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     Date : 19980917

     Dossier : T-2314-96

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

             GILLES CHARLEBOIS,

     demandeur,

             - et -

             COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

             et

             SYNDICAT UNI DU TRANSPORT, SECTION LOCALE 279,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs écrits qui sont fournis, je rejette la demande.

                                 Douglas R. Campbell

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19980917

     Dossier : T-2314-96

ENTRE :

             GILLES CHARLEBOIS,

     demandeur,

             - et -

             COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

             et

             SYNDICAT UNI DU TRANSPORT, SECTION LOCALE 279,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]      M. Charlebois s'est plaint que son employeur et son syndicat ont commis un acte discriminatoire à son égard en raison de sa déficience. La question fondamentale que soulève le présent contrôle judiciaire est de savoir si la Commission canadienne des droits de la personne (" CCDP ") a examiné correctement les plaintes déposées par le demandeur en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne , L.R.C. (1985), ch. H-6.

[2]      Ainsi qu'il est mentionné ci-après, les faits sont complexes, mais les deux plaintes sont étroitement liées. En conséquence, bien qu'elles n'aient pas été réunies officiellement, les demandes de contrôle judiciaire distinctes dont font l'objet les enquêtes menées par la CCDP sur la conduite de l'employeur [T-57-95] et celle du syndicat [T-2314-96] ont été instruites conjointement par la Commission. Les présents motifs s'appliquent donc aux deux demandes.

     I. Les faits et les plaintes

A. Les faits

[3]      M. Charlebois a commencé à travailler pour la Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton (" OC Transpo ") comme chauffeur d'autobus en juillet 1980 et a adhéré au Syndicat uni du transport, section locale 279 (" SUT "), à ce moment-là. Pendant toute la durée de son emploi à OC Transpo, M. Charlebois a participé à un certain nombre de tentatives visant à remplacer le SUT par une autre unité de négociation. M. Charlebois a déposé une quinzaine de griefs contre OC Transpo au cours de la période pendant laquelle il a été représenté par le SUT.

[4]      M. Charlebois a été congédié pour la première fois par OC Transpo le 12 décembre 1990 parce qu'il aurait fait preuve d'" insubordination flagrante ". Il a été représenté par le SUT relativement à ce congédiement. Il a été réintégré dans ses fonctions et est retourné au travail le 28 janvier 1991 ou vers cette date.

[5]      En cours d'emploi, M. Charlebois a eu plusieurs problèmes de santé causés par le stress tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie personnelle. Le 7 février 1991, il a commencé un long congé de maladie attesté par un certificat médical. Le 31 mai 1991, il a fourni à OC Transpo un certificat médical qui autorisait un congé de maladie du 7 février 1991 au 3 juin 1991 au motif qu'il souffrait d'une dépression unipolaire majeure [onglet 6, dossier de la demande, T-2314-96].

[6]      Le 3 juin 1991, M. Charlebois est retourné au travail et a aussitôt pris une semaine de congé annuel qu'il avait planifiée plusieurs mois auparavant. À son retour au travail le 10 juin 1991, M. Charlebois a été convoqué à une entrevue disciplinaire avec la direction le jour même. Le 12 juin 1991, M. Charlebois a été congédié au motif qu'il n'avait pas respecté les conditions de sa réintégration ni maintenu un rendement satisfaisant. Sa lettre de congédiement [onglet J, dossier complémentaire de la demande, T-57-95] est notamment libellée ainsi qu'il suit :

     [traduction] La présente a pour objet de confirmer la cessation de votre emploi à OC Transpo le 12 juin 1991 parce que vous n'avez pas respecté les conditions de votre réintégration ni maintenu un rendement satisfaisant. Vous vous êtes récemment rendu coupable notamment d'absentéisme, d'insubordination et de refus de collaborer. Tous ces manquements sont des incidents culminants dans un dossier médiocre.         

[7]      Le SUT a déposé un grief au nom de M. Charlebois et a représenté ce dernier relativement au congédiement du 12 juin; toutefois, OC Transpo a refusé de réintégrer M. Charlebois.

[8]      Les 12 et 13 novembre 1991, les griefs de M. Charlebois ont été soumis aux membres du SUT pour qu'ils votent sur l'opportunité de renvoyer les griefs à l'arbitrage, comme le veut la pratique du SUT.

[9]      Conformément à la politique du SUT, le conseiller juridique du SUT a été invité à exprimer son opinion sur les chances de M. Charlebois d'avoir gain de cause si les griefs étaient renvoyés à l'arbitrage. L'opinion du conseiller juridique du SUT [onglet 7, dossier de la demande, T-2314-96] est notamment libellée ainsi qu'il suit :

     [traduction] Par conséquent, en supposant que les médecins auxquels M. Charlebois m'a référé puissent fournir les avis médicaux requis, je recommanderais le renvoi des griefs de M. Charlebois à l'arbitrage. J'estime que les chances de M. Charlebois d'avoir gain de cause sont de l'ordre de 60 à 70 p. 100, pourvu, encore une fois, que les avis médicaux requis puissent être obtenus.         

