’apixaban avait été testé sur des animaux sains, mais [traduction] « n’avait pas encore été administré aux humains, et aucune étude clinique sur les humains n’avait commencé ».

[64] Aux paragraphes 54 et 55 de l’arrêt Esomeprazole CSC, la Cour suprême du Canada a défini l’approche à suivre pour analyser l’utilité et la nature de l’utilité qui doit être démontrée ou valablement prédite :

Pour déterminer si un brevet divulgue une invention dont l’utilité est suffisante au sens de l’art. 2, les tribunaux doivent procéder à l’analyse suivante. Ils doivent d’abord cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet. Puis, ils doivent se demander si cet objet est utile c’est-à-dire, se demander s’il peut donner un résultat concret.

La Loi ne prescrit pas le degré d’utilité requis. Elle ne prévoit pas non plus que chaque utilisation potentielle doit être réalisée une parcelle d’utilité suffit. Une seule utilisation liée à la nature de l’objet est suffisante […]

[65] L’objet du brevet 202 est double : il s’agit du composé apixaban (revendication 2) et de l’utilisation de l’apixaban dans le traitement des troubles thromboemboliques chez les mammifères (revendications 4 à 7).

[66] BMS observe que « [l]e fait d’établir qu’un composé a la capacité d’inhiber une cible biologique sous-entendue dans une maladie est sans aucun doute une découverte utile », citant l’arrêt Bristol-Myers Squibb Canada Co c Apotex Inc, 2017 CAF 190 au para 40. J’accepte les témoignages du Dr Weitz et de M. Pinto selon lesquels les tests in vitro ont démontré que l’apixaban inhibait fortement et sélectivement le FXa, une cible clé intervenant dans le traitement de la thrombose, et possédait le profil pharmacocinétique souhaité de faible volume de distribution et de très faible clairance. L’utilité de la revendication 2 a donc été démontrée la date de dépôt.

[67] L’objet des revendications 4 à 7 est l’utilisation de l’apixaban dans le traitement des troubles thromboemboliques chez les mammifères. La preuve indique que les études et tests réalisés avant la date de dépôt ont montré que :

[traduction]

L’apixaban est un inhibiteur puissant et sélectif du facteur de coagulation Xa. En tant que tel, il produit des effets anticoagulants in vitro et in vivo. Dans des modèles de thrombose chez les lapins, les rats et les chiens, l’apixaban a démontré une efficacité antithrombotique à des doses qui ont entraîné des changements modestes dans les essais de coagulation standard.

[68] De plus, comme le note BMS dans ses observations écrites, les experts des défenderesses ont convenu que ces études et tests avaient montré que l’apixaban était efficace pour traiter les troubles thromboemboliques chez les animaux testés :

[traduction]

Le Dr Rieder a reconnu que les études précliniques comprenaient des « données solides » qui montraient que « non seulement le médicament inhibe Xa, mais il réduit également la formation de thrombus ». Selon le Dr Rieder, « il ne fait aucun doute que, chez ces animaux, ces rats, ces lapins et ces chiens, l’apixaban est antithrombotique ». M. Ohlstein a convenu que, « BMS a[vait] effectué un bilan préclinique assez complet de l’apixaban et avait une bonne compréhension de son profil pharmacologique et pharmacocinétique, du métabolisme et de l’innocuité du médicament ».

[Souligné dans l’original.]

[69] Je n’accepte pas l’observation des défenderesses selon laquelle ces animaux de laboratoire étaient en bonne santé et que les tests n’ont donc rien prouvé en ce qui concerne le traitement. Ce n’étaient pas des « animaux en bonne santé » au moment où ils ont été testés. La formation de caillots chez les animaux par ailleurs en bonne santé a été induite, provoquant ainsi une thrombose et les rendant malades avant l’administration du traitement faisant l’objet d’essais.

[70] Je conclus qu’avant la date de dépôt, BMS avait démontré l’efficacité de l’apixaban dans le traitement des troubles thromboemboliques chez les mammifères. Bien que BMS ne soit pas tenue de démontrer son efficacité chez l’humain, en contre-interrogatoire, le Dr Weitz a déclaré que les études [traduction« [avaient] démontré qu’il fonctionnait chez les mammifères, les rats, les lapins et les chiens, et que cette information [...] comme je l’ai dit, elle donne à entendre très fortement, et ne laisse vraiment aucun doute, qu’il va faire de même chez l’humain » [non souligné dans l’original].

[71] Je conclus donc que BMS avait démontré l’utilité du brevet 202 à la date de dépôt.

L’antériorité – le brevet 330

[72] Les défenderesses affirment que le brevet 330 déposé par BMS avant le brevet 220 (ou sa demande internationale équivalente, WO 00/39131, [collectivement appelés le brevet 330]) est une antériorité qui invalide le brevet 220 pour cause d’antériorité, d’évidence et de double brevet.

[73] Une invention ne présente pas « le caractère de la nouveauté », comme l’exige l’article 2 de la Loi sur les brevets, si la même chose a été faite dans le passé, publiquement. Elle n’est pas nouvelle, parce qu’elle a été antériorisée. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets prévoit que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet. Enfin, le double brevet est inadmissible. Une personne ne peut pas obtenir un brevet lorsqu’un brevet antérieur a été délivré à la même personne relativement à la même invention, en se fondant sur la théorie selon laquelle cela constituerait une rupture du marché initial pour un monopole de l’invention pour une période limitée déterminée.

L’antériorité

[74] Pour apprécier l’antériorité, il faut examiner deux questions : la divulgation et le caractère réalisable : Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi] aux para 25-27. Pour constituer une antériorité, un seul document de l’art antérieur (le brevet 303), doit à la fois (1) divulguer l’invention du brevet en cause (le brevet 202), et (2) permettre à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention grâce à l’art antérieur et à ses connaissances courantes, en permettant d’effectuer un certain nombre d’expériences par essais et erreurs pour la faire fonctionner.

[75] Au paragraphe 26 de l’arrêt Free World Trust, la Cour suprême du Canada a approuvé le critère de l’antériorité décrit dans la décision Beloit Canada Ltd v Valmet OY (1986), 8 CPR (3d) 289 (CAF) [Beloit] à la p 297, et a souligné qu’il était difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

[76] Au paragraphe 83 de l’arrêt Lipitor CAF, le juge Nadon, citant Sanofi et d’autres précédents, a conclu que l’antériorité n’avait pas été prouvée dans cette affaire. Le premier brevet était un brevet de genre, et le second, un brevet de sélection :

À mon avis, l’allégation d’antériorité n’est pas justifiée. La revendication d’un composé chimique particulier ne peut avoir été anticipée par une antériorité citée qui porte seulement sur une vaste classe de genre de composés à laquelle appartient le composé en cause, parce que cette antériorité ne donne pas de directives menant infailliblement au composé particulier (voir Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 390, au paragraphe 55, confirmé par, 2006 CAF 421, aux paragraphes 25 à 27; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.); Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] 2 R.C.F. 137 (C.A.F.). […]

[Non souligné dans l’original.]

Je conclus que la preuve en l’espèce est comparable à celle dans la décision Lipitor CAF.

[77] Dans sa réponse à la demande de reconnaissance des défenderesses, BMS a déclaré ce qui suit : [traduction] « L’apixaban relève d’au moins une revendication du brevet canadien no 2349330 (le brevet 330). » M. Chong a déclaré dans son témoignage que l’apixaban était visé par les revendications 1, 2, 3, 4, 8 et 9 du brevet 330.

[78] Le brevet 330 décrit ainsi le champ de l’invention :

[traduction]

La présente invention concerne de manière générale de l’azote contenant des hétérobicycles, qui sont des inhibiteurs d’enzymes sérines-protéases de type trypsine, en particulier le facteur Xa, des compositions pharmaceutiques contenant des éléments identiques, et des méthodes d’utilisation de ceux-ci comme agents anticoagulants pour le traitement et la prévention des troubles thromboemboliques.

[79] Il s’agit d’un brevet de genre, c’est-à-dire qu’il divulgue un genre ou une classe de large portée comportant des composés possibles utiles dans le traitement et la prévention des troubles thromboemboliques. Le Dr Weitz et M. Gleason ont tous deux déclaré dans leur témoignage que la personne versée dans l’art lisant le brevet 330 comprendrait que les composés revendiqués ne seraient pas tous utiles pour traiter et prévenir les troubles thromboemboliques; qu’il s’agissait plutôt de composés qui avaient le [traduction« potentiel » de le faire.

[80] M. Chong a déclaré spontanément au cours de son contre-interrogatoire qu’il avait fait un calcul mathématique du nombre de composés divulgués dans le brevet 330. Sa réponse révèle le nombre immense de composés visés par ce brevet :

[traduction]

Q. La revendication 1 décrit 66 noyaux distincts, n’est-ce pas?

R. Je ne les ai pas comptés. Oui, je vais donc vous croire sur parole, oui.

Q. Et ce sont des échafaudages distincts, parce que l’orientation des substituants peut varier, certains anneaux sont plus grands, d’autres ont des substituants différents. Sont-ils tous distincts, vraiment, chacun de ces échafaudages?

R. Oui. Comme vous le dites, ils ont des tailles et des substituants différents qui sont en place. Ils sont tous similaires dans l’hypothèse du système hétérobicyclique.

