Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20210114

Dossier : T‑1176‑20

Référence : 2021 CF 53

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

AMAZON CONTENT SERVICES LLC

BELL MEDIA INC.

COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC.

DISNEY ENTERPRISES, INC.

NETFLIX STUDIOS, LLC

NETFLIX WORLDWIDE ENTERTAINMENT, LLC

PARAMOUNT PICTURES CORPORATION

SONY PICTURES TELEVISION INC.

UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS, LLLP

demanderesses

et

TYLER WHITE, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

COLIN WRIGHT, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

 

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demanderesses ont fait exécuter, le 24 novembre 2020, une injonction provisoire accordée en application de l’article 374 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les RCF], et leurs modifications. L’injonction provisoire a été rendue à la suite d’une requête ex parte au motif que la signification de la requête aux défendeurs aurait porté irrémédiablement préjudice au but poursuivi. Elle a été prorogée, par consentement de toutes les parties, afin de permettre aux défendeurs de constituer un avocat pour défendre leurs intérêts. Les modalités de l’injonction provisoire ont continué de s’appliquer jusqu’à ce que jugement soit rendu sur la requête déposée par les demanderesses, en date du 1er décembre 2020. Voici ce jugement.

[2] Les deux défendeurs ont déposé leurs propres requêtes le 14 décembre (les requêtes incidentes), priant la Cour d’annuler l’injonction provisoire, en totalité ou en partie.

I. La requête des défendeurs

A. Les injonctions provisoires

[3] Les ordonnances provisoires, une pour chaque défendeur, prévoyaient que leur exécution devait être examinée par la Cour. Lesdites ordonnances, qui ont été exécutées simultanément le 24 novembre, requièrent, entre autres, le transfert du contrôle de l’infrastructure du service Beast IPTV aux avocats superviseurs indépendants.

[4] Pour réaliser le transfert du contrôle de l’infrastructure du service Beast IPTV, les défendeurs devaient :

  • communiquer aux avocats superviseurs indépendants l’identité des comptes de bureau d’enregistrement sous lesquels certains domaines et sous‑domaines sont enregistrés; les défendeurs devaient aussi communiquer aux avocats indépendants les identifiants de connexion pour chaque compte;

  • communiquer aux avocats superviseurs indépendants l’identité et l’emplacement des serveurs et des comptes d’hébergement pour les serveurs associés au service Beast IPTV et à certains domaines et sous‑domaines; les défendeurs devaient fournir les identifiants de connexion (ou autres références) nécessaires pour accéder aux serveurs et comptes selon le niveau de privilège le plus élevé disponible;

  • divulguer tout autre domaine (et sous‑domaine), compte de bureau d’enregistrement, compte de fournisseur de services d’hébergement et serveur associé au développement, à l’hébergement, à l’exploitation et à la promotion du service Beast IPTV et à la vente d’abonnements au service Beast IPTV; les défendeurs devaient communiquer aux avocats superviseurs indépendants les identifiants de connexion (ou toutes autres références) nécessaires pour y accéder selon le niveau de privilège le plus élevé disponible.

[5] Dans le même but, des experts en criminalistique informatique étaient autorisés :

  • à se connecter aux comptes et serveurs au moyen des identifiants ainsi obtenus;

  • à modifier les identifiants de connexion des comptes et des serveurs;

  • à désactiver tout domaine, sous‑domaine, serveur ou service associé aux comptes ou serveurs;

  • à transférer aux avocats superviseurs indépendants, à titre de gardiens, le contrôle des comptes, domaines, sous‑domaines et serveurs; les avocats superviseurs indépendants, aidés des experts en criminalistique informatique, devront agir à titre de gardiens des identifiants de connexion modifiés.

[6] Les ordonnances provisoires interdisaient aux défendeurs, par eux‑mêmes ou par l’entremise de diverses autres personnes ou entités :

  • de créer, exploiter, entretenir ou promouvoir des services IPTV non autorisés, y compris le Beast IPTV Service, en fournissant le soutien connexe, en vendant des abonnements ou en autorisant des personnes à vendre des abonnements aux services en question, de manière à fournir aux utilisateurs un accès non autorisé à des œuvres cinématographiques sur lesquelles les demanderesses détiennent le droit d’auteur;

  • de créer, entretenir, mettre à jour, héberger, distribuer, promouvoir ou vendre toute application logicielle offrant un accès à des services d’IPTV non autorisés, y compris au service Beast IPTV, à l’application pour Android de Beast IPTV et à Beast IPTV Perfect Player;

  • d’exploiter, entretenir, mettre à jour, héberger, promouvoir ou vendre l’accès à des domaines (et sous‑domaines) par l’entremise desquels l’IPTV (ce qui comprend le service Beast IPTV) est mise à disposition, ou indirectement mise à disposition, annoncée, commercialisée ou vendue;

  • de communiquer les œuvres des demanderesses au public par télécommunication, y compris par transmission ou par mise à disposition, sans autorisation, des chaînes de télévision détenues ou exploitées par l’une des demanderesses, Bell Media Inc., sur lesquelles sont diffusés les programmes de Bell (les « chaînes de Bell »);

  • de mettre à la disposition du public, par télécommunication, les œuvres des demanderesses et les chaînes de Bell, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’emplacement et au moment qu’il choisit individuellement.

[7] Les défendeurs ont reçu l’ordre de communiquer aux avocats superviseurs indépendants et aux avocats des demanderesses divers renseignements financiers concernant le service Beast IPTV, ainsi que leurs avoirs et recettes, au Canada ou à l’étranger.

[8] Il était interdit aux défendeurs de céder leurs actifs.

[9] Les avocats des demanderesses et les avocats superviseurs indépendants ont reçu l’ordre d’informer les défendeurs (ou les personnes à l’encontre desquelles la mesure était exécutée) des droits qu’elles avaient, notamment de leur droit de consulter un avocat. L’avis aux défendeurs annexé à l’ordonnance provisoire couvre 14 paragraphes. Par ailleurs, la déclaration a été signifiée aux défendeurs dans le cadre de l’exécution des ordonnances provisoires.

[10] Les ordonnances provisoires réglaient aussi l’exécution des ordonnances en autorisant la présence de représentants des demanderesses, de représentants des forces de l’ordre dans la seule mesure nécessaire, ainsi que des avocats superviseurs indépendants pour qu’ils constatent, en totalité ou en partie, l’exécution des ordonnances. Les demanderesses devaient préserver la confidentialité des renseignements et documents obtenus à l’occasion de l’exécution des ordonnances provisoires; les renseignements et documents pouvaient être déposés auprès de la Cour sous scellé; ils devaient être marqués « confidentiels ». Les avocats superviseurs indépendants et les avocats des demanderesses étaient autorisés à consulter les documents et renseignements obtenus, mais uniquement dans le but de rédiger le rapport des avocats superviseurs indépendants et aussi de reconduire les ordonnances en tant qu’injonctions interlocutoires, les requêtes en examen et, plus généralement, pour les besoins de la présente instance.

[11] D’autres éléments particuliers des ordonnances provisoires méritent d’être mentionnés puisque le non‑respect des ordonnances est allégué :

  • une personne à qui l’ordonnance avait été signifiée, ou qui en avait connaissance, devait, durant son exécution, s’abstenir d’utiliser un ordinateur, un téléphone ou autre dispositif de communication, sauf en la présence de l’avocat superviseur indépendant; par ailleurs, cette personne devait s’abstenir, durant une période de 48 heures après signification de l’ordonnance, de révéler à toute autre personne, ou de commenter avec toute autre personne, l’existence de l’ordonnance ou de l’instance (si ce n’est évidemment pour obtenir un avis juridique). Par ailleurs, les ordonnances s’étendaient à l’interdiction d’informer ou d’avertir quiconque de l’éventualité que les demanderesses exécutent l’ordonnance rendue contre elle ou contre lui.

[12] Vu la nature des procédures, le dossier de la Cour devait être conservé dans des enveloppes scellées, au greffe de la Cour, jusqu’à 48 heures après la signification des divers documents (déclaration, requête en injonction provisoire, l’ordonnance, etc.).

B. L’enjeu actuel

[13] La requête dont la Cour est saisie porte sur l’examen, ordonné par la Cour, de l’exécution des ordonnances provisoires. Les rapports ont été déposés par les deux avocats superviseurs indépendants, Me David Hutt, de la Nouvelle‑Écosse, et Me David Lipkus, de l’Ontario. L’exécution des deux ordonnances se serait déroulée légalement et régulièrement, bien que les deux défendeurs se seraient pour l’essentiel refusé de se plier à leurs dispositions. Les demanderesses sollicitent donc une ordonnance au titre de l’article 467 des RCF, pour que les défendeurs, M. Tyler White et M. Colin Wright, soient accusés de refus d’obtempérer à l’ordonnance provisoire, et elles sollicitent également un jugement déclarant que l’exécution de l’ordonnance provisoire s’est déroulée légalement et régulièrement.

[14] Les demanderesses prient la Cour de rendre une ordonnance convertissant l’injonction provisoire en une injonction interlocutoire, conformément à l’article 373 des RCF.

[15] Elles voudraient aussi que les affidavits d’Andew McGuigan et Yves Rémillard produits pour les besoins de la requête actuelle, et tous deux datés du 30 novembre 2020, soient considérés comme confidentiels au sens de l’article 151 des RCF.

[16] Enfin, les demanderesses sollicitent une ordonnance enjoignant à Me David Lipkus, l’avocat superviseur indépendant qui est intervenu dans l’exécution de l’ordonnance provisoire rendue contre le défendeur Colin Wright, de communiquer à leurs avocats les renseignements et documents financiers que M. Wright lui a fournis le 24 novembre 2020.

II. La requête incidente de M. Colin Wright

[17] Dans son avis de requête du 14 décembre 2020, M. Wright prie la Cour d’annuler, en totalité ou en partie, l’injonction provisoire qui s’applique à lui, et aussi de rejeter la requête en injonction interlocutoire.

[18] M. Wright soutient que la requête en justification se rapportant à l’outrage au tribunal allégué devrait elle aussi être rejetée.

[19] Plusieurs paragraphes des affidavits d’Andrew McGuigan et d’Yves Rémillard devraient être radiés du dossier selon M. Wright. Il s’agit des paragraphes suivants :

  • a) affidavits du 29 septembre 2020 concernant l’octroi de l’ordonnance provisoire :

  • (i) Andrew McGuigan : paragraphes 73, 147, 159, 160, 165, 167, 230 à 234, 261 à 267 (et pièces s’y rapportant);

  • (ii) Yves Rémillard : paragraphes 14 à 16, et 18 à 21;

  • b) affidavits du 30 novembre 2020 concernant la requête des demanderesses relative à l’examen de l’exécution de l’ordonnance provisoire, l’ordonnance convertissant l’ordonnance provisoire en ordonnance interlocutoire, et l’ordonnance ayant pour effet d’accuser les défendeurs d’outrage au tribunal :

    • (i) Andrew McGuigan : paragraphes 6, 7, 12 à 21, 29, 30 à 39 (et pièces s’y rapportant);

    • (ii) Yves Rémillard : paragraphes 5 à 7.

[20] M. Wright soutient aussi qu’une conclusion défavorable devrait être tirée de ce que les demanderesses n’ont pas rapporté la preuve que des personnes avaient une connaissance personnelle de « faits importants ».

[21] Selon l’argument invoqué par M. Wright, l’injonction provisoire ne remplissait pas la condition d’une ordonnance Anton Piller et d’une injonction Mareva. Par ailleurs, la preuve venant d’un informateur anonyme devrait être radiée parce qu’elle n’est pas admissible, ou, à tout le moins, ne devrait bénéficier d’aucun crédit.

[22] Rien ne permettait d’affirmer que M. Colin Wright aliénerait ses actifs ou détruirait des pièces avant processus de communication de la preuve, ou qu’il chercherait à se soustraire à tout jugement. Quoi qu’il en soit, la preuve confidentielle constitue une preuve par ouï‑dire, laquelle n’est pas admissible parce qu’elle n’est ni nécessaire ni digne de foi.

III. La requête incidente de M. Tyler White

[23] Le défendeur Tyler White a lui aussi qualifié l’injonction provisoire d’ordonnance Anton Piller. Elle ne pouvait donc pas être accordée puisqu’on n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve admissibles tendant à démontrer que la question est très sérieuse et qu’il y a risque de préjudice irréparable. Il n’a pas non plus été démontré que M. White avait en sa possession des éléments de preuve incriminants ou qu’il s’apprêtait à détruire des pièces compromettantes avant le processus de communication de la preuve. Le défendeur soutenait que l’ordonnance provisoire était d’une portée excessive et qu’elle [traduction] « ne pourrait même pas être demandée après le procès ».

[24] Il est avancé aussi que le caractère secret de l’existence elle‑même de la présente instance, et partant le défaut d’existence d’un dossier public, devrait être corrigé. Ce point résultait d’une directive émise par un membre de la Cour le 2 octobre 2020, au début de la présente instance. Il convient de noter que la directive dit expressément que cette confidentialité ne durera que jusqu’à ce que « la Cour ait entendu ladite requête, ou jusqu’à ordonnance contraire de la Cour ». Il se trouve que l’audience qui a eu lieu le 18 décembre 2020 était ouverte au public, à l’exception de quelques portions qui se sont déroulées à huis clos, à la demande des parties.

[25] Le défendeur voudrait aussi que soient radiées certaines parties des affidavits d’Andrew McGuigan, au motif qu’elles contiendraient une preuve par ouï‑dire inadmissible et ne désigneraient pas une prétendue « source confidentielle ».

[26] Il affirme que les demanderesses n’ont pas révélé à la Cour l’existence d’une récente décision de la Cour d’appel fédérale, qui, d’après lui, ébranle le principal fondement de la prétendue atteinte dont fait état la déclaration. Son argument intéresse le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42. Ledit arrêt de la Cour d’appel fédérale, Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 [ESA], fragiliserait la preuve prima facie présentée par les demanderesses, et le critère présidant à la délivrance d’une ordonnance Anton Piller ne serait dès lors pas rempli. Selon le défendeur Tyler White, l’état actuel du droit positif n’a pas été exposé, comme il aurait dû l’être s’agissant d’une requête ex parte. D’après lui, la Cour d’appel [traduction] « a clairement énoncé que ce qu’il est convenu d’appeler le droit de “la mise à disposition”, au paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur, ne constitue pas en soi une cause d’action » (Avis de requête incidente au nom du défendeur Tyler White, p. 3).

IV. Thèse des demanderesses

[27] Les demanderesses prient la Cour de déclarer que l’exécution de l’injonction provisoire s’est déroulée légalement et régulièrement. Elles voudraient convertir l’injonction provisoire en une injonction interlocutoire qui resterait valide jusqu’à la décision finale sur le fond. Comme les défendeurs n’ont pas respecté, selon elles, les conditions de l’ordonnance provisoire, elles sollicitent la délivrance d’une ordonnance en vertu de l’article 467, forçant les défendeurs à comparaître devant un juge pour la présentation de la preuve et la présentation de tout moyen de défense contre une accusation d’outrage.

A. L’exécution des ordonnances provisoires

[28] Les ordonnances provisoires visant les défendeurs ont été signifiées et exécutées simultanément le 24 novembre 2020. Les rapports des avocats superviseurs indépendants David Hutt (concernant Tyler White) et David Lipkus (concernant Colin Wright) n’ont pas été contestés par les défendeurs.

[29] Essentiellement, le rapport de Me Hutt, daté du 30 novembre 2020, renferme ce qui suit :

  • M. White a indiqué, après avoir consulté son avocat, qu’il ne coopérerait pas; il a été informé que cette attitude pourrait entraîner des conclusions défavorables ou un verdict d’outrage au tribunal, mais il a maintenu son refus de coopérer;

[traduction]

« à mon arrivée chez M. White, j’ai informé ce dernier que les documents judiciaires qui lui étaient signifiés se rapportaient à Beast IPTV, ce à quoi M. White a immédiatement répondu “je n’en ai jamais entendu parler” » (affidavit de D. Hutt, au para 20);

  • plus tard, M. White a de nouveau affirmé ne rien savoir de Beast IPTV et ne pas connaître Colin Wright. Par exemple, le paragraphe 28 de l’affidavit de Me Hutt contient ce qui suit :

[traduction]

28. Comme il nous conduisait dans la maison, M. White m’a demandé « mais pourquoi ces gens me poursuivent‑ils donc? » J’ai voulu lui répondre, en évoquant le contrôle de Beast IPTV, mais M. White m’a interrompu, disant « je ne contrôle rien du tout. Je n’ai même pas d’ordinateur chez moi. »

Il a répété ne rien savoir de Beast IPTV et ne pas même disposer d’un ordinateur, ce qui a été contredit par son associée, Mme Gallant‑Osmond :

[traduction]

38. À 10 h 1 du matin, M. White a interrompu mon explication des modalités de l’ordonnance pour me demander : « on a besoin d’un ordinateur pour faire cela, non? Je n’ai même pas d’ordinateur ». Mme Gallant‑Osmond a alors rappelé à M. White, devant Mme Kean, M. Ford, M. White et moi‑même, qu’il possédait un ordinateur portatif, et il a précisé : « J’ai un ordinateur portatif que je viens d’acheter ».

