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Date : 20210112


Dossier : IMM-7789-19

Référence : 2021 CF 40

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

OBAIDA MANSOUR

MOHAMED AHMED

MAREN AHMED

AHMED AHMED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du 29 novembre 2019 de la Section d’appel des réfugiés [SAR]. La SAR a confirmé, aux termes du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] du 18 juillet 2019 selon laquelle la demanderesse [Mme Mansour] et ses enfants [collectivement, les demandeurs] n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]  Mme Mansour soutient que la SAR a commis une erreur au sujet de la possibilité de refuge interne [PRI]. Elle affirme que la SAR n’a pas adéquatement évalué sa situation personnelle ainsi que les risques d’excision auxquels elle et sa fille feraient face lors de leur retour en Égypte.

[3]  Pour les raisons qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Les faits

[4]  Mme Mansour est une citoyenne égyptienne née en 1989. Elle est accompagnée de ses enfants mineurs nés en Égypte, soit son fils aîné (né en 2009) et sa fille (née en 2011), ainsi que son fils cadet né aux États‑Unis en 2014 lors d’un premier voyage et donc citoyen américain.

[5]  Mme Mansour est née en Égypte et, avant de partir en 2016, elle avait vécu toute sa vie au Caire. Elle a épousé le père des enfants le 26 octobre 2007 (selon le certificat de mariage et la déclaration de divorce) bien qu’elle ait mentionné s’être mariée en 2008. Cependant, cette contradiction apparente n’est pas pertinente pour nos fins.

[6]  Ni Mme Mansour ni sa fille n’ont subi d’excision. Mme Mansour déclare qu’en mars 2016, lorsque sa fille avait environ cinq ans, elle a commencé à subir la pression de la famille de son mari, qui voulait que sa fille subisse une excision, c’est‑à‑dire qu’on procède à une clitoridectomie. Mme Mansour a expliqué que certaines familles dans des régions pauvres et rurales d’Égypte estiment que la procédure est nécessaire afin de promouvoir la pureté et la chasteté des jeunes filles. La preuve démontre, bien au contraire, que cette procédure a des effets néfastes à long terme sur les jeunes femmes, et ni Mme Mansour ni son mari ne voulaient une telle procédure. Cependant, le 3 avril 2016, en raison de supposées pressions familiales, Mme Mansour et son mari auraient décidé de divorcer malgré, semble‑t‑il, le désir réel de rester ensemble. L’ex‑mari de Mme Mansour se serait remarié le même mois.

[7]  En juillet 2016, des membres de l’ancienne belle‑famille de Mme Mansour seraient revenus à la charge. Ils lui auraient affirmé que c’était un bon moment pour procéder à l’excision et que la procédure permettrait de sauver l’honneur de la famille, puisque Mme Mansour était maintenant une mère divorcée. L’ancienne belle‑famille aurait également menacé de retirer les enfants de Mme Mansour.

[8]  Mme Mansour a alors décidé de quitter l’Égypte pour les États‑Unis avec ses enfants le 29 août 2016 et a revendiqué le statut de réfugiée. Pendant son séjour aux États‑Unis, Mme Mansour et ses enfants étaient soutenus financièrement par son ex‑mari. Après avoir attendu en vain une audience sur sa demande d’asile aux États-Unis et craignant d’être renvoyée en Égypte, le 7 mai 2018, soit presque deux ans plus tard, Mme Mansour et ses enfants sont entrés au Canada; le 18 mai 2018, ils ont déposé leurs demandes d’asile.

[9]  L’audience de la SPR s’est tenue le 11 juillet 2019, et la demande d’asile a été rejetée le 18 juillet 2019.

[10]  Bien que la SPR ne fût pas tout à fait convaincue de la véritable raison du divorce, notamment en raison du fait que le mari se soit remarié le même mois, la SPR a néanmoins estimé que, même si l’incertitude des réponses de Mme Mansour concernant la raison du divorce affaiblissait son témoignage, ces faiblesses étaient insuffisantes pour miner sa crédibilité. En se fondant sur la présomption de véracité et sur son récit par ailleurs cohérent, la SPR a estimé que les allégations de persécution de Mme Mansour étaient crédibles.

[11]  Toutefois, la SPR a estimé que la famille pouvait vivre en sécurité, sans possibilité sérieuse de persécution ou de traitements cruels au sens de l’article 97 de la LIPR, en s’installant à Alexandrie, et que la preuve était insuffisante pour établir que l’ancienne belle‑famille pourrait la retrouver partout en Égypte, et particulièrement à Alexandrie.

