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Date : 20210120


Dossier : T-1069-14

Référence : 2021 CF 10

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

JASON SWIST ET

CRUDE SOLUTIONS LTD.

demandeurs

(défendeurs reconventionnels)

et

MEG ENERGY CORP.

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS


Table des matières

I. Aperçu 3

II. Méthodes d’extraction utilisées dans les sables bitumineux canadiens 6

III. Actes de procédure et historique de l’instance 9

IV. Brevet 746 10

V. Revendications en litige 12

VI. Questions en litige 15

VII. Preuve 15

A. Témoins de fait et témoins experts 15

(1) Témoins de Swist 15

(2) Témoins de MEG 16

B. Observations au sujet de la preuve 17

VIII. Interprétation des revendications 22

A. Principes juridiques et dates pertinentes 22

B. Personne normalement versée dans l’art [PVA] 24

C. Connaissances générales courantes de la PVA 26

D. Termes des revendications exigeant une interprétation 28

(1) [traduction] « paires de puits » 29

(2) [traduction] « troisième puits » 32

(3) [traduction] « zone de mobilité accrue » 34

(4) [traduction] « communication » 35

(5) [traduction] « génère » 37

(6) [traduction] « zone d’appauvrissement » 39

IX. Contrefaçon 40

A. Principes juridiques 40

B. Analyse 41

X. Validité 51

A. Antériorité 51

(1) Principes juridiques 51

(2) Brevet Arthur 53

(3) Brevet Brannan 59

(4) Brevet Cyr 63

(5) Brevet Ong 67

(6) Brevet Coskuner 69

B. Évidence 71

(1) Principes juridiques 71

(2) PVA et connaissances générales courantes 73

(3) Idée originale 73

(4) Différences entre l’état de la technique et l’invention 74

(5) Les différences sont-elles évidentes? 75

C. Inutilité 77

(1) Principes juridiques 77

(2) Analyse 78

D. Portée excessive 81

XI. Dispositif 81

I. Aperçu

[1] Les sables bitumineux canadiens constituent un type particulier de réservoir d’hydrocarbures. Un hydrocarbure est un composé d’hydrogène et de carbone, les deux principaux composants du pétrole et du gaz naturel.

[2] Le pétrole contenu dans les sables bitumineux est à un stade précoce de maturité. Il est désigné sous le nom de pétrole lourd, et est souvent appelé familièrement bitume. Le bitume est trop épais pour être pompé directement du sol. On doit donc utiliser des méthodes spéciales pour mobiliser le pétrole dans le réservoir avant de l’extraire.

[3] Deux techniques principales sont utilisées pour rendre le pétrole lourd mobile dans le réservoir : la stimulation cyclique par la vapeur [CSS] et le drainage gravitaire assisté par la vapeur [SAGD]. La CSS et le SAGD appartiennent tous deux de la catégorie générale des techniques appelées « injection de vapeur », c’est-à-dire des méthodes de récupération thermique fondées sur le pompage de vapeur générée à la surface dans un réservoir souterrain pour réduire la viscosité du pétrole.

[4] Le brevet canadien 2 800 746 [brevet 746] est intitulé « Récupération du pétrole assistée par pression » et porte généralement sur la « deuxième phase de récupération du pétrole et plus particulièrement sur l’exploitation des gradients de pression dans la récupération du pétrole ». L’inventeur nommé du brevet 746 est le demandeur Jason Swist.

[5] L’invention revendiquée par le brevet 746 est une modification du SAGD, par laquelle un troisième puits est positionné entre deux paires de puits de SAGD adjacents. L’activation du troisième puits avant la fusion des chambres à vapeur adjacentes générerait une grande zone singulière de mobilité accrue, ce qui rendrait l’extraction plus rapide et plus efficace du pétrole depuis le réservoir.

[6] M. Swist a cédé la propriété du brevet 746 à la demanderesse Crude Solutions Ltd [CSL] peu avant d’intenter la présente action en justice. CSL est une société de portefeuille pour les brevets que M. Swist détient conjointement avec sa femme. Dans les présents motifs, j’appelle M. Swist et CSL collectivement « Swist ».

[7] MEG Energy Corp [MEG] est une entreprise d’extraction pétrolière du sud de la région de l’Athabasca en Alberta. La société existe depuis plus de 20 ans et emploie des centaines de personnes. MEG transporte et vend du pétrole aux raffineurs dans toute l’Amérique du Nord et à l’étranger.

[8] MEG utilise deux méthodes pour extraire le pétrole sur son site de Christina Lake. MEG appelle ces méthodes les noms suivants : [traduction] « procédé de drainage par gravité, renforcé au moyen de vapeur et de gaz amélioré » [eMSAGP] et [traduction] « extraction renforcée à la vapeur améliorée » [eMVAPEX]. MEG détient des brevets relatifs à chacune de ces méthodes. La première invention est revendiquée dans le brevet canadien 2 776 704 [brevet 704], tandis que la seconde est revendiquée dans le brevet canadien 2 912 159 [brevet 159].

[9] Swist soutient que l’usage par MEG de l’eMSAGP et de l’eMVAPEX à Christina Lake constitue une contrefaçon des revendications 1 à 6 et 8 du brevet. MEG nie la contrefaçon, et soutient dans sa demande reconventionnelle que les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont invalides.

[10] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’usage par MEG de l’eMSAGP et de l’eMVAPEX à Christina Lake ne contrefait pas les revendications spécifiées du brevet 746. En outre, les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont antériorisées par l’art antérieur et sont dénuées d’utilité. Elles sont donc invalides.

II. Méthodes d’extraction utilisées dans les sables bitumineux canadiens

[11] Le résumé suivant des méthodes d’extraction pour les sables bitumineux canadiens est adapté et condensé à partir de l’introduction technique donnée par Vikram Rao, Ph. D., dans son rapport d’expertise initial.

[12] La CSS, également connue sous le nom de « stimulation cyclique », est un cycle en trois étapes, généralement répété plusieurs fois : injection de vapeur, période d’imprégnation et production. Dans une première étape, de la vapeur est injectée dans un puits. Dans la deuxième étape — la période d’imprégnation — la vapeur n’est plus injectée, mais celle déjà sur place pénètre dans la formation, généralement à des pressions proches, mais inférieures à la pression de rupture de la formation. À la troisième étape, le puits est utilisé pour produire du pétrole, et l’eau est séparée du pétrole lorsqu’il atteint la surface.

[13] La CSS nécessite beaucoup de temps et de fortes pressions d’injection. La phase d’injection et la période d’imprégnation durent chacune des semaines, voire des mois. Or, la CSS ne libère généralement pas plus de 20 % du pétrole en place. La méthode de CSS peut être utilisée comme procédé d’extraction autonome ou peut participer à un procédé d’extraction plus large. Par exemple, on pourrait utiliser la CSS en association avec l’autre principal procédé de récupération, le SAGD.

[14] Tout comme la CSS, le SAGD appartient à la catégorie des inondations de vapeur, mais il est une variante particulièrement efficace. Il a été inventé par Roger Butler, Ph. D., à la fin des années 1970 et au début des années 1980, alors qu’il était ingénieur à l’Imperial Oil au Canada.

[15] Dans le SAGD, une paire de puits horizontaux parallèles sont séparés sur la verticale par une distance de l’ordre de quatre à huit mètres. La vapeur est injectée dans le puits supérieur de la paire [puits d’injection] pendant une période prolongée, jusqu’à ce qu’une « chambre à vapeur » se forme au-dessus et autour du puits d’injection. Cette chambre a un profil à peu près triangulaire sur toute la longueur du puits d’injection. La vapeur, et tout gaz associé, s’élèvent dans la formation, car ils sont plus légers que le pétrole résident.

[16] La vapeur chauffe le pétrole et en réduit la viscosité. Désormais mobile, il s’écoule par gravité avec l’eau chaude issue de la condensation de la vapeur dans le puits le plus profond de la paire [puits de production]. On peut ensuite pomper à la surface ce mélange de pétrole chauffé et d’eau par le puits de production.

[17] La nouvelle vapeur et le gaz associé, le cas échéant, occupent l’espace laissé par le pétrole pompé et chauffent le pétrole restant. À mesure que de la vapeur est injectée et que le pétrole descend dans le puits de production, la chambre à vapeur située au-dessus du puits d’injection s’agrandit et le processus se poursuit. Une opération de SAGD se déroule généralement sur plusieurs années.

[18] L’illustration ci-dessous montre une section transversale verticale d’une paire de puits de SAGD classique (Maureen Austin-Adigio et Ian Gates, “Non-condensable gas Co-Injection with steam for oil sands recovery” (2019) 179 Energy 736 à la p 737, figure 1) :

Overburden

Terrain sus-jacent

Steam (Depletion) Chamber

Chambre à vapeur (d’épuisement)

Injection well

Puits d’injection

Bitumen flow zone

Zone d’écoulement du bitume

Production well

Puits de production

 

[19] Le SAGD est généralement beaucoup plus efficace que la CSS. L’extraction par SAGD peut largement dépasser les 60 % du pétrole en place. On a revendiqué une capacité d’extraction allant jusqu’à 80 %.

[20] Bien que l’on injecte habituellement de la vapeur lors du SAGD, on peut aussi injecter simultanément de la vapeur et un gaz non condensable [GNC]. Ce gaz est habituellement du méthane qui, contrairement à la vapeur, ne se liquéfie pas aux pressions et températures normales du réservoir. Le GNC s’élève vers le haut de la chambre à vapeur, où il exerce une pression sur tous les fluides qu’il rencontre.

[21] La poussée de gaz et de vapeur [SAGP] est une variation du SAGD. Lors de la SAGP, on injecte un GNC (comme le méthane) avec ou sans une quantité de vapeur. Le gaz s’élève dans la chambre à vapeur et occupe l’espace libéré par la condensation de la vapeur. Il exerce une pression pour pousser vers le bas le pétrole de la même manière que la vapeur, mais plus efficacement. L’extraction de pétrole assistée par la vapeur [VAPEX] consiste à injecter un mélange de gaz formé de molécules plus longues que l’éthane ou le méthane (par exemple, le propane ou le butane) afin de réduire la viscosité du pétrole.

III. Actes de procédure et historique de l’instance

[22] Le 2 octobre 2013, M. Swist a donné à MEG un avis écrit par lequel il faisait valoir ses droits découlant du brevet 746. Le 3 avril 2014, M. Swist a cédé la propriété du brevet 746 à CSL.

[23] Swist a intenté la présente action par une déclaration datée du 29 avril 2014. Au départ, Swist soutenait que MEG contrefaisait toutes les revendications du brevet 746. Toutefois, à la suite de la modification de ses actes de procédure le 23 juin 2014, le 27 juillet 2018 et le 26 juillet 2019, Swist a limité la portée de l’action aux revendications 1 à 6 et 8.

[24] MEG a produit sa défense et demande reconventionnelle le 23 juillet 2014. Ses actes de procédure ont par la suite été modifiés le 12 septembre 2014, le 8 août 2018 et les 16 juillet et 6 août 2019. Dans sa demande reconventionnelle modifiée, MEG alléguait que les revendications 1 à 8 du brevet 746 étaient invalides pour cause d’antériorité, d’évidence, de portée excessive, d’absence d’utilité/de prédiction valable, d’insuffisance, d’ambiguïté et d’omission au sens de l’article 53 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4. Dans ses observations finales, MEG a informé la Cour qu’elle n’invoquait plus les motifs d’insuffisance, d’ambiguïté et d’omission au sens de l’article 53 de la Loi sur les brevets.

IV. Brevet 746

[25] La date de priorité du brevet 746 est le 19 mai 2011, date de la demande de brevet provisoire aux États-Unis de Swist (US201161487770P). La date de dépôt du brevet 746 est le 15 mai 2012. Sa date de publication est le 22 novembre 2012. Le brevet 746 a été délivré le 24 septembre 2013.

[26] En avril 2011, M. Swist a contacté le professeur Ergun Kuru de l’Université de l’Alberta pour réaliser des simulations afin de tester les inventions décrites dans le brevet 746. Le Pr Kuru a rédigé un rapport intitulé [traduction] « Étude numérique de la technique d’extraction sous pression du pétrole afin d'optimiser l’extraction thermique », daté du 28 février 2012 [le rapport Kuru]. Swist a payé environ 4 000 $ pour le rapport Kuru. Presque tous les résultats du rapport Kuru figurent dans le brevet 746.

[27] Swist a également retenu les services d’une entreprise d’Edmonton, Alberta Innovates Technology Futures [AITF], pour étudier le rapport Kuru et réaliser d’autres simulations. AITF a produit un rapport intitulé [traduction] « Évaluation du rendement du procédé SAGD », daté de mai 2012 [le rapport AITF]. Swist a payé environ 5 000 $ pour le rapport AITF. Les résultats du rapport AITF ne figurent pas dans le brevet 746.

[28] Le brevet 746 indique que le domaine de l’invention [traduction] « concerne l’extraction de pétrole et plus particulièrement l’exploitation de la pression pour extraire du pétrole. »

[29] La partie Contexte de l’invention décrit l’évolution de la CSS et du SAGD, et indique certaines limites des deux techniques. En ce qui concerne le SAGD, le brevet 746 spécifie :

[traduction]

[…] la nécessité de réaliser plus rapidement la production des puits de SAGD, la nécessité de chauffer la formation latéralement entre des puits espacés latéralement pour hausser le pourcentage de pétrole extrait; et de fournir un SAGD fonctionnant sur des formations de sables bitumineux plus profondes.

[30] Le Contexte de l’invention conclut comme suit :

[traduction]

[…] l’inventeur a établi que les différences de pression peuvent être exploitées avantageusement pour faire avancer la production des puits de SAGD en augmentant la vitesse des pétroles lourds, que les différences de pression peuvent être exploitées pour ajuster l’évolution des chambres à vapeur formées latéralement entre les puits espacés latéralement pour hausser le pourcentage d’extraction du pétrole, et fournir un SAGD fonctionnant sur des formations de sables bitumineux plus profondes.

[31] Selon le sommaire de l’invention, l’un de ses objectifs est [traduction] « d’améliorer la deuxième phase de récupération du pétrole et plus particulièrement d’exploiter la pression pour la production du pétrole ». La [traduction] « deuxième phase d’extraction du pétrole » désigne l’injection d’un fluide externe, comme de l’eau ou du gaz, dans un réservoir pour faciliter l’extraction.

