Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210112


Dossier : IMM‑7857‑19

Référence : 2021 CF 39

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2021

En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly

ENTRE :

OLUWASOLA OLAYINKA OMOTAYO

OLAWALE OMOTAYO

OLUWADEMILADE OMOTAYO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Mme Oluwasola Olayinka Omotayo et ses deux enfants ont présenté une demande d’asile au Canada, Mme Omotayo disant craindre son premier mari dans son pays d’origine, le Nigéria. Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande de Mme Omotayo, principalement parce qu’il a conclu qu’elle pouvait vivre en sécurité à Port Harcourt (c.‑à‑d. qu’elle avait une possibilité de refuge intérieur, ou une PRI, au Nigéria). Son premier mari vivait quant à lui à Lagos.

[2]  Mme Omotayo a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu que Mme Omotayo avait une PRI à Port Harcourt étant donné que ses enfants et elle ne seraient pas exposés à un risque et qu’ils pourraient raisonnablement s’y installer.

[3]  Mme Omotayo soutient que la décision de la SAR sur la PRI était déraisonnable. Premièrement, elle affirme que la SAR a omis de tenir compte de certains éléments de preuve importants et a tiré des conclusions non fondées en matière de crédibilité. Deuxièmement, elle fait valoir que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il était raisonnable pour elle de déménager avec ses enfants à Port Harcourt. Elle me demande d’annuler la décision de la SAR et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à un nouvel examen de sa demande.

[4]  Je conviens avec Mme Omotayo que la décision de la SAR était déraisonnable. En particulier, je considère que la conclusion de la SAR sur la question de l’existence d’une PRI viable à Port Harcourt était déraisonnable. À mon avis, la SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve montrant que Mme Omotayo aurait vraisemblablement du mal à trouver un emploi à Port Harcourt et qu’elle éprouverait des problèmes de santé mentale si elle était obligée de s’y installer.

[5]  La seule question qui se pose est celle de savoir si la décision de la SAR était déraisonnable.

II.  La décision de la SAR

[6]  La SAR a commencé par résumer le fondement de la demande d’asile de Mme Omotayo. Elle a noté que cette dernière craignait que son ex‑mari lui fasse du mal si elle retournait au Nigéria. Son ex-mari avait commencé à la maltraiter physiquement en 2012, lorsqu’elle avait découvert qu’il avait été infidèle. Le couple s’était ensuite séparé. En 2016, Mme Omotayo et ses enfants se sont rendus aux États‑Unis. Mme Omotayo y a rencontré un citoyen américain, qu’elle a épousé (le mariage n’a pas duré). Lorsque le premier mari de Mme Omotayo a appris qu’elle s’était remariée, il a menacé de la tuer si elle retournait au Nigéria. Il a également incendié la maison de son oncle.

[7]  La SPR avait des doutes quant à la crédibilité de Mme Omotayo, mais la SAR a estimé que la question déterminante dans son cas était celle de la PRI. La SAR a correctement appliqué le critère à deux volets concernant la PRI. Premièrement, le demandeur d’asile ne doit pas risquer sérieusement d’être persécuté ni de subir de mauvais traitements graves dans la PRI envisagée. Deuxièmement, il doit être raisonnable, compte tenu des circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur s’y installe (voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA)).

[8]  En ce qui concerne le premier volet du critère, la SAR a conclu que Mme Omotayo et les enfants ne risquaient pas d’être persécutés ou de subir de mauvais traitements graves à Port Harcourt. Elle a estimé que les problèmes de Mme Omotayo concernant son mariage avec son premier mari se seraient vraisemblablement aggravés au moment du divorce plutôt qu’au moment de son remariage aux États‑Unis. La SAR a mis en doute le témoignage de Mme Omotayo à cet égard. De plus, Mme Omotayo a mentionné dans son témoignage que son premier mari, un spécialiste des technologies de l’information prospère, pouvait accéder aux bases de données du gouvernement et la retrouver à Port Harcourt; or, elle n’avait pas soulevé cette préoccupation dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. La SAR a également mis en doute la crédibilité de Mme Omotayo sur ce point.