[12]  De plus, selon la SPR, la preuve confirmait que le déménagement à Alexandrie était possible et qu’il était raisonnable, vu les circonstances des demandeurs, qu’ils puissent habiter cette ville sans faire face à une possibilité sérieuse de persécution, malgré les difficultés qu’ont les femmes seules avec des enfants mineurs en Égypte.

[13]  La SPR a mentionné que les éléments de preuve documentaires ont confirmé que les particuliers qui craignent des personnes autres que des agents de l’État peuvent probablement s’installer ailleurs en Égypte. Elle a constaté que, bien que les femmes ne jouissent pas des mêmes droits et possibilités que les hommes, notamment au travail, même si la constitution prévoit l’égalité des droits et libertés, les éléments de preuve documentaires indiquent toutefois qu’il n’y a pas d’obstacles à la réinstallation des femmes célibataires et que les « femmes de la classe moyenne urbaine » peuvent plus facilement se trouver un travail et un logement.

III.  La décision contestée

[14]  Devant la SAR, les demandeurs ont fait valoir que la SPR avait erré dans son analyse de la PRI de trois façons : (1) elle a utilisé une approche rétrospective plutôt que prospective des risques encourus par Mme Mansour et ses enfants, (2) elle a fait une lecture sélective des éléments de preuve documentaires objectifs, et (3) elle n’a pas interrogé Mme Mansour sur son parcours professionnel.

[15]  La SAR a confirmé la décision de la SPR voulant que Mme Mansour et ses enfants disposent d’une PRI à Alexandrie.

[16]  Quant au premier volet du critère de la PRI, la SAR a conclu que Mme Mansour n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son ancienne belle‑famille pourrait ou voudrait la retrouver à Alexandrie. Pour atteindre cette conclusion, la SAR s’est fondée notamment sur l’importance de la population d’Alexandrie, sur la distance séparant cette ville du Caire et de Port‑Saïd, où habite l’ancienne belle‑famille de Mme Mansour, et sur le fait que l’ancienne belle‑famille n’a pas les ressources ou les contacts pour retrouver Mme Mansour.

[17]  Quant au deuxième volet, la SAR a conclu que, compte tenu de toutes les circonstances, il n’était pas objectivement déraisonnable que Mme Mansour et ses enfants s’installent à Alexandrie. Ils pourraient facilement s’y rendre par avion. Mme Mansour n’a pas d’incapacité particulière à travailler, et elle possède même un diplôme d’études secondaires.

[18]  De plus, la SAR a constaté que Mme Mansour avait déclaré lors de l’émission de son passeport ainsi que dans sa déclaration de divorce qu’elle était propriétaire d’une entreprise de matériel électronique. La SAR a donc conclu qu’il était plus probable que le contraire que Mme Mansour détenait un intérêt dans l’entreprise en question, ce qui pourrait l’aider à subvenir à ses besoins et à trouver un emploi, puisque son fils cadet ira bientôt à l’école et qu’elle est jeune et en forme.

[19]  Après avoir pris connaissance de la preuve voulant que les femmes et les filles d’Égypte faisaient face à des problèmes particuliers comme le harcèlement sexuel, ainsi que la discrimination et la violence fondées sur le sexe, la SAR a conclu que Mme Mansour n’avait pas démontré qu’elle ou ses enfants auraient des difficultés particulières pour ces raisons ou que le harcèlement auquel font face les femmes d’Égypte rendrait la PRI déraisonnable. La SAR a souligné que le fardeau de la preuve à cette étape du critère était très lourd et qu’il doit y avoir des conditions qui mettraient en péril la vie ou la sécurité des demandeurs, ce qui n’avait pas été démontré en l’espèce.

[20]  D’autre part, la SAR a jugé que la SPR avait commis une erreur en omettant de souligner que la preuve était ambiguë en ce qui concerne les difficultés précises auxquelles Mme Mansour ferait face en tant que mère divorcée célibataire. La SAR a reconnu que Mme Mansour, en raison de sa qualité de mère divorcée célibataire, aura certaines difficultés de réinstallation.

[21]  Toutefois, Mme Mansour est née au Caire et y a toujours vécu. Elle a déclaré être propriétaire d’une entreprise de matériel informatique et son mari l’aurait soutenue alors qu’elle était aux États‑Unis. Ces éléments ont amené la SAR à conclure que Mme Mansour est une « femme de la classe moyenne urbaine » qui aura de bonnes chances de se trouver un emploi et un logement.