[32] Le brevet 746 contient une brève description des dessins et décrit les modes de réalisation de l’invention [traduction] « à titre d’exemple seulement ». Le brevet 746 fournit ensuite une description détaillée de l’invention, suivie de 17 revendications.

V. Revendications en litige

[33] Swist allègue la contrefaçon des revendications 1 à 6 et 8 du brevet 746. MEG nie la contrefaçon et soutient dans sa demande reconventionnelle que les revendications 1 à 8 sont invalides.

[34] La revendication 1 du brevet 671 est rédigée comme suit :

[traduction]

1. Une méthode qui :

prévoit une première paire et une deuxième paire de puits séparées par une première séparation prédéterminée, chaque paire de puits comportant :

un premier puits dans une structure pétrolifère; et

un deuxième puits à l’intérieur de la structure pétrolifère avec un premier décalage vertical prédéterminé par rapport au premier puits, sensiblement parallèle au premier puits et un premier décalage latéral prédéterminé par rapport au premier puits;

prévoit un troisième puits dans la structure pétrolifère à un endroit prédéterminé entre la première et la deuxième paire de puits;

inclut l’injection sélective d’un premier fluide dans le premier puits de chaque paire de puits selon un premier échéancier prédéterminé dans de premières conditions prédéterminées afin de créer une zone de mobilité accrue au sein de la structure pétrolifère; et

génère une grande zone singulière de mobilité accrue en injectant sélectivement un second fluide dans le troisième puits selon un second échéancier prédéterminé dans de secondes conditions prédéterminées, qui est au moins l’une des suivantes : absence de ou avant toute communication entre les zones de mobilité accrue.

[35] Les revendications 2 à 8 dépendent de la revendication 1, à savoir :

[traduction]

2. Selon la revendication 1, une méthode dans laquelle

le deuxième échéancier prédéterminé déclenche l’injection du deuxième fluide dans le troisième puits avant qu’une zone d’appauvrissement résultant de l’injection du premier fluide dans le premier puits de la première paire de puits ne fusionne avec une autre zone d’appauvrissement résultant du fonctionnement simultané de la deuxième paire de puits disposée en miroir par rapport au troisième puits avec la première paire de puits.

3. Selon la revendication 1, la méthode comprend au moins un des éléments suivants :

le premier puits d’au moins une des première et deuxième paires de puits n’injecte pas le fluide alors que le deuxième puits d’au moins une des première et deuxième paires de puits est en train de produire;

le fluide est au moins l’un des éléments suivants : vapeur, eau, dioxyde de carbone, azote, propane et méthane.

4. Selon la revendication 1, la méthode comprend

l’injection dans le troisième puits se fait à une pression plus élevée que l’injection dans les premiers puits de chaque paire de puits.

5. Selon la revendication 1, la méthode comprend

au moins l’un des éléments suivants :

les deuxièmes conditions prédéterminées comprennent au moins l’injection du deuxième fluide à une pression qui est sensiblement soit une pression inférieure, soit une pression supérieure à celle de la région de la structure pétrolifère dans laquelle le deuxième puits d’au moins une des première et deuxième paires de puits est disposé;

le deuxième échéancier prédéterminé comprend au moins l’exploitation du troisième puits pour extraire le pétrole de la structure pétrolifère, et l’exploitation du troisième puits tout en injectant un second fluide dans le premier puits d’au moins une des première et seconde paires de puits dans de secondes conditions prédéterminées.

6. Selon la revendication 1, la méthode comprend

au moins l’un des éléments suivants :

les premier et deuxième puits forment une paire de puits comprenant une partie prédéterminée d’une série de paires de puits et le troisième puits est disposé selon une relation prédéterminée entre deux paires de puits;

les premier et deuxième puits sont disposés vers la limite inférieure de la structure pétrolifère et le troisième puits est disposé verticalement vers la limite supérieure de la structure pétrolifère.

7. Selon la revendication 1, la méthode comprend en plus

un deuxième puits d’injection disposé en relation prédéterminée avec le troisième puits.

8. Selon la revendication 1, la méthode comprend

la grande zone singulière épuise considérablement le réservoir pétrolier entre la première et la deuxième paire de puits.

VI. Questions en litige

[36] Les questions soulevées dans cette instance sont celles de savoir si les revendications 1 à 6 et 8 du brevet 746 sont contrefaites par les activités de MEG à Christina Lake, et si les revendications 1 à 8 sont valides.

VII. Preuve

A. Témoins de fait et témoins experts

(1) Témoins de Swist

[37] M. Ronald Jason Swist est l’inventeur nommé du brevet 746 et, avec son épouse, il est propriétaire de CSL. M. Swist a été appelé à témoigner à titre de témoin de fait.

[38] M. Vikram Rao, Ph. D., est un métallurgiste possédant près de 40 ans d’expérience variée dans l’industrie du pétrole et du gaz. Il a été reconnu à titre d’expert de l’industrie du pétrole et du gaz, en particulier dans le domaine du forage de puits horizontaux et de l’extraction depuis ceux-ci, des méthodes d’extraction du pétrole lourd et de l’évaluation des champs pétrolifères, y compris la compréhension des caractéristiques des réservoirs souterrains de pétrole lourd.

[39] M. Dale Walters est le directeur de l’ingénierie au bureau de Calgary de CGG, une société de conseil en géosciences. Il est spécialisé dans l’analyse des procédés de récupération thermique liés à la production de bitume et de pétrole lourd. Il a 33 ans d’expérience dans l’industrie pétrolière. Il a été reconnu à titre d’expert en analyse et modélisation de réservoirs, en simulations par ordinateur de réservoirs pétroliers, y compris la modélisation des procédés de récupération thermique pour l’extraction du pétrole lourd, et en technologie de simulation de réservoirs.

(2) Témoins de MEG

[40] M. Bruce Carey, Ph. D., est un évaluateur technique indépendant des procédés de récupération du pétrole lourd en Alberta. Chez Peters & Co Ltd, il est conseiller en recherche et génie, spécialisé dans le domaine de la recherche sur l’extraction de pétrole par procédés thermiques et la surveillance de l’industrie. Il a été reconnu à titre d’ingénieur expert en récupération de pétrole thermique.

[41] M. Thomas Boone, Ph. D., est consultant en ingénierie et ingénieur professionnel agréé par l’Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta. Il possède plus de 30 ans d’expérience dans l’industrie du pétrole. Il a été reconnu à titre d’ingénieur professionnel expert pour des projets de récupération du pétrole lourd et de récupération assistée du pétrole classique, les simulations et la recherche, y compris les procédés de récupération thermiques, les champs de puits intercalaires et la surveillance sismique en 4D des champs de puits intercalaires.

[42] M. Chi-Tak Yee est le directeur des opérations chez MEG. Il a plus de 35 ans d’expérience dans l’extraction dans les sables bitumineux, dont une participation importante à des projets de SAGD. Il a travaillé sous la direction du Pr Butler en tant qu’étudiant de troisième cycle et à ses côtés chez GravDrain, un cabinet de conseil qu’ils ont créé ensemble. M. Yee a été cité à titre de témoin des faits.

[43] Le Pr Ian D. Gates, Ph. D., enseigne au Département de génie chimique et pétrolier de l’Université de Calgary. Ses recherches et son enseignement sont centrés sur les concepts de l’extraction thermique du bitume, y compris le SAGD et ses modifications. Il est aussi consultant en matière de SAGD, CSS et autres méthodes de récupération. Il a été qualifié comme expert en génie des réservoirs et du pétrole, notamment dans le domaine du SAGD et de ses variantes.

B. Observations au sujet de la preuve

[44] Les parties se sont largement accordées sur les qualifications des témoins qui ont été appelés à témoigner en tant qu’experts. Toutefois, MEG a émis des réserves quant à l’expertise de M. Rao, notant qu’il n’était pas actif dans le domaine de la récupération du bitume ou du SAGD en mai 2011, date de dépôt du brevet 746. Aux moments pertinents, M. Rao travaillait au Research Triangle Energy Consortium, une organisation fondée en 2007 par plusieurs universités américaines et un institut de recherche à but non lucratif dans le but de résoudre les problèmes techniques, économiques, sociétaux et de politique publique liés à l’utilisation de l’énergie. MEG note que l’expertise de M. Rao en matière de forage n’est pas du tout pertinente pour le brevet 746, et qu’aucun des brevets de M. Rao ne concerne les méthodes de pratique du SAGD ou les modifications du SAGD.

[45] Bien que j’aie admis M. Rao en tant qu’expert de l’industrie pétrolière et gazière, notamment en ce qui concerne les méthodes de récupération du pétrole lourd, je reconnais que la CSS et le SAGD ne sont pas ses principaux domaines d’intérêt. Néanmoins, je suis convaincu qu’il est suffisamment qualifié pour donner les opinions qu’il a exprimées. Le poids à accorder à ces opinions est une autre question, qui sera abordée au moment opportun.

[46] Swist soutient que le Pr Gates ne devrait pas être accepté en tant que témoin expert ou, subsidiairement, que son témoignage ne devrait avoir que peu ou pas de poids. MEG affirme que le Pr Gates n’a pas respecté le Code de déontologie régissant les témoins experts de la Cour [Code de déontologie] et a fait preuve d’un manque de franchise et d’impartialité.

[47] Le Code de déontologie indique qu’un témoin expert « a l’obligation primordiale d’aider la Cour avec impartialité », et qu’un rapport d’expert comprend « tout élément portant sur la relation de l’expert avec les parties à l’instance ou le domaine de son expertise qui pourrait influencer sur son devoir envers la Cour ». Swist affirme que le Pr Gates n’a pas respecté le Code de déontologie en négligeant de divulguer les éléments suivants :

  • a) Le Pr Gates a communiqué avec M. Swist en 2012, avant que la présente action en justice ne soit intentée, pour discuter de simulations relatives au brevet 746, et a reçu des renseignements qui étaient confidentiels à l’époque.

  • b) Le Pr Gates et M. Swist ont discuté des possibilités de commercialisation de l’invention de M. Swist.

  • c) Le Pr Gates n’a donné aucune indication à l’époque qu’il pensait que le brevet 746 contenait des défauts et a au contraire donné une impression positive du brevet, avec des mots d’encouragement tels que [traduction] « félicitations pour les revendications » et [traduction] « ça a l’air bien ».

  • d) Lorsque M. Swist lui a demandé d’intervenir en tant qu’expert dans la présente instance, le Pr Gates a refusé et a déclaré qu’il préférait [traduction] « rester en dehors des joutes juridiques ».

  • e) Le Pr Gates a rencontré M. Swist en personne après le début de la présente instance pour discuter d’une autre invention mise au point par M. Swist en lien avec l’industrie du pétrole et du gaz.

[48] MEG répond que M. Swist n’a pas établi de conflit d’intérêts. Le Pr Gates a déclaré qu’au moment où il a été engagé par MEG, il avait simplement oublié sa collaboration antérieure avec M. Swist. Le projet de recherche dont il a discuté avec M. Swist n’a finalement pas eu lieu. Dans la mesure où les documents que M. Swist a fournis au Pr Gates étaient confidentiels à l’époque, ils ne l’étaient plus lorsqu’il a été demandé au Pr Gates de fournir un témoignage en faveur de MEG dans la présente action en justice.

[49] Le Pr Gates a déclaré dans son témoignage qu’il n’avait pas examiné les documents qui lui avaient été fournis par M. Swist au cours de leur interaction. Il a prononcé des mots d’encouragement uniquement parce qu’il est généralement favorable à ce que les personnes réalisent des choses, et cela ne doit pas être interprété comme une sorte d’aval. Il a refusé de témoigner en faveur de M. Swist dans la présente action en justice parce qu’il était occupé à ce moment-là.

[50] L’omission de divulguer tout aspect de la relation antérieure d’un expert avec une partie à une instance, comme l’exige le Code de déontologie, peut avoir une incidence sur le poids devant être accordé au témoignage de l’expert (Première nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish c Canada (Procureur général), 2012 CF 517 aux para 69‑70). Cependant, la Cour peut choisir d’admettre l’explication d’un expert concernant un oubli (Amgen Inc c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 522 au para 152).

[51] Je suis convaincu que le Pr Gates n’a pas fait un usage abusif de renseignements confidentiels qui lui ont été fournis par M. Swist avant l’ouverture de la présente instance. Il n’y a pas non plus de raison de penser que le Pr Gates nourrit une animosité envers M. Swist. Il est surprenant que le Pr Gates ne se souvenait pas de son interaction antérieure avec M. Swist lorsqu’il a été engagé par MEG, malgré l’échange de messages électroniques, les discussions par téléphone et en personne, et la préparation d’une proposition de recherche. Cependant, ce n’est pas totalement invraisemblable. Le Pr Gates a expliqué qu’il était souvent contacté par des inventeurs en herbe qui souhaitaient obtenir son avis, ses conseils et son aide en matière de recherche.

[52] L’aspect le plus troublant du témoignage du Pr Gates est son compte rendu de la manière dont il a mené sa recherche d’antériorités liées au brevet 746. M. Carey et le Pr Gates, qui ont tous deux témoigné en faveur de MEG, ont tous deux affirmé qu’ils avaient effectué leur propre recherche documentaire, y compris en effectuant personnellement les recherches dans les bases de données de l’United States Patent and Trademark Office (USPTO). Les deux experts ont également déclaré qu’ils n’avaient pas examiné le rapport de l’autre. Cependant, leurs termes de recherche et leurs résultats étaient identiques, y compris le jour où les recherches ont été effectuées.

[53] Dans ses observations finales, l’avocat de MEG a admis que la recherche documentaire avait été effectuée par M. Carey, puis fournie au PrGates par son avocat. Le Pr Gates a apparemment accepté la chaîne de recherche, et a adopté les résultats comme étant les siens.