[10]      À l'assemblée du SUT, cette lettre a été lue aux membres présents, M. Charlebois a répondu aux questions, d'autres points de vue ont été exprimés, puis un vote a été tenu. Les membres ont voté contre le renvoi des griefs de M. Charlebois à l'arbitrage. Les motifs de plainte de M. Charlebois concernant ce résultat sont le fait qu'il a été la cible de remarques offensantes pendant l'assemblée et le fait que la direction a tenté d'encourager les membres à voter contre lui.

[11]      Le vote négatif des membres a incité M. Charlebois à déposer trois plaintes : la première contre le SUT devant le Conseil canadien des relations du travail (le " CCRT ") vu le devoir de représentation juste prévu à l'article 37 du Code canadien du travail , la deuxième contre OC Transpo devant la CCDP et la troisième contre le SUT devant la CCDP.

B. La plainte déposée devant le CCRT

[12]      En ce qui a trait à la plainte déposée devant le CCRT, M. Charlebois a allégué que le SUT avait traité ses griefs de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi, et avait manqué à son devoir de représentation juste de ses membres.

[13]      Au terme de trois jours d'audience, le CCRT a rejeté la plainte de M. Charlebois dans une décision rendue le 3 février 1993 [onglet 32, dossier de la demande, T-2314-96]. Dans cette décision, le CCRT a conclu que rien ne prouvait que la décision de ne pas renvoyer les griefs de M. Charlebois à l'arbitrage reposait sur des considérations arbitraires, discriminatoires ou de mauvaise foi. Le CCRT a également conclu que rien ne prouvait que la direction du SUT avait fait preuve de parti pris contre M. Charlebois aux assemblées générales des 12 et 13 novembre 1991 ou que le SUT avait encouragé ses membres à voter contre M. Charlebois. Les appels que M. Charlebois a interjetés par la suite contre la décision du CCRT ont tous été vains.

C. Les plaintes déposées devant la CCDP

[14]      Le 28 novembre 1991, M. Charlebois a déposé deux plaintes devant la CCDP : l'une contre le SUT et l'autre contre OC Transpo.

[15]      En gros, M. Charlebois prétend que les enquêtes dont ces deux plaintes ont fait l'objet n'ont pas été approfondies. En ce qui concerne la plainte déposée contre le SUT, M. Charlebois soutient que la CCDP a restreint indûment l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en accordant une importance excessive à la décision du CCRT au lieu de mener une enquête indépendante.

     1. La plainte déposée contre OC Transpo

[16]      Le 2 janvier 1992, M. Charlebois a déposé devant la CCDP une formule de plainte [onglet 4, dossier complémentaire de la demande, T-57-95] contre OC Transpo au motif qu'OC Transpo avait exercé une discrimination contre lui pour les motifs suivants :

     [traduction] La Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton a exercé une discrimination contre moi en refusant de continuer de m'employer en raison de ma déficience, contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.         
     J'ai commencé à travailler pour OC Transpo en juillet 1980 comme chauffeur d'autobus. Je souffre d'anxiété et de stress situationnel.         
     Le 6 mars 1991, mon médecin a indiqué que j'étais totalement incapable d'exercer des activités professionnelles et ce, jusqu'au nouvel ordre. Le 31 mai 1991, mon médecin a indiqué que j'étais prêt à reprendre le travail à mi-temps du 3 juin 1991 au 17 juin 1991, et que je serais en mesure de reprendre le travail à temps plein par la suite.         
     Le 12 juin 1991, C. Walton, chef du personnel itinérant, m'a avisé par lettre que j'étais congédié parce que je n'avais pas respecté les conditions de ma réintégration ni " maintenu un rendement satisfaisant. [Je m'étais] récemment rendu coupable notamment d'absentéisme, d'insubordination et de refus de collaborer ".         
     J'estime avoir de bons états de service comme chauffeur et, selon moi, OC Transpo refuse de continuer de m'employer à cause de ma déficience et du nombre de jours de congé de maladie que j'ai dû prendre pour cette raison (463 jours en onze ans, dont environ 260 au cours des trois dernières années).         