IV.  La question en litige

[22]  Est-ce que la conclusion de la SAR quant à la possibilité de refuge interne à Alexandrie était raisonnable?

V.  La norme de contrôle

[23]  Les parties font valoir que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]; Mukhal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 868 au para 25).

[24]  En appliquant cette norme, la cour de révision doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99, qui renvoie à Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 aux paras 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 RCS 5 au para 13).

VI.  Analyse

[25]  Mme Mansour soutient que la SPR l’a trouvée crédible et que la SAR n’a pas modifié cette conclusion. Sous réserve de la conclusion de la SPR concernant la raison du divorce, je suis d’accord. La crédibilité des allégations de persécution de Mme Mansour n’est pas contestée.

[26]  Essentiellement, le critère à deux volets de la PRI repose sur l’idée que « le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit déraisonnable de le faire » avant de demander la protection d’un pays étranger (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011, [1994] 1 CF 589 à la p 597 (CAF) [Thirunavukkarasu]).

[27]  Ce critère à deux volets de la PRI a été énoncé récemment par le juge McHaffie dans Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 [Olusola] :

[8]  Pour établir s’il existe une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que (1) le demandeur ne sera pas exposé à la persécution (selon une norme de la « possibilité sérieuse ») ou à un danger ou un risque au titre de l’article 97 (selon une norme du « plus probable que le contraire ») dans la PRI proposée; et (2) en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, les conditions dans la PRI sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge : Thirunavukkarasu, aux pages 595 à 597; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643, aux paras 10 à 12.

[9]  Les deux « volets » du critère doivent être remplis pour appuyer la conclusion qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI viable. Le seuil du deuxième volet du critère de la PRI est élevé. Il faut « une preuve réelle et concrète de l’existence » de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF), au para 15. Lorsque l’existence d’une PRI est soulevée, il incombe au demandeur de démontrer qu’elle n’est pas viable : Thirunavukkarasu, aux pages 594 et 595.

[Je souligne.]

[28]  Bien que Mme Mansour ne précise pas quel volet du critère elle conteste, ses arguments semblent viser le deuxième volet, soit l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs tentant de s’installer temporairement en lieu sûr.

[29]  Mme Mansour soutient que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve au dossier, notamment le cartable national de documentation, ainsi que le rapport d’Amnistie internationale, qui fait état des risques d’intimidation auxquels font face les femmes en Égypte, et particulièrement les femmes seules avec un enfant mineur. La SAR n’aurait donc pas tenu compte dans sa décision d’aspects favorables à la position de Mme Mansour quant au caractère raisonnable d’une PRI, sans s’expliquer.

[30]  De plus, Mme Mansour soutient que, comme la SAR l’a dit dans sa décision, la SPR a reconnu que dans son formulaire, elle avait indiqué qu’elle n’avait jamais travaillé, ce qu’elle a répété dans son témoignage. Cependant, la SPR et la SAR ont indiqué dans leurs décisions comme facteur étayant la possibilité qu’elle s’installe à Alexandrie le fait qu’elle a mentionné être propriétaire d’une entreprise.

[31]  Mme Mansour soutient qu’elle n’a jamais travaillé; le fait qu’elle était propriétaire d’une entreprise ne veut pas dire qu’elle y travaillait. La conclusion de la SAR qu’elle faisait partie de la « classe moyenne urbaine » et qu’elle serait à l’abri des difficultés exposées dans la documentation susmentionnée est erronée. Selon Mme Mansour, cette conclusion est purement hypothétique et contraire à la preuve, puisque Mme Mansour est divorcée, que le jugement de divorce ne prévoit pas de pension alimentaire, qu’elle est peu instruite, qu’elle a de jeunes enfants et qu’elle est sans revenu.

[32]  D’après Mme Mansour, cette situation la rend vulnérable et crée des conditions objectives difficiles à surmonter pour déménager, puisqu’elle est sans revenu et qu’elle a une faible chance d’avoir un emploi vu son niveau d’éducation, son absence d’expérience de travail et la discrimination à laquelle elle sera confrontée.

[33]  À l’appui de ces allégations, Mme Mansour renvoie à un rapport de la Banque mondiale selon lequel le taux de chômage des jeunes femmes est cinq fois plus élevé que celui des jeunes hommes.