[54] L’explication de l’avocat concernant les recherches d’antériorités identiques effectuées par M. Carey et le Pr Gates ne constitue pas un élément de preuve. Elle ne peut pas non plus être conciliée avec la déclaration claire du Pr Gates lors de son contre-interrogatoire selon laquelle il a personnellement formulé les termes de recherche qui ont produit les résultats joints à son rapport d’expertise:

[traduction]

Q. Ce que j’essaie de savoir, c’est qui a trouvé la chaîne de recherche, c’est vous?

R. Moi, j’ai proposé cet ensemble de chaînes de recherche.

[55] Swist se plaint également du fait que le Pr Gates a démontré une volonté de défendre MEG plutôt que de témoigner de façon impartiale pour aider la Cour. Il a refusé d’accepter des propositions simples et a préféré se lancer dans des déclarations non pertinentes.

[56] Certains témoins experts ont une fâcheuse tendance à fournir des réponses courtes et directes lors de l’interrogatoire principal et des réponses beaucoup plus longues et moins directes lors du contre-interrogatoire. Si cela n’enlève rien à leur crédibilité, cela peut néanmoins soulever des questions quant à leur impartialité. Les critiques de Swist à l’égard du Pr Gates sont fondées, mais elles s’appliquent également à M. Rao, qui a souvent donné des réponses longues et compliquées en contre-interrogatoire.

[57] Malgré ces réserves, je ne suis pas prêt à rejeter complètement ni à écarter le témoignage d’aucun des témoins qui ont été appelés à témoigner dans la présente instance. Les motifs pour lesquelles je préfère le témoignage de certains témoins à celui d’autres sont expliqués dans l’analyse qui suit.

VIII. Interprétation des revendications

A. Principes juridiques et dates pertinentes

[58] Dans les poursuites en matière de brevet, la première étape consiste à interpréter les revendications pour en dégager le sens et déterminer leur portée (Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67 [Whirlpool] au para 43. Pour interpréter des revendications, la Cour doit examiner les revendications du brevet afin de déterminer ce qui, selon l’inventeur, en constitue les éléments « essentiels ». Ce processus peut s’appuyer sur des témoignages d’expert pour dégager le sens de termes particuliers (Whirlpool, aux para 45 et 57). La date pertinente pour interpréter les revendications est la date de publication de la demande de brevet, soit le 22 novembre 2012 (Whirlpool, aux para 54 et 55)).

[59] Lorsque le libellé du brevet peut avoir plusieurs significations plausibles, la Cour doit l’interpréter de façon raisonnable de manière à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi. Cependant, ce principe ne signifie pas que, dans tous les cas, elle doive retenir une interprétation discutable ayant pour effet de maintenir le brevet (ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co, Ltd, 2015 CAF 181 au para 45). Il n’existe pas de présomption générale d’interprétation en faveur de l’inventeur, mais un brevet ne devrait pas être invalidé à cause d’un détail technique (Seedlings Life Sciences Ventures, LLC c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 1 au para 59.

[60] Les principes fondamentaux de l’interprétation des revendications sont énoncés dans les arrêts de la Cour suprême du Canada Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67 aux para 49 à 55 et Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 (Free World Trust) aux para 44 à 54 : :

  • a) Les termes employés dans les revendications doivent être interprétés de façon éclairée et en fonction de l’objet, dans un esprit désireux de comprendre et selon le point de vue de la personne versée dans l’art [PVA], à la date de la publication, en tenant compte des connaissances générales courantes de la PVA.

  • b) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications. Cela permet d’interpréter la teneur des revendications selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu lui donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objectif de l’inventeur, de sorte à favoriser tant l’équité que la prévisibilité.

  • c) L’ensemble du mémoire descriptif du brevet doit être examiné afin de déterminer la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications doit se faire sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui est raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et le public. L’analyse de la validité est principalement axée sur les revendications; il n’est tenu compte du mémoire descriptif que lorsque les revendications sont ambiguës (AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2017 CSC 36 [AstraZeneca CSC] au para 31)

  • d) L’interprétation des revendications doit être la même qu’il soit question de validité ou de contrefaçon.

B. Personne normalement versée dans l’art [PVA]

[61] Afin d’interpréter les revendications en cause, la Cour doit décrire la PVA. Celle‑ci est dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, mais fait preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans le domaine (Pfizer Canada Inc. c Teva Canada Limited, 2017 CF 777 au para 183). La PVA n’est pas incompétente, elle possède des connaissances de base et une expérience considérable (AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 322 au para 276). Elle n’est pas dépourvue de la capacité de poser des questions raisonnables et logiques et peut faire des déductions fondées sur les renseignements disponibles (Jay-Lor International Inc. c Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358 au para 75 [Jay-Lor], citant Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289 à la p 294 (CAF).

[62] Selon Swist, une PVA détiendrait un baccalauréat en génie pétrolier ou dans une discipline technique connexe, et posséderait trois à cinq ans d’expérience pratique de production à partir de réservoirs d’hydrocarbures. M. Carey porterait à cinq ans l’expérience pratique de la PVA, et insisterait sur l’expérience des procédés de récupération thermique. Le Pr Gates a également décrit la PVA comme une personne titulaire d’un diplôme de premier cycle en génie chimique ou pétrolier possédant cinq ans d’expérience professionnelle dans l’extraction du bitume des sables bitumineux, et une expérience personnelle de l’exploitation de paires de puits de SAGD ou de puits de CSS ainsi qu’une compréhension des deux.

[63] Je suis d’accord avec MEG Energy pour dire que la PVA possède une expérience pratique du SAGD et de la CSS, bien que je ne vois pas pourquoi celle-ci ne pourrait pas être acquise en trois ans plutôt que cinq. J’en conclus donc que la PVA est une personne titulaire d’un diplôme de premier cycle en génie chimique ou pétrolier et possédant trois à cinq ans d’expérience pratique dans le domaine de l’extraction du bitume des sables bitumineux, y compris par l’utilisation du SAGD et de la CSS.

C. Connaissances générales courantes de la PVA

[64] Le brevet doit être interprété en tenant compte des « connaissances générales courantes » des PVA (Free World Trust, au para 44; Whirlpool, au para 53). Il s’agit des connaissances que possède la PVA au moment pertinent et qui comprennent ce que celle-ci aurait raisonnablement dû savoir (Whirlpool, au para 74). Les connaissances générales courantes de la PVA doivent être établies à l’aide d’éléments probants selon la prépondérance des probabilités et ne peuvent être tenues pour acquises (Uponor AB c Heatlink Group Inc., 2016 CF 320 au para 47). Ces connaissances peuvent s’entendre des renseignements présentés comme faisant partie des connaissances de base dans le brevet lui-même (Newco Tank Corp c Canada (Procureur général), 2015 CAF 47 au para 10).

[65] L’évaluation des connaissances générales courantes est régie par les principes énoncés dans Eli Lilly & Co. c Apotex Inc., 2009 CF 991 au para 97 (conf par 2010 CAF 240), et General Tire & Rubber Co. c Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] RPC 457 (UKHL) aux p 482‑483.

  • a) Il faut prendre soin de distinguer les connaissances générales courantesattribuées à la PVA de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques;

  • b) Les connaissances générales courantes sont un concept différent dérivé d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art – le genre d’homme, qui fait bien son travail et qui existerait réellement;

  • c) En règle générale, les mémoires descriptifs de brevets individuels et leur contenu ne font pas partie des connaissances générales courantes, bien qu’il puisse y avoir des mémoires descriptifs si bien connus qu’ils font partie de ces connaissances, particulièrement dans certaines industries;

  • d) Les articles scientifiques deviennent des connaissances générales courantes uniquement lorsqu’ils sont connus de manière générale et acceptés sans hésitation par ceux versés dans l’art particulier; en d’autres mots, lorsqu’ils font partie du lot courant des connaissances se rapportant à l’art.

[66] Swist reconnaît que les connaissances générales courantes englobent les techniques connues de production du pétrole lourd, telles que le SAGD et la CSS. Cependant, Swist nous met en garde contre le fait que tous les éléments du mémoire descriptif du brevet sur lesquels se fonde MEG ne sont pas nécessairement des connaissances générales courantes. Il est incontestable que le brevet américain no 7 556 099 [brevet Arthur], que mentionne le brevet 746, fait partie des connaissances générales courantes de la PVA.

[67] Selon MEG :

[TRADUCTION]

Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art sont largement incontestées : les opinions de M. Rao concordent avec les avis des experts de MEG, avec des ajouts mineurs et sans importance. Ces connaissances comprennent les paires de puits adjacents de SAGD, les puits intercalés entre ces paires de puits, l’utilisation de la CSS et l’injection de fluide dans les puits de production avant leur exploitation en tant que puits de production. M. Rao a aussi admis que : (i) la détermination de l’emplacement des puits en fonction des propriétés du réservoir est « déterminée par les propriétés des puits et éclairée par des simulations. Cela fait partie des connaissances générales courantes »; (ii) « [n]’importe quel puits destiné à devenir un puits de production sera réchauffé, y compris les paires de puits de SAGD avant l’opération de SAGD… Ce sont des connaissances générales courantes »; et (iii) chauffer un puits excentré pendant un certain temps, y compris des jours, des semaines, un mois ou quelques mois, avant de l’exploiter comme puits de production fait partir des connaissances générales courantes [citations omises].

[68] Je conclus donc que les connaissances générales courantes de la PVA englobent l’exploitation des méthodes de SAGD et de CSS pour récupérer le pétrole, y compris les considérations théoriques et pratiques décrites par MEG au paragraphe précédent, et divulguées dans le brevet Arthur.

D. Termes des revendications exigeant une interprétation

[69] L’interprétation des brevets est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher. Un témoignage d’expert est nécessaire seulement si la signification d’un terme ne va pas de soi à la lecture du mémoire descriptif du brevet (Johnson & Johnson Inc c Boston Scientific Ltd, 2008 CF 552 au para 92).

[70] La seule revendication indépendante qui aurait été contrefaite est la revendication 1. Les revendications 2 à 8 sont subordonnées à la revendication 1. Une revendication dépendante incorpore les éléments de la revendication indépendante par renvoi.

[71] J’ai constaté que les preuves d’experts étaient utiles pour interpréter les termes suivants dans les revendications 1 et 2 :

  • [traduction] « paires de puits »

  • [traduction] « troisième puits »

  • [traduction] « zone de mobilité accrue »

  • [traduction] « communication »

  • [traduction] « génère »

  • [traduction] « zone d’appauvrissement »

[72] Voici mon interprétation de ces termes :

(1) [traduction] « paires de puits »

[73] La revendication 1 décrit :

[traduction]

1. Une méthode qui :

prévoit une première paire et une deuxième paire de puits séparées par une première séparation prédéterminée, chaque paire de puits comprenant :

un premier puits dans une structure pétrolifère; et

un deuxième puits à l’intérieur de la structure pétrolifère avec un premier décalage vertical prédéterminé par rapport au premier puits, sensiblement parallèle au premier puits et un premier décalage latéral prédéterminé par rapport au premier puits.

[74] Selon Swist, le premier élément de la revendication 1 décrit le SAGD traditionnel, et la PVA en lisant la revendication 1, sans égards à la contrefaçon ou à la validité, reconnaîtrait facilement la configuration des paires de puits comme le SAGD. À la date considérée, le SAGD était une méthode bien connue et éprouvée qui utilisait expressément une [traduction] « paire de puits » comportant un puits d’injection et un puits de production. En outre, le brevet 746 décrit explicitement son invention comme une modification du SAGD :

[traduction]

[…] l’inventeur a établi que les différences avantageuses de pression peuvent être exploitées pour faire progresser la production des puits de SAGD en augmentant la vitesse des pétroles lourds, que les différences de pression peuvent être exploitées pour ajuster l’évolution des chambres à vapeur formées latéralement entre les puits espacés latéralement pour augmenter le pourcentage de pétrole extrait, et obtenir un SAGD fonctionnant sur des formations de sables bitumineux plus profondes.

[75] Dans son rapport d’expert, le Pr Gates a écrit que la PVA [traduction] « comprendrait que le brevet 746 porte généralement sur une méthode d’utilisation du SAGD avec un puits supplémentaire placé entre deux paires de puits de SAGD ». Il a également indiqué que la PVA [traduction] « comprendrait qu’un fluide est injecté dans chaque puits d’injection et que l’injection de fluide chauffe le bitume entourant le puits d’injection, comme il est communément entendu de le faire dans les opérations de SAGD ». Dans son rapport d’expert, M. Carey a déclaré que la PVA [traduction] « comprendrait que cette utilisation des seconds puits est conforme à l’utilisation d’une paire de puits de SAGD, décrite dans le brevet 746, qui comporte un puits d’injection supérieur (premier puits) et un puits de production inférieur (second puits). »

[76] Dans son témoignage verbal, M. Carey a affiné son opinion pour affirmer que la PVA comprendrait que l’orientation du puits décrite dans la revendication 1 englobe le SAGD, mais ne se limite pas à celui-ci :

[traduction]

[…] il existe d’autres opérations et procédés gravitaires qui utilisent les mêmes paires de puits, la même configuration de paires de puits, mais ils n’utilisent pas de vapeur. Et, par conséquent, ils ne seraient pas classés comme SAGD.

[77] Cependant, selon le rapport d’expert de M. Carey, [traduction] « l’injection de vapeur, d’eau, de dioxyde de carbone, d’azote, de propane ou de méthane, ou d’un mélange de ces fluides par le puits d’injection est un composant connu du SAGD traditionnel ». Le brevet Arthur fait référence à l’utilisation de la vapeur et du gaz naturel comme fluides mobilisateurs dans le SAGD.

[78] MEG note que la revendication 1 prévoit un décalage [traduction] « vertical » et [traduction] « latéral » entre le premier et le deuxième puits, et permet un décalage [traduction] « nul » dans les deux cas. La divulgation du brevet 746 décrit des paires de puits avec un décalage vertical nul (figures 2268 et 2369), et un décalage horizontal nul ou inexistant (figures 7A, 8, 9, 16, 19-21 et 2470), comme étant des réalisations de l’invention.