[9]  En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la SAR a constaté que le chômage constituait un problème grave, pas seulement à Port Harcourt, mais dans l’ensemble du Nigéria. Elle a noté que Mme Omotayo était très instruite et avait beaucoup d’expérience, des qualités qui l’aideraient à trouver un emploi à Port Harcourt. La SAR a également écarté les autres préoccupations de Mme Omotayo concernant la fréquence des enlèvements et la mauvaise qualité de l’eau à Port Harcourt.

[10]  Compte tenu de ces constatations, la SAR a conclu que Port Harcourt constituait une PRI viable.

III.  La décision de la SAR était‑elle déraisonnable?

[11]  Puisque j’ai conclu que la SAR a commis une erreur dans son examen du deuxième volet du critère concernant la PRI, je n’ai pas besoin de discuter de ses conclusions concernant le premier volet.

[12]  Le ministre soutient que la SAR a raisonnablement pris en compte les préoccupations de Mme Omotayo concernant la situation à Port Harcourt. En outre, il estime que la SAR n’a pas commis d’erreur en omettant d’aborder les rapports psychologiques concernant Mme Omotayo et sa fille, même si ces rapports avaient été présentés à la SPR par Mme Omotayo. Selon lui, ces rapports n’ont pas eu de répercussions sur la question de la PRI.

[13]  Je ne souscris pas aux observations du ministre.

[14]  En ce qui concerne le chômage, les éléments de preuve documentaire dont disposait la SAR indiquent qu’il est presque impossible de trouver un emploi à Port Harcourt, sauf comme mécanicien qualifié. Il est particulièrement difficile pour les femmes d’y trouver du travail. La SAR n’a pas fait référence à ces éléments de preuve lorsqu’elle a conclu que Mme Omotayo serait vraisemblablement en mesure de trouver un emploi approprié à Port Harcourt.

[15]  En ce qui concerne les rapports psychologiques, la SPR avait conclu qu’ils ne militaient pas contre la conclusion selon laquelle les demandeurs avaient une PRI. Elle avait noté que la famille pouvait obtenir des traitements en santé mentale à Port Harcourt, si elle en avait besoin. La SAR, quant à elle, n’a pas du tout fait référence aux rapports.

[16]  Il était indiqué dans les rapports psychologiques que Mme Omotayo présentait des symptômes du trouble de stress post‑traumatique. Ces symptômes nuisaient à son fonctionnement dans un contexte professionnel, social et interpersonnel. À mon avis, la SAR a commis une erreur en concluant qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que Mme Omotayo déménage à Port Harcourt et y trouve un emploi sans tenir compte de son état de santé mentale.

[17]  Par conséquent, j’estime que l’analyse du deuxième volet du critère concernant la PRI effectuée par la SAR était déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs au marché du travail à Port Harcourt et de la preuve psychologique.

IV.  Conclusion et décision

[18]  La conclusion de la SAR selon laquelle Mme Omotayo et ses enfants pouvaient raisonnablement se réinstaller à Port Harcourt, au Nigéria, était déraisonnable étant donné qu’elle ne tenait pas compte de la preuve concernant le taux de chômage dans cette ville ni des problèmes de santé mentale de Mme Omotayo. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner à un autre tribunal de la SAR de procéder à un nouvel examen de l’appel interjeté par Mme Omotayo. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.


 

JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑7857‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la SAR pour nouvel examen.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7857‑19

 

INTITULÉ :

OLUWASOLA OLAYINKA OMOTAYO, OLAWALE OMOTAYO, OLUWADEMILADE OMOTAYO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 DÉCEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JANVIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Aby Diagne

POUR LES DEMANDEURS

 

Nimanthika Kaneira

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Temitope Ayodele

Avocat

North York (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.