Finalement, M. White a refusé de coopérer, après avoir été informé plus d’une fois des conséquences possibles de ce refus, et avoir confirmé qu’il comprenait les avertissements qu’on lui donnait.

[30] S’agissant du rapport de Me Lipkus, celui‑ci affirme dans son affidavit que Colin Wright comprenait les explications qui lui étaient données à propos des conditions de l’ordonnance à exécuter. Il a réfuté tout rôle dans Beast IPTV, affirmant y avoir mis fin après avoir reçu une lettre deux ans auparavant. M. Wright a indiqué qu’il lui était impossible de se conformer à l’ordonnance [traduction] « puisqu’il n’a plu aucun lien avec Beast IPTV » (affidavit de Me Lipkus, au para 16).

[31] Je préfère citer mot pour mot les paragraphes 18 et 19 de l’affidavit de Me Lipkus, qui reproduisent les dénégations de M. Wright :

[traduction]

18. Après sa conversation téléphonique [avec son avocat], Colin Wright m’a dit qu’il s’était déjà occupé de vendre des services d’IPTV, notamment Vader, Nitro, Beast et autres, mais qu’il avait cessé après avoir reçu de l’Alliance pour la créativité et le divertissement, quelque part en 2018 ou 2019, une lettre de mise en demeure. Il m’a dit qu’il s’était entretenu avec Sundeep Chauhan, l’auteur de la lettre, et qu’il croyait que l’affaire était classée parce qu’il avait fermé ses sites web. Il m’a dit qu’il n’était pas connecté, même s’il avait été un « gros vendeur » de ces services d’IPTV. Il a demandé à examiner les pièces de la requête qui le concernaient spécifiquement, et il a passé en revue l’affidavit de M. Andrew McGuigan, aux paragraphes 161‑173, et 224‑ 266, ainsi que les observations écrites figurant aux paragraphes 58‑67 et 70‑71.

19. Puis il m’a dit ne pas être le propriétaire des noms de domaines (ou noms de sous‑domaines) énumérés dans l’ordonnance concernant Beast IPTV, ni être concerné par les noms de domaines suivants que m’avait signalés le représentant légal des demanderesses : billing.beastsoftware.net, billing.strikeforcetvip.com, billing.thebeastbox.net, clients.gamersetv.com, et whmcs69.com. Il m’a à nouveau confirmé qu’il n’avait pas d’identifiant de connexion ni d’accès aux comptes, et que les demanderesses ne pouvaient le rattacher à aucun des comptes.

Il convient de noter que Me Lipkus signale aussi que [traduction] « Colin Wright m’a dit qu’il ne souhaitait pas se plier à l’ordonnance concernant Beast IPTV avant que son avocat n’examine l’intégralité des pièces signifiées » (affidavit de Me Lipkus, au para 22).

[32] M. Wright a néanmoins accepté de fournir certains renseignements financiers à l’avocat superviseur indépendant, ainsi qu’une liste de ses actifs, pourvu que ces renseignements soient contenus dans une enveloppe scellée marquée « confidentiel ». Voici comment les choses se sont passées d’après le paragraphe 22 de l’affidavit de Me Lipkus :

[traduction]

22. […] Il a accepté de remplir les formulaires de consentement que lui avait fournis Ryan Evans, et il a obtenu les numéros de comptes bancaires pour la Banque TD et un compte conjoint de RBC – il a indiqué les renseignements sur les formulaires de consentement fournis, qu’il a signés. Il a pris des photos des formulaires, et je les ai insérées dans une enveloppe scellée marquée DIVULGATION CONFIDENTIELLE (1 de 2). J’ai apposé un morceau de ruban adhésif sur les mots SCELLÉ au verso de l’enveloppe. Il m’a révélé ses actifs et j’ai inscrit cette information sur une feuille de papier. Colin Wright a également pris une photo de cette feuille de papier. J’ai alors inséré le document manuscrit dans une enveloppe scellée marquée DIVULGATION CONFIDENTIELLE (2 de 2). J’ai apposé un morceau de ruban adhésif sur les mots SCELLÉ, au verso de l’enveloppe. Les enveloppes scellées restent sous ma garde, dans un placard verrouillé du cabinet Kestenberg Siegal Lipkus s.r.l., situé au 65, rue Granby, Toronto (Ontario), M5B 1H8. À l’annexe « C » du présent affidavit figurent des copies numériques du recto et du verso des enveloppes scellées que j’ai déposées dans le placard verrouillé.

D’après la preuve soumise à la Cour — aucune preuve n’a été produite par M. Wright sur l’exécution de l’ordonnance provisoire, et Me Lipkus n’a été ni contredit ni contre‑interrogé — telle est l’étendue de la coopération fournie par M. Wright dans l’exécution de l’ordonnance provisoire.

B. Autres renseignements assemblés et présentés comme preuves après l’exécution des deux ordonnances provisoires

[33] Durant l’exécution de l’ordonnance provisoire concernant Tyler White, Andrew McGuigan, un enquêteur agissant au nom des demanderesses, surveillait à distance l’exécution de l’ordonnance; les jours suivants, Global Content Protection (GCP), pour qui travaille M. McGuigan, a suivi [traduction] « les activités ou les changements apportés au service Beast IPTV rattachés à ces mesures d’exécution » (second affidavit de A. McGuigan du 30 novembre 2020, au para 6). Il importe que le contenu de l’affidavit soit examiné en détail.

[34] M. McGuigan rend compte de ce qui suit :

  • les tentatives faites par les défendeurs pour dissimuler des éléments de preuve durant l’exécution des ordonnances;

  • contact et/ou coordination entre les défendeurs dans les heures qui ont suivi l’exécution des ordonnances provisoires;

  • transfert et/ou suppression, par les défendeurs, des domaines et sous‑domaines du service Beast IPTV;

  • déclarations inexactes et tromperie de la part des défendeurs concernant leur rôle dans le le service Beast IPTV;

  • stratégies employées par M. White pour échapper aux mesures d’exécution et pour dissimuler des actifs;

  • déclarations inexactes de M. Wright concernant son rôle dans le service Beast IPTV.

Je relève que la preuve présentée par M. McGuigan n’a pas été contestée, si ce n’est l’emploi qui a été fait de renseignements obtenus de sources anonymes.

[35] Ainsi, alors que l’ordonnance provisoire concernant M. White était en cours d’exécution, une source anonyme a informé GCP que M. White communiquait avec une tierce partie par Skype. Les instructions données par M. White étaient de supprimer incontinent les domaines beastiptv.cc et powergraphics.shop. Ces domaines sont tous deux associés au service Beast IPTV, le domaine powergraphics.shop constituant la passerelle de paiement associée au domaine beastiptv.cc. Des captures d’écran sont présentées comme preuves, et l’échange fait intervenir « Ty ». Les affidavits de M. McGuigan disent que « Ty » est l’identifiant associé au compte Skype « tylerdwhite1 ». L’échange par Skype montre la surprise de l’interlocuteur de Ty et l’intransigeance de Ty concernant les suppressions. À la fin de l’échange, Ty s’exprime ainsi : [traduction] « Non. Je suis poursuivi ». Les deux domaines n’étaient plus en ligne dans les heures qui ont suivi, et leurs sites web associés avaient été suspendus. M. White est resté en possession de son téléphone durant l’exécution de l’ordonnance provisoire.

[36] Le 25 novembre, il y a eu, entre M. White et une source anonyme, une conversation qui a été enregistrée. Cette conversation indique qu’une tierce partie aurait réactivé le domaine beastiptv, M. White n’ayant pas sécurisé son compte de bureau d’enregistrement. Ce bref échange fait état d’un certain « Brad », lequel serait Colin Bradley Wright, l’autre défendeur, ce qui permet de supposer le rôle continu de « Brad » :

[traduction]

[11 min 5 s]

La tierce partie : Je ne sais pas, mon vieux. Tu dois parler à Brad. Tu dois arrêter.

M. White : Nous avons arrêté… c’est fait. J’ai déjà fermé Beast… je l’ai fermé aujourd’hui. D’une manière ou d’une autre, il a resurgi… et là, quand j’essaie d’entrer dans le bureau d’enregistrement du domaine, je n’y parviens pas.

Dans la même conversation enregistrée, M. White dit qu’il pourrait avoir besoin de l’aide de son interlocuteur [traduction] « au cours des prochains jours » :

[traduction]

[26 min 44 s]

M. White : Je pourrais avoir besoin de toi, au cours des prochains jours. Si je te paie… j’aurai sans doute besoin de toi pour effacer plusieurs choses… effacer les serveurs ou effacer… Tu sais ce que je veux dire… donc sois… ahh…

[37] La connexion avec Colin B. Wright est également évoquée durant la même conversation :

[traduction]

[4 min 3 s]

La tierce partie : Bon…Qu’est‑il arrivé, est‑ce qu’on t’a envoyé un document judiciaire… quelle est maintenant la situation?

White : Ils sont arrivés et m’ont signifié cette montagne de preuves… Oui… C’est genre Columbia Pictures, [voix feutrée] Netflix, Amazon, [voix feutrée]

[…

[4 min 25 s]

La tierce partie : En as‑tu parlé à Brad?

White : Oh oui… Oh oui… Il est au courant.

Je suis au courant. Mais c’est comme ça. Tu le sais.

[…]

[17 min 15 s]

White : Bon, tu sais, mon vieux… je ne… écoute… Je ne cherche même pas de la sympathie. C’est notre problème, nous savions, nous savions [voix feutrée] ce qu’étaient les risques. Je voudrais tout simplement qu’ils sachent que… leur faire saisir que je ne suis pas le meneur, ou que je ne suis en charge de rien du tout…

La tierce partie : T’ont‑ils parlé de Brad et de tout le reste?

White : Oh, ils ont agi de la même façon avec Brad le même jour…

M. Colin B. Wright était la seule autre personne ayant reçu avis le 24 novembre 2020 à propos du service Beast IPTV :

[traduction]

La tierce partie : Qu’en est‑il de tous les films sur demande, de tous les auxiliaires et le reste?

White : Non… Non. C’est ce que je leur dis… je suis simplement un auxiliaire… tu le sais.

[…]

[24 min 46 s]

White :… Quand j’ai parlé à Sal… il m’a dit que je dois consulter un avocat qui travaille dans un grand cabinet. Donc, demain, je vais commencer à appeler à droite et à gauche. Difficile cependant de trouver quelqu’un pour s’occuper de cette affaire… n’est‑ce pas?

La tierce partie : Cela a toujours été un problème quand ce genre de choses arrive. Il y en a toujours de bons dans quelques États, mais jamais dans ta région.

White : Oui. Cela ne fait rien parce que, dans ma région, c’est la Cour fédérale… c’est pourquoi… partout au Canada, je pourrais en trouver un… mais le problème, c’est que tous les gens qu’on appelle… parce que même Brad a de la difficulté… chaque fois qu’on appelle quelqu’un, il y a un conflit…

Dans son premier affidavit, M. McGuigan avait déjà témoigné du rapprochement entre le pseudonyme « Brad B » et l’identifiant « @CVOmam » sur Telegram, une plateforme de messagerie instantanée en ligne utilisée par les opérateurs du service Beast IPTV pour communiquer avec les abonnés. GCP surveillait l’utilisateur @CVOmam (« B ») le matin du 24 novembre. Cet utilisateur était connecté sur Telegram lorsqu’est arrivée l’équipe chargée d’exécuter l’ordonnance provisoire dans les locaux de M. Wright. L’utilisateur s’est déconnecté vers 8 h 40. Une photographie prise à 8 h 38 min 40 s, au moment de l’arrivée de l’équipe sur les lieux, montre M. Wright utilisant son téléphone. Les demanderesses avancent que M. Wright était en train de se déconnecter du groupe Telegram de Beast IPTV. Quelques minutes avant, Colin Wright avait dit à l’avocat superviseur indépendant n’avoir eu aucun rôle dans l’IPTV depuis plus de deux ans.

[38] La dissimulation d’actifs est également discutée durant la conversation téléphonique du 25 novembre avec une tierce partie :

[traduction]

[14 min 43 s]

M. White :[voix feutrée] à la banque sorti tout ce que j’ai pu sortir et là, tu sais, ils s’en apercevront, c’est sûr, et ils diront « où c’est tout cela? »… et je répondrai « je ne sais pas. Je l’ai planqué, désolé. J’ai tout fichu en l’air ». De toute façon, c’est une cour civile, et non criminelle… bon… mais j’aurai encore ce que j’ai pu sortir, tu vois ce que je veux dire.

[16 min 15 s]

M. White : Je pense que, si je… si je me tire, tu vois… simplement sortir ce que j’ai, et là on me poursuit pour telle ou telle raison, mais je déclare faillite et je dis que je n’ai plus rien… au moins là je sais alors qu’avec le montant que je peux sortir… je sais que… tu vois… Je suis bon.

… que vont‑ils faire… Je veux dire, le montant me permettra de tenir quelque temps, non?

[21mins43s]

La tierce partie : Ahhh… mon vieux… ça va mal….

White : Qu’importe, mon vieux. Comme j’ai dit… scénario du pire, mais bon, je pense que j’ai assez pour subsister un bon moment… tu vois… tu vois ce que je veux dire.

[22 min 46 s]

La tierce partie : Est‑ce qu’on t’a dit de ne pas effacer la preuve et des choses comme… de ne pas commencer à nettoyer? Est‑ce qu’on t’a averti de cela?

M. White : Oui. Ils ont dit de ne pas… oui… dans l’ordonnance, on dit que je ne peux pas vendre… je ne peux pas vendre ma maison, ni rien… je ne peux pas vendre d’actifs… Je ne peux pas déplacer… virer de l’argent ou transférer de l’argent, et je ne peux pas le changer en crypto‑monnaie ni rien de tout cela.

La tierce partie : C’est une ordonnance judiciaire, ou qu’ont‑ils dit?

M. White : Oui, c’est une ordonnance judiciaire… pour 14 jours… l’ordonnance judiciaire dure seulement 14 jours.

Mais comme j’ai dit… oui évidemment c’est une ordonnance judiciaire… mais, même s’ils regardent et disent qu’on n’a pas écouté la Cour… je ne sais pas, je pourrais même m’en sortir… mon père est ici… « dis‑leur que tu es un toxicomane »… je pourrais m’en sortir en disant « désolé mon vieux j’ai pris une bonne cuite »… ce que [voix feutrée] j’ai besoin d’aide… tu vois ce que je veux dire.

[39] Quant au rôle de M. Wright, les demanderesses se réfèrent à des renseignements fournis par une source anonyme, selon lesquels « Brad » avait demandé que deux domaines associés aux passerelles de paiement du service Beast IPTV soient transférés à un nouveau serveur. Une copie du journal de clavardage figure dans la preuve (pièce AM‑73).

V. Observations, arguments et analyse

[40] Deux questions peuvent d’emblée être tranchées. D’abord, il n’est pas contesté que les injonctions provisoires ont été exécutées légalement et régulièrement. Ni l’avocat de M. Wright, ni celui de M. White ne font même allusion à la question, encore que les deux avocats soulèvent des points portant sur les ordonnances elles‑mêmes. Quoi qu’il en soit, la preuve produite par les demanderesses montre clairement que les obligations incombant aux demanderesses et aux avocats superviseurs indépendants ont été pleinement respectées. Parmi les diverses obligations, je relève celle qui consiste à expliquer les ordonnances provisoires et à faire état du droit d’obtenir l’assistance d’un avocat. La déclaration, l’ordonnance provisoire applicable à chaque défendeur, les pièces déposées en vue d’obtenir lesdites injonctions provisoires, ainsi qu’un avis de requête dont l’objet était l’examen de l’exécution des ordonnances provisoires, tout cela a été signifié le 24 novembre. Un jugement déclarant que l’exécution des ordonnances provisoires s’est déroulée légalement et régulièrement sera prononcé.

[41] Deuxièmement, les demanderesses voudraient que soit rendue une ordonnance autorisant le retrait de leur dépôt de 100 000 $. Cette somme d’argent a été déposée auprès de la Cour à titre de garantie pour le préjudice qui aurait pu résulter d’une exécution irrégulière des deux injonctions provisoires. Puisqu’aucun préjudice n’a été causé, les demanderesses ont droit à l’ordonnance de restitution de leur dépôt.