[79] Dans son témoignage verbal, M. Carey a admis que le SAGD peut être utilisé dans une vaste gamme de configurations différentes, y compris avec le puits de production bien au-dessus du puits d’injection : [traduction] « […] dans l’acception normale de ce terme, oui, le puits inférieur serait le puits de production, mais j’ai vu des brevets […] qui [ont] le puits d’injection au-dessous et le puits de production au-dessus. » Invité à commenter l’invention 4 du rapport Kuru, le Pr Gates a déclaré : [traduction] « Maintenant, le fait est que, dans ce cas, les paires de puits sont… ils ont un décalage vertical nul, et ils ont un décalage horizontal. Donc, vous savez que c’est toujours une paire de puits de SAGD, mais cette fois avec un décalage horizontal nul et un décalage vertical nul comme configuration. »

[80] Le brevet 746 décrit les figures 23A et 23B comme suit :

[traduction]

Les figures 23A et 23B présentent les résultats de simulation d’un procédé de récupération assistée du pétrole par pression selon une réalisation de l’invention avec des paires de puits de SAGD disposés horizontalement et fonctionnant avec des puits d’injection à une pression inférieure à celle des puits intermédiaires disposés latéralement, comme le montre la figure 2.

[81] Je préfère donc la construction de « paires de puits » proposée par Swist. Lu dans son ensemble, le brevet 746 porte sur une modification du SAGD traditionnel qui vise à augmenter le pourcentage de récupération du pétrole et à réduire le temps nécessaire à l’extraction. Les paires de puits décrites dans la revendication 1 sont des paires de puits de SAGD classiques.

(2) [traduction] « troisième puits »

[82] La revendication 1 mentionne que la méthode :

[traduction]

prévoit un troisième puits dans la structure pétrolifère à un endroit prédéterminé entre la première et la deuxième paire de puits;

[83] Une autre référence au [traduction] « troisième puits » apparaît plus loin dans la revendication 1 :

[traduction]

génère une grande zone singulière de mobilité accrue en injectant sélectivement un second fluide dans le troisième puits […]

[84] Dans son rapport d’expert, M. Rao a exprimé l’opinion que le [traduction] « troisième puits » de la revendication 1 [traduction] « n’est pas défini comme ayant d’autres caractéristiques nécessaires autres que le fait de pouvoir être utilisé pour injecter un fluide dans la structure pétrolifère, comme décrit plus loin dans le libellé de la revendication ». Toutefois, dans son témoignage verbal, M. Rao a rejeté la proposition selon laquelle le [traduction] « troisième puits » serait potentiellement un puits de CSS.

[85] Le Pr Gates et M. Carey ont tous deux soutenu que le [traduction] « troisième puits » pourrait en effet être un puits de CSS, car dans la phase initiale de son cycle d’exploitation, un puits de CSS répond à l’exigence de la revendication d’injection de fluide.

[86] Je préfère l’interprétation d’un [traduction] « troisième puits » préconisée par MEG. Il n’y a rien dans la formulation de la revendication 1 qui exige que le troisième puits fonctionne uniquement comme un puits d’injection. Cette limitation n’est pas non plus nécessaire pour donner un sens au libellé de la revendication. Il convient de noter que la revendication 5 du brevet 746, qui est une revendication dépendante, fait explicitement référence à [traduction] « l’exploitation du troisième puits pour extraire le pétrole de la structure pétrolifère », ce qui signifie qu’il serait potentiellement utilisé à la fois comme puits d’injection et comme puits de production.

(3) [traduction] « zone de mobilité accrue »

[87] La revendication 1 décrit ce qui suit :

[traduction]

inclut l’injection sélective d’un premier fluide dans le premier puits de chaque paire de puits selon un premier échéancier prédéterminé dans de premières conditions prédéterminées afin de créer une zone de mobilité accrue au sein de la structure pétrolifère et

génère une grande zone singulière de mobilité accrue en injectant sélectivement un second fluide dans le troisième puits selon un second échéancier prédéterminé dans de secondes conditions prédéterminées, qui est au moins l’une des suivantes : absence de communication ou avant toute communication entre les zones de mobilité accrue.

[88] Selon Swist, une [traduction] « zone de mobilité accrue » est une chambre à vapeur. Swist reconnaît qu’il existe une petite zone au-delà de la chambre à vapeur où le pétrole est plus mobile, ce que Swist caractérise comme [traduction] « seulement une fine “coque” ou “couenne” le long du bord de la chambre à vapeur à l’interface vapeur-pétrole ». Swist soutient que cette interprétation est conforme à l’objectif de l’inventeur, qui est de mettre l’invention en pratique et de produire du pétrole. Inversement, l’adoption d’une interprétation qui prévoit une zone mobile non définie au-delà de la chambre à vapeur ne donne aucune instruction utile à une PVA qui tente de mettre l’invention en pratique.

[89] MEG souligne que la revendication 1 n’utilise pas le terme [traduction] « chambre à vapeur ». MM. Gates et Carey ont estimé que la [traduction] « zone de mobilité accrue » désigne la zone autour des premier et troisième puits où le bitume a été chauffé et mobilisé par l’injection de fluide. Dans son rapport, M. Rao a assimilé la [traduction] « zone de mobilité accrue » à une chambre à vapeur, mais dans son témoignage verbal, il a expliqué que la [traduction] « zone de mobilité accrue est une zone où le pétrole lourd est rendu plus mobile ».

[90] Il semble y avoir peu de divergences entre les positions défendues par les parties. J’en conclus que la [traduction] « zone de mobilité accrue » englobe une chambre à vapeur et la [traduction] « coque » ou [traduction] « couenne » le long de son bord extérieur où le bitume est devenu mobile et s’écoule vers un puits de production.

(4) [traduction] « communication »

[91] La revendication 1 décrit ce qui suit :

[traduction]

génère une grande zone singulière de mobilité accrue en injectant sélectivement un second fluide dans le troisième puits selon un second échéancier prédéterminé dans de secondes conditions prédéterminées, qui est au moins l’une des suivantes : absence de communication ou avant toute communication entre les zones de mobilité accrue.

[92] Swist affirme que le terme [traduction] « communication » dans la revendication 1 fait référence à la fusion des chambres à vapeur. Selon Swist, la PVA, qui connaît bien le SAGD et qui a lu le brevet dans son ensemble, considérerait que la [traduction] « communication des fluides » est le seul type de communication envisagé par la revendication 1. Swist note que la divulgation du brevet 746 ne fait jamais référence à la [traduction] « communication de la pression » ou à la [traduction] « communication thermique », mais utilise le terme [traduction] « communication des fluides ».

[93] Il est incontestable que trois formes distinctes de communication au sein d’un réservoir de pétrole seraient connues de la PVA : la communication par fluide, la communication thermique et la communication par pression. Comme la revendication 1 se réfère à [traduction] « toute communication », MEG soutient que les trois formes de communication sont envisagées.

[94] Swist répond que l’interprétation de [traduction] « toute communication » proposée par MEG n’est pas fondée sur l’objet et conduit à une absurdité. Si l’interprétation de M. Boone et du Pr Gates est admise, dans pratiquement toutes les applications pratiques de l’invention revendiquée dans le brevet 746, la communication se produit presque immédiatement, dans les jours qui suivent une injection. L’adoption de l’interprétation de MEG limiterait effectivement les revendications à un début d’injection dans le troisième puits en même temps que les puits de SAGD, mais ce n’est pas ce que décrivent les revendications.

[95] Je suis d’accord avec Swist, et je conclus que, dans la revendication 1, la [traduction] « communication » désigne la fusion des chambres à vapeur. Dans son rapport d’expert, M. Carey a utilisé indifféremment les termes [traduction] « fusion » et [traduction] « communication ». Le Pr Gates a également fait observer que [traduction] « le troisième puits agit comme un puits d’injection qui est là pour générer une grande zone mobilisée singulière, et l’injection dans ce puits doit se faire avant la fusion des zones mobilisées » (c’est-à-dire la fusion des chambres à vapeur et du bitume mobilisé sur leurs bords extérieurs).

(5) [traduction] « génère »

[96] La revendication 1 mentionne que la méthode :

[traduction]

génère une grande zone singulière de mobilité accrue en injectant sélectivement un second fluide dans le troisième puits selon un second échéancier prédéterminé dans de secondes conditions prédéterminées, qui est au moins l’une des suivantes : absence de communication ou avant toute communication entre les zones de mobilité accrue.

[97] Swist affirme que la PVA comprendrait que le troisième puits et les deux paires de puits fonctionnant ensemble pour générer la grande zone singulière de mobilité accrue. Les zones de mobilité accrue finiront par fusionner, quel que soit le troisième puits. Swist soutient donc que [traduction] « génère » ne peut pas signifier que le troisième puits provoque la fusion, car cela serait redondant : [traduction] « [l]’exploitation d’un troisième puits doit nécessairement faire autre chose que provoquer quelque chose qui se produira de toute façon ». Selon Swist, une interprétation raisonnable de [traduction] « génère » est que le troisième puits doit [traduction] « influencer positivement » la génération d’une grande zone singulière de mobilité accrue.

[98] M. Carey et le Pr Gates ont exprimé l’avis que la PVA comprendrait que l’injection de fluide dans le troisième puits doit provoquer la fusion des zones de mobilité accrue. MEG affirme que, si l’interprétation de Swist du terme [traduction] « génère » est admise, toute quantité minimale d’injection serait suffisante pour enfreindre les revendications affirmées, car elle pourrait [traduction] « influencer positivement » la fusion des chambres à vapeur. En revanche, M. Carey a affirmé dans son rapport d’expert que :

[traduction]

[…] selon les figures du brevet 746, le troisième puits est toujours exploité en continu et pendant une longue période (dix ans pour toutes les simulations sauf dans le cas de la figure 18 où l’on a retardé de cinq ans l’injection). Il n’y a pas d’exemple d’injection à court terme dans le troisième puits. La personne versée dans l’art comprendrait que l’injection doit être continue dans le troisième puits pour provoquer la fusion des zones de mobilité accrue.

[99] Je suis d’accord avec MEG pour dire que le seuil d’[traduction] « influencer positivement » est trop bas, et que [traduction] « génère » implique une relation de cause à effet. Si Swist a raison de dire que, dans la plupart des applications, les chambres à vapeur générées par les paires de puits de SAGD finiront par fusionner, l’objectif de l’invention revendiquée dans le brevet 746 est d’accélérer le procédé et d’améliorer la proportion de pétrole récupéré.

[100] Je conclus donc que l’injection du troisième puits doit avoir un effet matériel et substantiel sur la vitesse de la fusion des chambres à vapeur et leurs dimensions finales. Il n’est pas suffisant que l’injection du troisième puits puisse simplement [traduction] « influencer positivement » le procédé. L’injection du troisième puits doit entraîner la fusion des chambres à vapeur plus tôt que prévu et permettre en fin de compte le fonctionnement du SAGD sur des formations de sables bitumineux plus profondes.

(6) [traduction] « zone d’appauvrissement »

[101] La revendication 2 décrit ce qui suit :

[traduction]

le deuxième échéancier prédéterminé commence l’injection du deuxième fluide dans le troisième puits avant qu’une zone d’appauvrissement résultant de l’injection du premier fluide dans le premier puits de la première paire de puits ne fusionne avec une autre zone d’appauvrissement résultant de l’exploitation simultanée de la deuxième paire de puits disposée en miroir par rapport au troisième puits avec la première paire de puits.

[102] Tous les témoins experts ont de façon générale convenu qu’une [traduction] « zone d’appauvrissement » désigne la zone où le bitume a été drainé et donc épuisé. Selon les termes du M. Boone (dans le contexte de la revendication 1) : [traduction] « une simplification que j’ai eu tendance à utiliser dans le rapport, et qui est couramment utilisée dans l’industrie, et qui provient de M. Butler, est l’hypothèse simplificatrice que la chambre à vapeur coïncide avec la chambre appauvrie. »

[103] M. Carey a expliqué la différence mineure entre une [traduction] « chambre à vapeur » et une [traduction] « zone d’appauvrissement » comme suit :

[traduction]

Elles sont proches. L’une d’entre elles serait celle où se trouve réellement la vapeur. L’autre serait celle où il y a eu suffisamment de vapeur pour qu’un volume important de bitume soit drainé et a donc été épuisé.

[104] Dans la mesure où tout tourne autour de l’interprétation de la « zone d’appauvrissement » dans la revendication 2, j’adopte la définition de M. Carey. Une zone d’appauvrissement est une zone où s’est trouvée suffisamment de vapeur pour qu’un volume important de bitume ait été drainé et a donc été épuisé.

IX. Contrefaçon

A. Principes juridiques

[105] L’article 42 de la Loi sur les brevets accorde au breveté le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention. Un brevet est contrefait par tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au titulaire du brevet (Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 [Monsanto] au para 34).

[106] En vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté de tout dommage que cette contrefaçon lui a fait subir après l’octroi du brevet. Le fardeau de prouver qu’il y a eu contrefaçon incombe à la partie qui l’allègue (Monsanto, au para 29). Le fardeau incombe donc à Swist.

B. Analyse

[107] Swist cherche à prouver la contrefaçon au regard de ce qui suit :

  • a) les méthodes eMSAGP et eMVAPEX décrites par MEG dans ses brevets et dont l’utilisation a été approuvée par l’Alberta Energy Regulator [AER];

  • b) l’activation de troisièmes puits avant une récupération de 30 à 35 % sur toutes les plateformes du réservoir du Christina Lake de MEG;

  • c) l’activation de troisièmes puits dans les trois à quatre ans suivant l’exploitation du SAGD sur toutes les plateformes;

  • d) les simulations informatiques réalisées par M. Walters.

[108] Il ne fait aucun doute que MEG utilise un ensemble de paires de puits de SAGD, chacune comprenant un puits d’injection et un puits de production, avec un troisième puits entre les deux. MEG appelle son troisième puits [traduction] « puits intercalaire ».

[109] MEG injecte de la vapeur, ou une combinaison de vapeur et de méthane, dans les puits d’injection de SAGD selon un échéancier et dans des conditions prédéterminées. Il est communément admis que l’injection dans les puits d’injection SAGD crée une chambre à vapeur et une zone de mobilité accrue au sein de la structure pétrolifère.

[110] Les observations que MEG a remises à l’AER et ses données opérationnelles révèlent les dates de la première activation de ses puits intercalaires, les dates d’injection ultérieures, les dates de production, les volumes, les pressions et les taux de chacun de ses puits à Christina Lake. Les méthodes de MEG sont également décrites dans les brevets 704 et 159.

