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Dossier : IMM‑5888‑19

Référence : 2020 CF 1165

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

OSEP GUZELIAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée par le ministre défendeur en vertu de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le ministre sollicite une ordonnance visant à protéger les renseignements qui seraient normalement divulgués au demandeur dans le dossier certifié du tribunal (le DCT) produit pour la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire. Cette demande porte sur le rejet de la demande de résidence permanente du demandeur fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[2]  Le demandeur a été informé du rejet par lettre datée du 11 septembre 2019, et sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 1er octobre 2019. L’autorisation a été accordée le 13 mars 2020, et l’affaire a été fixée pour une audience en juin. L’affaire n’a pas été instruite à ce moment‑là à cause de la pandémie. Le 31 juillet 2020, le défendeur a demandé une prorogation du délai pour produire le DCT, en raison de la présence de renseignements sensibles dans le dossier. Cette demande a été accueillie le 21 août 2020.

[3]  Le DCT a été reçu par le greffe de la Cour fédérale à Montréal le 25 septembre 2020. La lettre d’accompagnement du défendeur indiquait que les renseignements figurant aux pages 94 à 98, 1132, 1133 et 1147 à 1149 du DCT n’étaient pas divulgués et qu’une requête visant à protéger ces renseignements serait déposée. La requête a été déposée le 29 septembre 2020 afin de protéger les renseignements caviardés, au motif que la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Selon les observations du défendeur, il n’a pas l’intention de se servir des renseignements caviardés pour les besoins du contrôle judiciaire.

[4]  Le demandeur a déposé sa réponse à la requête du défendeur le 7 octobre 2020. Dans sa réponse, le demandeur a reconnu qu’il y avait des cas où des impératifs en matière de sécurité nationale pourraient justifier la non‑divulgation d’éléments de preuve sensibles. Toutefois, n’ayant pas eu l’occasion d’examiner les documents caviardés, a‑t‑il soutenu, ils auraient pu influencer l’agent d’immigration dans la décision sous‑jacente et pourraient convaincre la Cour que le défendeur s’y appuie ouvertement ou non. Il s’est donc opposé à la requête et, à titre subsidiaire, a demandé la nomination d’un avocat spécial.

[5]  Le défendeur a déposé l’affidavit classifié d’un agent du renseignement le 2 novembre 2020. L’affidavit explique les motifs invoqués par le défendeur pour demander la protection des renseignements. Sont jointes en tant que pièces les pages pertinentes du DCT, avec les renseignements caviardés figurant dans le texte en surbrillance. Les éléments mis en surbrillance sont de couleurs différentes, associées aux divers motifs de protection, mais cela n’a pas gêné la lecture de l’information.

[6]  Le 17 novembre 2020, j’ai convoqué une conférence sur la gestion de l’instance avec les avocats des parties et celui qui comparaissait pour le procureur général du Canada au sujet de la requête relative à l’article 87. Au cours de cette conférence, j’ai indiqué que, bien que je n’eusse pas pris de décision, j’envisageais la nomination d’un avocat spécial au titre de l’article 87.1 de la LIPR pour examiner une question juridique précise. Je n’ai pas indiqué la nature de cette question, mais j’ai décrit l’objet comme « potentiellement, sans doute pertinent ». J’ai également informé les avocats que je considérais que la plupart des éléments caviardés ne concernaient pas des renseignements de fond que la Cour protégeait régulièrement sur présentation de requêtes relatives à l’article 87. En conclusion, j’ai indiqué que j’envisagerais la nomination d’un avocat spécial qui plaiderait la question de savoir si les renseignements de fond avaient une incidence sur la requête ou la demande sous‑jacente.

[7]  Dans la décision Farkhondehfall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1064, la Cour a jugé qu’un certain nombre de facteurs devait être pondéré par la Cour au moment d’examiner la question de savoir si les considérations liées à l’équité et à la justice naturelle exigeaient la nomination d’un avocat spécial. Les considérations pertinentes comprennent la quantité de renseignements qui ont été divulgués et la mesure dans laquelle la personne concernée a été informée de la preuve qu’elle doit réfuter.

[8]  Après avoir examiné l’affaire, entendu la preuve ex parte du ministre et examiné le dossier de la demande sous‑jacente, la Cour est convaincue que la nomination d’un avocat spécial n’est pas nécessaire pour protéger les intérêts du demandeur dans le cadre de la requête relative à l’article 87 ou de la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire.

[9]  Le 8 décembre 2020, la Cour a été informée que le défendeur avait omis par inadvertance d’inclure une page qui devrait être insérée après la page 1132 du DCT. Cette page, maintenant numérotée 1132a, contient également des renseignements caviardés dans une série de courriels entre fonctionnaires.

[10]  Le 11 décembre 2020, le défendeur a déposé un affidavit classifié supplémentaire du même agent du renseignement, fournissant une explication des éléments caviardés à la page 1132a. La page était jointe en tant que pièce, en texte clair.

[11]  La Cour a tenu une audience le 15 décembre 2020, au cours de laquelle elle a reçu le témoignage assermenté de l’agent du renseignement et les observations de l’avocat du procureur général du Canada.

[12]  Le nombre d’éléments caviardés dans le DCT de 1 806 pages est minime, et à peu près aucun de ces renseignements n’est de fond. Toutefois, l’information identifierait ou tendrait à identifier des employés, des coordonnées, des formalités internes, des techniques d’enquête ou des méthodes administratives. La divulgation de ces renseignements pourrait mettre des employés du gouvernement en danger, nuire à leur efficacité et nuire à la collecte continue de renseignements. Aucun de ces renseignements ne serait utile au demandeur dans la demande sous‑jacente, et ils sont de la nature de ceux que la Cour protège systématiquement sur présentation des demandes en vertu de l’article 87 : Dhahbi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 347.

[13]  Je note que la conclusion de la Division des enquêtes pour la sécurité nationale de l’Agence des services frontaliers du Canada, fondée en partie sur des consultations avec des partenaires, selon laquelle elle n’avait pas de motifs de croire que le demandeur était interdit de territoire, n’est pas caviardée dans le DCT et est invoquée dans le mémoire des faits et de droit du demandeur et dans sa réponse au mémoire du défendeur, à l’appui de son argument selon lequel la décision est déraisonnable. Cet argument peut être invoqué vigoureusement à l’audition sur le fond de la demande de contrôle judiciaire, avec les autres arguments sur les motifs d’ordre procédural et de fond que le demandeur a soulevés.

[14]  En conclusion, je suis convaincu que la divulgation des renseignements que le ministre cherche à garder confidentiels porterait atteinte à la sécurité nationale du Canada ou à la sécurité d’autrui. La Cour doit donc veiller à ce que les renseignements ne soient pas divulgués (Canada (Attorney General) v Soltanizadeh, 2019 FCA 202 au para 26).




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