A. Outrage au tribunal

[42] La question du prononcé d’une ordonnance en application de l’article 467 des Règles des Cours fédérales (justification) peut elle aussi être réglée prestement. Les demanderesses soutiennent que les deux défendeurs ont désobéi aux ordonnances de la Cour; elles affirment en effet qu’ils ont refusé de coopérer pleinement. Seul M. Wright a donné certains renseignements financiers et une liste de ses actifs, dans une enveloppe sous scellé remise à Me Lipkus, l’avocat superviseur indépendant. Selon l’argument avancé par les défendeurs, si les ordonnances provisoires doivent être annulées, alors non seulement une injonction interlocutoire ne devrait‑elle pas être rendue, mais nulle ordonnance ne devrait être rendue en application de l’article 467 des Règles des Cours fédérales.

[43] Malheureusement, c’est un argument qui rate sa cible. Une ordonnance judiciaire est valide tant qu’elle n’est pas infirmée. Dans l’arrêt Wilson c La Reine, [1983] 2 RCS 594, le juge McIntyre s’exprimait ainsi, à la page 599 :

Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins dêtre infirmée en appel ou légalement annulée. […]

Le principe subsiste puisqu’il a été invoqué par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Lewry, 2012 CAF 125 au para. 17, et dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Siggelkow, 2012 CAF 123 au para 17.

[44] Le principe de la validité d’une ordonnance judiciaire, qu’elle soit plus tard infirmée ou non, est exposé en détail dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1996] 1 CF 787 aux para 16‑19 :

16 Notre système juridique est enraciné dans le principe de la primauté du droit. Il est donc clair que, lorsqu’un tribunal rend une ordonnance, il faut obéir à cette ordonnance même s’il s’avère, pour quelque raison, qu’elle a été rendue par erreur. Il en est ainsi parce qu’il y a en jeu plus que la simple question de la validité d’une ordonnance donnée. Ce qui est en jeu, ce sont l’intégrité et l’autorité mêmes des institutions judiciaires du Canada.

17 Les citoyens ne peuvent pas choisir de désobéir aux ordonnances judiciaires qu’ils considèrent erronées. Cela mènerait au chaos. Dans un pays comme le nôtre qui préconise « la paix, l’ordre et le bon gouvernement », nous devons nous conformer aux ordonnances judiciaires même pendant qu’elles sont contestées légalement devant les tribunaux dans le respect de l’ordre. Cela ne veut pas dire que les tribunaux ne font jamais d’erreurs; ils en font évidemment. C’est pourquoi nous avons un système d’appel. Si un plaideur considère qu’une décision judiciaire est erronée, le recours approprié consiste à la contester par les voies judiciaires prévues, non pas à la contester en refusant de s’y conformer.

18 À mon avis, il en est ainsi indépendamment du fondement sur lequel on s’appuie pour attaquer la justesse de l’ordonnance judiciaire. Car les tribunaux peuvent se tromper de diverses façons. Il devrait importer peu qu’il s’agisse d’une erreur de fait, de droit ou de preuve. Il devrait en être de même si l’ordonnance fait l’objet d’une contestation pour des motifs d’ordre constitutionnel. De la même manière, si la contestation repose sur une question de compétence, il faut se conformer à l’ordonnance. Il doit en être ainsi, car sinon toute personne qui ne voudrait pas se conformer à une ordonnance judiciaire pourrait prétendre que le tribunal n’avait pas compétence pour rendre cette ordonnance, ce qui permettrait de contourner ce principe vital du respect des ordonnances judiciaires pendant la contestation de leur légalité. L’histoire du droit administratif canadien nous montre comment la notion de compétence peut être élastique, car elle comprend à la fois des erreurs de droit, de fait et de procédure même énormes. Admettre une exception au principe dans le cas des erreurs de compétence risquerait de lui enlever presque tout sens.

19 Dans toutes ces situations également, il me semble que la procédure à suivre pour un plaideur qui croit qu’une ordonnance judiciaire a été rendue à tort est d’interjeter appel ou de demander un contrôle judiciaire. Entre‑temps, il peut demander un sursis. On ne peut pas tolérer dans notre pays que les gens se fassent justice et ne se conforment pas aux ordonnances judiciaires qu’ils estiment rendues à tort.

[45] D’ailleurs, dans le jugement Netbored Inc. c Avery Holdings Inc., 2005 CF 1405 [Netbored], la Cour a jugé que la demanderesse pouvait être accusée d’outrage au tribunal pour avoir passé outre aux conditions d’une injonction provisoire qui par la suite avait été annulée. Au paragraphe 77, le juge Hughes énonce ce qui suit :

[77] Bien qu’elle ait été annulée, l’ordonnance Anton Piller, à l’exception de la partie relative aux renseignements confidentiels qui a toujours été invalide, était valide à compter du moment où elle a été accordée jusqu’à aujourd’hui. Les parties concernées devaient donc s’y conformer. Comme le juge Goulding l’a écrit dans la décision Wardle Fabrics Ltd. c. G. Myristis Ltd., [1984] F.S.R. 263, aux pages 271 et 272 :

[TRADUCTION] [...] J’aurais pensé que, si le tribunal rend une ordonnance dans le cadre de sa compétence, ce qui signifie dans des circonstances telles que l’ordonnance n’est pas invalide en droit, alors une partie est tenue de s’y conformer, à défaut de quoi elle risque d’être poursuivie pour outrage, et que l’annulation subséquente de l’ordonnance au motif qu’elle a été irrégulièrement obtenue n’aurait logiquement et en principe aucune incidence sur la peine pouvant être infligée pour outrage à la partie en défaut. Il me semble que le système d’administration de la justice s’effondrerait si les justiciables avaient le droit d’appliquer leurs propres idées ou celles de leur conseiller aux possibilités de voir une ordonnance être subséquemment annulée et de désobéir sur la foi de pareil jugement privé et ainsi, si jamais le jugement s’avérait incorrect, de ne pas être punis...

Puis, au paragraphe 79, le juge Hughes rend l’ordonnance de justification et, au paragraphe 80, il affirme que « [l]e fait que l’ordonnance était imprécise et qu’elle a maintenant été annulée ne fait pas disparaître l’outrage ». Me Knopf, l’avocat de M. Wright, a concédé, au cours de l’audience de l’après‑midi, que la présente affaire n’en est pas une qui échappait à la compétence de la Cour. Ce point étant précisé, nous pouvons constater que la violation d’une ordonnance provisoire peut à juste titre constituer le fondement d’une allégation d’outrage, même si ladite ordonnance est par la suite annulée.

[46] Cette position énoncée dans la décision Netbored sur la validité de poursuites pour outrage, quand bien même l’ordonnance à l’origine desdites poursuites serait‑elle plus tard invalidée, s’accorde avec le même principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c Taylor, [1990] 3 RCS 892 au para 186 :

186 Comme je conclus à l’invalidité de la disposition législative sur laquelle est fondée l’ordonnance du Tribunal, l’ordonnance ne peut être maintenue. J’accorde donc la demande d’annulation de l’ordonnance du Tribunal. L’annulation ne prend toutefois effet qu’à partir de la date où le présent arrêt est rendu. Pour les fins des procédures pour outrage au tribunal, l’ordonnance doit être considérée comme valide jusqu’à son annulation par les voies de justice. Par conséquent, l’invalidité éventuelle de l’ordonnance ne constitue pas un moyen de défense opposable à la déclaration de culpabilité d’outrage au tribunal.

[Non souligné dans l’original.]

[47] Ce principe continue de faire autorité puisqu’il a été repris récemment par le juge Lafrenière dans la décision Bacon St‑Onge c Conseil des Innus de Pessamit, 2019 CF 794 au para 67.

[48] Il convient de noter que le paragraphe 399(1) des RCF dispose qu’une ordonnance ex parte peut être annulée ou modifiée « si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue ». Mais le fait que l’ordonnance soit annulée ne porte pas atteinte à sa validité. Le paragraphe (3) de l’article 399 dispose :

Effet de l’ordonnance

Effect of order

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation ou la modification d’une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification.

(3) Unless the Court orders otherwise, the setting aside or variance of an order under subsection (1) or (2) does not affect the validity or character of anything done or not done before the order was set aside or varied.

Il s’ensuit qu’une ordonnance de justification sera rendue si les conditions y donnant ouverture sont réunies.

[49] Pour qu’une ordonnance soit rendue en application de l’article 467, la Cour doit être d’avis « qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché » (para 467(3)). Les demanderesses doivent, à l’étape de la justification, présenter la preuve qu’il existe une ordonnance judiciaire, que les défendeurs ont connaissance de l’ordonnance et qu’ils ont sciemment désobéi à l’ordonnance (Mennes c Oddie, 2001 CFPI 571 au para 5, Orr c Première Nation de Fort Mckay, 2012 CF 1436 aux para 13 à 15; plus généralement, sur les trois éléments, l’arrêt Carey c Laiken, 2015 CSC 17, [2015] 2 RCS 79 aux para 32 à 35).

[50] Le témoignage non contredit des deux avocats superviseurs indépendants atteste amplement les éléments requis, de sorte que je suis convaincu qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché. Les ordonnances provisoires ont été signifiées aux défendeurs, elles leur ont été expliquées, et ils ont choisi de les ignorer. Une preuve prima facie a donc été faite, et une ordonnance est rendue en application de l’article 467. Les éléments spécifiques des ordonnances provisoires dont l’inobservation est alléguée sont énumérés dans l’ordonnance annexée au jugement et aux motifs de jugement.

B. Les ordonnances provisoires devraient‑elles être annulées?

[51] Les défendeurs soutiennent que les ordonnances provisoires devraient être annulées pour une diversité de raisons. S’agissant de M. Wright, il affirme que l’ordonnance provisoire renferme une ordonnance Anton Piller et une injonction Mareva. Les éléments requis pour que soit accordée une telle ordonnance n’ont pas été remplis; les demanderesses se sont fondées sur des sources anonymes, et, partant, les renseignements devraient être déclarés inadmissibles ou ne bénéficier d’aucun crédit.

[52] S’agissant de M. White, il affirme lui aussi que les demanderesses n’ont pas rempli les exigences d’une ordonnance Anton Piller :

  • faiblesse de la preuve montrant que M. White avait en sa possession des pièces ou « choses » compromettantes;

  • les demanderesses n’ont pas établi une réelle possibilité que M. White en vienne à détruire des pièces ou des « choses » avant le processus de communication de la preuve;

  • le préjudice que pourraient subir les demanderesses n’a pas été établi par suffisamment d’éléments de preuve admissibles;

  • la Cour n’a pas été bien servie par les demanderesses, étant donné qu’une récente jurisprudence de la Cour d’appel fédérale ébranle la prétention des demanderesses concernant « la mise à disposition », dans leur déclaration, eu égard aux observations de la Cour d’appel fédérale à propos du paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur.

J’examinerai tour à tour ces arguments.

(1) M. Wright

[53] M. Wright dit, avec justesse, que la déclaration parle, entre autres choses, de la création, de l’exploitation, de l’entretien, de la promotion et de la vente d’abonnements au service Beast IPTV, dont les demanderesses disent qu’il s’agit d’un [traduction] « service non autorisé et en continu sur Internet, qui offre, à des dizaines de milliers d’abonnés de par le monde, y compris au Canada, un accès non autorisé, immédiat et illimité à une quantité considérable d’œuvres cinématographiques sur lesquelles les demanderesses détiennent le droit d’auteur » (Déclaration datée du 2 octobre 2020, au para 14).

[54] Les services d’IPTV sont décrits au paragraphe 28 de la déclaration :

[traduction]

28. La télévision sur protocole Internet (« IPTV ») consiste en la fourniture de contenus télévisuels (y compris des films) sur Internet. Certaines personnes ou entreprises qui peuvent légalement recevoir une émission de télévision configurent par la suite et exploitent des « services IPTV », lesquels se connectent à des serveurs Internet privés qui retransmettent cette émission sur Internet sans l’autorisation des détenteurs légitimes de droits. Les services d’IPTV sont aussi en mesure de transmettre aux utilisateurs, sur Internet, des contenus vidéos à la demande.

[Caractères gras dans l’original.]

La déclaration se poursuit par une différenciation des services d’IPTV :

[traduction]

30. Tandis que les services légitimes d’IPTV tels que Bell FIBE TV sont mis à la disposition des consommateurs canadiens, les services d’IPTV illégitimes et non autorisés qui n’ont pas l’autorisation des titulaires du droit d’auteur pour rediffuser des contenus télévisuels en direct ou pour mettre à la disposition des utilisateurs des contenus vidéos à la demande sont également de plus en plus répandus.

Il est expliqué plus en détail dans l’allégation la manière dont ces services fonctionnent :

[traduction]

31. Les services d’IPTV non autorisés mettent en général à disposition une quantité considérable de films et de contenus télévisuels, par l’entremise d’une interface conviviale conçue pour donner à l’utilisateur une expérience très comparable à l’expérience offerte par les services légitimes de télévision câblée, de télévision satellitaire ou autres services par abonnement. Par exemple, les utilisateurs peuvent choisir des contenus en direct à partir d’un guide des canaux, et des contenus vidéos à la demande, en parcourant une diversité de genres ou un menu consultable.

32. Les services d’IPTV non autorisés sont en général fournis par le biais d’un modèle de revenus par abonnement. Une fois que les utilisateurs ont acheté un abonnement, lequel est en général offert en majorations mensuelles et est généralement bien meilleur marché que les abonnements offerts par les services télévisuels légitimes, les contenus IPTV peuvent être visionnés au moyen de divers dispositifs électroniques. Par exemple, les contenus peuvent être visionnés sur un ordinateur standard, sur un téléphone intelligent ou sur une « boîte de décodage » ‑ un dispositif qui peut être connecté à tout téléviseur standard de manière à activer des fonctionnalités supplémentaires pour ledit téléviseur.

[55] Les demanderesses auraient appris en août 2018 que les défendeurs exploitaient le service Beast IPTV, lequel est décrit aux paragraphes 38 et 40 de la déclaration :

[TRADUCTION]

38. Le service Beast IPTV est expressément conçu pour donner aux utilisateurs un accès immédiat et non autorisé à une énorme quantité de chaînes de télévision — plus de 1600 — de partout dans le monde, y compris des chaînes spécialisées consacrées au sport, au cinéma et aux séries télévisées.

40. Les contenus diffusés par le service Beast IPTV comprennent une grande quantité d’œuvres protégées par le droit d’auteur que détiennent les demanderesses, dont les contenus sont diffusés sans leur autorisation.

[56] Les demanderesses allèguent que les défendeurs sont les principaux individus chargés de lancer, développer, exploiter et promouvoir le service Beast IPTV, et de vendre des abonnements à ce service. Il suffit pour nos besoins de signaler les diverses plateformes par lesquelles un utilisateur peut accéder aux services en question :

[TRADUCTION]

49. Une fois qu’il a acheté un abonnement au service Beast IPTV, que ce soit directement par le biais du service Beast IPTV ou indirectement par l’intermédiaire d’un tiers revendeur, l’utilisateur peut accéder au service Beast IPTV sur les plateformes suivantes :

a. tout navigateur Internet (« le portail Web Beast IPTV »);

b. une application logicielle conçue pour les appareils fonctionnant sous Android (« l’application Android de Beast IPTV »;

c. un boîtier décodeur l’interface du boîtier décodeur de Beast IPTV »);

d. un lecteur multimédia conçu pour les appareils Android (« le lecteur Beast IPTV Perfect »);

e. une liste de lecture M3U Playlist (« la liste de lecture M3U de Beast IPTV »).

[Caractères gras dans l’original.]

[57] Plus particulièrement, les demanderesses allèguent que M. White est le principal fondateur, exploitant et promoteur des services Beast IPTV, tandis que M. Wright serait [traduction] « un partenaire à parts égales de M. White en ce qui concerne l’exploitation du service Beast IPTV » (déclaration, au para 41).

[58] Dans leur déclaration, les demanderesses invoquent le paragraphe 2.4(1.1), l’alinéa 3f) et l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur. Elles allèguent spécifiquement que [traduction] « les défendeurs, par le biais de leur exploitation du service Beast IPTV, communiquent au public les œuvres des demanderesses par télécommunication, notamment en mettant à la disposition des utilisateurs les œuvres des demanderesses par télécommunication de manière à ce que ces utilisateurs y aient accès au lieu et au moment de leur choix […] » (déclaration, au para 72). Les défendeurs interviendraient dans la sélection des contenus auxquels les utilisateurs ont accès en : (1) exploitant, promouvant, appuyant et vendant des abonnements; (2) en rendant le service Beast IPTV disponible par le biais de plateformes, (3) en exploitant des domaines et des sous‑domaines à partir desquels les utilisateurs achètent le service Beast IPTV et y ont accès.

[59] La déclaration se termine avec une liste représentative d’œuvres protégées par le droit d’auteur dont la distribution n’a pas été autorisée et qui sont distribuées par le biais du service Beast IPTV des défendeurs. De plus, une liste de chaînes payantes et de chaînes spécialisées de Bell Media Inc., une des demanderesses, est fournie.