Q. Comme vous le faites remarquer dans votre calcul, bien que la revendication 1 représente 66 de ces noyaux, et je vais juste les parcourir rapidement, il y a en fait une variabilité même parmi les échafaudages, de sorte que vous avez approximativement 78 échafaudages différents, je pense que vous les appelez des structures génériques, est-ce exact?

R. Oui.

Q. Voyons donc ces structures que vous dépeignez, M. Chong. Je vais faire un zoom arrière pour que nous puissions tous le regarder ensemble. Vous avez examiné les 78 échafaudages différents et les avez classés en quatre types, n’est-ce pas?

R. C’est exact.

Q. Il y a le type 1A, il y a le type 1B, le type 2A, le type 2B, et chacun de ces types contient un nombre varié d’échafaudages?

R. C’est exact.

Q. J’aimerais examiner avec vous l’échafaudage de type 1A afin que nous puissions comprendre ce qu’il représente. Donc, premièrement, cette catégorie d’échafaudage que vous identifiez comme étant composée de 27 échafaudages distincts, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Et dans l’échafaudage, comme vous l’avez souligné plus tôt, il y a plusieurs substituants, et pour chaque substituant, vous avez fait l’effort de calculer le nombre de possibilités à chacun des substituants sur l’échafaudage, est-ce exact?

R. C’est exact.

Q. Si nous regardons le type 1A, si nous regardons la position B seule, qui est une position sur l’échafaudage, cette position a deux fois 10 aux 65 possibilités, est-ce exact?

R. C’est une estimation que j’ai faite, oui.

Q. Elle est en fait plus élevée.

R. Je ne... Je ne doute pas de vous une minute.

Q. Et que deux fois 10 à la 65, juste pour mettre les choses en contexte, un trillion, si je comprends bien, c’est 10 à la puissance 12, n’est-ce pas?

R. Quand j’ai fait cela et que j’ai vu ces gros chiffres, je pense que j’ai en fait cherché des comparaisons pour essayer de penser à ces choses, et je pense que j’ai cherché le nombre d’étoiles dans l’univers, et c’était de l’ordre de, peut-être, 10 à la 25e. C’est donc un nombre beaucoup plus petit que les chiffres que vous voyez ‒ que nous voyons tous devant nous maintenant. [Non souligné dans l’original.]

Q. Donc, la position B, pour utiliser votre comparaison, a plus d’étoiles que l’univers?

R. Oui.

Q. Et c’est la même chose pour la position A, plus de possibilités que les étoiles dans l’univers?

R. Oui.

Q. Est-ce la même chose pour la position Z, plus d’étoiles que dans l’univers?

R. Oui.

Q. Et il en va de même pour la position G?

R. Si le chiffre que j’ai essayé de retenir, 25e, est correct, alors oui.

Q. Donc, quand vous additionnez ces éléments, ces permutations, c’est pour cela que c’est astronomique. Peut-être que les étoiles de l’univers sont la métaphore appropriée pour astronomique. C’est comme ça qu’on arrive à 10 à la 28, quand on tient compte de toutes ces permutations, n’est-ce pas?

R. Je n’ai fait que de l’arithmétique.

Q. Et cette arithmétique, lorsque vous additionnez toutes les possibilités pour ce type d’échafaudage, environ 10 à la 227, est-ce exact?

R. Un nombre qui est juste plus grand que ce à quoi je peux penser.

Q. Lorsque vous dites que l’apixaban est visé par la revendication 1 du brevet 330, ce que vous dites, c’est qu’il s’agit d’un composé parmi ce grand nombre auquel vous ne pouvez pas penser? Plus d’étoiles que l’univers?

R. Je dis que, si je regarde les différents substituants qui sont en place et que je fais les substitutions, alors l’apixaban est l’un des composés.

Q. Et c’est l’un des composés de la revendication 1 dont je pense que vous venez de dire que c’est un nombre plus grand que vous ne pouvez penser, n’est-ce pas?

R. C’est un très grand nombre.

Q. C’est un nombre plus grand que vous ne pouvez le penser, ce sont vos mots?

R. Plus que je veux y penser, oui.

Q. Vous avez aussi examiné, afin de voir si l’apixaban en fait partie, les revendications 2 à 6 également, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Ces revendications visent également une variété de noyaux, une variété de substituants, elles visent également un nombre astronomique de combinaisons?

R. Ce serait de très grands nombres.

Q. Chacune de ces revendications vise également plus de 10 à la 100 composés?

R. Quel que soit le nombre que vous voulez y mettre, c’est un très grand nombre.

Q. Pour que ce soit clair pour le dossier, pouvons-nous mettre 10 à la 100 sur chacune d’elles, au moins?

R. En fait, lorsque j’ai fait ces calculs, je les ai faits pour ceux qui étaient énumérés dans la revendication 1, et je ne doute pas que les autres soient importantes. Je ne sais pas vraiment à quel point elles sont restrictives par rapport à la revendication 1.

Q. Vous serez d’accord avec moi, cependant, c’est au moins plus d’étoiles dans l’univers pour utiliser votre nombre de 10 à la 25?

R. Ce serait un très grand nombre, oui.

Q. Plus grand que 10 à la 25?

R. Je m’y attendrais.

[81] Étant donné le nombre énorme de composés dans le brevet 330 qui pourraient potentiellement être utiles dans le traitement et la prévention des troubles thromboemboliques, il n’est pas surprenant que M. Gleason, l’expert des défenderesses, en contre-interrogatoire, ait déclaré que l’invention de l’apixaban nécessiterait plus que les essais et erreurs :

[TRADUCTION]

Q. Bien. Et combien d’entre eux seraient utiles pour traiter les troubles thromboemboliques, étant donné votre témoignage selon lequel nous avons beaucoup plus d’échecs que de succès à essayer de comprendre cela?

R. Je n’ai pas pu y mettre un pourcentage.

Q. Ce serait un petit pourcentage?

R Cela aurait toutes les propriétés nécessaires pour être un médicament qui aurait toutes les caractéristiques de développabilité?

Q. Celui qui serait sûr et efficace pour traiter les troubles thromboemboliques?

R. Ce serait un pourcentage relativement petit.

Q. Et vous conviendrez avec moi que ‒ désolé. Ce serait un petit pourcentage?

R. Ce serait un petit pourcentage.

Q. Et vous conviendrez avec moi que ce serait un projet de recherche de déterminer lesquels sont utiles pour traiter les troubles thromboemboliques?

R. Parmi ceux-ci ‒ des composés qui n’ont pas été fabriqués? Oui.

Q. La personne verser dans l’art devrait essentiellement faire ce que BMS a fait pour inventer l’apixaban?

R. Oui.

[82] De plus, M. Gleason a déclaré que le brevet330 ne fournissait aucune instruction sur la façon de fabriquer l’apixaban :

[traduction]

Q. Alors que nous en sommes au brevet 330, pouvez-vous convenir avec moi que l’apixaban n’est pas spécifiquement revendiqué dans le brevet 330?

R. Oui, je suis d’accord. Il ne l’est pas.

Q. La structure de l’apixaban n’est représentée nulle part dans le brevet 330?

R. Elle ne l’est pas.

Q. Le nom chimique de l’apixaban n’est énoncé nulle part dans le brevet 330?

R. Il ne l’est pas.

Q. Aucun des exemples figurant dans le brevet 330 ne décrit comment fabriquer l’apixaban?

R. C’est exact.

[83] Au vu le dossier dont la Cour est saisie, je ne suis pas en mesure de conclure qu’une personne versée dans l’art et lisant le brevet 330 serait capable d’identifier l’apixaban parmi l’univers des composés qu’il décrit, ou de réaliser l’invention du brevet 220 sans de longs et fastidieux travaux. Je conclus que l’invention décrite dans le brevet 202 n’est pas divulguée dans le brevet 330, et qu’elle n’est donc pas antériorisée par celui-ci.

L’évidence

[84] Pour qu’une chose soit une invention, elle doit être inventive ou ne doit pas être évidente. Le critère de l’évidence a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi. Elle a fait observer que « l’évidence [tenait] en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur ». Par conséquent, elle a enseigné aux tribunaux inférieurs que, lors d’un examen relatif à l’évidence, il fallait suivre une approche à plusieurs étapes. La cour devrait d’abord identifier la personne versée dans l’art. Elle devrait ensuite déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne. Après cela, la cour doit ensuite définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation. Grâce à cette information, la cour doit recenser les différences qui existent, s’il en est, entre l’art antérieur et le brevet en cause. Enfin, la cour doit déterminer si, abstraction faite de toute connaissance du brevet en cause, ces différences constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité.

[85] Les défenderesses soutiennent que l’utilisation de l’apixaban pour traiter et prévenir les troubles thromboemboliques est évidente au vu du brevet 330 :

[traduction]

Une comparaison des revendications du brevet 330 et de celles du brevet 202 montre que les mêmes utilisations de l’apixaban sont visées par les deux brevets, et que l’apixaban est visé par les deux. Ainsi, il n’y a pas de différence entre l’art antérieur (le brevet 330) et les revendications du brevet 202. Il est évident que l’apixaban peut être utilisé pour traiter les troubles thromboemboliques, car le brevet 330 indique que les composés bicycliques qui y sont revendiqués (dont l’apixaban) sont des inhibiteurs du FXa, efficaces et sont utiles pour le traitement d’un trouble thromboembolique.