[17]      Au cours de l'enquête qui a ensuite été menée sur cette plainte, un enquêteur de la CCDP a demandé au Service des ressources humaines d'OC Transpo, dans une lettre datée du 14 avril 1993, de fournir les renseignements suivants [onglet X, dossier complémentaire de la demande, T-57-95] :

     [traduction]         
     1.      Dans la lettre datée du 12 juin 1991, les motifs de congédiement invoqués tiennent au fait que M. Charlebois n'a pas respecté les conditions de sa réintégration ni maintenu un rendement satisfaisant.         
         Quelles étaient les conditions de sa réintégration et où sont-elles précisées? Comment n'a-t-il pas respecté ces conditions? De quelle façon n'a-t-il pas maintenu un rendement satisfaisant? Existe-t-il des documents au soutien de ces affirmations?         
     2.      Veuillez fournir un résumé du dossier disciplinaire de M. Charlebois et les résultats des griefs qui ont été déposés.         
     3.      M. Charlebois a-t-il déjà fait l'objet de mesures disciplinaires à cause de son absentéisme? Avec quel résultat? M. Charlebois a-t-il fourni des certificats médicaux relativement aux absences qui seraient attribuables au stress situationnel et à l'anxiété? OC Transpo les a-t-elle acceptés?         
     4.      Veuillez fournir un résumé de la fiche de présence de M. Charlebois.         
     5.      M. Charlebois a-t-il déjà présenté une demande en vue de toucher une indemnité d'accident du travail ou d'autres prestations de maladie qui attesterait sa déficience? OC Transpo a-t-elle contesté l'une quelconque de ces demandes?         
     6.      M. Charlebois a-t-il déjà omis de se présenter à des entrevues disciplinaires ou d'évaluation du rendement? Combien de fois et à quelles dates? Quelles raisons a-t-il invoquées pour justifier son absence? OC Transpo a-t-elle jugé ces raisons acceptables? M. Charlebois a-t-il été avisé que ses raisons n'étaient pas acceptables? Dans l'affirmative, comment l'a-t-il été?         
     7.      Y a-t-il d'autres chauffeurs d'OC Transpo qui ont été diagnostiqués comme souffrant de stress situationnel ou d'anxiété? Comment ces chauffeurs ont-ils été traités?         
     8.      OC Transpo a-t-elle un programme d'aide aux employés? M. Charlebois était-il au courant de l'existence de ce programme? Comment en a-t-il été informé?         
     9.      Le 31 mai 1991, le Dr A. J. Carre a indiqué que M. Charlebois pouvait reprendre son travail à mi-temps du 3 juin 1991 au 17 juin 1991, puis à temps plein par la suite.         
             Quels sont les incidents précis, entre le 31 mai 1991 et le 12 juin 1991, qui ont donné lieu à la lettre de congédiement en date du 12 juin 1991?                 
     10.      Il ressort de la correspondance d'OC Transpo que M. Charlebois a touché des prestations de maladie pendant la période du 22 décembre 1990 au 28 janvier 1991.         
     11.      Veuillez préciser où en est rendu le grief de M. Charlebois concernant son congédiement.         
         [...]         
         Une fois de plus, nous vous saurions gré de bien vouloir nous communiquer les renseignements demandés étant donné leur importance pour mener une enquête complète sur la plainte de M. Charlebois.         

[18]      Dans une série de lettres qu'OC Transpo a envoyées à la CCDP (pièces Z, AA, BB et CC jointes à l'affidavit supplémentaire de Gilles Charlebois, dossier complémentaire de la demande, T-57-95], OC Transpo a adopté le point de vue qu'elle n'avait pas besoin de répondre à ces questions avant que les audiences devant le CCRT et les appels dont la décision de cet organisme pourrait faire l'objet ne soient terminés. Mais OC Transpo n'a jamais répondu aux questions qui lui étaient posées dans la lettre en date du 14 avril 1993, même après que la CCDP eut rendu une décision finale.

[19]      Dans le contexte de la plainte déposée contre OC Transpo, M. Charlebois a eu une longue conversation avec une enquêteuse de la CCDP, Mme Séguin, le 26 octobre 1993. Mme Séguin a consigné le contenu de cette conversation dans une note en date du même jour qui est notamment libellée ainsi qu'il suit [pièce KK jointe à l'affidavit supplémentaire de Gilles Charlebois, dossier complémentaire de la demande, T-57-95]1 :