[60] La Cour est convaincue qu’il y a lieu de rendre les ordonnances provisoires demandées parce que la requête ex parte satisfait au critère applicable, à savoir : (1) il y a une question sérieuse à juger; (2) un préjudice irréparable sera causé si la requête n’est pas accueillie; (3) la prépondérance des inconvénients milite en faveur des demanderesses. Si un avis de requête devait être donné aux défendeurs, cela irait à l’encontre du but de la requête (para 374(1) des Règles).

[61] Les conclusions de la Cour sont fondées sur un dossier volumineux de près d’un millier de pages renfermant de nombreux affidavits, dont ceux des personnes suivantes :

  • Nikki Moffat, de Bell Media : M. Moffat a témoigné au sujet de nombreuses chaînes de télévision détenues et exploitées par Bell Media. Son affidavit portait sur la façon dont Bell Media produit certaines des émissions qu’elle diffuse sur certaines de ses chaînes de télévision;

  • Shawn Omstead, de Bell Media : M. Omstead a témoigné au suspect de la propriété par Bell Media du droit canadien de communiquer les émissions de Bell au public par télécommunication, au moyen de la télédiffusion. M. Omstead a également témoigné au sujet des dommages causés par les services illégaux d’IPTV. Le témoin a fourni plusieurs pièces à l’appui;

  • Sundeep Chauhan, vice‑président, GCP, de l’Association cinématographique – Canada : ce témoin s’est principalement concentré sur les mesures d’application de la loi déployée par cette association de l’industrie, notamment en ce qui concerne Beast IPTV. Il a fourni des listes représentatives des œuvres des demanderesses avec leur numéro d’enregistrement de droit d’auteur canadien respectif. Il s’est notamment attardé aux répercussions des services IPTV illégaux sur les studios demandeurs;

  • Andrew McGuigan, un des administrateurs de GCP et le principal enquêteur : ce témoin a relaté de façon exhaustive les détails de son enquête. Il a expliqué comment l’IPTV [télévision sur protocole Internet] fonctionne pour diffuser des contenus télévisuels sur Internet. Il s’est concentré sur le service Beast IPTV pour expliquer le fonctionnement du portail administratif et de paiement. L’accès aux contenus diffusés par le service Beast IPTV peut se faire sur des appareils tels que des boîtiers décodeurs, des ordinateurs, des tablettes et des téléphones intelligents. Grâce à son travail d’enquête, M. McGuigan a pu identifier quatre domaines racines et une grande quantité de sous‑domaines (les adresses sur Internet sont souvent appelées domaines et sous‑domaines) associés au service Beast IPTV. De plus, une source anonyme a révélé l’existence de nouveaux domaines qui avaient été créés, mais n’étaient pas encore utilisés.

Le témoin a pu compter sur l’aide d’une source anonyme qui avait obtenu des renseignements par le biais d’informateurs anonymes. Cette source s’est avérée fiable après corroboration (affidavit d’Andrew McGuigan, au para 165). M. McGuigan s’est livré au processus laborieux consistant à établir un lien entre les défendeurs et Beast IPTV (du para 161 au para 267). Le témoignage de cet enquêteur constitue une solide preuve prima facie permettant d’associer Beast IPTV aux défendeurs. Les éléments de preuve circonstanciels se sont avérés convaincants.

  • Yves Rémillard, enquêteur au département de la sécurité de Bell Media : ce témoin a fourni une confirmation supplémentaire concernant M. Wright. Une source confidentielle avait informé M. McGuigan que M. Wright était impliqué dans le service Beast IPTV et qu’il opérait sous le pseudonyme « Brad B ». Cette même source a fourni aux témoins une adresse IP associée à « Brad B ». Cette adresse est l’adresse IP d’un abonné aux services Internet de Bell Canada. Une recherche dans le système interne de Bell Canada [traduction] « a révélé que l’adresse IP est liée au compte de M. Wright, à son adresse actuelle […] » (para 21).

[62] Voilà donc le contexte dans lequel les arguments formulés au nom de M. Wright en vue de faire annuler l’ordonnance provisoire ont été présentés. Les demanderesses se sont fiées à des renseignements provenant d’une source anonyme et l’ordonnance a été rendue malgré le fait que les conditions essentielles à l’obtention d’une ordonnance Anton Piller et d’une injonction Mareva n’étaient pas satisfaites. Commençons par les renseignements fournis par une source anonyme. Il n’y a aucun doute qu’on a recouru à une source anonyme qui a fourni des pistes qui, selon les demanderesses, se sont avérés fiables et ont permis d’obtenir des renseignements précieux.

[63] Le défendeur Colin Wright estime qu’il ne convient pas de se fier à une source anonyme. Il fait valoir que les demanderesses tablent fortement sur ces sources d’information. Le défendeur Colin Wright soutient que l’identité des sources anonymes n’est protégée par aucun privilège. En fin de compte, l’argument semble se résumer au fait que les demanderesses n’ont pas produit les meilleures preuves disponibles.

[64] Les demanderesses rétorquent en soulignant que le recours à des informateurs anonymes n’a rien d’inédit, contrairement à ce que prétendent les défendeurs. En fait, dans une autre affaire intéressant la fourniture de services IPTV non autorisés, notre Cour a tenu compte de ce type de preuve – les juges Leblanc et Annis, dans le dossier T‑329‑19. Mais surtout, elles invoquent l’article 81 des RCF pour soutenir que les affidavits sont admissibles.

[65] Le paragraphe 81(1) des Règles précise dans les termes les plus nets que la preuve par ouï‑dire est présumée admissible dans le cas d’une requête comme la présente, qui vise à obtenir une injonction provisoire. L’article 81 des Règles est ainsi libellé :

Contenu

Content of affidavits

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête — autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire — auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81 (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

Poids de l’affidavit

Affidavits on belief

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

DORS/2009‑331, art. 2.

SOR/2009‑331, s. 2.

[66] Je partage l’opinion qu’a récemment exprimée la juge Kane dans le jugement Gray c Canada (Procureur général), 2019 CF 301 :

[133] L’interdiction du ouï‑dire ne s’applique pas à « une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire ». Par conséquent, aux termes du paragraphe 81(1) des Règles, les affidavits contenant du ouï‑dire sont présumés admissibles aux fins des requêtes interlocutoires (John Doe c R, 2015 CF 236, aux paragraphes 21 et 22, 256 ACWS (3 d) 782), dont les requêtes en production de documents. Cette preuve n’a pas besoin de satisfaire aux exigences de nécessité et de fiabilité pour être admissible. L’application de ces exigences au ouï‑dire dans les affidavits présentés dans le cadre de requêtes ne serait pas conforme au libellé du paragraphe 81(1) des Règles. Toutefois, l’article 81(1) des Règles prévoit comme condition que le déposant énonce les motifs à l’appui de ce qu’il croit être les faits. Le paragraphe 81(2) des Règles permet également de tirer une conclusion défavorable lorsqu’une partie omet d’offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels.

[67] L’avocat de M. Wright invoque le jugement ME2 Productions, Inc. c Untel, 2019 CF 214 [ME2 Productions, Inc.], qui portait sur la question de savoir si la preuve était suffisante pour justifier de rendre une ordonnance de type Norwich. Dans cette affaire, les demanderesses souhaitaient obtenir le nom et l’adresse des abonnés ayant illégalement téléchargé et partagé des films à l’égard desquels les demanderesses détenaient le droit d’auteur. À mon avis, cette affaire est de peu d’utilité en l’espèce. Premièrement, le contexte est très différent. Dans le jugement ME2 Productions, Inc., notre Cour a insisté pour dire qu’il fallait tenir compte du droit à la vie privée d’un grand nombre de personnes dont le nom risquerait d’être divulgué. Deuxièmement, la preuve principale figurait dans la déclaration d’une personne et cette déclaration avait été annexée à l’affidavit d’un auxiliaire juridique du cabinet d’avocats représentant les demanderesses, de sorte qu’on ne pouvait pas forcer le déclarant à subir un contre‑interrogatoire. Pour reprendre les paroles du juge Pentney : « [c]ette preuve n’est tout simplement pas suffisante. J’estime qu’avant que la Cour puisse délivrer une ordonnance de type Norwich, les appelantes doivent déposer une preuve de meilleure qualité » (para 123). Ce n’est tout simplement pas le cas en l’espèce. Nous n’avons pas affaire à un affidavit annexé à un autre affidavit laconique. D’ailleurs, M. McGuigan, pour ne prendre que lui, pouvait effectivement faire l’objet d’un contre‑interrogatoire dans le but de contester la fiabilité de la source, contrairement à ce qui semble avoir été le cas dans l’affaire ME2 Productions, Inc., étant donné que le moyen choisi dans cette affaire avait été de faire intervenir un auxiliaire juridique, alors qu’en l’espèce, on a fait appel à l’enquêteur principal.

[68] Les demanderesses mentionnent des renseignements fournis par l’informateur anonyme qui concernent directement M. Wright, à savoir :

  • M. Wright dirige, avec M. White, le service Beast IPTV;

  • le pseudonyme « Brad B » est utilisé par M. Wright, et une adresse IP qui serait associée à « Brad B » a été fournie par la source confidentielle. Une recherche dans le système interne de Bell Canada a révélé que l’adresse IP était liée au compte que possède M. Wright à son adresse actuelle;

  • le code d’identification Skype de M. Wright était le pseudonyme « Brad B »;

  • le nom d’utilisateur @CVOmam sur Telegram est utilisé par M. Wright;

  • une liste de sources de contenus d’IPTV a révélé les noms « Brad‑98cGghz » et Segastreams.

[69] Ce genre de renseignements a été évalué et corroboré, ce qui témoigne de leur fiabilité et de celle de la personne qui les a communiqués. En réalité, les enquêtes qui ont été ouvertes ont confirmé les pistes qui avaient été fournies. Après avoir examiné la preuve présentée à l’étape de l’ordonnance provisoire, je retiens les éléments suivants, tirés du paragraphe 23 de la réponse des demanderesses aux requêtes incidentes (17 décembre 2021) :

i. le code d’identification Skype de « Brad B » indique qu’il vit au Canada;

ii. CVO est un type de moto Harley‑Davidson qui se trouvait sur le profil Facebook de M. Wright;

iii. l’adresse IP liée à « Brad B » a été retracée jusqu’à l’adresse du domicile de M. Wright;

iv. « Segastreams » est un nom de domaine enregistré auprès de Go‑Daddy par Colin Wright de l’Ontario;

v. le site Web beastiptv et le site vaderstreams.ca (un autre site enregistré au nom de Colin Wright) utilisent le même compte google analytics;

vi. Le site Web beastiptv.com renfermait de nombreux éléments identiques ou similaires (par exemple, des fichiers d’images) à ceux précédemment utilisés sur le site Web vaderstreams.ca de M. Wright.

Premier affidavit de McGuigan, para 233‑234, 243‑259, 262‑265, pièces AM‑49 à AM‑51, AM‑58 à AM‑61, AM‑62 à AM‑65[PMR 2 octobre 2020 – onglet 5 et AM‑49 à AM‑51, AM‑58 à AM‑61, AM‑62 à AM‑65] (confidentiel)

Premier affidavit souscrit par Rémillard le 29 septembre 2020, para 18‑21 [PMR 2 octobre 2020 – onglet 6] (confidentiel).

[70] Le même type d’analyse a été effectué au sujet de l’autre défendeur, Tyler White. De toute évidence, les faits obtenus de façon indépendante par l’informateur anonyme confirment la véracité des renseignements fournis. En clair, l’exactitude de ces renseignements est confirmée par les enquêtes ultérieures qui ont confirmé la véracité de l’information fournie par l’informateur anonyme.

[71] Les seuls éléments de preuve dont dispose la Cour sont ceux que lui ont soumis les témoins des demanderesses. Les défendeurs n’ont soumis aucun élément de preuve pour réfuter les éléments de preuve présentés par les demanderesses qui corroboraient ceux soumis par la source confidentielle. Il n’y a pas non plus eu de contre‑interrogatoire des auteurs des affidavits qui aurait. par exemple, pu remettre en question les motifs de leur conviction. Ainsi que la Cour d’appel a déclaré dans l’arrêt Lumonics Research Ltd. c Gould et autre, [1983] 2 CF 360 à la page 369 :

[…] À mon sens, la Règle 332(1) subordonne la recevabilité d’une déposition sous forme d’affidavit fondé sur ce qu’on croit à seulement deux conditions : premièrement, l’affidavit doit être déposé lors d’une requête interlocutoire et, deuxièmement, le déposant doit indiquer dans son affidavit pourquoi il le croit. Une fois ces conditions remplies, la déposition sous forme d’affidavit est, à mon avis, recevable bien qu’elle puisse avoir peu de poids ou de valeur probante ou n’avoir aucun poids ni valeur probante.

[72] Par conséquent, les éléments de preuve sont admissibles. Compte tenu des circonstances de l’espèce, je ne vois aucune raison de tirer une conclusion négative du fait de l’absence de témoignage de la personne ayant eu personnellement connaissance de certains faits matériels. Il va de soi qu’au début de l’instance, lorsque les demanderesses sollicitaient une ordonnance provisoire contre les défendeurs, qui souhaitaient garder leurs activités secrètes – affidavit d’Andrew McGuigan, aux para 161 à 163 –, il était important de protéger l’identité des sources ayant fourni des renseignements importants qui se sont avérés exacts (Première Nation crie de Split Lake c Sinclair, 2007 CF 1107). Les sources en question pourront peut‑être fournir d’autres renseignements si l’ordonnance provisoire demandée est accordée et exécutée. C’est effectivement ce qui s’est produit en l’espèce. Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire qu’il est évident que la poursuite de l’enquête aurait été compromise et qu’on n’aurait peut‑être pas pu obtenir les éléments de preuve qui ont été recueillis après l’exécution des ordonnances provisoires. Il n’y a d’ailleurs aucune raison de remettre en question la véracité des renseignements qui ont été fournis, compte tenu de la corroboration dont ils ont fait l’objet.

[73] Il s’ensuit que la mesure réclamée par M. Wright en vue de faire radier les paragraphes des affidavits souscrits par MM. McGuigan et Rémillard qui reposent sur des preuves par ouï‑dire ne peut être accordée. Ces éléments de preuve sont admissibles par application de l’article 81 des Règles. Il en va de même pour la prétention suivant laquelle une conclusion défavorable devrait être tirée.

[74] L’autre argument soulevé par M. Wright en vue de faire annuler l’ordonnance provisoire le visant est que, compte tenu de la nature de l’ordonnance sollicitée — qu’il estime être une ordonnance Anton Piller —, les conditions essentielles n’ont pas été respectées. À titre subsidiaire, les paragraphes de l’ordonnance qui sont de la nature d’une injonction Mareva devraient selon lui être radiés.

[75] Le défendeur Colin Wright fait valoir, en se fondant sur l’arrêt Celanese Canada Inc. c Murray Demolition Corp., 2006 CSC 6, [2006] 2 RCS 189 [Celanese], que quatre conditions essentielles doivent être réunies pour que le tribunal puisse régulièrement rendre une ordonnance Anton Piller, à savoir :

35 Quatre conditions doivent être remplies pour donner ouverture à une ordonnance Anton Piller. Premièrement, le demandeur doit présenter une preuve prima facie solide. Deuxièmement, le préjudice causé ou risquant d’être causé au demandeur par l’inconduite présumée du défendeur doit être très grave. Troisièmement, il doit y avoir une preuve convaincante que le défendeur a en sa possession des documents ou des objets incriminants, et quatrièmement, il faut démontrer qu’il est réellement possible que le défendeur détruise ces pièces avant que le processus de communication préalable puisse être amorcé […]

Le défendeur affirme que la troisième et la quatrième condition sont les plus importantes, ajoutant qu’elles n’ont pas été étayées par des éléments de preuve suffisants en l’espèce.

[76] Le défendeur table fortement sur le jugement Vinod Chopra Films Private Limited c Untel, 2010 CF 387, à l’appui de certaines propositions, à savoir :

  • le tribunal qui s’interroge sur l’opportunité de rendre une ordonnance Anton Piller devrait également se demander si cette mesure nuirait au défendeur (ou à ses arguments ou se demander si l’intérêt de la justice serait déconsidéré(para 24);

  • une partie « ne devrait pas choisir de produire des éléments de preuve suffisants pour convaincre un tribunal de prononcer l’ordonnance, puis de réparer les défauts si l’ordonnance est contestée » (para 20);

  • « une ordonnance Anton Piller sera accordée seulement lorsqu’il existe un grave danger que des pièces pertinentes soient détruites » (para 20);

  • « en résumé, la conduite d’un défendeur après que l’ordonnance a été accordée peut être utilisée, mais seulement avec une extrême prudence si elle sert à étayer une allégation faite lors de l’audience ex parte selon laquelle le défendeur était susceptible de détruire les pièces pertinentes » (para 22).