[111] La revendication 1 du brevet 746 exige l’injection dans le troisième puits avant la communication entre les chambres à vapeur adjacentes. La revendication 2 exige une injection dans le troisième puits avant la fusion des zones d’appauvrissement adjacentes. Dans la pratique, les chambres à vapeur et les zones d’appauvrissement sont presque interchangeables. Si les chambres à vapeur n’ont pas fusionné, les zones d’appauvrissement n’ont pas fusionné.

[112] Le réservoir de Christina Lake est constitué de plusieurs ensembles, ou matrices, de paires de puits de SAGD que MEG appelle [traduction] « plateformes de puits ». Swist affirme que MEG injecte de la vapeur dans ses puits intercalaires à un stade précoce. À de rares exceptions près, MEG active chacun de ses puits intercalaires à la plateforme V avant la fusion des chambres à vapeur adjacentes ou des zones d’appauvrissement.

[113] Swist s’appuie sur les observations que MEG a données à l’AER en novembre 2012, qui comprennent la déclaration suivante :

[traduction]

[…] Pour une épaisseur de réservoir typique de 20 m dans la région du Christina Lake de MEG, la chambre aurait atteint en grande partie le sommet des zones où un SAGD peut être effectué avec une récupération de 30 à 35 % (ce qui correspond à trois à quatre ans d’utilisation du SAGD) et serait sur le point de contacter les chambres à vapeur voisines.

[114] Selon Swist, les données opérationnelles de MEG confirment que 76 de ses puits intercalaires ont été activés avant que 30 % du pétrole ait été récupéré, et 92 de ses puits intercalaires ont été activés avant une récupération de 35 %. En outre, le Pr Gates a concédé que l’injection dans un troisième puits alors que 0 % du pétrole avait été récupéré constituerait nécessairement une injection avant la fusion des chambres à vapeur. Au minimum, l’activation des puits intercalaires s’est produite sur un puits de la plateforme V (V3P) avant la fusion, parce que l’injection du puits intercalaire adjacent a commencé à 0 % de récupération de pétrole.

[115] En se basant sur l’observation que MEG a faite à l’AER selon laquelle les chambres à vapeur du SAGD sont généralement au [traduction] « bord » de la fusion après [traduction] « trois à quatre ans d’exploitation du SAGD », Swist déclare qu’une période de 48 mois est une estimation raisonnable du temps nécessaire pour la fusion des chambres à vapeur. Les données opérationnelles de MEG confirment que la grande majorité (95 sur 111) de ses puits intercalaires ont été activés dans les 48 mois suivant le début des opérations de SAGD, c’est-à-dire avant la fusion des chambres à vapeur.

[116] Le brevet 704 (eMSAGP) et le brevet 159 (eMVAPEX) indiquent également que MEG active ses puits intercalaires avant la fusion des chambres à vapeur SAGD adjacentes. C’est l’une des façons dont MEG a distingué ses inventions de l’art antérieur. Le brevet 704 indique à la page 6 :

[traduction]

Il n’est pas nécessaire que les chambres à vapeur 55, 65, ou les « zones mobilisées » dans la terminologie [du brevet Arthur], se fusionnent avant de commencer les opérations supplémentaires au puits de production 70, selon le critère de la chaleur stockée utilisé ici. À cet égard, le procédé actuel diffère de celui décrit dans [le brevet Arthur].

[117] La page 5 du brevet 159 contient un énoncé similaire.

[118] Les simulations informatiques de la plateforme V de M. Walters démontrent que MEG entame l’injection par ses puits intercalaires avant la fusion des chambres à vapeur SAGD adjacentes. Selon Swist, M. Walters a posé des hypothèses prudentes sur les propriétés des réservoirs, telles que la perméabilité et la porosité, qui tendraient à favoriser MEG.

[119] MEG objecte que M. Rao et M. Walters n’ont pris en compte que le fonctionnement des puits intercalaires de MEG à la plateforme V. Bien que les deux experts aient eu accès à d’autres données, ni l’un ni l’autre n’a modélisé une autre plateforme de puits ni examiné le volume ou la durée de l’injection de vapeur dans tous les puits intercalaires de MEG.

[120] MEG s’oppose également à ce que Swist s’appuie sur les brevets 704 et 159, et affirme que la contrefaçon ne peut reposer sur le libellé des brevets, mais doit être établie à partir de données provenant d’exploitations réelles. MEG affirme que ses opérations, y compris le moment de l’injection, diffèrent d’un puits à l’autre et doivent être analysées sur cette base.

[121] En outre, MEG conteste l’exactitude de la modélisation de M. Walters pour de nombreuses raisons techniques, résumées comme suit par M. Boone dans son rapport d’expert :

  • a) les hypothèses du modèle ne sont pas « prudentes »;

  • b) le modèle n’est pas propre au réservoir et il est trop simple pour représenter l’hétérogénéité et les résultats du monde réel;

  • c) les variables utilisées à l’entrée du modèle ne sont pas les mêmes que celles du réservoir de MEG;

  • d) les données issues du modèle diffèrent sensiblement des données d’observation des puits de MEG

  • e) les données utilisées pour trouver les chambres à vapeur sont incorrectes, et les chiffres ne sont pas correctement interprétés pour indiquer les zones mobilisées.

[122] Swist note que les simulations de M. Walters sont les seules qui ont été présentées à la Cour, et reproche à MEG de « critiquer depuis les gradins » au lieu d’attaquer de front ses données expérimentales (citant Astrazeneca CF, au para 298). Swist soutient que MEG aurait pu fournir à la Cour sa propre modélisation, mais a choisi de ne pas le faire.

[123] Swist demande à la Cour de tirer une conclusion défavorable de l’omission de MEG de fournir une modélisation pour contredire les simulations informatiques réalisées par M. Walters. Swist déclare qu’une conclusion défavorable est possible sur le plan du droit (citant Dow Chemical Company c Nova Chemicals Corporation, 2014 CF 844 aux para 116 et 218), et également en raison de la divulgation tardive par MEG de données relatives à certains modèles informatiques que MEG a réalisés à l’interne pour soutenir ses demandes de brevet et ses observations faites à l’AER.

[124] Le présent procès a débuté le 19 juillet 2020, mais a été ajourné de manière inattendue le 29 juillet 2020 à la suite de la révélation par MEG que certains fichiers de données relatifs à sa modélisation interne n’avaient été découverts que récemment. Le 28 août 2020, Swist a informé la Cour qu’elle était prête à poursuivre. Le procès a repris le 15 septembre 2020. Aucune des données divulguées tardivement n’a été déposée en preuve, et l’on ne sait pas quelle pertinence (s’il y en avait) elles auraient pu avoir dans la présente instance.

[125] M. Yee a expliqué les circonstances qui ont mené à la divulgation tardive, qui résultent du départ d’un des employés de MEG pour des raisons de santé et de l’omission de MEG de rechercher des documents pertinents dans l’ordinateur personnel de ce dernier. M. Yee a également expliqué que MEG a réalisé une modélisation à l’interne pendant une période d’environ un mois à l’appui de ses demandes de brevet et de ses observations faites à l’AER, mais qu’elle a trouvé la modélisation peu fiable en pratique et ne l’a pas utilisée pour développer le réservoir de Christina Lake.

[126] En réponse aux affirmations de Swist concernant le moment de l’injection dans des puits intercalaires spécifiques à la plateforme V, MEG soutient que l’injection n’a lieu qu’après la communication entre les zones adjacentes de mobilité accrue. Cependant, cet argument est fondé sur l’interprétation proposée par MEG des mots [traduction] « toute communication » dans la revendication 1 du brevet 746 pour englober les trois types de communication qui seraient connus de la PVA : communication par pression, thermique et par fluide. Puisque j’ai rejeté cette interprétation ci-dessus, cette défense contre les allégations de contrefaçon de Swist doit échouer.

[127] Compte tenu des méthodes eMSAGP et eMVAPEX décrites par MEG dans ses brevets et ses observations présentées à l’AER, de l’activation de certains puits intercalaires avant une récupération de 30 % à 35 %, et de l’activation de certains puits intercalaires dans les trois à quatre ans suivant l’exploitation du SAGD, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’injection dans ces puits intercalaires se fait avant la communication entre les zones adjacentes de mobilité accrue, et avant la fusion des zones d’appauvrissement adjacentes. Cette conclusion est étayée par les simulations informatiques de M. Walters, bien qu’elle n’en dépende pas.

[128] Je n’ai pas jugé nécessaire ni approprié de tirer une conclusion défavorable à l’encontre de MEG sur le fondement du droit ou de sa divulgation tardive de certains fichiers de données. Ma conclusion selon laquelle l’injection dans les puits intercalaires de MEG se fait avant la fusion des chambres à vapeur adjacentes est suffisamment étayée par les données d’exploitation de MEG.

[129] Toutefois, je ne suis pas convaincu que Swist ait établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’injection précoce des puits intercalaires spécifiés a pour effet de [traduction] « générer une grande zone singulière de mobilité accrue ».

[130] S’appuyant sur la modélisation de M. Walters, M. Rao a estimé que l’injection de MEG dans les puits intercalaires [traduction] « influence la vitesse et la forme du développement de la chambre à vapeur », et que [traduction] « le temps de latence pour la fusion des chambres à vapeur dans le cas de base [c’est-à-dire le SAGD “classique”] était environ d’un à huit mois plus long que dans la simulation avec des puits d’injection intermédiaires » (à l’exception des puits V3N et V4N, que M. Rao a considérés comme anormaux). M. Rao a également fait observer que la modélisation de M. Walters était conforme aux déclarations de MEG à l’AER concernant le développement des chambres à vapeur.

[131] Selon Swist, c’est une question de science fondamentale que d’injecter de la vapeur dans un réservoir pour chauffer le bitume et augmenter sa mobilité. Lorsque du fluide est ajouté ou retiré du réservoir, il affecte les gradients de pression dans le réservoir, ce qui a une influence. En fin de compte, le but de l’injection est de réchauffer le pétrole pour qu’il devienne plus mobile. Rendre le pétrole plus mobile aura une influence positive sur le développement des paires de puits de SAGD adjacents dans le même réservoir.

[132] Dans mon analyse de l’interprétation des revendications, j’ai conclu que le seuil [traduction] « influencer positivement » est trop bas. Le terme [traduction] « génère » nécessite un lien de causalité entre l’injection du troisième puits et la fusion des chambres à vapeur adjacentes plus tôt que ce ne serait le cas autrement, ce qui permet en fin de compte d’exploiter le SAGD sur des formations de sables bitumineux plus profondes.

[133] M. Boone a déclaré lors de son témoignage que MEG n’injecte pas assez de fluide, ou pendant une durée suffisante, pour [traduction] « générer » une grande zone singulière de mobilité accrue. M. Boone a calculé le nombre de jours et la quantité injectée dans chacun des puits intercalaires de MEG, ainsi que le rayon de la zone chauffée qui serait formée autour de chacun de ces puits par injection. Il a conclu que le rayon de la zone chauffée moyenne qui se formerait autour des puits intercalaires de MEG serait d’environ trois mètres, démontrant ainsi que l’injection dans le puits intercalaire ne générerait pas une grande zone singulière. Cette conclusion n’a pas été contestée lors du contre-interrogatoire.

[134] M. Boone a également fait observer que les simulations mentionnées dans le brevet 746 montrent une injection continue pendant une période pouvant aller jusqu’à 10 ans dans des volumes d’[traduction] « environ 290 000 m3 », ce qui est [traduction] « plusieurs ordres de grandeur supérieurs » à que ce qui se produit lorsque MEG exploite ses puits intercalaires à Christina Lake. Le Pr Gates a convenu que l’injection de MEG dans les puits intercalaires ne serait pas suffisante pour générer une grande zone singulière de mobilité accrue, en partie parce que l’injection de fluide est entrecoupée de périodes de production qui empêchent la formation d’une chambre à vapeur autour du puits intercalaire. M. Gates a confirmé que les volumes d’injection de MEG représentent [traduction] « cinq à dix pour cent » des volumes des simulations référencées dans le brevet 746, et sont donc de petites quantités.

[135] La preuve présentée en l’espèce démontre que MEG injecte une quantité limitée de vapeur dans ses puits intercalaires souvent de manière cyclique pendant quelques jours, semaines ou mois, afin de chauffer le puits et la région voisine. Le puits intercalaire est ensuite utilisé pendant de nombreuses années pour la production. En effet, les données de simulation de M. Walters montrent que les puits intercalaires de la plateforme V de MEG sont principalement utilisés pour la production, entrecoupés de cycles d’injection beaucoup plus courts. Selon M. Gates, l’injection précoce du puits intercalaire ne sert qu’à stimuler le puits, ou à le réchauffer :

[traduction]

La quantité de vapeur qui est injectée est très faible, pendant une courte durée, et vous savez, elle sert vraiment à réchauffer le puits depuis la surface jusqu’au réservoir et à réchauffer la région voisine du puits. Le but n’est pas d’injecter de la vapeur dans le réservoir, mais simplement de stimuler le puits pour le réchauffer afin qu’il puisse continuer à produire. Et il faut peut-être quelques‑unes de ces stimulations pour y parvenir, mais c’est là le but, c’est de mettre le puits en production.

[136] Se référant à la revendication 5, qui décrit le troisième puits fonctionnant en tant que puits de production, Swist affirme que cela n’aurait pas d’effet négatif sur la création d’une grande zone singulière de mobilité accrue. Le Pr Gates a accepté cette proposition. Cependant, Swist affirme également que le fait d’aspirer du fluide vers le puits intercalaire à partir des paires de puits de SAGD adjacents doit entraîner une fusion plus précoce des chambres à vapeur que s’il n’y avait pas de puits intercalaires. Cette prémisse n’est pas étayée par la preuve.

[137] Par conséquent, je conclus que l’usage par MEG de l’eMSAGP et de l’eMVAPEX à Christina Lake ne constitue pas une contrefaçon des revendications spécifiées du brevet 746.

X. Validité

[138] Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets prévoit que le brevet est, sauf preuve contraire, présumé valide. Il incombe à la partie qui fait valoir l’invalidité de la prouver selon la prépondérance des probabilités. Le fardeau incombe donc à MEG.

[139] MEG conteste la validité des revendications 1 à 8 du brevet 746 pour quatre motifs distincts : l’antériorité, l’évidence, l’inutilité, et la portée excessive.