[Non souligné dans l’original.]

[86] Contrairement aux observations des défenderesses, et comme il a été mentionné précédemment, les experts ont déclaré que la personne versée dans l’art qui lisait le brevet 330 s’attendrait à ce que seul un petit pourcentage des composés qui y figurent soient des inhibiteurs du FXa, efficaces et utiles pour traiter les troubles thromboemboliques. Il ne serait pas évident pour la personne versée dans l’art que l’apixaban était inclus dans le brevet 330 et, même s’il l’était, il ne serait pas évident qu’il s’agissait d’un inhibiteur efficace du FXa, utile dans le traitement des troubles thromboemboliques, comme le confirme le témoignage de M. Ohlstein :

[traduction]

Q. Et s’il arrivait qu’une personne versée dans l’art sélectionne dans le brevet le composé apixaban, d’une manière ou d’une autre, et le montre à la personne versée dans l’art, il n’aurait pas été évident que l’apixaban serait utile pour traiter les troubles thromboemboliques au vu du brevet 330 et en utilisant ses connaissances générales courantes?

A. Je suis d’accord. Oui.

[87] De même, M. Gleason a expliqué que, pour arriver à la conclusion selon laquelle l’apixaban dans le brevet 330 était utile pour traiter les troubles thromboemboliques, il faudrait faire ce que BMS a fait pour trouver l’apixaban; à savoir, entreprendre des recherches complexes, chronophages et imprévisibles. Je suis d’accord avec BMS pour dire que la preuve montre que [traduction« la découverte de l’apixaban est le résultat d’un travail acharné, d’une pensée innovatrice et d’un peu de chance, ».

[88] Pour ces raisons, l’observation des défenderesses, selon laquelle l’objet de l’invention exposé dans le brevet 202 était évident d’après le brevet 330, n’est pas fondée.

Le double brevet

[89] Enfin, les défenderesses soutiennent que le brevet 202 est invalide, parce que BMS s’est impliquée dans un double brevet. Elles n’affirment pas que les revendications du brevet 202 sont identiques à celles du brevet 330; elles soutiennent plutôt que les revendications du brevet 202 ne visent pas [traduction« un élément brevetable distinct », par rapport à celles du brevet 330. Il s’agit d’un double brevet « relatif à une évidence » : voir l’arrêt Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119 [Tadalafil CAF] au para 28.

[90] La position des défenderesses est que le brevet 202 revendique un composé visé par le brevet 330 pour les mêmes utilisations que celles revendiquées dans le brevet 330, violant ainsi l’interdiction du double brevet.

[91] Dans l’arrêt Tadalafil CAF, la Cour d’appel fédérale nous apprend que lorsque l’allégation de double brevet relatif à une évidence est formulée, la Cour doit déterminer si le deuxième brevet fait preuve « de nouveauté » ou « d’ingéniosité » par rapport au premier brevet. Si tel est le cas, alors il n’y a pas de double brevet.

[92] Les défenderesses affirment que [traduction] « le brevet 202 ne définit pas clairement la nature d’une caractéristique que BMS prétend être possédée par apixaban par rapport au groupe antérieur, de sorte que le brevet 202 ne vise pas “un élément brevetable distinct” de celui du brevet 330 ». Je ne suis pas de cet avis.

[93] Comme il a déjà été souligné, le brevet 330 décrit un genre extrêmement vaste de composés. Le Dr Weitz a déclaré dans son témoignage que la personne versée dans l’art comprendrait que le brevet 330 présente une [traduction« aspiration » et que, dans l’univers des composés revendiqués, la personne versée dans l’art comprendrait que les inventeurs espéraient qu’il existait des composés inhibiteurs du FXa efficaces, qui avaient le [traduction« potentiel » d’être utiles sur le plan thérapeutique. La personne versée dans l’art qui lit le brevet 330 sait que tous ses composés ne seraient pas des inhibiteurs du FXa, efficaces dans le traitement des troubles thromboemboliques. Plus précisément, la personne versée dans l’art qui lirait le brevet 330 ne saurait pas que l’apixaban est un inhibiteur du FXa, efficace dans le traitement des troubles thromboemboliques.

[94] M. Gleason a déclaré que les revendications du brevet 330, selon lesquelles les composés sont utiles pour le traitement, sont basées sur une [traduction] « prédiction » selon laquelle certains composés ont le potentiel de traiter les troubles thromboemboliques :

[traduction]

Q. Pourtant, comme votre brevet, ce brevet mentionne que les composés du brevet 330 sont tous utiles pour traiter les troubles thromboemboliques, et que, comme le vôtre, il s’agit d’une prédiction faite par les inventeurs, sur la base de la théorie selon laquelle, si le composé inhibe le facteur Xa, il a le potentiel de traiter les troubles thromboemboliques?

R. C’est exact.

Q. Et c’est ce que la personne versée dans l’art comprendrait que les inventeurs disent ici, tout comme votre brevet, n’est-ce pas?

R. C’est exact.

Q. Sur la vaste étendue des composés visés par ce brevet, ceux qui inhibent le facteur Xa ont le potentiel de traiter?

R. C’est exact.

Q. Vous convenez que vous ne pouvez pas prédire, sur la seule base de la structure, si un composé sera utile pour traiter un trouble thromboembolique, n’est-ce pas?

R. Je ne pourrais pas le prédire, parce qu’on ne peut pas prédire la pharmacocinétique simplement à partir de la structure.

[95] Le brevet antérieur, le brevet 330, n’identifie pas spécifiquement l’apixaban comme étant visé par sa portée, bien qu’il soit admis qu’il l’est. Plus important encore, le brevet 330 n’informe pas la personne versée dans l’art que l’apixaban sera utile dans le traitement des troubles thromboemboliques. Ce résultat n’a été obtenu par BMS qu’après des années de recherche et de développement. La découverte que l’apixaban pouvait être utilisé comme un traitement efficace des troubles thromboemboliques a été inventive.

[96] La preuve dont dispose la Cour démontre que la personne versée dans l’art qui lirait le brevet 202 saurait quelque chose que cette personne ne saurait pas en lisant le brevet 330, à savoir que l’apixaban est un inhibiteur du FXa, efficace dans le traitement des troubles thromboemboliques. M. Gleason est d’accord avec le Dr Weitz sur ce point :

[traduction]

Q. Donc, lorsqu’une personne versée dans l’art examine ce brevet et ne voit qu’un seul composé revendiqué, n’est-il pas probable qu’elle en conclue que ce composé est celui qui est utile pour traiter les troubles thromboemboliques?

R. Oui.

[97] L’ingéniosité du brevet 202 par rapport au brevet 330 est établie. Il n’y a pas de double brevet.

L’insuffisance et l’inutilité d’un brevet de sélection

[98] Un brevet de sélection est un brevet dont l’objet est une petite partie d’une grande classe qui a fait l’objet d’un autre brevet antérieur. En l’espèce, il est allégué que le brevet 202 est un brevet de sélection, et que le brevet 330 est le brevet antérieur. Les défenderesses soutiennent que le brevet 202, en tant que brevet de sélection, est invalide pour cause [traduction« d’insuffisance et d’absence d’utilité en tant que brevet de sélection ».

[99] Cette observation s’appuie sur l’arrêt In re I G Farbenindustrie A G’s Patents (1930), 47 RPC 289 (Ch D) [IG Farbenindustrie] et l’analyse de la Cour suprême du Canada dans Sanofi, au paragraphe 10, où le juge Rothstein a écrit :

Le juge Maugham ne définit pas le brevet de sélection de manière exhaustive, mais il énonce trois conditions essentielles à sa validité (p. 322‑323).

1. L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

2. Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

3. La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

[100] L’explication donnée par la cour dans l’arrêt IG Farbenindustrie pour ces trois propositions est essentielle pour comprendre ce qu’elle a réellement dit au sujet de ces propositions :

[traduction]

[…] La première proposition est claire (voir la déclaration du juge Parker dans Clyde Nail Co. Ld. v. Russell, (1916) 33 R.P.C. 291, à la p. 306). J’ajouterai que cette condition ne doit pas être assimilée à la doctrine de l’utilité, telle qu’elle s’applique à un brevet d’origine, qui peut très bien concerner une invention sans utilité. Dans un brevet de sélection, la condition suivant laquelle l’utilisation des composés sélectionnés procure un avantage substantiel est inhérente à la prétendue invention.

La seconde proposition découle du cas hypothétique où la sélection se rapporterait à des composés qui ne possèdent pas les avantages allégués : la sélection est alors défectueuse, le brevet serait trompeur et donc invalide pour cause d’insuffisance et d’absence d’utilité. Cependant, cela ne revient pas à suggérer que quelques exceptions ici et là suffiront à invalider le brevet.