Ainsi, la simple possibilité que des documents incriminants soient détruits n’est pas considérée comme une véritable possibilité.

[77] Les demanderesses font valoir que les ordonnances provisoires ne sont pas des ordonnances Anton Piller. Ces ordonnances ne visent pas à recueillir des éléments de preuve incriminants, mais plutôt à protéger la compétence du tribunal en empêchant le défendeur de se soustraire à la compétence du tribunal en transférant la propriété ou le contrôle du service Beast IPTV hors du ressort assujetti à la compétence de la Cour. Il est nécessaire d’éviter les jugements vides de sens.

[78] Il incombe aux avocats superviseurs indépendants d’obtenir les identifiants nécessaires pour prendre en main l’infrastructure et pour agir comme gardiens. Les ordonnances provisoires n’ont donc pas pour effet de remettre aux demanderesses le service Beast IPTV, ou son infrastructure; il n’y a pas d’inspection d’éléments de preuve potentiels ni d’inspection à tout autre fin.

[79] Ainsi que la Cour suprême fait observer dans l’arrêt Celanese : « [l]’ordonnance Anton Piller ressemble étrangement à un mandat de perquisition privé » (para 1). La Cour signale, au paragraphe 30, que « [l]es ordonnances ex parte de type Anton Piller autorisent désormais régulièrement des perquisitions et saisies non seulement dans des lieux commerciaux, mais encore dans des résidences ». Robert Sharpe, dans son ouvrage célèbre Injunctions and Specific Performance, Canada Law Book, éditions à feuilles mobiles, Thomson Reuters, définit comme suit l’ordonnance Anton Piller (¶ 2.1100) :

[traduction]

Dans l’arrêt Anton Piller KG c. Manufacturing Processes Ltd., la Cour d’appel d’Angleterre a confirmé le bien‑fondé d’une pratique alors courante dans les affaires de propriété industrielle consistant à prononcer une forme nouvelle et originale d’injonction ex parte. Ces injonctions permettent au demandeur d’accéder aux locaux du défendeur afin d’y inspecter des documents et d’en retirer des éléments sur lesquels le demandeur fait valoir un droit de propriété. Elles sont rendues lorsque le demandeur a présenté une preuve solide et qu’il est clair que les défendeurs sont des voyous qui feraient fi des moyens de contrainte habituels du tribunal et priveraient effectivement le demandeur de ses recours.

[Notes de bas de page omises et non souligné dans l’original].

Les ordonnances provisoires qui ont été rendues en l’espèce n’appartiennent pas à la catégorie des ordonnances Anton Piller habituelles; il ne s’agit pas non plus de mandats de perquisition :

[traduction]

La plupart des affaires portaient sur les problèmes posés par les « pirates » de brevets et de droits d’auteur. Les équipements modernes d’enregistrement et de reproduction, sophistiqués et relativement bon marché, ont facilité la reproduction illégale et permis de réaliser de gros profits. Même si les demandeurs peuvent retracer certains détaillants et réussir à les empêcher de poursuivre leurs activités, cette méthode s’avère souvent inefficace. Les contenus illicites sont simplement transférés vers d’autres points de vente et la source reste inconnue. En pareil cas, les aspects bénéfiques des ordonnances Anton Piller sont clairs et cette innovation judiciaire a souvent permis d’accorder une réparation là où d’autres mesures moins radicales auraient sûrement été inefficaces. L’ordonnance Anton Piller permet au demandeur d’obtenir la preuve de la faute du défendeur et de saisir les contenus faisant l’objet d’une revendication de propriété. Les ordonnances Anton Piller sont flexibles.

( 2.1110)

[Notes de bas de page omises et non souligné dans l’original.]

Dans le cas qui nous occupe, l’ordonnance ne vise pas à strictement parler à effectuer une perquisition « destinée à […] permettre [à une autorité publique] de saisir et de conserver des éléments de preuve susceptibles d’étayer ses allégations dans un litige privé » (Celanese, précité, au para 1).

[80] Néanmoins, les ordonnances provisoires qui ont été rendues en l’espèce constituent, de par leur nature, une mesure attentatoire semblable à celle causée par une ordonnance Anton Piller typique. À mon avis, il s’ensuit que le critère à respecter pour pouvoir rendre une ordonnance qui, dans une large mesure, ressemble à une ordonnance Anton Piller, doit répondre, avec les adaptations de circonstance, aux exigences de l’ordonnance Anton Piller, ce qui explique pourquoi il est nécessaire de présenter une preuve prima facie solide et pourquoi le préjudice causé aux demandeurs doit être très grave. Pour reprendre la formule employée par la Cour suprême dans l’arrêt Celanese : « il faut démontrer qu’il est réellement possible que le défendeur détruise ces pièces avant que le processus de communication préalable puisse être amorcé » (para 35). Il me semble que ces exigences devraient s’appliquer au type d’ordonnance provisoire sollicitée en l’espèce.

[81] L’existence d’un grave préjudice pour les demanderesses n’est pas contestée en l’espèce. Quoi qu’il en soit, il reste que l’exigence de la deuxième condition essentielle devrait également s’appliquer au type d’ordonnance attentatoire demandée en l’espèce, ce qui permet de limiter le type de cas où le prononcé de cette ordonnance peut être envisagé. L’exigence a été remplie; la preuve était amplement suffisante.

[82] La troisième condition essentielle — existence d’une preuve convaincante que le défendeur a en sa possession des documents ou des objets incriminants — ne peut s’appliquer pleinement à d’autres ordonnances que l’ordonnance Anton Piller. Toutefois, cette condition sert, dans le contexte d’une ordonnance Anton Piller, à empêcher les fameuses « recherches à l’aveuglette ». Il en va de même en l’espèce. Dans le contexte d’une ordonnance dont le but est d’éviter le transfert de la propriété ou du contrôle du service IPTV Beast, l’identification des domaines et sous‑domaines qui devraient faire l’objet de cette « ordonnance de blocage » (dans le cas qui nous occupe, les paragraphes 2B) à 2G)), suffit. On ne peut pas dire qu’il y a eu ime recherche à l’aveuglette. Cette condition a donc été remplie en l’espèce.

[83] Ainsi, c’est l’existence d’une preuve prima facie solide et la réelle possibilité que le contrôle du service Beast IPTV soit transféré qui méritent une attention plus particulière. À mon avis, les demanderesses se sont acquittées du fardeau qui leur incombait à cet égard.

[84] La preuve prima facie présentée au sujet du défendeur est solide (les demanderesses la qualifient de très solide). Il ressort du témoignage d’Andrew McGuigan et d’Yves Rémillard que Beast IPTV exploite une entreprise qui offre au public l’accès, moyennant paiement, à des contenus dont le droit d’auteur est détenu par les demanderesses. Le service Beast IPTV ne fait l’objet d’aucune licence ou autre autorisation. Les preuves dont disposait le tribunal au moment de l’examen de la requête en ordonnance provisoire concernant M. Wright démontraient son implication dans le service Beast IPTV. Parmi les éléments de preuve confirmant l’implication de M. Wright, ainsi que celle de M. White, dans l’exploitation du service Beast IPTV, mentionnons les suivants :

  • les informations fournies par une source confidentielle, qui révèlent l’implication de M. White et de M. Wright dans l’exploitation du service IPTV de Beast;

  • M. Wright utilise le pseudonyme « Brad B »;

  • une adresse IP est associée à « Brad B »;

  • le code d’identification Skype de M. Wright (live id: 969da6a673a19cad) utilisait aussi le pseudonyme « Brad B »;

  • M. Wright utilisait le nom d’utilisateur @CVOmam sur Telegram;

  • une liste de sources de contenus de Beast IPTV a révélé les noms « Brad‑98cGghz » et Segastreams;

  • le code d’identification Skype de « Brad B » indique qu’il vit au Canada;

  • CVO est un type de moto Harley‑Davidson qui se trouvait sur le profil Facebook de M. Wright;

  • l’adresse IP liée à « Brad B » a été retracée jusqu’à l’adresse du domicile de M. Wright;

  • « Segastreams » est un nom de domaine enregistré auprès de Go‑Daddy par Colin Wright, de l’Ontario;

  • le site Web beastiptv et le sie vaderstreams.ca (un autre site enregistré au nom de Colin Wright) utilisent le même compte google analytics;

  • le site Web beastiptv.com renfermait de nombreux éléments identiques ou similaires (par exemple, des fichiers d’images) à ceux précédemment utilisés sur le site Web vaderstreams.ca de M. Wright.

Sauf en ce qui a trait aux renseignements fournis par une source anonyme, il s’agit indéniablement d’éléments de preuve circonstanciels. Cependant, la preuve circonstancielle peut être solide. Elle peut mener à un verdict de culpabilité pour meurtre. Sopinka, Lederman et Bryant (Law of Evidence in Canada, LexisNexis, 3rd Edition, 2009) considèrent la définition énoncée dans l’arrêt Commonwealth c Webster, (1850) 59 Mass (5 Cush. 295) 52 Am. Dec. 711, comme une définition approuvée :

[traduction]

La distinction entre la preuve directe et la preuve circonstancielle est la suivante : la preuve directe ou positive est le témoignage qu’une personne peut présenter au sujet du fait précis qui est l’objet de la question à trancher au procès. Ainsi, dans un cas d’homicide, le témoignage pourra porter sur le fait que la partie accusée a causé le décès de la victime. Indépendamment des exigences relatives au type de preuve ou au caractère probant de la preuve, il s’agit du fait à établir. Supposons, cependant, que personne n’était présent lors du décès et que, bien entendu, personne ne peut être convoqué pour témoigner à ce sujet. Est‑il totalement impossible d’établir ce fait au moyen d’une preuve légale? L’expérience a démontré que des éléments de preuve circonstanciels peuvent être présentés en pareil cas – c’est‑à‑dire qu’un ensemble de faits peuvent être établis de façon concluante au point de justifier une ferme conviction que le fait est survenu, laquelle conviction est aussi forte et solide que celle qui dicte habituellement le comportement de diverses personnes à l’égard de leurs préoccupations les plus importantes.

(¶ 2.74)

Cette preuve est couramment utilisée et son traitement n’est pas différent de celui qui est réservé aux autres types de preuve. Les explications suivantes sont données aux paragraphes 2.77 et 2.78 de l’ouvrage Law of Evidence.

[traduction]

⸹2.77 Il n’est pas nécessaire que chaque élément de preuve mène, à lui seul, à la conclusion que l’on cherche à démontrer. Les éléments de preuve qui sont insuffisants isolément peuvent cependant, lorsqu’ils sont réunis, justifier la conclusion que les faits existent. En conséquence, le juge du procès doit éviter d’exclure des éléments de preuve individuels en cas d’engagement selon lequel la preuve est présentée dans le cadre d’un exposé plus large. Il appartient au jury de déterminer s’il existe à l’égard de cette preuve une autre explication logique que la culpabilité de l’accusé.

2. Le traitement de la preuve circonstancielle

⸹2.78 Dans les affaires civiles, le traitement de la preuve circonstancielle est relativement simple. Cette preuve est traitée comme tout autre type de preuve. Le poids qui lui est accordé est fonction de la force de la déduction qui peut en être tirée, tâche qui incombe au juge des faits.

[Souligné dans l’original et notes de bas de pages omises.]

[85] Cette preuve, qui faisait partie du dossier, n’a pas été contestée. Si les demanderesses n’avaient pas présenté suffisamment d’éléments de preuve admissibles, les défendeurs n’auraient pas été tenus de présenter leur propre preuve. Cependant, dès lors que les parties demanderesses s’acquittent de leur fardeau de preuve, il n’y a rien qui permet de présenter un point de vue différent. En conséquence, les éléments de preuve non contestés qui n’ont pas été contrebalancés par d’autres éléments de preuve confirment les renseignements selon lesquels MM. White et Wright ont participé de près à l’exploitation du Beast IPTV Service, dont les activités comprennent l’accès à des contenus protégés par le droit d’auteur diffusés sur quelque 1 600 chaînes. Cette preuve satisfait au critère d’une preuve prima facie solide.

[86] Y a‑t‑il un véritable risque que le contrôle du Beast IPTV Service soit transféré? Je suis convaincu que c’est bien possible.

[87] Au cours de la présentation de la requête ex parte, la Cour a été saisie d’éléments de preuve qui permettent de conclure à l’existence d’une réelle possibilité. Dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Procureur général) c Malik, 2011 CSC 18, [2011] 1 RCS 657 [Malik], la Cour suprême du Canada a reconnu la possibilité de tirer des conclusions :

[59] Il sera souvent difficile, voire impossible, pour un demandeur de démontrer qu’un défendeur détruira effectivement des éléments de preuve, mais il est toujours loisible au tribunal de tirer les conclusions raisonnables qui découlent nécessairement de l’ensemble des circonstances. La juge Paperny (maintenant à la Cour d’appel) a fait remarquer ce qui suit dans Capitanescu c. Universal Weld Overlays Inc. (1996), 46 Alta. L.R. (3 d) 203 (B.R.) :

[traduction]
En général, les tribunaux concluent à un risque de destruction s’il est démontré que le défendeur a agi de façon malhonnête, par exemple si le bien a été acquis dans des circonstances suspectes ou si le défendeur a sciemment violé les droits du demandeur. [par. 22]

La Cour d’appel de l’Alberta a cité et approuvé ces propos dans l’arrêt Catalyst Partners Inc. c. Meridian Packaging Ltd., 2007 ABCA 201, 76 Alta. L.R. (4 th) 264, par. 13.

Comme le montre cet extrait, il est probable que des conclusions seront tirées; elles seront fondées sur les circonstances de chaque cas.

[88] Dans la présente affaire, les arguments invoqués dans le cadre de la requête ex parte sont exposés aux paragraphes 112 à 121 et 130 à 138 des observations écrites des demanderesses. Ces arguments sont fondés sur une soixantaine de paragraphes de l’affidavit de M. McGuigan et sur quatre paragraphes de celui de M. Chauhan (ainsi que sur de nombreuses pièces). J’ai examiné attentivement ces éléments de preuve.

[89] Voici quelques‑uns des faits mis en lumière par ces affidavits :

  • les défendeurs participaient déjà à l’exploitation du Vader Streams IPTV Service. Bien que M. White ait nié avoir joué un rôle à cet égard, M. Wright a confirmé s’être engagé à mettre fin à ces activités lorsque les deux défendeurs ont reçu une lettre de « mise en demeure ». Ils ont fermé les sites Web visés par les lettres. GCP a eu de nombreuses conversations avec les défendeurs et ceux‑ci ont alors admis avoir poursuivi des activités à titre de revendeurs d’abonnements au Vader Streams IPTV Service. La Cour a conclu plus haut que le Beast IPTV Service viole le droit d’auteur appartenant aux demanderesses et que les défendeurs exploitent le service. Les lettres de mise en demeure n’ont pas pleinement atteint leur objectif, car les défendeurs ont continué à exercer des activités de la même nature, d’après la preuve non contredite;

  • les exploitants du Beast IPTV Service ont indiqué que des mesures avaient été prises pour assurer la sécurité et la longévité du service (à la fin de juillet 2020). De toute évidence, les exploitants ne comptent pas mettre fin à leurs activités commerciales;

  • également vers la fin de juillet 2020, le portail de paiement servant à traiter les nouveaux abonnements par l’entremise de BEASTPTV.com, qui était hébergé chez des commerçants de la Nouvelle‑Écosse et de l’Ontario, a été réacheminé vers un exploitant situé à Phoenix, en Arizona, soit hors du ressort assujetti à la compétence de la Cour fédérale;

  • en août 2020, un nouveau site Web et un nouveau portail de facturation, dont les adresses IP sont associées à un hôte situé à Chicago, en Illinois (États‑Unis), ont été créés pour le Beast IPTV Service;

  • M. White a affirmé ouvertement que la meilleure chose à faire en matière de services IPTV illégaux est de [traduction] « cacher en tout temps vos activités, dissimuler vos traces [] »;

  • les deux défendeurs savaient que leurs activités pouvaient fort bien aller à l’encontre de la Loi sur le droit d’auteur (lettres de « mise en demeure »); pourtant, ils semblent persévérer et montrent leur volonté et leur capacité de poursuivre leurs activités hors du ressort assujetti à la compétence de la Cour.