A. Antériorité

(1) Principes juridiques

[140] En vertu de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, une revendication de brevet est invalide pour cause d’antériorité si l’objet défini par la revendication a fait l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, si le breveté l’a communiqué de façon directe ou autrement (alinéa 28.2(1)a)) ou si, à tout moment avant la date de la revendication, il a fait l’objet d’une communication par une autre personne (alinéa 28.2(1)b)) et qu’il était réalisable aux yeux d’une PVA (Eli Lilly Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 125 au para 145). La divulgation ne doit pas nécessairement consister en une description exacte de l’objet de la revendication, mais doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une PVA désireuse de comprendre l’invention, elle puisse être comprise sans trop de difficultés (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi] au para 25).

[141] Si l’exigence de divulgation est respectée, la deuxième exigence visant à prouver l’antériorité est le caractère réalisable, c’est-à-dire la question de savoir si la PVA aurait été en mesure de réaliser l’invention. Si l’expérimentation par essais successifs est exclue à l’étape de la divulgation, elle ne l’est pas à celle du caractère réalisable. Aux fins de l’établissement du caractère réalisable, la question n’est plus de savoir si la PVA saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention (Sanofi, au para 27).

[142] MEG affirme que les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont antériorisées par un ou plusieurs des brevets suivants :

  • a) Brevet Arthur;

  • b) Brevet américain US 5,283,111 [brevet Brannan];

  • c) Brevet américain US 6,257,334 [brevet Cyr];

  • d) Demande de brevet américain US 2009/0288872) [brevet Coskuner];

  • e) Brevet américain US 5,318,124 [brevet Ong].

[143] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont antériorisées, séparément et individuellement, par le brevet Arthur, le brevet Brannan et le brevet Cyr.

(2) Brevet Arthur

[144] Le brevet Arthur est daté du 7 juillet 2009 et appartient à Encana Corporation (maintenant Ovintiv Inc.). Le brevet 746 reconnaît que le brevet Arthur constitue une antériorité.

[145] MEG indique que l’orientation et les fonctions revendiquées des puits (c’est-à-dire l’injection de fluide dans le « premier » et le « troisième » puits) sont divulguées par le brevet Arthur. M. Rao a concédé que le brevet Arthur divulgue des paires de puits de SAGD adjacents avec un puits d’injection entre eux, et que l’injection au niveau des puits d’injection supérieurs de chaque paire de puits de SAGD adjacents crée une première et une deuxième zone mobilisée.

[146] Voici la figure 3 du brevet Arthur :

[147] Voici la figure 7A du brevet 746 :

[148] Swist cherche à distinguer le brevet Arthur du brevet 746 en se basant sur le moment de l’injection de vapeur dans le troisième puits. Le brevet 746 précise que cela doit se faire avant toute communication entre les zones mobilisées adjacentes, alors que le brevet Arthur enseigne le contraire. Le brevet Arthur indique que l’injection par le troisième puits ne devrait avoir lieu qu’après la fusion des zones mobilisées générées par les paires de puits de SAGD adjacents.

[149] Selon Swist, le brevet Arthur vise à récupérer les hydrocarbures non extraits par un procédé de récupération par gravité (c’est-à-dire le SAGD).Swist estime qu’il ne peut y avoir de région « contournée » tant que les chambres à vapeur adjacentes ne se sont pas fusionnées.

[150] Swist soutient donc que l’invention revendiquée par le brevet Arthur est différente de celle du brevet 746 et qu’elle ne constitue donc pas une antériorité. Swist note que le critère de l’antériorité est élevé, et cite l’arrêt Sanofi au paragraphe 21 pour affirmer ceci : [traduction] « Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté. » Toutefois, comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada au paragraphe 23 de ce même arrêt, cela exagère la rigueur du critère de l’antériorité. Il n’est pas nécessaire que l’« invention exacte » ait été réalisée et rendue publique. L’exigence de divulgation antérieure signifie seulement que le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (Sanofi, au para 25).

[151] Le fait que les antériorités nous « éloignent » de l’enseignement d’un brevet contesté, bien que potentiellement pertinent pour une allégation d’évidence, n’est pas pertinent pour l’analyse de l’antériorité. Le fait qu’un document de l’art antérieur divulgue des formulations qui ne contrefont pas un brevet, ainsi que des formulations qui le contrefont, n’est pas un facteur pertinent pour évaluer l’antériorité (Aux Sable Liquid Products LP c JL Energy Transportation Inc, 2019 CF 581 [Aux Sable] aux para 97 et 98, citant Schering-Plough Canada Inc c Pharmascience Inc, 2009 CF 1128; voir aussi Valence Technology, Inc c Phostech Lithium Inc, 2011 CF 174 au para 228).

[152] Une distinction similaire peut être trouvée dans la jurisprudence américaine. Par exemple, dans Allergan, Inc c Apotex Inc, 754 F (3d) pages 952 à 959 (cir féd 2014), la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral a conclu que [traduction] « […] même si le document divulgue l’option dans un contexte de “dénigrement” ou d’“éloignement”, nous n’examinons pas ces questions dans le contexte d’une analyse de l’antériorité ».

[153] Le brevet Arthur décrit l’invention comme suit (colonne 3) :

[traduction]

Au moins un puits, appelé dans sa réalisation singulière le « puits intercalaire », est complété dans un intervalle de complétion dans la région contournée où les hydrocarbures n’ont pas été extraits par un procédé de récupération par gravité, et par conséquent mobilisant les hydrocarbures dans ces régions contournées de telle sorte que le puits intercalaire entre en communication hydraulique avec les modèles adjacents contrôlés par gravité et reste en communication avec ces derniers. Le moment de l’activation du puits intercalaire est tel que les paires de puits adjacents doivent d’abord fonctionner pendant un temps assez long pour garantir que les zones mobilisées environnantes ont fusionné afin de former une seule entité hydraulique, après quoi le puits intercalaire peut être utilisé de manière à accéder à cette entité. [Non souligné dans l’original.]

[154] Le brevet Arthur reconnaît toutefois que l’activation du troisième puits peut avoir lieu à un [TRADUCTION] « stade nettement plus précoce » (dans la colonne 5) :

[traduction]

Le moment du début des opérations au puits intercalaire 210 peut être dicté par des considérations économiques ou des préférences opérationnelles. Ainsi, dans certaines circonstances, il peut être approprié de commencer l’exploitation du puits intercalaire 210 après que les paires de puits adjacents 100 soient à la fin ou proches de la fin de ce qui serait leur vie économique si aucune autre mesure n’était prise. Dans d’autres circonstances, cependant, il peut être conseillé de commencer l’exploitation du puits intercalaire 210 à un stade nettement plus précoce de la vie des paires de puits adjacents 100.

[155] Swist souligne le texte suivant dans la description de son invention dans le brevet Arthur (dans la colonne 5) :

[traduction]

Toutefois, une caractéristique essentielle de la présente invention est que la liaison ou la communication des fluides entre le puits intercalaire 210 et la zone mobilisée commune 190 doit attendre la fusion de la première zone mobilisée 110 et de la deuxième zone mobilisée 150 (qui forme la zone mobilisée commune 190).

[156] Mais cela est nuancé par les déclarations suivantes (dans la colonne 6) :

[traduction]

Si le puits intercalaire 210 est activé trop tôt par rapport à la phase d’appauvrissement des paires de puits adjacents fonctionnant selon un procédé contrôlé par la gravité, le puits intercalaire 210, bien qu’il puisse être capable d’une certaine production, ne partagera pas nécessairement les avantages d’un puits de production dans un procédé contrôlé par la gravité. En d’autres termes, l’activation prématurée d’un puits intercalaire peut empêcher ou inhiber la communication hydraulique, ou peut entraîner une communication dans laquelle l’écoulement depuis les paires de puits adjacents vers le puits intercalaire est dû à un mécanisme de déplacement plutôt qu’à un mécanisme de contrôle de la gravité. Dans la mesure où un mécanisme de déplacement fonctionne au détriment d’un mécanisme de contrôle de la gravité, l’efficacité de la récupération sera compromise de manière correspondante si le puits intercalaire 210 est converti d’un puits d’injection en un puits de production avant que la zone mobilisée commune 190 ne soit établie. [Non souligné dans l’original.]

[157] Le brevet Arthur décrit l’injection tardive du puits intercalaire comme [traduction] « préférable », mais il envisage également que l’activation du troisième puits puisse avoir lieu [traduction] « avant que la zone commune mobilisée […] ne soit établie ». Le brevet Arthur met en garde contre le fait que [traduction] « l’activation prématurée d’un puits intercalaire peut empêcher ou inhiber la communication hydraulique ». Empêcher ou inhiber la communication hydraulique implique nécessairement l’activation du troisième puits avant la communication.

[158] Le brevet Arthur explique l’effet négatif d’une injection précoce sur la récupération. MEG affirme que cela est conforme aux résultats du rapport Kuru, dont certains éléments apparaissent dans le brevet 746. L’invention 1 du rapport Kuru n’a montré aucune amélioration de la récupération du bitume à moins qu’il y ait une différence de pression entre le puits d’injection et le puits intercalaire. L’invention 4 du rapport Kuru a simulé une réalisation de l’invention avec un décalage vertical nul. M. Rao a qualifié les résultats de l’invention 4 comme étant [traduction] « affreux ».

[159] Le brevet Arthur divulgue tous les éléments essentiels de la revendication 1 : deux paires de puits de SAGD, couplées à un troisième puits pour aider à générer une grande zone singulière de mobilité accrue. L’activation du troisième puits a lieu de préférence après la fusion des chambres à vapeur adjacentes, mais elle peut avoir lieu à un stade nettement plus précoce, notamment [traduction] « avant que la zone mobilisée commune […] ne soit établie. » La mise en pratique de la méthode divulguée par le brevet Arthur avant la mise en place de la zone mobilisée commune constituerait une contrefaçon du brevet 746, et crée donc une antériorité.

[160] Dans leurs rapports d’expert, M. Carey et le Pr Gates ont tous deux déclaré que le brevet Arthur divulgue les éléments essentiels des revendications qui dépendent de la revendication 1, y compris le fluide de la revendication 3, la différence de pression de la revendication 4 et les alternatives de la revendication 5. Plus précisément, la revendication 4 exige que [traduction] « l’injection dans le troisième puits soit faite à une pression plus élevée que l’injection dans les premiers puits de chaque paire de puits », ce qui est divulgué comme une méthode préférable d’exploitation du troisième puits dans le brevet Arthur. Les experts de MEG n’ont pas été contre-interrogés sur ces opinions.

[161] Il n’est pas contesté que la divulgation du brevet Arthur permet la réalisation de l’invention. Le brevet Arthur antériorise donc la revendication 1 du brevet 746 et ses revendications dépendantes.

(3) Brevet Brannan

[162] Le brevet Brannan est daté du 28 décembre 1993 et appartient à Amoco Corporation (aujourd’hui British Petroleum). MEG soutient que le brevet Brannan divulgue l’orientation des puits décrite dans la revendication 1 du brevet 746 : des paires de puits adjacents (2a-4a et 2c-4b) avec un puits d’injection entre eux (2b). Voici la figure 1 du brevet Brannan :

[163] La figure 1 du brevet Brannan est la même que la figure 6 du brevet 746, mais avec des étiquettes différentes. Voici la figure 6 du brevet 746 :

[164] MEG déclare que le brevet Brannan divulgue également les fonctions revendiquées des puits : injection de vapeur dans les premiers puits (2a et 2c) et dans le troisième puits (2b). L’injection dans le troisième puits (2b) est nécessairement préalable à [traduction] « toute communication » entre les zones adjacentes de mobilité accrue, car l’injection de fluide commence en même temps que dans les puits 2a et 2c. Cette injection est continue et contribue à générer une grande zone singulière de mobilité accrue.

[165] Swist répond que la configuration des puits décrite dans le brevet Brannan diffère de celle revendiquée par le brevet 746, principalement en raison de l’espacement. Le brevet Brannan fait référence à un [traduction] « ensemble fonctionnel » largement espacé, avec deux puits d’injection près du sommet d’un réservoir qui sont utilisés pour pousser le fluide vers un seul puits de production au fond du réservoir. Le brevet Brannan distingue le SAGD ([traduction] « une paire de puits horizontaux étroitement espacés, l’un aligné verticalement sur l’autre ») de sa [traduction] « présente invention » (un modèle de [traduction] « puits horizontal de production inférieur latéralement et verticalement espacé du puits horizontal d’injection supérieur »). La seule réalisation privilégiée du brevet Brannan indique de grandes séparations entre les puits d’injection et de production (18 mètres à la verticale, 162 mètres à l’horizontale), qui peuvent être mises en contraste grâce à des paires de puits d’injection et de production typiques du SAGD (5 à 10 mètres à la verticale, alignés horizontalement).

[166] Swist soutient donc que le brevet Brannan n’indique pas l’utilisation de paires de puits de SAGD ni d’un troisième puits ni de [traduction] « secondes conditions prédéterminées » pour l’exploitation de l’un de ses puits d’injection. Swist note que M. Carey n’a pas invoqué le brevet Brannan comme antériorité.

[167] Je suis d’accord avec Swist pour dire que le brevet Brannan distingue son invention revendiquée du SAGD, principalement en raison du grand espacement entre les puits d’injection et le puits de production (dans la colonne 6) :

[traduction]

Chaque puits horizontal inférieur 4 est espacé d’une distance de chacun des puits horizontaux supérieurs 2 qui lui sont respectivement associés (par exemple, le puits inférieur 4a par rapport à chacun des puits supérieurs 2a, 2b) pour permettre la communication des fluides, et donc l’entraînement des fluides, entre les deux puits supérieurs et inférieurs respectifs. De préférence, cet espacement est le maximum de cette distance, ce qui minimise le nombre de puits horizontaux nécessaires pour épuiser la formation où ils sont situés et donc les coûts de formation et d’exploitation des puits horizontaux. L’espacement entre les puits d’un ensemble est fait pour améliorer l’efficacité du balayage et la largeur d’une chambre formée par le fluide injecté grâce à la mise en œuvre de la méthode de la présente invention.