La troisième proposition commande quelques explications. Si le groupe comprend cinq mille composés possibles et qu’une centaine d’entre eux ont été sélectionnés comme présentant un avantage nouveau et défini, cela ne veut pas dire qu’un tel brevet de sélection serait défectueux si des recherches subséquentes démontraient qu’une autre centaine de composés possédaient le même avantage. En revanche, s’il était établi qu’un millier de composés non sélectionnés présentent le même avantage, je doute fort que le brevet puisse être maintenu. Il doit s’agir d’une qualité spéciale, et non d’un attribut que les personnes versées dans l’art peuvent s’attendre à retrouver dans un grand nombre de ces composés. Il serait imprudent d’avancer une définition plus précise; au bout du compte, les éléments doivent être appréciés. […]

[…]

Je résumerai ma conclusion ainsi : dans le cas d’un brevet de sélection, l’étape inventive consiste dans la sélection d’une propriété ou d’une caractéristique utile et spéciale adéquatement définie […]

[101] Après avoir examiné les motifs des arrêts IG Farbenindustrie et Sanofi et de nombreux précédents canadiens qui citent IG Farbenindustrie, je conclus qu’il y a souvent eu une incompréhension fondamentale de ce que dit le juge Maugham. Il déclare clairement, à la page 322 (et le juge Rothstein au paragraphe 9 de l’arrêt Sanofi citant le passage) que le non-respect de ses trois propositions concernant les brevets de sélection n’invalide pas le brevet; sa validité est plutôt soumise aux motifs usuels applicables à tout brevet :

[traduction]

Les avocats des deux parties se sont efforcés, dans leurs arguments judicieux, de m’aider en définissant les conditions dans lesquelles les brevets de sélection (s’ils sont valides) peuvent être soutenus. Après analyse, je crois qu’il serait malavisé de tenter d’énoncer en termes clairs toutes les conditions dont un brevet de sélection doit dépendre, puisque, après tout, un brevet de sélection ne diffère pas en soi de tout autre brevet et peut être contesté sur les motifs usuels de défaut d’objet, d’utilité et de nouveauté, et ainsi de suite.

[102] Le professeur Norman Siebrasse, dans son blogue « Sufficient Description », Time to Relegate IG Farbenindustrie to the Dustbin of History, daté du 25 septembre 2020, note à juste titre que, dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada, en se concentrant sur la validité du brevet en cause, n’a pas appliqué les propositions énoncées par le juge Maugham :

[traduction]

[B]ien que la Cour suprême du Canada (CSC) ait approuvé les exigences de l’arrêt IG Farbenindustrie, elle ne les a pas réellement appliquées dans son analyse des faits; la CSC s’est appuyée sur l’arrêt IG Farbenindustrie uniquement pour la proposition qui « admet en principe le système des brevets de genre et de sélection ». Sinon, la CSC s’est entièrement appuyée sur les principes d’antériorité et d’évidence universellement applicables.

[103] À mon avis, l’emploi du mot [traduction] « valide » par le juge Maugham est à l’origine de cette confusion. Il ne dit pas qu’un brevet de sélection doit répondre aux trois propositions énoncées pour être un brevet valide; il dit plutôt qu’il doit répondre à ces trois propositions pour être un brevet de sélection.

[104] L’observation selon laquelle le fait de ne pas satisfaire aux trois propositions ne rend pas en soi le brevet invalide a été soulignée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Ltd, 2010 CAF 197 [Olanzapine CAF] au para 33, où il a été conclu qu’un examen de ces trois propositions ne permet pas à lui seul de déclarer un brevet de sélection invalide :

Novopharm n’a invoqué aucun précédent, et je n’en ai trouvé aucun, où l’analyse des conditions de validité d’un brevet de sélection, sans plus, a mené à l’invalidité du brevet. Il est possible d’affirmer que le manque de jurisprudence, considéré avec les observations que j’ai formulées précédemment, indique qu’il n’existe aucun motif distinct de contestation de ce genre. Je le répète, une conclusion suivant laquelle les conditions de validité d’un brevet de sélection n’ont pas été remplies ne constitue pas un motif distinct de contestation de la validité d’un brevet. […]

[Non souligné dans l’original.]

[105] Bien que les défenderesses citent ce passage de l’arrêt Olanzapine CAF, elles continuent à analyser la validité du brevet 202, comme si ces propositions constituaient un fondement autonome pour invalider le brevet.

[106] Quoi qu’il en soit, j’accepte l’observation de BMS selon laquelle, s’il lui était demandé de démontrer la conformité avec les propositions de l’arrêt IG Farbenindustrie, le brevet 202 satisferait à ce critère.

[107] Comme il a déjà été souligné, pour le lecteur versé dans l’art, le brevet 202 divulgue les avantages particuliers de l’apixaban. M. Gleason et le Dr Weitz ont tous deux déclaré dans leur témoignage que la personne versée dans l’art comprendrait que l’apixaban a été sélectionné dans le genre des composés, car, alors que le genre avait le potentiel d’être utile dans le traitement des troubles thromboemboliques, l’apixaban a été sélectionné dans le brevet 202, parce qu’il était utile. Par conséquent, cela divulgue son avantage particulier et le distingue des autres composés.

[108] Le fait que BMS a découvert deux autres composés prometteurs n’invalide pas le brevet 202 en tant que brevet de sélection. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 10, « [u]ne recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection ».

Conclusion sur le brevet 202

[109] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que rien dans ce qu’invoquent les défenderesses pour contester la validité du brevet 202 n’est fondé. Les revendications du brevet 202 sont valides.

LE BREVET 171

[110] Les revendications du brevet 171 en cause sont légèrement différentes dans les actions T-98-19 et T-503-19, la revendication 32 n’étant en cause que dans l’action T-98-19. Comme il a déjà été souligné, les revendications en cause sont les suivantes :

Dossier de la Cour no T-98-19 :

[TRADUCTION]

i. La revendication 18 étant subordonnée à la revendication 14, étant subordonnée à la revendication 13 ou à la revendication 12, étant subordonnées chacune à la revendication 6, étant subordonnée à la revendication 5, laquelle est subordonnée à la revendication 4;

ii. Les revendications 30 à 32, étant subordonnées chacune à la revendication 29, étant subordonnée à la revendication 25, étant subordonnée à la revendication 24, étant subordonnée à la revendication 23.

Dossier de la Cour no T-503-19 :

[TRADUCTION]

i. La revendication 18 étant subordonnée à la revendication 14, étant subordonnée à la revendication 13 ou à la revendication 12, étant subordonnées chacune à la revendication 6, étant subordonnée à la revendication 5, laquelle est subordonnée à la revendication 4;

ii. Les revendications 30 et 31, étant subordonnées chacune à la revendication 29, étant subordonnée à la revendication 25, étant subordonnée à la revendication 24, étant subordonnée à la revendication 23.

[111] L’expert de BMS, M. Davies, a été invité à se concentrer sur deux groupes de revendications, ainsi :

a) Groupe de revendications A :

[traduction]

· 2,5 ou 5 mg d’apixaban fabriqué à partir d’apixaban cristallin de la forme N-1à

· Préparés au moyen de la granulation par voie sèche

· Ayant une particule D90 égale ou inférieure à environ 89 microns, mesurée par diffusion de la lumière laser

· Dissolution à une vitesse d’au moins 77 % en 30 minutes, tel que cela est déterminé par un appareil USP2 à une vitesse de rotation de palette de 75 tr/min dans 900 ml d’un milieu de dissolution de phosphate de sodium 0,05 M à pH de 6,8 contenant 0,05 % de SLS à 37C

b) Groupe de revendications B :

[traduction]

· Éléments du groupe A plus

o Comprimés pelliculés préparés par un procédé spécifique de granulation par voie sèche (revendications 24 et 25)

o La formulation comprend les excipients spécifiés dans la revendication 32

[112] Les défenderesses soutiennent que les questions d’invalidité doivent être appréciées par rapport à ces éléments de la revendication, et rien d’autre :

[TRADUCTION]

C’est au regard de ces éléments de la revendication, et de ces seuls éléments, que les questions de nullité doivent être appréciées.

Notamment la surface sous la courbe (SSC), les concentrations maximales (Cmax), les « expositions in vivo cohérentes », le « comportement analogue à celui d’une solution », la « bioéquivalence » et « l’effet thérapeutique » ne sont pas revendiqués.

[113] Ces termes se retrouvent tous dans la divulgation. Les défenderesses soutiennent que les revendications sont claires et non ambiguës, et qu’il n’est donc pas permis d’avoir recours à la divulgation pour étendre ou limiter le libellé des revendications. À l’appui de cette proposition, elles citent deux précédents.

[114] Dans l’arrêt Electrical & Musical Industries Ld v Lissen Ld (1939), 56 RPC 23 (HL) au paragraphe 41, lord Russell a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je tiens à souligner qu’il n’est pas question en l’espèce de termes de la revendication I ayant une signification spéciale ou inhabituelle, en raison, soit d’un glossaire qui se trouve ailleurs dans le mémoire descriptif, soit de connaissances techniques des personnes versées dans l’art. Le sens à première vue des termes employés dans une revendication peut ne pas être leur sens véritable lorsqu’ils sont lus à la lumière d’un tel glossaire ou de ces connaissances techniques; dans ces circonstances, une revendication, lorsqu’elle est ainsi interprétée, peut avoir un sens différent de celui qu’elle aurait eu si un tel éclairage secourable n’avait pas été disponible. C’est l’interprétation d’un document conformément aux principes d’interprétation connus. Mais je ne connais aucune règle ni aucun principe qui autorise à s’écarter du sens grammatical et non ambigu d’une revendication et d’en restreindre ou d’en accroître sa portée en y intercalant des mots qui n’y figurent pas; ou qui autorise à utiliser des expressions prises ici et là dans le corps d’un mémoire descriptif, dans le but de restreindre ou d’élargir les limites du monopole fixées par les termes clairs d’une revendication.