[90] Ces faits démontrent que les défendeurs sont conscients du risque auquel ils s’exposent sur le plan juridique, qu’ils veulent continuer à exploiter leur entreprise lucrative et qu’ils sont en mesure de poursuivre des activités commerciales hors du ressort assujetti à la compétence de la Cour : ces faits permettent de conclure à la connaissance, la motivation, la capacité et la volonté d’assurer la sécurité et la longévité. Pour revenir au passage de l’arrêt Capitanescu c Universal Weld Overlays Inc. (1996), 46 Alta. L.R. (3 d) 203 (B.R.), que la Cour suprême du Canada a cité avec approbation dans l’arrêt Malik, au paragraphe 59, il est permis de conclure à un risque de destruction s’il est démontré que les défendeurs ont agi de façon malhonnête ou qu’ils ont sciemment violé les droits d’un demandeur. En l’espèce, il existe une preuve abondante qui permet de tirer certaines conclusions. Effectivement, la facilité avec laquelle l’infrastructure — en l’occurrence, environ quatre domaines et des sous‑domaines hébergés sur des serveurs situés dans différents pays (Canada, États‑Unis, Moldavie) — peut être déplacée est également un facteur à prendre en compte. Comme l’a mentionné Robert Sharpe, les ordonnances Anton Piller sont très souvent sollicitées dans des affaires de piratage, pour des raisons évidentes. Comme l’ont souligné à juste titre les demanderesses, notre Cour a accordé les réparations spéciales dans des circonstances similaires : Paramount Pictures Corporation et al c Lemarier et al, ordonnance du juge Martineau rendue le 16 octobre 2015; Bell Canada c Lackman, ordonnance du juge LeBlanc rendue le 9 juin 2017, confirmée par 2018 CAF 42, [2018] 4 RCF 199 [Lackman].

[91] En conséquence, l’ordonnance figurant aux paragraphes 2B) et suivants de l’ordonnance provisoire concernant le défendeur Colin Wright a été rendue à bon droit. Une preuve prima facie solide existe, il est réellement possible que l’infrastructure soit déplacée hors du ressort assujetti à la compétence de la Cour et il y a des éléments de preuve établissant de façon convaincante que les demanderesses ne faisaient pas une recherche à l’aveuglette.

[92] M. Wright fait également valoir que l’injonction Mareva n’a pas été régulièrement prononcée, parce qu’il n’a pas été établi qu’il existe un véritable risque que M. Wright déplace des biens ou s’en départisse pour se mettre à l’abri de tout jugement.

[93] Les demanderesses soutiennent que, eu égard à la preuve solide présentée contre les défendeurs, à la propension de ceux‑ci à poursuivre des activités allant à l’encontre de la loi et au caractère très lucratif de leur entreprise (selon l’estimation présentée en preuve, les recettes peuvent varier entre 1 000 000 $ US à 9 000 000 $ US par année), il y a un grand risque que les défendeurs tentent de se mettre à l’abri de tout jugement. Les défendeurs sont des personnes aguerries et expérimentées; ils savent que leurs activités vont à l’encontre de la loi. Pour reprendre les observations des demanderesses, [traduction] « s’ils en ont la chance, ils [les défendeurs) dilapideront probablement leurs biens afin d’éviter de se conformer à un jugement définitif » (observations écrites des demanderesses, 2 octobre 2020, sous‑titre entre les paragraphes 129 et 130). Je suis du même avis.

[94] Dans l’arrêt Aetna Financial Services c Feigelman, [1985] 1 RCS 2, le plus haut tribunal du pays a reconnu qu’une injonction Mareva pouvait être rendue. La Cour suprême a conclu que « l’injonction ne sera prononcée que s’il y a un risque réel de voir disparaître des biens, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du ressort » (p. 25). Une des conditions préalables réside dans la présentation d’une preuve prima facie solide. Il me semble également que la Cour doit être consciente de la possibilité que l’injonction Mareva soit sollicitée pour un motif inavoué, soit celui de geler « l’actif du défendeur non pas pour le préserver jusqu’au jugement, mais pour le forcer, par ce chantage litigieux, à régler lorsque pour une raison ou pour une autre, il ne peut se permettre la justification définitive que lui donne le procès » (p. 37).

[95] L’auteur Sharpe, au paragraphe 2.760, explique de la façon suivante comment concilier les différents intérêts en jeu :

[traduction]
[] À moins que la mesure ne se limite strictement aux cas dans lesquels les chances de la partie demanderesse d’avoir finalement gain de cause sont très bonnes et aux cas dans lesquels le défendeur a manifestement l’intention de faire fi des moyens de contrainte de la Cour, le fait de restreindre la liberté du défendeur de disposer de ses biens lors du dépôt d’une réclamation non garantie pourrait créer une grave injustice.

En revanche, il est tout aussi difficile de justifier le refus constant d’accorder cette réparation. La justification qui sous‑tend l’injonction interlocutoire ordinaire est présente lorsque le demandeur peut démontrer qu’une cause d’action solide existe quant au fond et que, si l’on n’empêche pas le défendeur de poursuivre ses activités, le demandeur perdra le droit d’obtenir une réparation convenable au procès. L’injonction interlocutoire vise à empêcher la destruction des droits du demandeur pendant la période d’attente précédant le procès. Si le risque de destruction des droits du demandeur est plus grand que celui d’entrave indue que le défendeur pourrait subir, la délivrance d’une injonction interlocutoire sera justifiée. Cet objectif est atteint lorsque le demandeur peut établir qu’un jugement accordant une indemnité forfaitaire deviendra inutile si rien n’est fait pour empêcher le défendeur de se soustraire à la compétence des tribunaux.

[Notes de bas de pages omises et non souligné dans l’original.]

Dans la présente affaire, je suis convaincu, pour les raisons expliquées au sujet du transfert du contrôle de Beast IPTV Service, qu’il y a un risque réel de voir disparaître des biens; il existe des raisons de croire qu’il y a un risque réel que les biens soient déplacés hors du ressort, ce qui privera les demanderesses des bénéfices d’un jugement.

[96] Les deux critères importants sont établis en l’espèce : une preuve prima facie solide a été présentée contre les défendeurs. Les faits présentés en preuve permettent également de tirer des conclusions. En l’espèce, les faits qui justifiaient la délivrance d’une ordonnance afin d’empêcher le transfert du contrôle du Beast IPTV Service hors du ressort s’appliquent tout aussi bien à une ordonnance empêchant le transfert des biens : les défendeurs ont la connaissance, la motivation et la capacité de déplacer les biens. À moins que de nouveaux éléments de preuve ne soient présentés ou que la preuve des demanderesses ne soit contestée, les seuls éléments dont la Cour peut tenir compte sont ceux qui établissent une preuve prima facie solide et un risque véritable de retrait des biens avant le jugement.

(2) M. White

[97] Au soutien de son argument selon lequel l’ordonnance provisoire rendue contre lui devrait être annulée, le défendeur Tyler White a soulevé deux questions. D’abord et avant tout, il affirme que les demanderesses n’ont pas fait une divulgation franche et complète, parce qu’elles n’ont pas divulgué de la jurisprudence pertinente. En deuxième lieu, il fait valoir que l’ordonnance qu’il appelle « ordonnance Anton Piller » a été rendue à tort.

[98] Le défendeur Tyler White précise que l’arrêt ESA (précité) de la Cour d’appel fédérale est une décision cruciale que les demanderesses n’ont pas divulguée. Il est indéniable que cet arrêt n’a pas été divulgué. Il est par contre loin d’être évident que le jugement est crucial ou même pertinent.

[99] Si j’ai bien compris, M. White considère l’arrêt ESA comme une décision qui contredit l’arrêt Lackman (précité)  qu’a rendu la Cour d’appel il y a à peine deux ans. À son avis, dans l’arrêt ESA, la Cour d’appel a rendu une décision marquante au sujet du sens du « droit de mettre à disposition », ajoutant que cette décision [traduction] « remet sérieusement en question la pertinence actuelle de l’arrêt Lackman » (observations écrites, aux para 83 et 82). Il conclut qu’[traduction] « [i]l est impossible de voir comment, à la lumière du récent arrêt
ESA c SOCAN de la CAF, le fait d’héberger et de distribuer une extension pourrait donner lieu à la violation initiale lors de la communication au public »
(observations écrites, au para 84), la conclusion que la Cour d’appel avait tirée à peine deux ans plus tôt.

[100] En toute déférence, il est impossible de souscrire à cette affirmation. Bien que la technologie utilisée dans l’affaire Lackman (création et exploitation du site Web de TVAddons) soit différente, l’objectif est le même que celui qui est visé dans la présente affaire : offrir aux clients, moyennant des frais, un produit qui leur permet d’avoir accès sans autorisation à des émissions protégées par le droit d’auteur. Je souligne en passant que l’ordonnance provisoire prononcée par le juge Leblanc est très semblable à celle qui a été rendue en l’espèce (Lackman, aux para 8 et 9).

[101] Dans l’arrêt Lackman, la Cour d’appel a tiré la conclusion suivante :

[22] Ces erreurs de fait ont ensuite mené le juge à mal interpréter le droit et la jurisprudence. Aux termes de l’alinéa 3(1)f) et de l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur, les appelantes, en tant que créatrices et distributrices d’émissions de télévision, ont le droit exclusif de communiquer ces œuvres au public par télécommunication et d’autoriser ce type de communication. Il existe manifestement une preuve prima facie solide que l’intimé, en hébergeant et en distribuant les extensions attentatoires, met les émissions et chaînes télévisées des appelantes à la disposition du public par télécommunication d’une manière qui permet aux utilisateurs d’y accéder depuis l’endroit qu’ils souhaitent, au moment où ils le souhaitent, ce qui constitue une violation du paragraphe 2.4(1.1) et de l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur.

[Non souligné dans l’original.]

Le contexte de l’affaire Lackman est décrit au paragraphe 1 de la décision, reproduit ci‑dessous; l’action au principal était très semblable à celle de la présente affaire, de sorte que le paragraphe 22 précité lie incontestablement notre Cour :

[1] Les appelantes Bell Canada, Bell Expressvu Limited Partnership, Bell Média Inc., Vidéotron S.E.N.C., Groupe TVA Inc., Rogers Communications Canada Inc. et Rogers Media Inc. (les appelantes) interjettent appel de l’ordonnance du juge Bell de la Cour fédérale (le juge) du 29 juin 2017 (l’ordonnance du juge Bell ou les motifs), par laquelle il a annulé l’ordonnance Anton Piller rendue par le juge LeBlanc le 9 juin 2017 (l’ordonnance du juge LeBlanc) et a rejeté la requête en injonction interlocutoire des appelantes. Dans l’action au principal, les appelantes affirment qu’Adam Lackman (l’intimé) a violé leur droit d’auteur en communiquant et en rendant accessibles au public les émissions des appelantes et en incitant ou en autorisant des violations du droit d’auteur par les utilisateurs d’extensions attentatoires par le truchement de l’entreprise qu’il exploite sous la raison sociale TVAddons.ag (TVAddons ou le site Web de TVAddons).

[Non souligné dans l’original.]

[102] L’arrêt Lackman est manifestement une décision très importante. L’ordonnance provisoire initiale ressemblait fortement à celle qui a été rendue en l’espèce. La Cour d’appel a confirmé le recours au paragraphe 2.4(1.1). D’ailleurs, la Cour a souligné que l’alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d’auteur ne pouvait être invoqué à titre d’« exception » en l’espèce, car « lorsqu’on examine adéquatement le dossier, on ne peut dire que le site Web de l’intimé est un simple agent neutre servant d’intermédiaire à l’égard de renseignements fournis par autrui » (para 27). La Cour d’appel formule d’autres observations au sujet de la protection accordée aux retransmetteurs innocents :

[32] Il est également important de rappeler que l’objectif de l’alinéa 2.4(1)b) est de protéger des retransmetteurs innocents. Encore une fois, je vois mal comment l’intimé peut se réclamer de la protection offerte au retransmetteur innocent, alors que son site Web vise manifestement ceux qui souhaitent contourner les moyens légaux de regarder les émissions télévisées et éviter les coûts qui y sont associés. En optant pour une extension attentatoire présentée comme [traduction] « la meilleure », « la plus populaire » et « entièrement gratuite » (aff. conf. de McGuigan au par. 64), un utilisateur peut visionner différents contenus télévisés de sites de diffusion en continu immédiatement et gratuitement. Je ne pense pas que le législateur envisageait ce type d’activité lorsqu’il a édicté l’alinéa 2.4(1)b).

À ce stade‑ci, M. White soutient qu’il faut donner la préférence à l’arrêt ESA, même s’il ne renvoie nullement à l’arrêt Lackman.

[103] En fait, l’arrêt ESA porte sur une question très différente, soit un tarif proposé à l’égard de la communication d’œuvres musicales. La question était de savoir si le fait de « mettre une œuvre à la disposition » du public au sens du paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur était un acte pour lequel il fallait payer une redevance. À mon avis, l’arrêt ESA n’est d’aucune utilité pour M. White, qui cherche à éviter l’application de l’arrêt Lackman (ainsi que de la décision Bell Canada c. 1326030 Ontario Inc. (iTVBox.net), 2016 CF 612 [Bell Canada], conf. par 2017 CAF 55, mentionnée dans l’arrêt Lackman par. 34 à 36). Dans l’affaire ESA, la Cour d’appel a été invitée à conclure que le paragraphe 2.4(1.1) et l’alinéa 3f) donnaient lieu à l’application de deux tarifs, soit un pour l’affichage d’œuvres musicales sur des serveurs et un autre pour la transmission des œuvres affichées par téléchargement ou diffusion sur Internet. La Cour d’appel a refusé de tirer cette conclusion.

[104] Le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi sur le droit d’auteur est ainsi libellé :

2.4 (1)…

2.4 (1) […]

[…]

(1.1) Pour l’application de la présente loi, constitue notamment une communication au public par télécommunication le fait de mettre à la disposition du public par télécommunication une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

(1.1) For the purposes of this Act, communication of a work or other subject‑matter to the public by telecommunication includes making it available to the public by telecommunication in a way that allows a member of the public to have access to it from a place and at a time individually chosen by that member of the public.

Voici maintenant le libellé de l’alinéa 3(1)f) :

3(1)

3(1) […]

[…]

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

(f) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to communicate the work to the public by telecommunication,

[…]

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

and to authorize any such acts.

Dans l’arrêt ESA, la Cour d’appel a refusé de « tenter de fournir une orientation complète » (para 95). Il est difficile de voir en quoi la décision peut être « déterminante » et en quoi sa portée peut être élargie de la façon que propose le défendeur. Dans l’arrêt ESA, la Cour d’appel a simplement conclu que le paragraphe 2.4(1.1) ne créait pas un nouveau droit exclusif dans le contexte de l’établissement des tarifs. Voilà à quoi se résume la décision rendue dans l’affaire ESA. Les paragraphes de la décision qui sont pertinents sont les paragraphes 96 et 97 :

[96] On peut dire ce qui suit en tenant compte des observations présentées. Le paragraphe 2.4(1.1) ne crée pas un nouveau droit exclusif. La Commission a utilisé une « disposition déterminative » pour créer un droit qui, simultanément, faisait et ne faisait pas partie du droit de communication. Lorsque la disposition déterminative est mise de côté, il ne reste plus que ce que la Commission elle‑même a décrit (au paragraphe 117) comme un « acte préparatoire ». Ceci est conforme à l’utilisation par le législateur des mots « constitue notamment » au paragraphe 2.4(1.1). Il serait contraire au régime de la loi d’établir un tarif pour un acte préparatoire, car cela serait une division des droits dans le but d’ajouter une couche supplémentaire de redevances : voir Radio‑Canada, au paragraphe 63, et Entertainment Software Association, au paragraphe 9.

[97] S’il n’y a pas de nouveau droit exclusif, rien ne permet à la Commission de conclure qu’une diffusion ne fait pas partie de la mise à la disposition qui l’a précédée, de sorte qu’il convient d’exiger deux redevances distinctes. Comme il n’y a qu’un seul droit en jeu, la seule question est de savoir si le droit a été déclenché, et les seules redevances à payer sont celles exigibles pour l’exercice du droit.

La Cour d’appel affirme simplement que le paragraphe 2.4(1.1) ne permet pas que deux redevances distinctes soient exigées. Le paragraphe 2.4(1.1) n’a pas pour effet de créer une nouvelle couche de redevances. L’arrêt ESA ne peut certainement pas modifier la valeur de précédent de l’arrêt Lackman lorsque les questions en litige qui sont examinées sont identiques en tous points à celles de la présente affaire. En conséquence, la preuve prima facie demeure une preuve prima facie solide de la violation du droit d’auteur. L’arrêt ESA n’est d’aucune utilité pour le défendeur.

[105] Les observations écrites de M. White portent sur la véritable nature de l’alinéa 2.4(1)b). Il est difficile de suivre le fil du raisonnement du défendeur. Celui‑ci tente apparemment de répondre à la simple affirmation des demanderesses selon laquelle les défendeurs n’agissent pas seulement en tant qu’« agents », ce qui les empêche d’invoquer l’alinéa 2.4(1)b). L’utilisation qui peut être faite de cette disposition a été expliquée dans l’arrêt Lackman (notamment aux para 23 à 28). La question de savoir si l’alinéa 2.4(1)b) peut accorder une protection contre la responsabilité en l’espèce est une question qui devra être tranchée à l’instruction.