     [traduction] Je l'ai informé que j'étais la nouvelle enquêteuse chargée du dossier et je lui ai donné mon numéro de téléphone. Je lui ai dit que j'avais reçu le dossier hier, que je l'avais examiné et que je voulais le mettre au courant de la situation. Je lui ai fait part des raisons pour lesquelles la mise en cause veut que la Commission interrompe l'examen de la plainte et laisse celle-ci en suspens (l'objection à la déficience qui n'est pas une déficience au sens de l'article 3 de la LCDP et l'objection à la poursuite de l'enquête avant l'audition de l'appel interjeté par le plaignant en vertu de l'article 28 devant la Cour fédérale).         
     Le plaignant s'adressa à moi en français durant le reste de l'entretien téléphonique. [...]         
     Il me demanda si, après la lecture de la plainte, je pouvais lui dire si "sa cause était bonne" et si il [sic ] "avait de bonne chance de gagner". Il me demanda, en supposant que tous les renseignements apparaissant dans la plainte s'avèrent véridiques et vérifiables, s'il avait "un bon cas". J'ai d'abord répondu que je n'émettais jamais d'opinion personnelle et que je ne savais pas ce que l'enquête allait révéler. De plus, je lui ai expliqué le déroulement d'une enquête jusqu'à la rédaction du rapport d'enquête et des types de recommandations que je pouvais émettre.         
     J'ai informé le plaignant que j'allais demander un avis juridique puisque la mise en cause s'oppose à l'enquête de cette plainte. Je lui ai dit qu'il devra sûrement patienter un peu car l'opinion ne sera pas rendue dans quelques semaines. Il déclara qu'il comprenait.         
     [...]         
     Le plaignant déclara qu'il avait, dans sa plainte, des incidents traitant de son congédiement, du harcèlement qu'il allègue avoir reçu d'une personne nommée Mme Whelan et du harcèlement qu'il allègue avoir subi par un dénommé M. Walton. Puisque je ne me souvenais pas de ces deux dernières allégations, je lui ai relu le contenu de son formulaire de plainte qui ne contenait pas d'allégation contre Mme Whelan. M. Walton est nommé dans la plainte comme étant la personne qui lui a remis la lettre de renvoi. Il déclare que M. Sharpe (l'enquêteur du Projet de traitement accéléré des plaintes) lui a dit de ne pas s'en faire car la Commission ne traite que d'un sujet de plainte à la fois et que, lorsque l'enquête relative au renvoi sera terminée, une enquête sur les autres allégations commencera. Je lui ai expliqué que la Commission ne fonctionnait pas ainsi. J'ai clarifié que, dans l'éventualité d'une enquête, cette dernière ne se limiterait qu'aux allégations contenues sur le formulaire qu'il a signé. Je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas soulevé ces allégations avec Mme Wankam, l'agent d'accueil. Il déclara qu'il ne s'en souvenait plus. Il croyait que l'agent d'accueil était Mme Hébert, la première enquêtrice assignée à son dossier.         
     Je lui ai demandé des détails sur les allégations traitant de Mme Whelan. Il commença par dire que toute la preuve dont j'avais besoin se trouvait dans une lettre de Mme Whelan datée du 4 mars (il ne se souvenait pas de l'année) ainsi que dans deux autres lettres de M. Walton. D'après le compte rendu du plaignant, il semble qu'il s'agissait là de harcèlement personnel. Le plaignant confirma qu'il s'agissait bel et bien de harcèlement personnel. Je lui ai donc expliqué la portée de notre loi et je lui ai dit que ce type de harcèlement n'est pas un motif.         
     Le plaignant déclara alors qu'il avait été congédié car il était sur une "black list". Il dit qu'il était le troisième nom sur cette liste et que les deux hommes avant lui ont été congédiés par la mise en cause. Je lui demande d'expliquer cette allégation de liste noire. Il déclare qu'il était activement impliqué dans une tentative d'organiser et de remplacer le syndicat actuel de la mise en cause (ATU, LOCAL 279) qui est un syndicat de souche américaine, par le syndicat (ICTU) qui est un syndicat de souche canadienne. Il dit que la mise en cause n'a pas aimé cela. Je lui demande des précisions. Il déclara que son implication active dans des activités syndicales est la raison principale pour laquelle il fut congédié par la mise en cause. J'ai demandé au plaignant de confirmer cet énoncé plusieurs fois et, à chaque fois, il me dit qu'il s'agissait là de la vraie raison.         
     Le plaignant me cita deux exemples qui supportent le motif d'implication syndicale. D'abord, il déclare qu'une collègue, Mme Marjorie Jackson, souffrait de stress en plus d'une dépression sévère. Elle a dû prendre 4.5 mois de congé pour cause de maladie. Il décrit Mme Jackson comme étant une personne qui ne se préoccupait guère des activités syndicales se déroulant chez la mise en cause. Il dit qu'elle fut rappelée au travail par la mise en cause et ne fut pas harcelée pour autant. Il mentionne également l'exemple d'un de ses bons copains qu'il veut garder dans l'anonymat. Il le surnomme Paul P. Le plaignant déclare que dans quatre ans de travail pour la mise en cause, Paul P. s'est absenté du travail pour cause de maladie au mois [sic] durant 3.5 mois. Le plaignant décrit le taux d'absentéisme de Paul P. comme étant atroce et ajoute qu'il a été impliqué dans de nombreux accidents lorsqu'il conduisait des autobus de la mise en cause. Le plaignant déclare que Paul P. fut rappelé au travail par la mise en cause et qu'il ne fut pas harcelé. Il déclare que la mise en cause "lui a écrit une lettre d'amour" afin que Paul P. retourne au travail. Le plaignant ajoute que Paul P. ne prenait part à aucune activité syndicale.         
     Il dit que la mise en cause n'admettra jamais qu'il fut congédié pour sa participation dans des activités syndicales. C'est pourquoi la mise en cause déclara qu'il fut renvoyé à cause de sa déficience. J'ai expliqué au plaignant que, s'il croyait que le motif de sa plainte est son implication syndicale et non la déficience, un tel motif n'est pas un motif couvert par notre loi. Je lui ai demandé s'il avait discuté de ceci avec l'agent d'accueil et il répondit qu'il ne s'en souvenait plus. J'ai tenté de lui faire comprendre qu'il s'agissait là d'une plainte hors de la compétence de la Commission. Le plaignant ne semblait pas comprendre qu'il n'avait pas de motif pour se plaindre. Il dit que ce qu'il pensait était dans la tête de la mise en cause et qu'il n'avouait cela "qu'entre nous deux". Je lui ai dit que ce que pensait la mise en cause importait peu, que la plainte c'est lui qui la logait [sic ] et que le motif de cette plainte devait être énoncé par nul autre que lui: s'il me disait que le vrai motif était son affiliation syndicale, il ne s'agissait là d'un motif que la Commission pouvait traiter.         
     Puisqu'il ne semblait pas comprendre et qu'il insistait pour que l'enquête de sa plainte reprenne le plus vite possible, je lui ai dit que je discuterai de l'information qu'il venait de me donner avec ma surveillante (qui était présente lors de cette conversation téléphonique). Je lui ai dit qu'il se pouvait qu'une opinion ne soit plus nécessaire à la lumière des faits qu'il vient d'énoncer et que j'allais le rappeler.         