[168] Cependant, le brevet Brannan continue en disant :

[traduction]

La présente invention n’est pas limitée à des dimensions précises, car les distances d’espacement absolues dépendent de la nature de la formation dans laquelle les puits sont forés; toutefois, à titre d’exemple uniquement, dans une formation contenant du pétrole ayant une gravité API comprise entre 8 et 12 environ, il est envisagé qu’un espacement vertical approprié entre les puits 24 et le puits 4a, par exemple, pourrait être de 18 mètres et un espacement horizontal approprié de 162 mètres.

[169] Comme indiqué ci-dessus, le SAGD peut être effectué dans diverses configurations, notamment avec des paires de puits dont le décalage est horizontal plutôt que vertical. Le brevet Brannan précise que son invention n’est pas limitée à des dimensions précises, et décrit la figure 1, qui est la même que la figure 6 du brevet 746, comme [traduction] « une vue schématique en perspective d’un ensemble de puits horizontaux définis pour être utilisés dans la méthode de la présente invention. »

[170] Le puits identifié comme puits 2b dans la figure 1 du brevet Brannan est positionné et est capable de fonctionner comme le « troisième puits » décrit dans la revendication 1 du brevet 746. Aucun des experts, y compris M. Rao, n’a interprété les conditions d’injection comme exigeant une différence entre les conditions (par exemple la vapeur, l’échéancier des opérations) utilisées aux premiers puits ou aux troisièmes puits.

[171] Les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 746 sont tous divulgués par le brevet Brannan. La figure 1 du brevet Brannan est la même que la réalisation décrite dans la figure 6 du brevet 746. Les deux figures peuvent être lues comme représentant des paires de puits de SAGD, couplés à un puits d’injection supplémentaire qui est utilisé pour produire du pétrole plus rapidement et plus efficacement.

[172] La divulgation par le brevet Brannan d’un seul mode de réalisation visé par la revendication détruit la nouveauté de cette revendication (Baker Petrolite Corp c Canwell Enviro‑Industries Ltd, 2002 CAF 158 au para 42). La divulgation antérieure d’un élément se situant dans une plage prescrite par un brevet a un caractère d’antériorité (Aux Sable, au para 90).

[173] Il n’est pas contesté que la divulgation du brevet Brannan permet la réalisation de l’invention. Le Pr Gates a déclaré dans son rapport d’expertise que le brevet Brannan antériorise les revendications 1 à 3, 5 à 6 et 8. Il n’a pas été contre-interrogé sur ces opinions. Je conclus donc que le brevet Brannan antériorise ces revendications du brevet 746.

(4) Brevet Cyr

[174] Le brevet Cyr est daté du 10 juillet 2001 et est détenu par l’Alberta Oil Sands Technology and Research Authority. Il divulgue une seule paire de puits de SAGD avec un puits de CSS décalé. Le brevet Cyr décrit une [traduction] « procédure par étapes » avec l’ajout d’une paire de puits de SAGD supplémentaire et d’un puits de CSS décalé, la configuration étant répétée dans tout un réservoir.

[175] M. Gates a fourni l’illustration suivante de la configuration des puits dans la procédure par étapes :

SAGD Injector

Puits d’injection du SAGD

SAGD Producer

Puits de production du SAGD

Infill/CSS Well – steam injection

Puits intercalaire de la CSS – injection de vapeur

Infill/CSS Well – production

Puis intercalaire de la CSS – production

Heated or mobilised région

Région chauffée ou de mobilisation

Steam filled region

Région remplie de vapeur

[176] Le MEG fait valoir que la procédure par étapes envisagée par le brevet Cyr révèle la même orientation des puits que celle décrite dans les revendications du brevet 746, c’est-à-dire que des puits de SAGD adjacents se couplent avec un troisième puits intermédiaire. Le fonctionnement des puits décrits dans la revendication 1 du brevet 746 est également divulgué : de la vapeur est injectée dans les premiers puits et le troisième puits; l’injection de vapeur dans le troisième puits se produit avant [traduction] « toute communication » entre les zones mobilisées adjacentes (parce que la deuxième paire de puits de SAGD est ajoutée plus tard); et l’injection de vapeur dans le troisième puits génère une grande zone singulière de mobilité accrue.

[177] Selon MEG, les éléments essentiels des revendications dépendantes sont également divulgués. Le brevet Cyr divulgue le fluide de la revendication 3 (vapeur), la différence de pression de la revendication 4 et la différence de pression « substantielle » de la revendication 5.

[178] Swist distingue le brevet Cyr du brevet 746 en se basant sur le fait que le premier n’enseigne pas l’utilisation d’une seconde paire de puits adjacents, ou l’injection précoce au puits excentré pour « encourager » la fusion des zones adjacentes de mobilité accrue. Toutefois, M. Rao a concédé en contre-interrogatoire que la procédure par étapes décrite par le brevet Cyr produit effectivement un puits de CSS entre des paires de puits de SAGD adjacents [traduction] « dans un sens architectural ». Selon mon interprétation de la revendication ci‑dessus, un puits de CSS répond au critère du troisième puits décrit dans le brevet 746, car il est capable d’injection.

[179] L’ajout d’une autre paire de puits de SAGD dans le brevet Cyr est nécessairement préalable à toute communication entre les paires de puits de SAGD adjacents, car elle n’est ajoutée qu’une fois que les paires de puits de SAGD et les puits de CSS décalés initiaux sont opérationnels. M. Rao a reconnu que les chambres à vapeur générées par la paire de puits de SAGD initiale et le puits de CSS décalé auraient déjà fusionné lorsque la paire de puits de SAGD supplémentaire est ajoutée.

[180] Il est vrai que les paires de puits de SAGD adjacents ne sont pas présentes au début des opérations. Cependant, rien dans le brevet 746 n’exige que tous les puits soient présents dès le départ. Dans la procédure par étapes, un fluide est injecté dans le puits de CSS avant toute communication entre les zones adjacentes de mobilité accrue. MEG affirme que la fusion d’une partie avant l’autre n’est pas pertinente, et qu’elle serait même attendue dans un réservoir hétérogène utilisant la méthode décrite dans le brevet 746.

[181] Swist soutient que, sans une deuxième paire de puits de SAGD, il n’y a pas de deuxième zone mobilisée correspondante. Ainsi, le fonctionnement du puits excentré bien décrit dans le brevet Cyr ne peut pas « générer » une grande zone singulière à partir de deux zones de mobilité accrue.

[182] Bien que ce document invoqué comme antériorité ne soit peut‑être pas aussi clair que le brevet Arthur ou le brevet Brannan, je suis convaincu que l’application de la [traduction] « procédure par étapes » envisagée par le brevet Cyr constituerait une contrefaçon des revendications du brevet 746. L’utilisation de la paire initiale de puits de SAGD en tandem avec le puits de CSS décalé créerait une grande zone singulière de mobilité accrue. L’ajout ultérieur d’une paire de puits de SAGD adjacents créerait une zone de mobilité accrue encore plus grande, aidée par l’utilisation du puits de CSS. Rien dans le brevet 746 n’exige que le développement de la grande zone singulière de mobilité accrue soit symétrique.

[183] Il n’est pas contesté que la divulgation du brevet Cyr permet la réalisation de l’invention. Le brevet Cyr, en particulier sa [traduction] « procédure par étapes », antériorise donc les revendications 1 à 8 du brevet 746.

(5) Brevet Ong

[184] Le brevet Ong est daté du 7 juin 1994 et appartient à Shell Canada Ltd. La figure 3 du brevet Ong montre des paires de puits adjacents avec deux puits supplémentaires capables d’injection et de production forés entre les deux. Selon MEG, il s’agit d’une réalisation des revendications 1 à 8 du brevet 746.

[185] Voici la figure 3 du brevet Ong :

[186] Voici la figure 8 du brevet 746 :

[187] Selon le MEG, le brevet Ong divulgue l’injection dans les puits intermédiaires avant la fusion des zones de mobilité accrue formées autour des paires de puits adjacents. Il divulgue également l’utilisation de différences de pression au niveau des puits d’injection pour faciliter la production de bitume. L’orientation des puits de la figure 3 du brevet Ong est reproduite dans la figure 8 du brevet 746, en ce sens que les trois premiers puits de la figure 8 peuvent être des puits d’injection, et les trois derniers des puits de production. MEG soutient donc que le brevet Ong divulgue le « troisième puits » décrit dans la revendication 1 du brevet 746.

[188] Swist conteste le fait que le brevet Ong divulgue le « troisième puits » décrit dans la revendication 1 du brevet 746. Swist affirme également que l’utilisation des différences de pression dans le brevet Ong diffère nettement du brevet 746.

[189] La revendication 1 du brevet 671 se lit comme suit :

[traduction]

1. Une méthode de récupération de fluides à partir d’un réservoir souterrain de sables bitumineux ou de pétrole lourd comprenant les étapes suivantes : a) le forage et la réalisation d’une première paire et d’une seconde paire de puits, dont chaque paire de puits comprend un puits d’injection se terminant dans le réservoir et un puits de production se terminant dans le réservoir sous du puits d’injection; b) la création pour chaque paire de puits d’une zone perméable entre le puits d’injection et le puits de production; et c) l’injection de vapeur par les puits d’injection simultanément avec l’extraction de fluide à travers les puits de production, dans lesquels la pression d’injection du puits d’injection de la première paire de puits est supérieure à la pression d’injection du puits d’injection de la seconde paire de puits.

[190] Je suis d’accord avec Swist pour dire que le brevet Ong divulgue un ensemble de paires de puits de SAGD avec des différences de pression alternantes. Les différences de pression ne se produisent qu’au début des opérations sur les paires de puits adjacents. Le brevet Ong ne parle pas de la fusion de chambres à vapeur adjacentes ou de la génération d’une grande zone singulière de mobilité accrue. M. Gates n’a pas invoqué le brevet Ong comme antériorité, bien qu’il l’ait reconnu comme étant à la pointe du progrès.

[191] MEG ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que le brevet Ong antériorise les revendications 1 à 8 du brevet 746.

(6) Brevet Coskuner

[192] Le brevet Coskuner est daté du 16 juin 2009 et appartient à Husky Energy. MEG affirme que le brevet Coskuner divulgue des paires de puits adjacents avec un unique puits entre eux. Le fluide est injecté au puits supérieur de chaque paire de puits et au puits de CSS intermédiaire en même temps, c’est‑à‑dire avant toute communication entre les zones adjacentes de mobilité accrue.

[193] Voici la figure 2 du brevet Coskuner :

[194] Le procédé décrit dans le brevet Coskuner comporte trois étapes, dont la première consiste à exploiter uniquement des puits de CSS fonctionnant de manière indépendante. Bien que ces puits individuels de CSS puissent éventuellement former une « paire de puits », la phase initiale de la CSS implique l’exploitation de puits individuels. Le stade initial de la CSS comprend trois ou cinq puits, mais s’il y en a cinq, un puits de chaque paire éventuelle est « fermé » (c’est-à-dire qu’il ne sert ni à l’injection ni à la production). Seuls trois puits sont utilisés.

[195] L’étape initiale de la CSS comprend plusieurs cycles d’injection, d’imprégnation et de production. Ces cycles sont effectués jusqu’à la fusion des chambres à vapeur. Lorsque les chambres à vapeur fusionnent, aucun SAGD n’a encore été effectué. Il ne se produit qu’après que la phase initiale de la CSS ait entraîné la fusion. Pendant la phase opérationnelle du SAGD, les puits excentrés uniques ne sont plus utilisés pour l’injection, mais sont uniquement consacrés à la production.

[196] Je suis d’accord avec Swist sur le fait que le brevet Coskuner ne prévoit pas d’injection de troisième puits entre les paires de puits de SAGD en fonctionnement, comme cela est revendiqué dans le brevet 746. Il n’envisage pas non plus l’utilisation d’un [traduction] « deuxième échéancier prédéterminé » sous de [traduction] « secondes conditions prédéterminées » pour le troisième puits, comme l’impose la revendication 1.

[197] MEG ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que le brevet Coskuner antériorise les revendications 1 à 8 du brevet 746.

B. Évidence

(1) Principes juridiques

[198] En vertu de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, un brevet ne peut être délivré pour une invention qui, à la date de la revendication, était évidente pour une PVA ou la science dont relève le brevet. L’évidence doit être évaluée à la date de priorité, soit le 19 mai 2011.

[199] En règle générale, l’évidence est perçue comme une conclusion de fait ou une question mixte de fait et de droit (Wenzel Downhole Tools Ltd. c National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333 au para 44). Elle doit être évaluée pour chaque revendication (Zero Spill Systems (Int’l) Inc. c Heide, 2015 CAF 115 aux para 85, 87 et 88).

[200] Lorsqu’il est question de l’évidence, toute analyse rétrospective est interdite. Pour déterminer si une revendication est évidente, les tribunaux appliquent habituellement le critère à quatre volets énoncé au paragraphe 67 de Sanofi :

  • a) Identifier la « personne versée dans l’art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

  • b) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

  • c) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

  • d) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[201] La quatrième étape de l’analyse peut exiger de se demander si l’invention revendiquée résulte d’un « essai allant de soi ». Cette question tend à se poser dans les domaines d’activité où des progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation et où de nombreuses variables interdépendantes peuvent avoir une incidence sur le résultat souhaité (Sanofi, aux para 68‑71). Pour ce faire, il faut tenir compte des facteurs non exhaustifs suivants :

  • a) Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

  • b) Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

  • c) L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[202] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les revendications 1 à 2 du brevet 746 ne sont pas invalides pour cause d’évidence.

(2) PVA et connaissances générales courantes

[203] Il est question de la PVA et des connaissances générales courantes à la rubrique « Interprétation des revendications », ci-dessus. Bien que les dates pertinentes applicables à l’interprétation de la revendication et à l’évaluation de l’évidence diffèrent, ni l’une ni l’autre des parties n’a prétendu que ce point était décisif.

(3) Idée originale

[204] MEG propose à la Cour de faire l’économie d’énoncer l’idée originale et d’adopter les éléments des revendications que la Cour a interprétés comme étant l’idée originale (citant Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s c SNF Inc, 2017 CAF 225 au para 77, autorisation d’interjeter appel auprès de la CSC refusée, 37915 (14 juin 2018)). Swist est favorable à cette approche.