[106] M. White reproche également aux demanderesses de ne pas avoir démontré la violation du droit d’auteur. Il semble soutenir que seule la personne, probablement un grossiste, qui a affiché l’œuvre sur le serveur à partir duquel une chaîne de transmission achemine l’œuvre jusqu’à l’utilisateur peut être responsable. Ainsi qu’il l’explique dans ses observations écrites, [traduction] « la possibilité que cette chaîne de transmission comporte différents intermédiaires qui fournissent du matériel, des logiciels ou d’autres services qui permettent ou facilitent ces transmissions ne fait pas de ces intermédiaires, en droit, des “communicateurs” aux fins de l’alinéa 3(1)f) » (para 30).

[107] Cependant, comme le soulignent les demanderesses, cet argument ne tient pas compte du fait que le paragraphe 3(1) renvoie également au droit d’« autoriser ces actes », ce qui englobe évidemment le droit visé à l’alinéa 3(1)f). Ce point est soulevé explicitement tant dans la déclaration que dans les observations présentées au soutien de la requête ex parte. Que signifie le mot « autoriser » dans le contexte du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur? Cette question trouve réponse dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 SCR 339 au para 38 :

38 « Autoriser » signifie « sanctionner, appuyer ou soutenir » (« sanction, approve and countenance ») : Muzak Corp. c. Composers, Authors and Publishers Association of Canada, Ltd., [1953] 2 R.C.S. 182, p. 193; De Tervagne c. Belœil (Ville), [1993] 3 C.F. 227 (1re inst.). Lorsqu’il s’agit de déterminer si une violation du droit d’auteur a été autorisée, il faut attribuer au terme « countenance » son sens le plus fort mentionné dans le dictionnaire, soit [TRADUCTION] « approuver, sanctionner, permettre, favoriser, encourager » : voir The New Shorter Oxford English Dictionary (1993), vol. 1, p. 526. L’autorisation est néanmoins une question de fait qui dépend de la situation propre à chaque espèce et peut s’inférer d’agissements qui ne sont pas des actes directs et positifs, et notamment d’un degré suffisamment élevé d’indifférence : CBS Inc. c. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 All E.R. 812 (Ch. D.), p. 823‑824. Toutefois, ce n’est pas autoriser la violation du droit d’auteur que de permettre la simple utilisation d’un appareil susceptible d’être utilisé à cette fin. Les tribunaux doivent présumer que celui qui autorise une activité ne l’autorise que dans les limites de la légalité : Muzak, précité. Cette présomption peut être réfutée par la preuve qu’il existait une certaine relation ou un certain degré de contrôle entre l’auteur allégué de l’autorisation et les personnes qui ont violé le droit d’auteur : Muzak, précité; De Tervagne, précité. Voir également J. S. McKeown, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 21‑104, et P.D. Hitchcock, « Home Copying and Authorization » (1983), 67 C.P.R. (2 d) 17,p. 29‑33.

[Non souligné dans l’original.]

[108] Au soutien de leur cause, les demanderesses invoquent trois fondements de la responsabilité :

  • le fait de communiquer par télécommunication;

  • le fait de « mettre à la disposition »;

  • le fait d’autoriser une communication par télécommunication.

[109] La Cour d’appel fédérale a examiné ces fondements de la responsabilité dans l’arrêt Lackman (para 22). Les défendeurs seraient responsables de la création, de l’exploitation, de la tenue à jour et de la promotion du Beast IPTV Service, qui vise à mettre à la disposition des abonnés des contenus non autorisés sur Internet. Comme la Cour d’appel l’a conclu dans l’arrêt Lackman, « il existe manifestement une preuve prima facie solide que l’intimé, en hébergeant et en distribuant les extensions attentatoires, met les émissions et chaînes télévisées des appelantes à la disposition du public par télécommunication d’une manière qui permet aux utilisateurs d’y accéder depuis l’endroit qu’ils souhaitent, au moment où ils le souhaitent, ce qui constitue une violation du paragraphe 2.4(1.1) et de l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur » (para 22). Les causes d’action qu’invoquent les demanderesses sont manifestement valables.

[110] M. White affirme que la déclaration ne fait mention d’aucun acte qui constituerait une violation. Cependant, cet argument est fondé, là encore, sur la thèse selon laquelle seuls ceux qui fournissent des contenus et les diffusent sur le serveur à partir duquel les contenus peuvent être communiqués sont responsables. Les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale n’étayent pas cette conception étroite du droit d’auteur.

[111] Dans leur déclaration, les demanderesses donnent, au contraire, de nombreux exemples de diffusion de leurs œuvres à l’aide de différentes plateformes fournies par le Beast IPTV Service (à cet égard, les demanderesses mentionnent notamment les paragraphes 51, 54, 58, 61 et 63 de la déclaration). Eu égard aux causes d’action qu’invoquent les demanderesses, il est inexact d’affirmer qu’aucun fait n’est allégué dans la déclaration : c’est plutôt le contraire.

[112] En ce qui a trait à ce que M. White appelle l’ordonnance Anton Piller contenue dans l’ordonnance provisoire, le défendeur Tyler White se plaint de l’utilisation d’une source « anonyme ». Tel qu’il est mentionné plus haut, non seulement l’utilisation d’affidavits comportant des déclarations fondées sur des croyances est‑elle autorisée, mais il est permis d’ajouter foi en l’espèce à la preuve présentée par une source anonyme, parce qu’elle a été corroborée.

[113] Il s’ensuit que les requêtes incidentes des deux défendeurs doivent être rejetées avec dépens.

[114] En conséquence, les documents financiers fournis par Colin B. Wright le 24 novembre 2020, mais conservés sous scellés par l’avocat superviseur indépendant David Lipkus, doivent être communiqués à l’avocat des demanderesses. L’ordonnance provisoire exige que ces renseignements soient communiqués non seulement à l’avocat superviseur indépendant, mais également aux [traduction] « avocats des demanderesses » (para 2J et K). Les demanderesses affirment à juste titre qu’il n’y a aucune raison de continuer à refuser de diffuser ces renseignements. En conséquence, Me Lipkus est tenu de communiquer ces documents.

C. Une injonction interlocutoire rendue au titre de l’article 373 des Règles devrait‑elle demeurer valide jusqu’au règlement définitif de l’instance sur le fond?

[115] Les paragraphes 373(1) et 373(2) des Règles des Cours fédérales sont ainsi libellés :

Injonction interlocutoire

Availability

373 (1) Un juge peut accorder une injonction interlocutoire sur requête.

373 (1) On motion, a judge may grant an interlocutory injunction.

Engagement

Undertaking to abide by order

(2) Sauf ordonnance contraire du juge, la partie qui présente une requête pour l’obtention d’une injonction interlocutoire s’engage à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages‑intérêts découlant de la délivrance ou de la prolongation de l’injonction.

(2) Unless a judge orders otherwise, a party bringing a motion for an interlocutory injunction shall undertake to abide by any order concerning damages caused by the granting or extension of the injunction.

À l’audience, l’avocat des demanderesses a confirmé que celles‑ci s’engageaient à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages‑intérêts découlant de la délivrance ou de la prolongation de l’injonction. Les défendeurs ne se sont pas opposés à la forme dans laquelle l’engagement a été présenté.

[116] Il reste à savoir s’il y a lieu de transformer l’injonction provisoire en injonction interlocutoire. À mon avis, à la lumière des renseignements qui ont été mis au jour pendant et après l’exécution de l’injonction provisoire, les demanderesses ont le droit d’exiger que celle‑ci soit transformée en injonction interlocutoire.

[117] La Cour doit être convaincue :

  • qu’il existe une question sérieuse à juger;

  • que les demanderesses subiront un préjudice irréparable si l’injonction interlocutoire n’est pas prolongée;

  • que la prépondérance des inconvénients joue en faveur des demanderesses.

[118] La Cour est déjà convaincue qu’une preuve prima facie solide de violation du droit d’auteur a été établie à l’étape de l’injonction provisoire. Les requêtes incidentes des défendeurs visant à contester certains aspects des ordonnances provisoires ont été rejetées. De plus, les défendeurs n’ont présenté aucun élément de preuve et n’ont contre‑interrogé aucun des auteurs des affidavits. En fait, les éléments de preuve présentés pendant et après l’exécution des ordonnances provisoires n’ont fait qu’étayer la demande d’injonction.

[119] Les éléments de preuve non contestés qui sont relatés à compter du paragraphe 33 des présents motifs jusqu’au paragraphe 39, y compris les transcriptions et les copies d’écran, confirment les faits suivants :

  • les deux défendeurs ont nié et présenté de manière inexacte leur rôle à l’égard du Beast IPTV Service;

  • les défendeurs ont tenté de dissimuler des éléments de preuve, M. Wright allant jusqu’à nier être en possession d’un ordinateur afin de prouver, en vain, qu’il ne pouvait être impliqué dans cette entreprise;

  • au cours des heures qui ont suivi l’exécution, les défendeurs étaient en contact l’un avec l’autre;

  • des domaines et sous‑domaines du Beast IPTV Service ont été transférés et supprimés;

  • l’inférence selon laquelle « Brad » renvoie à Colin B. Wright et « Ty » à Tyler White est encore plus forte;

  • M. White a discuté de son intention de retirer et de dissimuler autant d’argent qu’il le pourrait.

Ces éléments découverts après le prononcé des ordonnances provisoires tendent à corroborer l’existence d’un véritable risque que des biens soient dissimulés ou dilapidés et il y a lieu de prendre des mesures pour empêcher le transfert du contrôle du Beast IPTV Service (ou la suppression de domaines ou de sous‑domaines).

[120] En conséquence, une injonction interlocutoire est accordée. L’injonction est jointe aux présents jugement et motifs et fait partie de l’ordonnance.

[121] En ce qui concerne le préjudice irréparable subi par les demanderesses, les auteurs d’affidavits Shawn Omstead et Sundeep Chauhan ont présenté suffisamment d’éléments de preuve non contestés pour établir à la satisfaction de la Cour le préjudice qu’IPTV inflige aux demanderesses. Effectivement, la prolifération des services offerts par IPTV aggrave le préjudice ainsi causé (affidavit de Chauhan, au para 43 à 47; affidavit d’Omstead, au para 35‑36).

[122] Dans la décision Bell Canada c 1326030 Ontario Inc. (iTVBox.net), 2016 CF 612, qui portait sur des circonstances semblables à celles de la présente affaire, notre Cour a tiré la conclusion suivante sur la question de préjudice irréparable, dans le contexte de la délivrance d’une injonction interlocutoire :

[31] Je conclus que les demanderesses ont établi qu’elles souffriraient d’un préjudice irréparable si cette injonction n’était pas accordée. Le marché des boîtiers décodeurs préinstallés croît rapidement et de façon constante, d’une façon qui ne peut être précisément quantifiée pour l’instant ‑ La vente continue de ces boîtiers décodeurs préinstallés « auront pour effet de mettre entre les mains des consommateurs des appareils que les demanderesses, même si elles ont gain de cause à l’instruction, ne pourront pas trouver, ces dernières étant en outre incapables d’empêcher efficacement » l’accès au contenu protégé par le droit d’auteur ((Titan Linkabit Corp c S.E.E‑ See Electronic Engineering Inc., [1993] ACF no 208, 48 CPR (3 d) 62 at 78‑79 (CF 1re inst.)). Chaque utilisateur qui achète un boîtier décodeur préinstallé a des motifs l’incitant à annuler définitivement son abonnement à un service de distribution offert par les demanderesses distributrices. La perte de clients réels et potentiels constitue un préjudice irréparable établi dans la décision Telewizja Polsat SA c. Radiopol inc., 2005 CF 1179, au paragraphe 22.

[32] Le marché des boîtiers décodeurs préinstallés continuera de croître si rien n’est fait pour le contrôler et il est peu probable que les défendeurs, ou que tout autre défendeur qui pourrait être désigné dans la présente demande, aient les ressources financières requises pour indemniser les demanderesses à la suite de leurs pertes, si celles‑ci obtenaient gain de cause sur le fond. Je conclus donc qu’elles ont établi qu’elles subiront un préjudice irréparable.

La décision a été confirmée en appel (2017 CAF 55, aux para 4 et 5). Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Lackman (précité), la Cour d’appel était convaincue que le préjudice irréparable avait été établi par la preuve (para 47). Ces affaires sont de la même nature que celle dont la Cour est saisie en l’espèce.

[123] Les demanderesses ont soulevé un certain nombre de raisons pour lesquelles elles subissent un préjudice irréparable :

  • leur droit de contrôler les moments, endroits et circonstances dans lesquels leurs œuvres protégées par le droit d’auteur sont présentées, reproduites et mises à la disposition du public est compromis;

  • elles subissent des pertes incalculables en termes de recettes provenant du box‑office, de la vente des supports physiques utilisés pour le divertissement à domicile (DVD), des transmissions numériques (Netflix, Crave) et des transmissions traditionnelles (transmissions par réseau câblé payant);

  • le marché légitime de l’accès aux œuvres protégées par le droit d’auteur est compromis de façon irréparable, ce qui touche les relations avec les titulaires de licence et les distributeurs autorisés;

  • les recettes provenant des abonnements et de la publicité sont affectées; le Beast IPTV Service fournit aux utilisateurs de très bonnes raisons les incitant à annuler leurs abonnements (voire à ne jamais devenir abonnés);

  • un vaste éventail de tiers innocents, y compris les propriétaires de salles de cinéma, les détaillants, les diffuseurs et leurs employés, sont touchés. En fait, tout cet « écosystème » est mis en péril, car l’équilibre est menacé et changera encore au fur et à mesure qu’IPTV Services continuera à croître si elle est laissée à elle‑même.

[124] Je conviens également que le transfert du contrôle de ces types d’activités hors de la compétence de la Cour constitue un préjudice irréparable (Bell Canada et al c Lackman, 2017 CAF 154 au para 33, affaire dans laquelle un juge de la Cour d’appel a examiné une demande de sursis au titre de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales) :

[TRADUCTION]

[32] Du point de vue de la preuve, le dossier qui m’a été soumis met en lumière des cas documentés de conduite répréhensible de la part de l’intimé, qui a tenté de dissimuler des éléments de preuve très pertinents quant à la demande au principal dont il fait l’objet. Eu égard à la possibilité bien réelle que des éléments de preuve importants disparaissent, il est nécessaire de préserver le statu quo au moyen d’un sursis. Ce sont là des circonstances qui justifient la préservation des éléments de preuve que les appelants ont réunis jusqu’à maintenant afin d’éviter un préjudice irréparable, car leur capacité de conserver la preuve pour faire valoir leurs droits et aller de l’avant avec leur demande au principal contre l’intimé sera compromise si le sursis n’est pas accordé.

[33] À la lumière des affidavits confidentiels versés au dossier, les appelants ont établi des motifs suffisants pour conclure qu’un transfert des activités commerciales de l’intimé à l’étranger, y compris le déplacement du contrôle de ses serveurs de sites Web, de ses sources de revenus et de ses ressources financières, est possible. En agissant de la sorte, l’intimé ne serait plus assujetti à la compétence des Cours fédérales, ce qui favorise la position des appelants selon le deuxième volet du critère.

À mon avis, les demanderesses continueront à subir un préjudice irréparable si l’injonction provisoire n’est pas transformée en injonction interlocutoire.

[125] Il en va de même pour la prépondérance des inconvénients. Il est certainement impossible d’affirmer que la perte financière que les défendeurs subiront s’ils ne peuvent pas réactiver leur entreprise peut compenser le préjudice subi par les demanderesses. D’ailleurs, les défendeurs n’ont même pas laissé entendre, dans le cadre de la présente requête, que c’est l’argument qu’ils veulent invoquer. En tout état de cause, les défendeurs ont nié leur rôle à l’égard du Beast IPTV Service. De plus, la seule preuve présentée à la Cour étaye l’argument selon lequel le Service permet aux utilisateurs, moyennant des frais, d’avoir accès sans autorisation à des contenus protégés par le droit d’auteur : il existe une preuve prima facie solide en ce sens. Eu égard à cette preuve, aux éléments de preuve révélés après l’exécution et à la preuve du préjudice irréparable, il est indéniable à mon sens que la prépondérance des inconvénients joue en faveur des demanderesses.

D. Ordonnance de confidentialité

[126] Une ordonnance de confidentialité a été rendue dans le cadre des ordonnances provisoires du 17 novembre 2020. Elle concernait les paragraphes tirés des affidavits de MM. Andrew McGuigan et Yves Rémillard. Cette ordonnance demeure en vigueur.

[127] À l’appui de la présente requête, les demanderesses sollicitent une autre ordonnance de confidentialité concernant les affidavits de MM. McGuignan et Rémillard (qui portent la date du 30 novembre 2020).