[20]      Les motifs apparents du congédiement de M. Charlebois, par opposition à une cause sous-jacente, ont été débattus à nouveau au cours d'entretiens subséquents entre M. Charlebois et des représentants de la CCDP. Toutefois, ces entretiens n'ont pas permis de recueillir d'autres renseignements pertinents sur la cause véritable du congédiement.

[21]      Dans un rapport d'enquête en date du 25 novembre 1994 [onglet 4, dossier complémentaire de la demande, T-57-95], la CCDP a recommandé le rejet de la plainte de M. Charlebois parce que, selon la preuve, l'allégation de discrimination n'était pas fondée. Voici le texte de ce rapport :

     [traduction]         

     Commission canadienne des droits de la personne

     Rapport d'enquête

     Dossier no : H32473

     Disposition(s) de la Loi : 7

     Date de la plainte : 2 janvier 1992

     Motifs : Déficience (anxiété et stress situationnel)

     Nom et ville du plaignant : Gilles Charlebois, Plantagenet-Nord (Ontario)         
     Nom et ville de la mise en cause : Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton (OC Transpo), Ottawa (Ontario)         

     Thèse du plaignant

     1. Le plaignant, qui souffre d'anxiété et de stress situationnel, affirme que la mise en cause a exercé une discrimination contre lui en le congédiant à cause de sa déficience, contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.         
     Thèse de la mise en cause
     2. La mise en cause nie avoir exercé une discrimination fondée sur la déficience contre le plaignant. Elle affirme que le congédiement du plaignant est l'aboutissement de mesures disciplinaires progressives qui se sont étalées sur plusieurs années, notamment des conseils, des avertissements, des réprimandes, l'absentéisme, l'insubordination et une suspension pour rendement médiocre. Elle ajoute que le plaignant a été congédié parce qu'il n'a pas respecté les conditions de sa réintégration ni maintenu un rendement satisfaisant.         
     3. La preuve révèle que le plaignant a été congédié pour la première fois en décembre 1990 pour insubordination, et qu'il a ensuite pris un congé de maladie en janvier 1991, mais n'a pas produit de certificat médical avant le mois de mars 1991. La preuve révèle que le plaignant n'a pas assisté à des entrevues disciplinaires en février et en mars 1991, et qu'il a été congédié pour la deuxième fois en juin 1991 parce qu'il ne pouvait pas maintenir un rendement satisfaisant. La preuve n'appuie pas les allégations du plaignant selon lesquelles il a été congédié à cause d'une déficience.         
     3. La preuve révèle en outre que le requérant lui-même a reconnu qu'il pensait avoir été congédié à cause de sa participation à des activités syndicales et non à cause de sa déficience comme il l'avait d'abord affirmé.         
     4. Le plaignant a interjeté appel de la décision de son syndicat de ne pas renvoyer son grief à l'arbitrage. La Cour fédérale a déjà rejeté son appel. Même si la Cour suprême lui accordait une autorisation de pourvoi et s'il devait avoir gain de cause à l'arbitrage, il n'en serait pas moins vrai que le plaignant a reconnu que sa déficience n'était pas la cause de son congédiement.         

     Recommandation

     5. Il est donc recommandé de rejeter la plainte parce que, selon la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée.         

     (en date du 7.10.94)

     Résolution proposée

     La Commission décide :

     conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte (H32473) déposée par Gilles Charlebois de Plantagenet-Nord (Ontario) contre la Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton le 2 janvier 1992, et faisant état de discrimination dans l'emploi fondée sur une déficience parce que, selon la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée.         