[34]  Mme Mansour mentionne aussi le nombre d’excisions en Égypte, ce qui rendrait plus probable qu’improbable que sa fille fasse l’objet d’une telle intervention sans qu’elle puisse s’y opposer. À l’appui de cette allégation, Mme Mansour renvoie à un rapport qui note qu’il existe de grandes pressions sociales pour que les filles et les femmes d’Égypte subissent cette procédure et que l’Égypte a le taux le plus élevé de clitoridectomie chez les femmes et les filles.

[35]  Enfin, Mme Mansour renvoie au paragraphe 133 de Vavilov et affirme que la SAR n’a pas suffisamment justifié sa décision. Ce paragraphe souligne que la justification doit être proportionnelle à l’importance de la décision sur les personnes qu’elle touche.

[36]  Tout d’abord, nous devons nous souvenir que la protection internationale est une mesure de dernier recours et que les demandeurs doivent d’abord voir s’ils peuvent s’installer ailleurs dans leur pays avant de trouver refuge dans un autre pays (Manitas Vargas Ingrid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 543 au para 14; Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 503 au para 27). De plus, le fardeau de la preuve est lourd lorsqu’il s’agit de déterminer le caractère déraisonnable d’une PRI (Molina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 349 au para 14; Olivares Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 443 au para 22). Il ne suffit pas de démontrer que la PRI à Alexandrie était déraisonnable. Le fardeau de la preuve est encore plus exigeant à la cour de révision : il faut prouver que la décision de la SAR était déraisonnable. En effet, la cour de révision doit « faire preuve de déférence envers l’évaluation de ces questions par la SAR ainsi que sa décision à savoir si la PRI proposée est raisonnable » (Olusola au para 6).

[37]  Comme je l’ai indiqué, Mme Mansour ne semble pas remettre en cause les conclusions de la SAR quant au premier volet du critère de la PRI.

[38]  Quant au deuxième volet, je ne peux retenir les arguments de Mme Mansour, pour les raisons suivantes.

[39]  Premièrement, je ne peux pas partager le point de vue de Mme Mansour voulant que la SAR n’ait pas tenu compte de la preuve qui étayait sa thèse. La SAR affirme expressément que la SPR a commis une erreur, car elle n’avait pas conclu que la preuve était ambiguë sur la question de la facilité de déménager des femmes en Égypte. Elle renvoie même à certains passages du cartable national de documentation, bien que Mme Mansour soutienne que la SAR n’en avait pas tenu compte.

[40]  Il est difficile de soutenir dans ce contexte que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve favorable à Mme Mansour. Je ne suis pas convaincu que le rapport d’Amnistie internationale auquel renvoie Mme Mansour aurait amené la SAR à rendre une conclusion différente en l’espèce. Ce document n’ajoute rien à ce qui se trouve déjà dans le cartable national de documentation auquel la SAR a renvoyé. De plus, même si le décideur n’a pas mentionné un élément de preuve précis, on présume qu’il a tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que la preuve contredise les conclusions du décideur (Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 966 au para 38).

[41]  J’accepte que la preuve indique que Mme Mansour n’a jamais travaillé. J’accepte également qu’il n’y a aucune preuve confirmant qu’elle tire un revenu du fait qu’elle a un intérêt dans l’entreprise de matériel électronique. Cependant, ni la SPR ni la SAR n’ont conclu qu’elle tirait un revenu de cette entreprise. La conclusion de la SPR, confirmée par la SAR, était que l’intérêt qu’elle avait dans cette entreprise, ainsi que d’autres facteurs, indiquait qu’elle était une « femme de la classe moyenne urbaine » qui, selon des preuves objectives, était susceptible de trouver plus facilement du travail et un logement lors du déménagement à Alexandrie.

[42]  En passant, il ne faut pas oublier que le témoignage de Mme Mansour se limite au fait qu’elle ne travaille pas et qu’elle n’a jamais travaillé. Elle ne fait aucune déclaration, d’une façon ou d’une autre, au sujet de son revenu. Étant donné l’impression laissée par le fait qu’elle indiquait être propriétaire d’une entreprise, si, en fait, elle n’avait aucune autre source de revenus, elle aurait dû le préciser.

[43]  Mme Mansour soutient que même si, à un moment de sa vie, lorsqu’elle était à la maison avec sa famille en Égypte ou lorsqu’elle était mariée, elle a pu être une « femme urbaine de la classe moyenne », car elle a vécu aux crochets de sa famille et de son mari, ce n’est plus le cas, puisqu’elle est une femme seule au Canada, avec trois petits enfants, qui reçoit l’aide de l’État.