[128] En revanche, M. Tyler White commente la directive suivante, donnée le 2 octobre 2020 :

« L’intitulé de la cause, la déclaration, la correspondance datée du 2 octobre 2020 et le dossier de requête ex parte à être déposé par la partie demanderesse le 2 ou le 5 octobre 2020, seront traités de façon confidentielle jusqu’à ce que la Cour ait entendu ladite requête, ou jusqu’à ordonnance contraire de la Cour. »

[En italiques dans l’original.]

Le défendeur souligne que des restrictions s’imposent, eu égard au principe de la publicité des débats judiciaires. Cependant, il n’a sollicité aucune ordonnance formelle.

[129] La directive a été donnée par un membre de notre Cour à la demande de l’avocat des demanderesses dans une lettre du 2 octobre 2020. Dans cette lettre, l’avocat explique qu’une ordonnance provisoire sera demandée au moyen d’une prochaine requête qui sera instruite ex parte et à huis clos. Le fait de donner un avis porterait irrémédiablement préjudice au but poursuivi (« l’ordonnance recherchée par les demanderesses ne sera efficace que si elle est exécutée de manière coordonnée et concomitante pour les deux défendeurs et ce, sans qu’ils n’aient avis préalable de la procédure à leur encontre »). Il n’y a aucune raison de penser que la directive du 2 octobre 2020 est encore nécessaire en ce qui concerne l’intitulé, la déclaration et la correspondance du 2 octobre 2020. La directive est donc annulée de façon à ce que les documents qui devaient être considérés comme confidentiels (intitulé, déclaration, correspondance du 2 octobre 2020) au motif que leur divulgation mettrait en péril l’exécution de l’injonction provisoire soient traités comme tout autre document non visé par une ordonnance de confidentialité.

[130] Soutenant que les affidavits du 30 novembre de MM. McGuigan et Rémillard devraient demeurés confidentiels, les demanderesse ont fait valoir que ces [traduction] « affidavits comportent des renseignements sensibles au sujet des techniques d’enquête et des moyens que les titulaires de droits utilisent pour déterminer l’identité d’auteurs anonymes de violations sur Internet et que d’éventuels contrevenants pourraient utiliser ces renseignements pour éviter d’être détectés et se protéger contre les poursuites que pourraient intenter les titulaires de droits » (mémoire des demanderesses, au para 79). La perte du caractère confidentiel des techniques d’enquête donnera lieu à de graves préjudices commerciaux qui mèneront à d’autres violations du droit d’auteur. Les demanderesses invoquent également des préoccupations liées à la vie privée que soulève le fait d’associer des adresses IP à des comptes Internet résidentiels. Ces types de renseignements seraient nécessaires pour déterminer l’identité des défendeurs qui ont nié avoir joué un rôle dans les activités du Beat IPTV Service et ont tenté de dissimuler leur identité.

[131] Eu égard aux circonstances de la présente affaire et au fait que la requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité n’est pas contestée, la Cour est convaincue que les affidavits du 30 novembre 2020 de MM. McGuigan et Rémillard devraient être considérés comme confidentiels (article 151 des Règles des Cours fédérales, appliquant l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 RCS 522).

VI. Dépens

[132] Les demanderesses sollicitent leurs dépens sur une base avocat‑client à l’égard de la requête visant à obtenir les ordonnances provisoires et de la présente requête en révision. Elles demandent que leurs dépens soient calculés à la lumière de brèves observations.

[133] La suggestion convient en l’espèce. Cependant, qu’il s’agisse de la base avocat‑client ou d’une autre base (dérogation à l’article 407 des Règles), les parties sont invitées à justifier le fondement du calcul, notamment quant à l’octroi d’une somme forfaitaire et à son montant ainsi qu’aux raisons pour lesquelles des dépens devraient être accordés à l’égard de la requête ex parte en vue d’obtenir les ordonnances provisoires. Les observations écrites se limiteront à trois pages pour chaque partie (à l’exclusion du mémoire de frais et des éléments de preuve pertinents) et devront être communiquées dans un délai de quinze (15) jours suivant la date du présent jugement, dans le cas des demanderesses, et dans un délai de cinq (5) jours suivant le dépôt des observations des demanderesses dans le cas des défendeurs. Bien entendu, il est permis aux parties de s’entendre sur le montant.

VII. Modification de l’ordonnance interlocutoire afin de permettre le paiement des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables

[134] Les parties ont convenu, à l’audience tenue le 18 décembre 2020 dans la présente affaire, que les alinéas 2M)i. et 2N)i. de l’injonction devraient, si celle‑ci était prolongée, tenir compte de la remise, pour le passé et l’avenir, de tout paiement et avance au titre des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables se rapportant à la contestation de tous les aspects des réclamations formulées par les demanderesses. Les alinéas 2M)i. et 2N)i. de l’injonction interlocutoire sont donc modifiés en conséquence. Ces modifications figurent dans l’ordonnance formelle jointe aux présents jugement et motifs.


 

VIII. Dispositif

[135] En conséquence, La Cour prononce l’injonction interlocutoire sollicitée, l’ordonnance de justification et différentes autres ordonnances ainsi qu’un jugement déclaratoire conformément à l’ordonnance formelle jointe aux présents jugement et motifs.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


Date : 20210114

Dossier : T‑1176‑20

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2021

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Roy

ENTRE :

WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

AMAZON CONTENT SERVICES LLC

BELL MEDIA INC.

COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC.

DISNEY ENTERPRISES, INC.

NETFLIX STUDIOS, LLC

NETFLIX WORLDWIDE ENTERTAINMENT, LLC

PARAMOUNT PICTURES CORPORATION

SONY PICTURES TELEVISION INC.

UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS, LLLP

demanderesses

et

TYLER WHITE, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

COLIN WRIGHT, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

défendeurs

ORDONNANCE

VU les ordonnances provisoires que notre Cour a rendues le 17 novembre 2020 contre les défendeurs [les « ordonnances provisoires »];

VU que les ordonnances provisoires ont été signifiées aux défendeurs le 24 novembre 2020, ainsi que les documents présentés par les demanderesses au soutien de la délivrance des ordonnances provisoires, la déclaration et un avis de requête en vue de réviser l’exécution des ordonnances provisoires et de transformer celles‑ci en ordonnances interlocutoires;

VU la requête des demanderesses visant à obtenir :

  • a) un jugement déclarant que les demanderesses ont exécuté ou tenté d’exécuter légalement et régulièrement les ordonnances provisoires rendues contre des défendeurs;

  • b) une ordonnance autorisant les demanderesses à retirer la somme de 100 000 $ qu’elles avaient déposée auprès de la Cour le 27 octobre 2020 à titre de garantie pour les dommages‑intérêts découlant de l’exécution irrégulière des ordonnances provisoires et enjoignant à l’administrateur de rembourser le dépôt en question, ainsi que les intérêts courus sur celui‑ci, au moyen d’un chèque tiré à l’ordre de Smart & Biggar LLP en fiducie;

  • c) une ordonnance enjoignant à Me David S. Lipkus, l’avocat superviseur indépendant à l’égard de l’exécution de l’ordonnance provisoire rendue contre le défendeur M. Wright, de communiquer aux avocats des demanderesses les documents financiers fournis par M. Wright le 24 novembre 2020;

  • d) une ordonnance transformant les ordonnances provisoires en ordonnances interlocutoires au titre de l’article 373 des Règles des Cours fédérales;

  • e) une ordonnance de confidentialité au titre de l’article 151 des Règles des Cours fédérales, afin que les affidavits de MM. Andrew McGuigan et Yves Rémillard portant tous les deux la date du 30 novembre 2020 demeurent confidentiels et sous scellés;

  • f) une ordonnance au titre de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, afin que les défendeurs MM. White et Wright soient accusés d’outrage au tribunal pour avoir désobéi aux ordonnances provisoires;

  • g) l’octroi de dépens sur la base avocat‑client à l’égard de la requête des demanderesses en vue d’obtenir les ordonnances provisoires et de la présente requête, lesquels dépens seront calculés à la lumière de brèves observations d’au plus trois (3) pages (à l’exclusion du mémoire de frais et des éléments de preuve à l’appui) qui devront être déposées dans les trois (3) semaines suivant la présente ordonnance.

VU les dossiers de requête déposés par les demanderesses le 2 octobre 2020 et le 1er décembre 2020, les dossiers de requête des défendeurs et les observations formulées de vive voix par les parties à l’audience relative à la présente requête le 18 décembre 2020;

ET VU qu’elle est convaincue que l’ordonnance sollicitée devrait être rendue, eu égard à la preuve et aux arguments qui lui ont été présentés :

LA COUR ORDONNE :

  1. L’exécution des ordonnances provisoires rendues contre chaque défendeur a été faite légalement et régulièrement.

  2. Les demanderesses sont autorisées à retirer de la Cour la somme de 100 000 $ qu’elles avaient déposée le 27 octobre 2020 en garantie des dommages‑intérêts relatifs à l’exécution des ordonnances provisoires et l’administrateur doit rembourser ce dépôt, ainsi que les intérêts courus sur celui‑ci, au moyen d’un chèque à l’ordre de Smart & Biggar LLP en fiducie.

  3. L’avocat superviseur indépendant, Me David S. Lipkus, doit communiquer aux avocats des demanderesses les formules de consentement et tous les renseignements financiers que lui a fournis le défendeur M. Colin Wright le 24 novembre 2020, conformément aux alinéas 2J) et 2K) de l’ordonnance provisoire;

  4. Les dispositions suivantes des ordonnances provisoires, comportant les modifications indiquées ci‑dessous, sont transformées et prolongées en ordonnances interlocutoires et demeurent en vigueur jusqu’au règlement définitif de la présente instance sur le fond :

    1. les alinéas 2A) à 2L) et les alinéas 2O) et 2P);

    2. l’alinéa 2M), ainsi modifié :

2 M)i. disposer, notamment par vente, cession, aliénation ou transfert, de ses biens, y compris sa résidence située au 2301 Old Sambro Road, à Williamswood (Nouvelle‑Écosse), B3V 1C4, sauf pour le paiement de ses frais de subsistance normaux, pendant toute la durée de la présente instance, aucune disposition de la présente ordonnance n’empêchant, pour le passé ou l’avenir, le versement d’une avance ou le paiement d’une autre somme au titre des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables relatifs à la contestation de toute réclamation formulée par les demanderesses au cours de la présente instance jusqu’au règlement définitif de celle‑ci, y compris tout appel;

  1. l’alinéa N), ainsi modifié :

2 N)i. disposer, notamment par vente, cession, aliénation ou transfert, de ses biens, y compris sa résidence située au 13, boul. Tedley, à Brantford (Ontario), NT3 5L5, sauf pour le paiement de ses frais de subsistance normaux, pendant toute la durée de la présente instance, aucune disposition de la présente ordonnance n’empêchant, pour le passé ou l’avenir, le versement d’une avance ou le paiement d’une autre somme au titre des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables relatifs à la contestation de toute réclamation formulée par les demanderesses au cours de la présente instance jusqu’au règlement définitif de celle‑ci, y compris tout appel;

  1. l’alinéa 2Q, ainsi modifié :

2Q) Autoriser un avocat superviseur indépendant engagé par les demanderesses à assister à l’exécution de la présente ordonnance et à en surveiller le déroulement;

  1. l’alinéa 2T), ainsi modifié :

2T) Autoriser les personnes qui sont autorisées à exécuter la présente ordonnance à le faire en communiquant avec les défendeurs par courriel, téléphone ou vidéoconférence ou en communiquant de cette façon avec l’avocat des défendeurs, s’ils sont représentés;

  1. l’alinéa 2W), ainsi modifié :

2W) Autoriser l’avocat superviseur indépendant et les avocats des demanderesses à consulter les documents et renseignements obtenus dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance afin de préparer un rapport de l’avocat superviseur indépendant et de présenter d’autres rapports à la Cour aux fins de la prolongation de l’ordonnance et du déroulement de la présente instance de manière générale;

  1. Les défendeurs M. Tyler White et M. Colin Wright sont tenus :

    1. de comparaître devant un juge de la Cour aux fins d’une audience pour outrage au tribunal aux date, heure et lieu fixés par la Cour [l« audience pour outrage au tribunal »];

    2. d’être prêts à entendre la preuve des actes qui leur sont reprochés à l’audience pour outrage au tribunal, soit :

      1. MM. White et Wright ont désobéi à l’alinéa 2B) des ordonnances provisoires, commettant de ce fait l’outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles des Cours fédérales, en refusant de divulguer les renseignements techniques exigés aux alinéas 2B des ordonnances provisoires au sujet du Beast IPTV Service et en affirmant à tort qu’ils ne connaissaient pas le Beast IPTV Service;

      2. MM. White et Wright ont désobéi aux alinéas 2I), 3A) et 3B)i. des ordonnances provisoires, commettant de ce fait l’outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles des Cours fédérales, en communiquant avec des tiers, par téléphone ou d’autres moyens électroniques, pendant l’exécution des ordonnances provisoires afin d’entraver l’exécution de celles‑ci et de dissimuler des éléments de preuve, notamment en donnant à des tiers l’ordre de supprimer des sites Web, des infrastructures ou des éléments de preuve se rapportant à la présente instance;

      3. MM. White et Wright ont désobéi à l’alinéa 3B)i. des ordonnances provisoires, commettant de ce fait l’outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles des Cours fédérales, en communiquant l’un avec l’autre et avec des tiers au sujet de l’existence de la présente instance et des ordonnances provisoires dans les quarante‑huit (48) heures qui ont suivi la signification qui leur a été faite des ordonnances en question;

      4. MM. White et Wright ont désobéi aux alinéas 2J) et 2K) des ordonnances provisoires, commettant de ce fait l’outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles des Cours fédérales, en refusant de communiquer à l’avocat superviseur indépendant et à l’avocat des demanderesses les renseignements financiers exigés par les alinéas 2J) des ordonnances provisoires et en refusant de fournir un consentement afin d’autoriser des institutions financières ou d’autres fournisseurs de services à faire cette divulgation, ainsi que l’exigent les alinéas 2K) des ordonnances provisoires;

      5. MM. White et Wright ont désobéi à l’alinéa 2A) des ordonnances provisoires, commettant de ce fait l’outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles des Cours fédérales,

  1. en créant, exploitant et offrant des services IPTV non autorisés, y compris le Beast IPTV Service, en en faisant la promotion, en fournissant le soutien connexe, en vendant des abonnements ou en autorisant des personnes à vendre des abonnements aux services en question;

  2. en créant, tenant à jour, mettant à niveau, hébergeant, distribuant ou vendant toute application logicielle qui donne accès à des services IPTV non autorisés, y compris le Beast IPTV Service, ou en en faisant la promotion;

  3. en exploitant, tenant à jour, mettant à niveau ou hébergeant les domaines et sous‑domaines Internet par l’entremise de services IPTV non autorisés, y compris le Beast IPTV Service, en en faisant la promotion ou en vendant l’accès aux domaines et sous‑domaines en question,

que ce soit eux‑mêmes ou par l’entremise de leurs employés, représentants et mandataires, ou encore par l’entremise de toute fiducie, entité, société de personnes ou personne physique ou morale qui est sous leur autorité ou leur contrôle ou avec laquelle ils sont affiliés ou associés, et en omettant de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que ces personnes cessent ces activités après la signification des ordonnances provisoires aux défendeurs.

  1. Les affidavits de MM. Andrew McGuigan et Yves Rémillard, qui portent tous les deux la date du 30 novembre 2020 et qui ont été déposés au soutien de la présente requête, sont considérés comme confidentiels et doivent demeurer sous scellés, conformément à l’article 151 des Règles des Cours fédérales.

  2. Les dépens relatifs à la présente requête et à la requête en vue d’obtenir les ordonnances provisoires sont adjugés aux demanderesses et seront calculés à la lumière de brèves observations d’au plus trois (3) pages (à l’exclusion de leur mémoire de frais et des éléments de preuve pertinents) qui devront être signifiées et déposées dans les quinze (15) jours suivant la présente ordonnance, suivies des observations des défendeurs dans les cinq (5) jours suivant le dépôt de celles des demanderesses.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑1176‑20

INTITULÉ :

WARNER BROS. ENERTAINMENT INC. ET AL

c TYLER WHITE, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (oNTARIO), mONTRÉAL (QUÉBEC) et MISSISSAUGA (oNTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 décembre 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

le Juge ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 14 janVIER 2021

COMPARUTIONS :

Ryan T. Evans

Evan Nuttall

POUR LES demanderesseS

Howard Knopf

POUR LE défendeur

TYLER White

John Russo

POUR LE défendeur

COLIN WRIGHT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar LLP

Montréal (Québec)

pour les demanderesses

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LE défendeur

tyler white

Pallett Valo LLP

Avocats et agents de marques de commerce

Mississauga (Ontario)

POUR LE défendeur

COLIN WRIGHT


 

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