(4) Différences entre l’état de la technique et l’invention

[205] La Cour d’appel fédérale a indiqué que l’art antérieur accessible au public à la date pertinente ne doit pas être exclu lors de l’examen des différences entre l’état de la technique et l’invention revendiquée (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CA 30 aux para 81 à 87). Il n’est pas nécessaire de démontrer que l’art antérieur aurait été découvert par la PVA à la suite d’une recherche raisonnablement diligente. En conséquence, tous les documents d’art antérieur cités par MEG à l’appui de son allégation d’antériorité peuvent être pris en considération à ce stade de l’analyse de l’évidence.

[206] J’ai conclu que les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont antériorisées par le brevet Arthur, le brevet Brannan et le brevet Cyr. Étant donné que l’idée originale des revendications est la même que celle des revendications telles qu’elles ont été interprétées, il n’y a pas de différence entre l’idée originale et l’art antérieur.

[207] Swist affirme néanmoins qu’aucune des antériorités invoquées ne décrit l’activation précoce d’un troisième puits foré entre deux paires de puits de SAGD afin de faciliter la fusion des deux zones adjacentes de mobilité accrue en une seule zone. Swist soutient également qu’aucune des antériorités invoquées ne décrit d’autres aspects du concept inventif des revendications comme l’utilisation de différences de pression pour affecter les zones de mobilité accrue de la manière énoncée dans les revendications 4 et 5, qui spécifient toutes deux un élément de pression ainsi que l’élément temporel.

(5) Les différences sont-elles évidentes?

[208] À ce stade de l’analyse de l’évidence, toute information ou antériorité invoquée à laquelle avait accès le public peut être examinée. On peut également invoquer une combinaison ou une « mosaïque » d’antériorités, s’il est raisonnable de s’attendre à ce que la PVA ait trouvé ces documents dans le cadre d’une recherche diligente (MIPS AB c Bauer Hockey Ltd, 2018 CF 485 aux para 234‑238).

[209] Swist fait valoir que les experts de MEG ont eu une vision rétrospective. La recherche documentaire de M. Carey a permis de repérer 387 antériorités, mais son analyse de l’évidence s’est concentrée uniquement sur les quatre documents que l’avocat de MEG lui a demandé d’examiner. Comme il a déjà été mentionné, M. Carey et le Pr Gates ont chacun déclaré dans leur témoignage qu’ils avaient personnellement effectué leurs propres recherches documentaires pour identifier l’art antérieur pertinent, mais dans ses observations finales, l’avocat de MEG a admis que ce n’était pas vrai. Selon l’avocat, la recherche n’a été effectuée que par M. Carey, et les résultats ont ensuite été communiqués au Pr Gates, qui les a adoptés comme étant les siens.

[210] Il n’y a pas grand-chose qui démontre qu’une PVA effectuant une recherche raisonnablement diligente aurait trouvé, et ensuite sélectionné, uniquement les antériorités invoquées par MEG à l’appui de son allégation d’antériorité. La preuve relative aux recherches sur l’art antérieur effectuées par M. Carey et le Pr Gates n’est pas convaincante. Seul M. Carey a effectué une recherche indépendante, et il a inexplicablement sélectionné comme pertinentes uniquement les antériorités qui lui avaient été fournies par l’avocat.

[211] Swist soutient que la PVA n’aurait aucune motivation à combiner différents éléments de l’art antérieur et aucune raison de s’écarter de l’état de la technique dont fait état le brevet Arthur, d’une manière qui viole la caractéristique clé de sa méthode (c’est-à-dire l’injection par le troisième puits qu’après la fusion des zones mobilisées générées par les paires de puits de SAGD adjacents). L’invention revendiquée par le brevet 746, et ses lacunes sont pleinement expliquées dans le brevet Arthur. Il est communément admis que le brevet Arthur nous « éloigne » de l’enseignement du brevet 746.

[212] Il n’est pas clair si les méthodes d’extraction dans les sables bitumineux canadiens constituent un domaine d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, et si le critère de l’« essai allant de soi » est indiqué en l’espèce. MEG affirme que les simulations sont couramment utilisées pour déterminer si les méthodes opérationnelles doivent être appliquées ou non. Le processus n’a pas un coût prohibitif, et serait accessible à la PVA. MEG note que l’art antérieur regorge de résultats de simulation, et que M. Swist lui-même a utilisé des simulations afin de réaliser l’invention revendiquée dans le brevet 746.

[213] Swist affirme que les revendications du brevet 746 n’étaient pas évidentes et qu’il n’allait pas de soi de faire l’essai. La PVA disposait de nombreuses options pour perfectionner les méthodes de récupération du pétrole lourd. En plus de combiner des éléments de SAGD et de CSS, et des méthodes de l’art antérieur qui s’appuient sur ces techniques, la PVA aurait pu explorer de nombreuses autres approches, telles que la production de vapeur in situ, le VAPEX, la stimulation par micro-ondes et la manipulation moléculaire. Swist affirme que le fait que les témoins experts de MEG n’aient pas envisagé d’autres méthodes est une preuve supplémentaire que leurs analyses de l’évidence étaient viciées par l’avantage de la rétrospection.

[214] Je suis d’accord avec Swist pour dire que l’absence de toute motivation pour trouver la solution du brevet 746 rend l’analyse de l’évidence futile. Les antériorités les plus proches de la date de priorité de mai 2011 sont le brevet Arthur et le brevet Coskuner, qui nous éloignent tous deux de l’enseignement du brevet 746. Il n’y avait aucune raison de s’écarter de la méthode décrite dans le brevet Arthur d’une manière qui contredisait l’un de ses principaux enseignements. Les revendications 1 à 8 du brevet 746 ne sont pas invalides pour cause d’évidence.

C. Inutilité

(1) Principes juridiques

[215] Pour déterminer si un brevet divulgue une invention dont l’utilité est suffisante au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets, il faut d’abord cerner l’objet de l’invention revendiqué dams le brevet. La Cour doit ensuite chercher à savoir si cet objet est utile – c’est-à-dire s’il peut donner un résultat concret? La Loi sur les brevets ne prescrit pas le degré d’utilité requis. Elle n’exige pas non plus que chaque utilisation potentielle soit réalisée. Une parcelle d’utilité suffit. Une seule utilisation liée à la nature de l’objet est suffisante, et l’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt (AstraZeneca CSC, aux para 54‑56).

(2) Analyse

[216] Le Pr Gates et M. Carey ont tous deux exprimé l’opinion selon laquelle l’objet de l’invention revendiquée par le brevet 746 comprend la récupération améliorée du bitume par rapport aux méthodes de récupération du bitume divulguées dans l’art antérieur. Le « Sommaire de l’invention » indique que [traduction] « [l]a présente invention a pour objet d’améliorer la deuxième phase de récupération du pétrole ».

[217] Le Contexte de l’invention fait état de [traduction] « la nécessité de réaliser plus rapidement la production des puits de SAGD. » Il est ensuite précisé que l’inventeur a établi des techniques [traduction] « pour augmenter le pourcentage d’extraction du pétrole, et fournir un SAGD fonctionnant sur des formations de sables bitumineux plus profondes ».

[218] MEG soutient donc que l’objet de l’invention est une amélioration du SAGD. Selon MEG, il serait absurde de consacrer de l’argent au forage et à l’exploitation d’un « troisième puits » sans obtenir la moindre hausse de la récupération du bitume par rapport aux méthodes de SAGD divulguées dans l’art antérieur. Cette méthode ne peut être une « invention », car elle serait inutile.

[219] Swist répond que l’objet des revendications ne porte que sur les méthodes d’extraction du pétrole. Aucune des revendications ne renvoie à une amélioration. Selon Swist, la position de MEG constitue une tentative de faire renaître la « doctrine de la promesse », où la divulgation sert à cerner des promesses afin de déterminer si elles ont été réalisées. Dans AstraZeneca CSC, aux paragraphes 31 et 36, la Cour suprême du Canada a rejeté cette doctrine au motif qu’elle est sans fondement.

[220] Swist reconnaît que l’utilité doit être démontrée ou « valablement prédite » avant la date de dépôt. La prédiction valable comporte trois aspects : un fondement factuel sur lequel repose la prédiction, un raisonnement clair et valable, et une divulgation suffisante. Une prédiction valable nécessite une inférence prima facie raisonnable d’utilité; elle n’exige pas de certitude (citant Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119 au para 12).

[221] Swist affirme que l’utilité a été démontrée par les simulations reproduites dans le brevet 746 du rapport Kuru. Le rapport de l’AITF a confirmé que les méthodes revendiquées étaient capables d’extraire du pétrole. M. Carey a concédé que les simulations ont démontré qu’au moins l’invention revendiquée par le brevet 746 produirait un peu de pétrole.

[222] Swist souligne que les simulations du brevet 746 ont montré une récupération du pétrole plus élevée que le scénario de base au cours de la période initiale d’exploitation de quatre à six ans. Toutefois, MEG note qu’aucun exploitant ne cesserait ses activités avant l’exploitation complète d’un réservoir. Pendant la durée de la simulation, l’invention revendiquée dans le brevet 746 a donné de moins bons résultats que le cas de base, c’est-à-dire le SAGD traditionnel.

[223] Swist soutient néanmoins que l’utilité a été valablement prédite. Les simulations divulguées dans le brevet 746 ont fourni un fondement factuel pour la revendication selon laquelle le procédé produirait au moins une certaine quantité de pétrole.

[224] Les faits sur lesquels repose l’analyse de l’absence d’utilité en l’espèce sont comparables à ceux de l’affaire Aux Sable. Les revendications 9 et 10 du brevet contesté dans cette affaire portaient sur « [un] mélange gazeux, à utiliser dans un pipeline […] », et dont la portée comprenait des mélanges de gaz ne permettant pas un transport efficace. Les revendications ne renvoyaient pas à l’efficacité, et la question clé était celle de savoir si l’objet de l’invention revendiquée nécessitait un transport plus efficace du mélange gazeux.

[225] Le breveté dans l’affaire Aux Sable a affirmé que les revendications exigeaient seulement que les mélanges gazeux [traduction] « puissent être transportés par pipeline », même si ce transport est moins efficace que l’art antérieur. Un expert cité pour le compte de la demanderesse a exprimé l’opinion que l’objet unique de l’invention concernait le transport efficace du gaz naturel. Le juge Richard Southcott a conclu comme suit (aux para 87‑88) :

Je souscris à cette conclusion et je rejette donc l’argument de JL Energy qui prétend que le simple fait que les mélanges gazeux envisagés dans les revendications 9 et 10 puissent être transportés par pipeline, aux pressions et aux températures mentionnées dans ces revendications, satisfait à la condition d’utilité. Cet argument ne va pas aussi loin que celui selon lequel une machine par ailleurs inutile puisse être utile en tant que presse‑papier (AstraZeneca, au paragraphe 53). J’estime toutefois qu’il va dans le même sens.

Enfin, je précise que je ne pense pas que l’examen relatif à l’utilité des revendications 9 et 10, qui repose sur la question de savoir si celles-ci comprennent des sélections inutiles, soit une application de la doctrine de la promesse. Ces revendications sont dénuées d’utilité, non pas parce que le brevet 670 promet un transport efficace du gaz naturel, mais parce que c’est le transport efficace du gaz naturel qui est l’objet de l’invention.

[226] L’argument de Swist selon lequel l’invention revendiquée dans le brevet 746 est utile parce qu’elle est capable de produire du pétrole doit être rejeté pour des raisons similaires. La position de MEG ne constitue pas une tentative de faire renaître la doctrine de la promesse. MEG ne fait qu’affirmer que les revendications sont dénuées d’utilité parce que l’objet de l’invention est l’amélioration du SAGD traditionnel, et que l’invention de Swist ne fournit pas cette amélioration. Les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont donc invalides pour cause d’inutilité.

D. Portée excessive

[227] Vu mes conclusions selon lesquelles les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont invalides pour cause d’antériorité et d’inutilité, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments de MEG concernant la portée excessive.

XI. Dispositif

[228] L’usage par MEG de l’eMSAGP et de l’eMVAPEX à Christina Lake ne constitue pas une contrefaçon des revendications spécifiées du brevet 746.

[229] Les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont antériorisées par le brevet Arthur, le brevet Brannan et le brevet Cyr, et sont donc invalides. Ces revendications sont également invalides pour cause d’inutilité.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’usage par MEG de l’eMSAGP et de l’eMVAPEX à Christina Lake ne contrefait pas les revendications 1 à 6 ou 8 du brevet canadien no 2,800,746 [brevet 746].

  2. Les revendications 1 à 8 du brevet 746 sont antériorisées par le brevet américain US 7,556,099 [brevet Arthur], le brevet américain US 5,283,111 [brevet Brannan], et le brevet américain US 6,257,334 [brevet Cyrt], et sont donc invalides. Ces revendications sont également invalides pour cause d’inutilité.

  3. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur les dépens, elles peuvent déposer des observations écrites d’un maximum de sept pages dans les 21 jours suivant la date du présent jugement. Des observations en réponse, ne dépassant pas trois pages, peuvent être présentées dans les dix (10) jours qui suivent.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1069-14

 

INTITULÉ :

JASON SWIST ET CRUDE SOLUTIONS LTD. c MEG ENERGY CORP.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence entre Calgary (Alberta), Toronto (Ontario) et Ottawa (Ontario)

DATE DES AUDIENCES :

Les 20, 21, 22, 23, 24, 27, 28 et 29 juillet 2020

Les 15, 21, 24, et 25 septembre 2020

Les 13 et 14 octobre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge FOTHERGILL

 

JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS RENDUS :

 

LE 4 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS RENDUS :

 

LE 20 JANVIER 2021

COMPARUTIONS :

Timothy Gilbert

Andrew Moeser

Kevin Siu

Thomas Dumigan

Jack MacDonald

 

POUR LES DEMANDEURs

(défendeurs reconventionnels)

Timothy St. J. Ellam (Québec)

Steven Tanner

James S.S. Holtom

Kendra Levasseur

Tracey Doyle

Leah Strand

POUR LA DÉFENDERESSE

(demanderesse reconventionnelle)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert’s LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURs

(défendeurs reconventionnels)

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

(demanderesse reconventionnelle)

 

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