[22]      En dernier lieu, dans une lettre en date du 15 décembre 1994 [onglet 4, dossier complémentaire de la demande, T-57-95], la CCDP a informé M. Charlebois du rejet de la plainte déposée contre OC Transpo en ces termes :

     [traduction] La Commission canadienne des droits de la personne a examiné le rapport d'enquête sur la plainte (H32473) en date du 2 janvier 1992 que vous avez déposée contre la Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton et dans laquelle vous affirmez avoir été victime de discrimination dans l'emploi fondée sur une déficience. La Commission a également examiné vos observations en date du 9 novembre 1994.         
     La Commission a décidé, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte parce que, selon la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée.         

[23]      Un exemplaire du rapport d'enquête en date du 25 novembre 1994 et un exemplaire de la formule de plainte en date du 2 janvier 1992 étaient joints à la décision.

     2. La plainte déposée contre le SUT

[24]      La CCDP a d'abord refusé de recevoir la plainte que M. Charlebois a déposée contre le SUT, mais elle a par la suite indiqué qu'elle était disposée à réexaminer cette plainte si M. Charlebois fournissait d'autres renseignements. M. Charlebois a fourni à la CCDP les renseignements demandés le 15 août 1995.

[25]      Les renseignements fournis par M. Charlebois ont été examinés par Mme Anick Hébert dans une note en date du 24 août 1995 dont le destinataire est M. Stewart, superviseur des enquêtes à la CCDP (onglet 40, dossier de la demande, T-2314-96]. Mme Hébert déclare ceci :

     [traduction] Je crois aussi que vous ne devriez pas recevoir cette plainte parce qu'il ne semble pas y avoir de motif de distinction. Le plaignant a allégué qu'en raison de sa déficience [...] mais l'information qu'il a fournie n'est pas assez convaincante pour recevoir une plainte. À mon avis, si nous recevons cette plainte, ça se terminera par aucune autre procédure, et le plaignant s'adressera à la Cour fédérale de toute façon.         
     [...]         
     Certains renseignements peuvent nous laisser croire que nous devrions recevoir cette plainte. Document jaune #4. Beaucoup de gens ont signé pour l'appuyer [...] Mais cela fait quatre ans, et je pense qu'ils auront du mal à s'en souvenir.         
     À mon avis, la décision du Conseil canadien des relations du travail est vraiment importante. Il n'y pas eu de manquement au devoir de représentation juste. Le plaignant a reconnu qu'il avait été congédié à cause de sa participation à des activités syndicales et non à cause de sa déficience. [...] Il a de nouveau confirmé ce fait au cours de la révision de la décision du Conseil canadien des relations du travail [...]         

[26]      L'examen de ces renseignements s'est soldé par une rencontre entre MM. Charlebois et Stewart. Puis, dans une lettre en date du 23 novembre 1995, M. Stewart a informé M. Charlebois que la CCDP était d'avis qu'il n'existait pas de motifs suffisants pour déposer une plainte de discrimination contre le SUT [onglet 17, dossier de la demande, T-2314-96]. Comme l'avait fait Mme Hébert dans sa note, M. Stewart se référait dans sa lettre aux déclarations de témoins qui ont assisté aux assemblées convoquées par le syndicat en novembre 1991 et aux procès-verbaux de ces assemblées, et a exprimé l'opinion suivante :

     [traduction] Dans les déclarations signées que vous avez fournies, bien que certains membres se disent d'avis que le président vous a traité injustement, il n'existe aucun lien apparent avec votre déficience. Les déclarations ont été préparées environ trois ans et demi après les événements en question. Je remarque que plusieurs témoins font état de la difficulté qu'ils ont de se souvenir des événements.         

     [...]

     Le Conseil canadien des relations du travail a conclu qu'il n'y a pas eu de manquement au devoir de représentation juste. À mon avis, une enquête en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'ajouterait rien de nouveau.         

[27]      Malgré cet avis, M. Charlebois a déposé une plainte officielle devant la CCDP le 19 décembre 1995, et une enquête a été ouverte. Dans sa formule de plainte en date du 3 avril 1996 [pièce Y jointe à l'affidavit de Gilles Charlebois, T-2314-96], M. Charlebois a déclaré ceci :