[Non souligné dans l’original.]

[115] Au paragraphe 39 de l’arrêt Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209 [Accupril CAF], le juge Nadon résume ainsi les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Whirlpool et Free World, précités :

La tâche de la Cour consiste à interpréter les revendications du brevet avec l’aide de témoins experts (Whirlpool, paragraphes 43, 45 et 57).

L’interprétation des revendications ne doit pas être une interprétation axée sur des résultats et doit être effectuée par la Cour avant l’examen de la question de la contrefaçon (Whirlpool, paragraphes 43 et 49a)).

Les revendications doivent être interprétées à la date de publication du brevet (Whirlpool, paragraphe 42; Free World, paragraphe 54).

Lorsqu’elle interprète les revendications du brevet, la Cour doit déterminer de manière objective ce qu’un lecteur versé dans l’art aurait compris de ce que l’inventeur voulait dire (Whirlpool, paragraphe 48; Free World, paragraphe 44).

La revendication du brevet doit être interprétée par la Cour dans le contexte du reste du mémoire descriptif. Toutefois, j’ajouterais à cela que le renvoi au reste du mémoire descriptif ne peut être utilisé pour élargir la portée du monopole du breveté décrit dans la revendication (Whirlpool, paragraphes 48, 49f) et 52). [Non souligné dans l’original.]

Les témoins experts ont pour rôle d’aider la Cour à comprendre l’invention et son contexte, de même que le sens des termes employés dans le brevet. Il va sans dire que c’est à la Cour que revient la tâche d’interpréter les revendications et non aux experts (Whirlpool, paragraphes 45 et 57).

Lorsqu’elle interprète les revendications, la Cour doit garder à l’esprit que le brevet s’adresse à des « personnes douées d’habiletés moyennes dans l’art », c.-à-d. des personnes hypothétiques possédant des connaissances et des habiletés moyennes de l’art dont l’invention relève et un esprit désireux de comprendre le mémoire descriptif qui leur est adressé (Whirlpool, paragraphes 53, 70, 71 et 74).

La « divulgation » contenue dans le brevet doit fournir une description de l’invention de façon assez complète et précise pour qu’une personne versée dans l’art puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole (Whirlpool, paragraphe 42). L’interprétation des revendications qui en découlent doit accorder un traitement équitable « à la fois au breveté et au public » (Free World, paragraphe 50). L’interprétation de la revendication peut par conséquent accroître ou restreindre la revendication. Le juge Binnie a ainsi déclaré dans l’arrêt Free World, paragraphe 51 :

51. L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.

[116] Les défenderesses s’appuient principalement sur les passages soulignés ci-dessus pour étayer leur observation. Toutefois, dans les deux précédents, les cours reconnaissent que ce qui peut sembler clair et sans ambiguïté peut revêtir un sens différent lorsque la personne versée dans l’art lit les revendications dans le contexte de l’ensemble du mémoire descriptif. À cet égard, dans l’arrêt Mylan Pharmaceuticals ULC c Pfizer Canada Inc, 2012 CAF 103 [Aricept CAF] au para 57, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[…] Le mémoire descriptif du brevet doit être interprété du point de vue de la personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention sans recourir à des détails techniques, et dans le simple but de proposer une interprétation des revendications qui est raisonnable et juste tant pour le breveté que pour le public Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, aux pages 520 et 521.

[Non souligné dans l’original.]

[117] Dans l’arrêt Sanofi au paragraphe 77, la Cour suprême du Canada a fait observer qu’il peut être permis de recourir au mémoire descriptif lorsqu’il n’est pas facile de saisir l’idée originale des revendications à partir de ces dernières mêmes :

[…] La seule présence d’une formule chimique ne permet pas de déterminer l’inventivité de la revendication. J’estime donc que l’on doit pouvoir se fonder sur le mémoire descriptif pour définir l’idée originale qui sous-tend les revendications. On ne saurait cependant s’appuyer sur le mémoire descriptif pour interpréter le texte des revendications de façon plus restrictive ou plus extensive.

[118] De même, à mon avis, un brevet de formulation ne peut pas divulguer l’idée originale sans recourir au mémoire descriptif. Si chaque étape décrite dans les revendications du brevet 171 peut très bien faire partie des connaissances générales courantes d’un formulateur qualifié, cela ne répond pas à la question : « en quoi consiste l’invention? »

[119] L’invention a été décrite par M. Davies de la manière suivante :

[traduction]

[L]es formulateurs versés dans l’art lisant le brevet 171 dans son ensemble, à la lumière de leurs connaissances générales courantes, auraient compris que l’idée originale des deux groupes de revendications était que les formulations de comprimés d’apixaban de 2,5 et 5 mg fourniront des expositions in vivo cohérentes et semblables à des solutions (assurant ainsi la cohérence de l’effet thérapeutique) tant que :

a) la formulation permet une dissolution d’au moins 77 % en poids dans les 30 minutes lorsqu’elle est mesurée in vitro par la méthode biopertinente et discriminatoire exposée dans les revendications du brevet, et

b) l’apixaban a une particule D90 de 89 µm ou moins.

[120] Je n’accepte pas que les défenderesses se servent de la divulgation pour qualifier l’opinion de M. Davies comme étant une « farce ». Je n’accepte pas non plus leur observation selon laquelle il a modifié la portée des revendications. Il a plutôt fait ce que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 67, a déclaré être l’approche appropriée pour effectuer un examen portant sur l’évidence; il a comparé l’idée originale avec l’état de la technique :

Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

(1)

a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour se prononcer sur l’évidence.

[121] Bien que les experts des défenderesses n’aient pas été interrogés sur l’idée originale du brevet, M. Kibbe a accepté, en contre-interrogatoire, le fait que, si les deux seuils indiqués dans la description étaient atteints, le comprimé avait un comportement analogue à celui d’une solution et que c’était ce que le brevet revendiquait :

[traduction]

Q. Permettez-moi de vous le rappeler. Je pense que vous avez dit d’une part que les inventeurs avaient dit que, si vous atteignez les seuils indiqués dans le brevet, vous obtenez des comprimés au comportement analogue à celui d’une solution, notamment en respectant la spécification de la taille des particules D90 de 89 microns. C’est la seule extrémité de la dichotomie, n’est-ce pas?

R. C’est ce qu’ils revendiquent, oui.

Q. C’est ce que revendique le brevet?

R. Exactement.

Q. Et la personne versée dans l’art le comprendrait en lisant le brevet, n’est-ce pas?

R. Il comprendrait que c’est ce qu’ils revendiquent, oui.

[122] En bref, je conclus que l’interprétation des revendications faites par les défenderesses fait fi, à tort, à la fois de la divulgation et de l’objectif des deux seuils inclus dans les revendications en tant qu’éléments essentiels. Je conclus que le brevet 171 enseigne que la formulation revendiquée doit être faite en respectant les deux seuils, ce qui garantira que les comprimés fournissent des expositions cohérentes, semblables à une solution. Un seuil est la vitesse de dissolution minimale, et l’autre est une taille de particule maximale. Les deux seuils sont énoncés dans les revendications.

L’évidence

[123] Le critère de l’évidence est énoncé au paragraphe 84 ci-dessus.

[124] Les défenderesses soutiennent que, puisque la Cour s’est rangée du côté de BMS en concluant que l’idée originale devait être prise en considération, par conséquent [traduction] « un examen de l’historique de l’invention des demanderesses est nécessaire ». Elles soutiennent que l’historique de l’invention présenté par BMS [traduction] « ne correspond pas aux faits et n’appuie pas l’idée originale proposée. » Elles affirment que l’historique de l’invention est un [traduction« historique révisionniste » et qu’il n’offre aucune défense à une constatation d’évidence. Subsidiairement, elles affirment que l’idée originale des revendications va de soi, et est par conséquent invalide.

[125] Bien que les observations des défenderesses présentées dans le contexte de l’historique d’une invention soient créatives, je préfère examiner la question de l’évidence en utilisant l’approche des arrêts Windsurfing et Pozzoli analysée précédemment. Je rejette spécifiquement, pour absence de fondement, l’observation selon laquelle BMS s’est livrée à un historique révisionniste.

L’identification de la « personne versée dans l’art »

[126] Il est admis que la personne versée dans l’art est un formulateur. J’accepte le résumé des témoignages de MM. Davies, Laskar et Kibbe que présentent les défenderesses concernant l’approche adoptée par un formulateur dans le processus de développement d’un médicament :

[traduction]

a) Adopter une approche conservatrice et fermée au risque;

b) Générer une compréhension approfondie de l’ingrédient médicinal, notamment en menant des études de préformulation pour déterminer une variété de caractéristiques et d’attributs, tels que la solubilité, les caractéristiques de la poudre, la compatibilité avec l’excipient et l’hydrophobicité;

c) Formuler pour la dose la plus élevée envisagée;

d) Considérer le comportement similaire à une solution comme idéal pour les comprimés à libération immédiate;

e) Effectuer des tests pour confirmer le moment où le comprimé devient une solution;

f) Expérimenter avec différentes méthodes et différents milieux dans les tests de dissolution pour développer une méthode discriminatoire et représentative;

g) Effectuer des tests tout au long du processus de développement de la formulation standard, tels que des tests de dissolution, des études de biodisponibilité et des études sur le site d’absorption;

h) Prendre en compte les données du point g) et procéder à des ajustements tout au long du développement, lorsque les résultats nécessitent une correction.