[44]  C’est peut‑être le cas, mais l’argument de Mme Mansour n’est pas pertinent. Ni la SPR ni la SAR n’ont constaté qu’elle faisait aujourd’hui partie de la classe moyenne. Le sens de la constatation de la SPR que Mme Mansour était une « femme urbaine de la classe moyenne », que la SAR a confirmée, était que l’expérience de toute sa vie en Égypte était celle d’une femme urbaine de la classe moyenne et que, de ce fait, et en raison d’autres facteurs, elle avait plus de chances de trouver un emploi et un logement à Alexandrie. La question n’était pas de savoir si Mme Mansour travaillait effectivement, mais plutôt si elle pouvait travailler.

[45]  Non seulement la SAR a‑t‑elle tenu compte de la documentation qui favorisait Mme Mansour, mais elle a aussi expliqué clairement pourquoi elle s’en écartait. Ce sont ces raisons ainsi que le lourd fardeau de la preuve auquel faisait face Mme Mansour, et non seulement le fait que Mme Mansour faisait partie de la classe moyenne urbaine, qui ont amené la SAR à conclure que les demandeurs n’avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que déménager à Alexandrie serait indûment difficile ou objectivement déraisonnable vu leurs situations précises.

[46]  Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[47]  Plus important encore, je trouve que la SAR a bien analysé la preuve ambiguë quant aux difficultés de réinstallation de Mme Mansour et qu’elle a bien évalué la preuve relative aux difficultés qu’ont les femmes seules de trouver un logement, un emploi ou une école pour les enfants, ainsi que l’absence d’aide publique pour ces femmes. La décision semble résulter d’un équilibre raisonnable des éléments de preuve présentés au décideur.

[48]  Pour ce qui est des risques d’excision de la fille de Mme Mansour, bien que je ne conteste pas que le taux d’excision en Égypte est élevé et que des pressions importantes puissent exister sur les filles et les femmes pour qu’elles subissent cette procédure, il reste qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que les risques pour la fille de Mme Mansour n’étaient ni importants ni personnels.

[49]  Les statistiques sur l’excision auxquelles renvoie Mme Mansour et qui se trouvent dans le cartable national de documentation ne sont pas « une preuve réelle et concrète de l’existence » de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité de Mme Mansour et de sa fille. La conclusion de la SAR voulant que ce motif ne suffisait pas pour rendre la PRI déraisonnable ne justifie pas l’intervention de la Cour, à mon avis. Il est bien établi qu’une « demande d’asile ne peut reposer uniquement sur la preuve contenue au cartable national de documentation concernant le pays à l’égard duquel on invoque une crainte » (Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 242 au para 19).

[50]  Enfin, je ne crois pas que l’argument voulant que la décision de la SAR ne soit pas suffisamment justifiée mérite d’être examiné en profondeur. D’ailleurs, Mme Mansour ne précise pas exactement quelle partie de la décision n’est pas suffisamment justifiée, ce qui rend difficile de déterminer en quoi la décision ne serait pas conforme au principe de la justification.

[51]  Mme Mansour fait valoir que ni la décision de la SPR ni celle de la SAR n’indiquent qu’on se soit penché sur les conséquences de la décision sur sa dignité et sa sécurité, et celles de ses enfants, et sur ses moyens de subsistance.

[52]  Ce que Mme Mansour souhaite, c’est renverser le fardeau de la preuve pour écarter la conclusion d’une PRI raisonnable. Cependant, il n’appartient pas au décideur de se préoccuper des conséquences de sa décision sur le caractère raisonnable d’une PRI pour le demandeur. Il appartient plutôt au demandeur de faire « une preuve réelle et concrète de l’existence » de conditions qui « mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr » (Ranganathan au para 15).

[53]  L’obligation que les motifs tiennent compte des effets de la décision sur les droits de l’individu visé (Vavilov au para 133) ne laisse pas « croire pour autant qu’il s’agit d’une norme du caractère raisonnable différente » (Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 234 au para 42).

[54]  En l’espèce, la décision de la SAR est très détaillée et correspond à la situation précise de Mme Mansour et ses enfants (Vavilov au para 133). La SAR explique bien pourquoi la demande a été rejetée.

[55]  Je trouve que la décision de la SAR dans son ensemble était « transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov). Je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT au dossier IMM-7789-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7789-19

 

INTITULÉ :

OBAIDA MANSOUR, MOHAMED AHMED, MAREN AHMED, AHMED AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 décembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 janvier 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Jacques Beauchemin

Pour les demandeurs

Me Rosine Faucher

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beauchemin Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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