     [traduction] Je suis un membre en règle de la section locale 279 du Syndicat uni du transport depuis le mois de juillet 1980.         
     Mon employeur m'a congédié pour la première fois le 12 décembre 1990 pour un motif disciplinaire. [Rapport fondé sur une fausse accusation.] J'ai contesté cette décision par voie de grief et elle a été annulée. On m'a plutôt imposé une période de suspension sans solde de dix (10) jours notée au dossier et le versement de prestations de maladie pendant trente-six (36) jours à raison de 90 p. 100 de mon salaire régulier, pendant la période au cours de laquelle j'ai été congédié, et le droit de déposer un grief contre la période de suspension de dix (10) jours, soit du 12 décembre 1990 au 21 décembre 1990. Je suis retourné au travail dès le 28 janvier 1991. Ce jour-là, j'ai déposé un grief afin de recouvrer le salaire perdu. Le 7 février 1991, j'ai commencé un long congé de maladie attesté par un certificat médical. J'ai de nouveau été congédié le 12 juin 1991 parce que mon employeur a estimé, entre autres, que je prenais trop de congés de maladie. [Remarque d'OC Transpo ... réelle ou imaginaire.] J'ai déposé un grief pour contester mon deuxième congédiement.         
     Pendant la procédure de règlement des deux griefs, j'ai été secondé par un représentant syndical, Paul Jolicoeur. Celui-ci m'a conseillé d'accepter une proposition de l'employeur qui aurait entraîné une perte de salaire. J'ai refusé. De plus, dans le cas du premier grief (12 décembre 1990), il m'a conseillé d'accepter une proposition de l'employeur qui me permettrait de reprendre le travail [le 9 janvier 1991] et qui m'accorderait aussi le droit de déposer un nouveau grief relativement au salaire perdu. J'ai été forcé d'accepter.         
     Le 24 octobre 1991, Jolicoeur ne m'a rien dit, mais a demandé qu'on lui permette de donner un coup de fil après avoir été demandé par le secrétaire Paul McDonnell. Randy Graham (président) a alors tempêté contre moi à propos du chèque de prestations de maladie et m'a informé qu'à ce moment-là (avant la lettre contenant l'opinion juridique), je m'étais placé dans la situation où je n'avais aucune chance d'avoir gain de cause à l'arbitrage. Il a laissé entendre que cette dernière remarque valait pour les deux griefs. La question de l'arbitrage des deux griefs a été affichée et mise en évidence sur les deux babillards du syndicat et dans l'ordre du jour de l'assemblée mensuelle du syndicat, les 12 et 13 novembre 1991. On ne m'a pas avisé par écrit que les membres seraient invités à voter sur ces questions à cette assemblée. Le nombre de participants était plus grand que d'habitude et j'ai remarqué plusieurs visages inconnus (notamment des chauffeurs de Para-Transpo) dans la foule. L'ordre du jour prévoyait la tenue d'un scrutin secret sur l'opportunité de renvoyer mon premier ou mon deuxième grief à l'arbitrage. Le conseiller juridique de la section locale (M. David Jewitt) avait exprimé l'opinion, les 7 et 8 novembre 1991, que mes chances d'avoir gain de cause étaient de l'ordre de 60 à 70 p. 100, sans peut-être préciser lequel des deux. Toutefois, les dirigeants locaux n'ont donné leur appui à aucun grief, et le seul et unique scrutin secret auquel les deux griefs ont été soumis [acte discriminatoire] s'est retourné contre moi.         
     J'estime que la mise en cause ne m'a pas représenté justement, uniquement à cause de ma déficience, étant donné la façon dont elle a traité mes (deux) griefs et son refus d'appuyer une décision de renvoyer l'un des deux griefs, ou les deux, à l'arbitrage.         

[28]      Après avoir mené une autre enquête, la CCDP a rendu public, le 29 juillet 1996, un rapport d'enquête dans lequel elle se réfère aux conclusions que le CCRT a tirées dans sa décision en date du 3 février 1993 [pièce Y, affidavit de Gilles Charlebois, T-2314-96]. Ce rapport est ainsi libellé :

     [traduction]         

     Commission canadienne des droits de la personne

     Rapport d'enquête

     Dossier no : H33968

     Disposition(s) de la Loi : 9

     Date de la plainte : 3 avril 1996

     Motifs : Déficience (anxiété et stress situationnel)