La détermination des connaissances générales courantes pertinente

[127] Le brevet 171 enseigne aux formulateurs comment préparer des formulations de comprimés d’apixaban de 2,5 et 5 mg, de manière à ce qu’elles se comportent dans le corps comme si elles avaient été administrées dans une formulation liquide prédissoute. BMS, dans sa plaidoirie finale, a exposé l’invention du brevet 171 de cette manière : [traduction« Si vous fabriquez ces comprimés de la manière indiquée dans le brevet 171, vous êtes assuré d’obtenir des comprimés qui fournissent des expositions cohérentes analogues à une solution. » Nous connaissons d’autres caractéristiques de l’invention grâce aux revendications. L’apixaban doit avoir une particule D90 égale ou inférieure à environ 89 µm (c’est-à-dire que 90 % du volume de particules dans une composition d’apixaban ont un diamètre inférieur à 89 µm). Au moins 77 % en poids d’apixaban doivent se dissoudre en 30 minutes (c’est-à-dire que 77 % du médicament se dissout en 30 minutes).

[128] Les connaissances générales courantes pertinentes à la date de la réclamation (le 25 février 2010) sont celles traitant de la taille des particules, de la vitesse de dissolution et des expériences connues avec l’apixaban.

[129] Après avoir examiné les témoignages de MM. Davies, Laskar et Kibbe, je souscris à l’observation de BMS quant aux connaissances courantes pertinentes qui se trouvent aux paragraphes 28 à 36 de son mémoire. Les plus pertinentes pour la présente décision sont les suivantes :

La définition de l’idée originale de la revendication

[130] L’idée originale du brevet 171 est son enseignement selon lequel, si le comprimé d’apixaban a une particule D90 égale ou inférieure à environ 89 µm et qu’au moins 77 % en poids d’apixaban se dissout en 30 minutes, alors les comprimés fourniront des expositions cohérentes analogues à une solution.

Quelles sont les différences entre l’état de la technique et l’idée originale?

[131] L’état de la technique était qu’un médicament de classe III comme un comprimé d’apixaban se comporterait comme une solution s’il atteignait une dissolution rapide de 85 % en 15 minutes.

[132] Comme le reconnaît M. Laskar dans le passage cité ci-dessous, et contrairement à l’état de la technique, la personne versée dans l’art qui lit le brevet 171 comprendrait que BMS a découvert que les comprimés d’apixaban de 2,5 et 5 mg n’ont pas besoin d’atteindre cette vitesse de dissolution pour se comporter comme une solution. Une vitesse de dissolution beaucoup plus lente de l’apixaban (77 % en 30 minutes) permet d’obtenir un comportement analogue à celui d’une solution. M. Laskar a confirmé que l’état de la technique e était tel qu’il était inattendu qu’à cette vitesse de dissolution beaucoup plus lente, on observe un comportement analogue à celui d’une solution :

[traduction]

Q. Contrairement à ce que le SCB et la FDA ont déclaré ici, les inventeurs ont découvert, et le brevet 171 divulgue, que les comprimés d’apixaban de 2,5 et 5 milligrammes n’ont pas besoin de se dissoudre rapidement pour se comporter comme une solution, est-ce exact?

R. C’est l’affirmation, oui.

Q. Et une personne versée dans l’art comprendrait cela, n’est-ce pas?

R. Elle comprendrait l’affirmation, oui.

Q. En fait, le brevet 171 divulgue que les comprimés peuvent se dissoudre beaucoup plus lentement tout en se comportant comme une solution, n’est-ce pas?

R. Les auteurs du brevet affirment que oui.

Q. D’accord. En fait, ils peuvent se dissoudre aussi lentement que 54 % en 30 minutes dans un milieu 0,1 HCl normal, n’est-ce pas? C’est ce qui est affirmé dans le brevet, n’est-ce pas? Est-ce que vous consultez le brevet, M. Laskar?

R. Oui. Je regarde le tableau 5A.

Q. Je pense que vous devriez regarder le tableau 6A, M. Laskar.

R. D’accord. Pourriez-vous répéter la question, s’il vous plaît.

Q. Oui, le brevet 171 divulgue, dans le tableau 6A, que des comprimés de 2,5 et 5 milligrammes d apixaban peuvent se comporter comme une solution avec une dissolution bien plus lente dans un milieu 0,1 HCl normal que ce qui est recommandé par Amidon dans les orientations de 1997 de la FDA, est-ce exact?

R. Faites-vous référence au tableau 6A et aux 85 % en 15 minutes qui sont notés, que leurs comprimés A et C qui sont prévus comme bioéquivalents, si je me souviens bien, présentent ce qui apparaît, ce que sont les vitesses de dissolution lentes dans le milieu 0,1 HCl normal?

Q. Vitesses de dissolution beaucoup plus lente, est-ce exact?

R. Beaucoup plus lente.

Q. En fait, le comprimé B a été utilisé pour établir la spécification de la vitesse de dissolution dans le brevet 171, est-ce exact?

R. B a été utilisé, oui.

Q. Et à 30 minutes dans un milieu 0,1 HCl normal, il ne permettait qu’une dissolution de 54 %?

R. C’est exact.

Q. Je sais que nous ne disposons pas de 15 minutes, M. Laskar, mais la dissolution dans un milieu 0,1 HCl normal du comprimé B aurait été comprise entre 25 et 43 %, est-ce exact?

R. Oui, ce serait le cas.

[133] Je n’accepte pas l’observation des défenderesses selon laquelle le seuil de la vitesse de dissolution indiqué dans le brevet 171 est arbitraire. Le paragraphe 37 de la divulgation du brevet 171 résume correctement la preuve dont dispose la Cour. Il décrit les résultats des études cliniques réalisées par BMS :

[traduction]

Les résultats des études cliniques ont démontré que, pour des comprimés ayant des vitesses de dissolution similaires (89 % et 86 % à 30 mm dans un tampon phosphate de pH 6,8 contenant 15 0,05 % de SLS), la Cmax et la SSC du comprimé enrobé de phase 3 (C) par rapport au comprimé non enrobé de phase 2 (A), répondaient aux critères de bioéquivalence. Les comprimés ayant des vitesses de dissolution différentes (77 % et 86 % à 30 mm) avaient des SSC similaires, mais ne répondaient pas aux critères d’équivalence pour la Cmax. La limite inférieure de l’intervalle de confiance à 90 % du rapport de la moyenne géométrique de la Cmax était de 0,788, ce qui indique que la vitesse d’absorption, telle que définie par la Cmax, était inférieure pour le comprimé à dissolution plus lente (77 % à 30 mm). Étant donné que la biodisponibilité orale de ces comprimés est comparable à celle de la solution (voir les figures 1 et 2 ci-dessous), cette vitesse de dissolution (77 % en 30 min) est définie comme le seuil permettant d’obtenir une exposition cohérente.

[134] En contre-interrogatoire, M. Laskar a admis que BMS avait découvert quelque chose d’intéressant; elle a découvert le moment où la dissolution in vitro des comprimés commençait à avoir un impact sur la Cmax. Les expositions étaient indépendantes de la dissolution du comprimé au-dessus de 77 %, mais 77 % est le point auquel la dissolution du comprimé a commencé à avoir un impact sur la Cmax :

[traduction]

Q. Les inventeurs ont découvert le point auquel la dissolution in vitro a commencé à avoir un impact sur la Cmax, n’est-ce pas?

R. Ils ont découvert un point auquel la Cmax était affectée par la dissolution, oui.

[135] Cette preuve est suffisante pour écarter l’affirmation selon laquelle le seuil de 77 % était un choix arbitraire effectué par BMS.

[136] Le deuxième seuil du brevet 171 est la taille des particules. Le paragraphe 38 de la divulgation du brevet 171 affirme que 89 µm était la plus grande taille de particule testée qui n’excédait pas le seuil de vitesse de dissolution minimale pour les doses de 2,5 et 5 milligrammes. Il s’agissait du seuil de taille de particule maximale et fixé comme seuil, parce que [traduction] « la biodisponibilité orale des comprimés correspond systématiquement à celle de la solution ».

[137] L’état de la technique était que l’on ne s’attendrait pas à obtenir une biodisponibilité accrue en réduisant la taille des particules d’un médicament de classe III du SCB comme l’apixaban. M. Laskar a admis, en contre-interrogatoire, qu’avant le brevet 171, la taille des particules d’un médicament de classe III du SCB comme l’apixaban ne devrait pas être un facteur critique en ce qui concerne l’exposition par absorption :

[traduction]

Q. Il dit : « Ces médicaments hautement solubles sont avantageux dans le développement pharmaceutique, car aucun principe améliorant la dissolution n’est nécessaire [...] » Pause ici. Souscrivez-vous à cette affirmation?

R. En règle générale, oui.

Q. Et les personnes versées dans l’art comprendraient cela aussi?

R. Oui, elles comprendraient

Q. Il continue en disant : « [...] et les paramètres du processus qui pourraient influer sur la forme et la taille des particules de médicament ne sont généralement pas des facteurs de formulation cruciaux », est-ce exact?

R. C’est ce qui est dit là, oui.

Q. Et les personnes versées dans l’art auraient eu cette compréhension à la date de priorité du brevet 171, n’est-ce pas?

R. En règle générale, oui.

[138] Contrairement aux connaissances générales courantes, les inventeurs du brevet 171 ont découvert que les formulations à base de grosses particules d’apixaban entraînaient une exposition moins qu’optimale. BMS affirme avoir découvert le problème non évident, à savoir qu’une grande taille de particules d’apixaban peut nuire à l’exposition in vivo. Comme le souligne BMS, il peut y avoir une activité inventive à reconnaître qu’un problème existe : voir les décisions Cabot Corp v 318602 Ontario Ltd, 1988 CarswellNat 569 au para 56 (CF 1re inst); Glaxosmithkline Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 899 au para 45; Bayer AG c Novopharm Ltd, 2006 CF 379 au para 44.

Les différences exigent-elles un certain degré d’inventivité?

[139] Étant donné les différences significatives entre l’état de la technique concernant les médicaments de la classe III du SCB, comme l’apixaban, et les conclusions des inventeurs, qui leur étaient directement opposées, je n’hésite pas à conclure qu’un certain degré d’invention était nécessaire pour parvenir aux différences mentionnées ci-dessus.

[140] En outre, je n’hésite pas non plus à conclure que ce que BMS a fait n’allait pas de soi. Aux paragraphes 65 et 66 de l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a conclu que la notion d’« essai allant de soi » n’est applicable que lorsqu’il est très clair ou lorsqu’il est plus ou moins évident que l’essai sera fructueux. Compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, je ne peux trouver aucun élément de preuve qui me convainc, selon la prépondérance des probabilités, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention, étant donné les différences entre l’invention et l’état de la technique.

[141] Pour ces motifs, la contestation de la validité par les défenderesses, fondée sur l’évidence, est rejetée.

L’insuffisance et la portée excessive

[142] Les défenderesses soutiennent que [traduction] « si une personne versée dans l’art ne peut pas savoir a priori si sa formulation possède les propriétés revendiquées, le brevet est invalide pour cause d’insuffisance » et un [traduction] « brevet qui revendique plus que ce que le titulaire du brevet a divulgué ou inventé est invalide pour cause de portée excessive ».

[143] Elles évoquent le contre-interrogatoire de M. Davies, et disent qu’il a admis [traduction] qu’« une personne versée dans l’art ne peut pas connaître la vitesse de dissolution ou la taille des particules d’une formulation sans faire de tests » :

[traduction]

Q. Et pour déterminer si sa vitesse de dissolution est de 77 %, il faut faire un test?

R. Nous devons toujours tester la formulation, bien sûr, car, comment sauriez-vous qu’elle a 77 % ou plus? De même, vous devez tester la taille des particules. Il faut toujours effectuer des tests.

[144] BMS souligne qu’au paragraphe 532 de la décision Apotex Inc c Merck & Co, 2010 CF 1265, la juge Snider a fait observer que les tests courants étaient permis pour exploiter l’invention et ne conduisaient pas à une conclusion d’insuffisance du brevet :

Les tribunaux ont reconnu que « des essais et expériences courants n’équivalant pas à de nouvelles inventions peuvent être requis pour mettre [une invention] en pratique » (Proctor & Gamble Co. c Bristol Myers Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2 d) 145 au paragraphe 51, [1978] A.C.F. no 812 (QL) (C.F. 1re inst.); voir aussi Mobil Oil Corp. c Hercules Canada Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 473, [1995] A.C.F. no 1243 (QL) (C.A.F.)); Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc. 2005 CF 1283, 43 C.P.R. (4e) 161 au paragraphe 207). […]

[145] La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant que les tests requis dépassent le cadre d’essais et d’expériences de routine. En effet, en contre-interrogatoire, M. Laskar a admis qu’un formulateur qualifié pouvait accéder à sa [traduction] « boîte à outils » et concevoir un comprimé répondant aux exigences du brevet 171. En bref, je conclus que l’exploitation de l’invention du brevet 171 ne nécessite rien de plus que les essais et expériences de routine utilisés par les formulateurs.

[146] Les défenderesses affirment également que le seuil de la vitesse de dissolution du brevet 171 est un simple résultat souhaité et elles soutiennent que les revendications concernant les résultats souhaités sont invalides :

[traduction]

[Un brevet qui revendique un résultat souhaité] n’indique pas à la personne versée dans l’art comment réaliser l’invention, mais cherche plutôt à revendiquer tout ce qui permet d’atteindre le résultat revendiqué. Ces revendications sont à la fois insuffisantes et globales (c’est-à-dire qu’elles ont une portée excessive).

[147] BMS note que les revendications de brevet peuvent également inclure des limitations fonctionnelles – des éléments de la revendication essentiels à l’objet de l’invention : Burton Parsons Chemicals v Hewlett-Packard (Canada) Ltd, 1972 CarswellNat 531 au para 24 (CF 1re inst), confirmée par la CSC qui a rétabli le jugement de première instance : [1976] 1 RCS 555. Je suis d’accord avec BMS pour dire que les revendications en l’espèce ne sont pas comme le laissent entendre les défenderesses. Il s’agit plutôt de véritables revendications fonctionnelles.

[148] Pour ces motifs, je ne conclus pas que le brevet 171 est invalide pour insuffisance ou excès de portée.

L’ambiguïté

[149] Une revendication doit être suffisamment explicite pour informer le public de ce qui se trouve dans la revendication et de ce qui ne s’y trouve pas. Si une revendication peut être interprétée de plus d’une manière, de sorte qu’il serait impossible pour quiconque de savoir à l’avance quand une fabrication, une utilisation ou une vente du produit breveté serait visée par la revendication, celle-ci est ambiguë et invalide.

[150] Les défenderesses soutiennent que le brevet 171 est ambigu en ce qu’il revendique la détermination de la taille des particules par [traduction] « diffusion de la lumière laser », sans aucune instruction sur la méthode de dispersion à utiliser. Elles déclarent [traduction« selon la technique particulière de diffusion de la lumière laser utilisée (la dispersion par voie humide par rapport à la dispersion par voie sèche), on obtient des résultats différents, relativement la taille des particules ».

[151] Tous les experts qui ont parlé de la diffusion de la lumière laser ont dit qu’un formulateur saurait comment le faire. Par exemple, le rapport de M. Kibbe mentionne que [traduction] « [l]e formulateur versé dans l’art aurait également su comment mesurer la taille des particules de l’IPA en utilisant une technique de diffusion de la lumière laser, puisque cette méthode était couramment connue et utilisée à cette fin dans l’industrie pharmaceutique ».

[152] J’accepte le témoignage de M. Davis selon lequel, si le tout est fait correctement, il n’y a pas de différence entre les méthodes de dispersion par voie humide ou par voie sèche. De plus, comme il le souligne, la description du brevet 171 révèle que l’inventeur a utilisé la méthode de dispersion par voie humide et qu’une personne exploitant l’invention ferait de même :

[traduction]

Bien que M. Laskar indique ce tableau comme preuve que la dispersion par voie sèche et la dispersion par voie humide entraîneront des mesures différentes, cela n’est pas exact. En réalité, ce que le tableau 7 et ce document montrent, c’est que « la particule D90 pour l’IPA broyé en utilisant la méthode de dispersion par voie humide LLS est bien corrélée avec les procédés utilisant la méthode de dispersion par voie sèche LLS ». Lorsque les techniques de dispersion par voie humide et par voie sèche sont utilisées correctement, cela est généralement vrai.

[…]

Enfin, si des formulateurs qualifiés s’inquiétaient de l’attrition des particules, ils utiliseraient la dispersion par voie humide, tout comme les inventeurs. Dans la dispersion par voie humide, un échantillon est dispersé dans un liquide, qui est beaucoup plus doux et serait moins susceptible de provoquer une attrition. Aux paragraphes [0028] et [0029], le brevet 171 explique que les tailles de particules déterminées et indiquées dans le brevet ont été déterminées en utilisant la technique de dispersion par voie humide. Comme il est indiqué au paragraphe [0029], les matières apixaban ont été mesurées trois fois chacune (comme le requiert l’USP), et ont été placées dans des cellules d’échantillonnage qui ont été nettoyées et remplies d’une solution de suspension. Cela décrit la technique de dispersion par voie humide, qui donne presque toujours des particules de taille légèrement plus grande. En cas de doute, les personnes versées dans l’art utiliseraient simplement la dispersion par voie humide.

[Non souligné dans l’original.]

[153] Je conclus donc qu’il n’y a pas d’ambiguïté dans le brevet 171. La personne versée dans l’art connaîtrait la méthode de dispersion qui avait été utilisée et ferait de même lors de l’exploitation du brevet.

L’inutilité

[154] Enfin, et à titre subsidiaire à leur observation concernant l’évidence, les défenderesses soutiennent que le brevet 171 est invalide pour cause d’absence d’utilité. Lisant le paragraphe 38 de la divulgation, elles affirment que l’objet pratique du brevet 171 est que [traduction] « le contrôle de la taille des particules à moins de 89 µm entraînera une vitesse de dissolution qui garantira une exposition cohérente ».

[155] Premièrement, les défenderesses soutiennent que les critères de contrôle de la taille des particules D90 à moins de 89 µm n’ont pas démontré que l’on atteignait une vitesse de dissolution de 77 % en 30 minutes, assurant ainsi une exposition cohérente. Deuxièmement, elles soutiennent que la vitesse de dissolution est arbitraire et dénuée de sens par rapport à la biodisponibilité de l’apixaban.

[156] À l’appui de leur première affirmation, l’inutilité de la taille des particules lors de la dissolution, les défenderesses citent le tableau 6 du paragraphe 36 du brevet 171, ainsi que le témoignage de M. Kibbe. Celui-ci mentionne au paragraphe 319 de son rapport que le tableau 6 réfute l’affirmation selon laquelle l’utilisation d’une taille de particules D90 égale ou inférieure à 89 µm entraîne une dissolution cohérente :

[traduction]

Les comprimés A et B du tableau 6 ont été préparés en utilisant la même formulation, mais le comprimé A avait une meilleure vitesse de dissolution que le comprimé B (86 % par rapport à 77 %, en 30 minutes), malgré une taille de particules D90 plus grande (83,3 μm par rapport à 53,1 μm). On pourrait s’attendre à ce que l’inverse soit vrai, bien que la différence puisse être le résultat de la mise à l’échelle de la formulation d’une échelle de laboratoire à une échelle de production.

[157] Toutefois, M. Laskar, l’expert des défenderesses, a déclaré dans son témoignage que l’approche et la conclusion de M. Kibbe concernant le tableau 6 étaient scientifiquement invalides, car il y avait des différences entre ces deux comprimés, autres que la taille des particules – il comparaît des pommes à des oranges :

[traduction]

Q. D’accord. Donc les comprimés A et B différaient à la fois par la taille et l’échelle des particules, est-ce exact?

R. Oui, c’est exact.

[…]

Q. D’accord? Merci. Il serait donc exact de dire que plus d’une variable a changé entre chaque comprimé, n’est-ce pas?

R. Ce serait exact.

Q. À la lumière de cela, pouvons-nous dire que la différence de taille de particule a causé la différence de vitesse de dissolution?

R. Non, nous ne pouvons pas. Nous ne pouvons pas la désigner comme le, comme contributeur unique. Elle peut contribuer, elle peut être l’une des variables contributives, tout comme les autres variables pourraient également contribuer.

Q. Nous ne serions pas en mesure de faire cette détermination sur la base de ces informations, est-ce exact?

R. C’est exact. Nous ne serions pas en mesure de faire une désignation.

Q. Il ne serait pas scientifiquement valable d’essayer de tirer des conclusions selon lesquelles c’est la taille des particules qui a entraîné une dissolution plus lente du comprimé B, étant donné qu’il y avait de multiples changements ou des différences variables entre les comprimés, n’est-ce pas?

R. C’est exact, et il serait, il serait contre-intuitif de dire que, dans la mesure où la particule D90 pour B est plus petite que celle du comprimé A, et considérant la relation entre la taille des particules et la dissolution que, que la différence entre A et B par rapport à cela serait contre-intuitive.

Q. Et vous ne pouvez pas tirer cette conclusion. Elle ne serait pas scientifiquement valable, n’est-ce pas?

R. Vous ne pouvez pas tirer cela comme conclusion.

[158] De plus, M. Kibbe a déclaré en contre-interrogatoire que l’on ne pouvait correctement tirer aucune conclusion du tableau 6 sur la taille des particules et la dissolution in vitro :

[traduction]

Q. D’accord. Nous parlions des multiples variables qui diffèrent entre les formulations des comprimés dans le tableau 6. Je pense que vous avez dit qu’il y avait des différences multiples, et non pas seulement une seule différence, n’est-ce pas?

R. Exact.

Q. Elles ne se distinguaient pas seulement par la taille des particules, est-ce exact?

R. C’est exact. Et donc, comme nous en avons convenu, je pense qu’on ne peut pas tirer de conclusions sur l’incidence de la taille des particules quand on a beaucoup d’autres choses.

Q. Je pense que nous avons convenu du fait que vous ne pouvez pas tirer de conclusions sur l’incidence de la taille des particules à partir des données des tableaux 6 et 6A. Est-ce exact?

R. C’est exact.

Q. D’accord. Et une personne versée dans l’art le saurait?

R. Oui.

Q. Bien. En toute équité, le brevet enseigne ou indique à la personne versée dans l’art que les figures 3 et 4 représentent l’endroit où le titulaire du brevet a tiré des conclusions sur la relation entre la taille des particules et la dissolution in vitro, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Le brevet ne demande pas à la personne versée dans l’art de tenir compte des tableaux 6 et 6A. de tirer des conclusions sur l’incidence de la taille des particules sur la dissolution in vitro, d’accord?

R. C’est exact. Et lorsque vous regardez la taille des particules dans les tableaux 6 et 6A, vous ne pouvez pas en tirer de conclusion, sauf qu’il n’y a pas de fondement pour la prédiction de la taille des particules dans l’aire sous la courbe à partir de cet ensemble de données.

Q. Il serait inapproprié d’essayer de tirer cette conclusion à partir de cet ensemble de données, est-ce exact?

R. C’est exact. Et par conséquent, vous ne pouvez pas tirer cette conclusion.

Q. Non seulement vous ne pouvez pas, mais il ne serait pas approprié de le faire, n’est-ce pas?

R. Vous ne devriez pas le faire.

[159] Pour ces motifs, je rejette la première observation des défenderesses sur l’utilité.

[160] Selon la deuxième observation, la vitesse de dissolution est arbitraire et dénuée de sens par rapport à la biodisponibilité de l’apixaban. À l’appui de cette observation, les défenderesses citent l’étude 019 et affirment qu’un [traduction« comprimé ayant 62 % de dissolution a eu la même biodisponibilité qu’un comprimé ayant 79 % de dissolution ».

[161] Cette étude est mentionnée au paragraphe 35 et au tableau 5 du brevet 171. Toutefois, elle renvoie à un comprimé de 20 mg et compare la biodisponibilité des comprimés produits au moyen des procédés de granulation par voie sèche et de granulation par voie humide. Elle mentionne ceci : [traduction« Comme le montre le tableau 5, les comprimés de 20 mg fabriqués en utilisant un procédé de granulation par voie sèche contenaient 79 % d’apixaban dissous en 30 minutes par rapport à 62 % d apixaban dissous en 30 minutes pour les comprimés fabriqués en utilisant un procédé de granulation par voie humide ». Comme l’a souligné BMS, les exemples invoqués par les défenderesses concernent des comprimés de 20 mg de la classe de faible solubilité du SCB qui ne sont pas revendiqués dans les revendications, lesquelles concernent toutes des doses de 2,5 et 5 mg de la classe de haute solubilité de SCB. Je suis d’accord avec BMS pour dire que, par conséquent, [traduction] « [l]e tableau 5 n’est pas pertinent et ne révèle pas que les formulations revendiquées ne fonctionnent pas ».

[162] Pour ces motifs, je rejette également le deuxième motif invoqué par les défenderesses pour contester la validité du brevet 171 pour cause d’absence d’utilité.

Conclusion quant au brevet 171

[163] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que rien dans ce qu’invoquent les défenderesses pour contester la validité du brevet 171 n’est fondé. Les revendications du brevet 171 sont valides.

CONCLUSION

[164] Les allégations des défenderesses selon lesquelles leurs produits apixaban ne contreferont pas le brevet 202 ou le brevet 171 reposent sur leur affirmation que ces brevets sont invalides. Comme il a été conclu que les revendications invoquées étaient valides, la réparation sollicitée par BMS dans le cadre des présentes actions sera accordée. Une copie du présent jugement et de ses motifs confidentiels doit être déposée et marquée comme confidentielle pour les parties dans chaque dossier.

[165] Les parties n’ont évoqué que brièvement la question des dépens lors de leurs observations orales. Il a été déclaré que BMS devrait avoir droit à des dépens réduits ou à aucuns dépens si elle obtenait gain de cause, en raison des déclarations faites par les avocats. Je conviens que les déclarations reprochées étaient inappropriées, mais je suis d’avis qu’elles ne sont pas de nature à toucher les dépens auxquels BMS a droit sur la base habituelle. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens dans les 15 jours suivant le prononcé de ces motifs, elles peuvent présenter à la Cour des observations écrites, n’excédant pas 20 pages, pour les actions relatives aux deux brevets en litige. BMS doit fournir ses observations regroupées dans les 30 jours suivant le prononcé des présents motifs, et chacune des défenderesses a le droit de répondre dans les 15 jours suivants.

[166] Les motifs sont communiqués aux parties sur une base confidentielle. Elles disposent d’un délai de 15 jours à compter de la date des présentes pour indiquer à la Cour s’il y a lieu d’expurger toute information confidentielle. Le jugement et les motifs publics doivent être déposés dans chaque dossier.


JUGEMENT DANS LES DOSSIETS T-97-19, T-98-19, T-503-19 et T-504-19

LA COUR STATUE :

« Russel W. Zinn »

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste-traducteur


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