     Nom et ville du plaignant : Gilles Charlebois, Plantagenet-Nord (Ontario)         
     Nom et ville de la mise en cause : Syndicat uni du transport, Ottawa (Ontario)         
     Résumé de la plainte         
     1. Le plaignant, qui a travaillé à OC Transpo de 1980 à 1991, allègue que la mise en cause ne l'a pas représenté d'une manière juste à cause de sa déficience, étant donné qu'elle ne l'a pas appuyé lors d'un vote au cours duquel les membres ont été appelés à se prononcer sur l'opportunité de renvoyer ses deux derniers griefs (salaire perdu et congédiement) à l'arbitrage. Il allègue que la mise en cause a commis une erreur en soumettant les deux griefs à un seul vote en novembre 1991.         
     Défense de la mise en cause         
     2. La mise en cause nie avoir exercé une discrimination contre le plaignant.         
     3. Elle affirme avoir représenté le plaignant dans le cadre de nombreux griefs pendant sa période d'emploi et consacré " d'innombrables heures et des dizaines de milliers de dollars " à la représentation de ce membre.         
     4. Le plaignant a eu la possibilité d'exposer son point de vue en faveur de l'arbitrage aux membres, et l'opinion du conseiller juridique du syndicat recommandant le renvoi à l'arbitrage a été lue à l'assemblée. Toutefois, les membres ont voté contre le renvoi à l'arbitrage dans une proportion de 63 contre 36. La mise en cause était liée par cette décision.         
     5. À la suite de la décision de la mise en cause de ne pas renvoyer les griefs du plaignant à l'arbitrage, ce dernier a pris action contre la mise en cause devant le Conseil canadien des relations du travail (CCRT). Celui-ci a rejeté l'action, tout comme les appels dont cette décision a fait l'objet par la suite. Le motif de poursuite était que la mise en cause avait manqué à son devoir de représentation juste.         
     6. Avant d'être congédié, le plaignant avait pris part à un certain nombre de tentatives de maraudage faites par un syndicat dans le but de remplacer la mise en cause comme unité de négociation.         
     Réfutation         
     7. Le plaignant reconnaît avoir déposé de nombreux griefs dont la plupart ont été réglés au deuxième palier avec l'aide de la mise en cause.         
     8. Le plaignant reconnaît avoir participé à toutes les tentatives de maraudage faites par un syndicat rival contre la mise en cause. Il affirme que c'est une raison qui explique l'hostilité du syndicat à son égard.         
     9. Au cours des négociations menées avec l'employeur sur la perte de salaire et le congédiement du plaignant, le président du syndicat a dit avec colère au plaignant qu'il avait été longtemps absent, et le représentant syndical a dit que le plaignant avait été l'artisan de ses propres malheurs. Pourtant, le plaignant avait fourni un certificat médical chaque fois qu'il s'était absenté. Le représentant syndical, qui était la personne la mieux renseignée sur les griefs du plaignant, n'a pas assisté à l'assemblée au cours de laquelle le vote a été tenu. Un membre du syndicat a demandé que la tenue du vote soit reportée pour cette raison, mais le président du syndicat n'en a pas tenu compte et a dit qu'il était lui-même parfaitement au courant des griefs.         
     10. Le syndicat a violé les droits que le règlement administratif de la section locale reconnaît au plaignant en ne soumettant pas les deux griefs à un vote distinct. À l'assemblée de novembre 1991 au cours de laquelle le vote a été tenu, le président du syndicat a eu tort de ne pas tenir compte des remarques désobligeantes que certains membres ont adressées au plaignant, et d'encourager les membres à voter contre le renvoi des griefs à l'arbitrage, même si le conseiller juridique du syndicat avait recommandé l'arbitrage.         

     Autres éléments de preuve connexes

     11. Vu la décision de la mise en cause de ne pas renvoyer les griefs du plaignant à l'arbitrage, ce dernier a intenté une poursuite contre la mise en cause devant le CCRT. Ce dernier a rejeté la poursuite au motif qu'elle n'était pas fondée.         
     12. Dans sa décision en date du 3 février 1993, le CCRT a conclu que la mise en cause n'avait pas fait preuve de parti pris contre le plaignant ni organisé l'assemblée en novembre 1991 ou tenu le vote sans maintenir une attitude de stricte neutralité. Le Conseil a noté que le plaignant avait été avisé en octobre 1991 par le président du syndicat que les membres seraient vraisemblablement appelés à voter sur les griefs à l'assemblée de novembre. Le Conseil a conclu que le syndicat n'avait pas mal agi en proposant au plaignant d'accepter les conditions fixées par l'employeur pour le réintégrer dans ses fonctions et en laissant entendre au plaignant que le renvoi de ses griefs à l'arbitrage serait vraisemblablement inutile. Le Conseil n'a pas jugé que la décision du syndicat de soumettre les deux griefs à un seul vote constituait un manquement au devoir de ce dernier de représenter le plaignant d'une manière juste.         
     13. Le plaignant a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada, mais a été débouté.         
     Analyse
     14. Avant le mois de décembre 1991, le plaignant a été représenté par la mise en cause relativement à 15 griefs qu'il a déposés pendant sa période d'emploi. Ces griefs ont été réglés à sa satisfaction. Pendant la même période, il a pris part à un certain nombre de tentatives de maraudage contre la mise en cause. Il est d'avis que c'est un motif de l'hostilité du syndicat à son endroit.         
     15. Les deux derniers griefs du plaignant ont été présentés aux membres pour qu'ils votent sur l'opportunité de les renvoyer à l'arbitrage. Le plaignant a eu la possibilité de faire valoir son point de vue à l'assemblée. Les membres ont voté contre un tel renvoi. La mise en cause était liée par cette décision ainsi que le veut la pratique établie.         
     16. Les griefs du plaignant n'ont pas été renvoyés à l'arbitrage parce que les membres ont voté contre cette mesure. La mise en cause était liée par cette décision.         
     Conclusion et recommandation
     17. Il est recommandé que la Commission statue sur la plainte même si l'acte reproché s'est produit plus d'un an avant le dépôt de la plainte.         
     18. Il est recommandé de rejeter la plainte parce que, selon la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée.         
     Résolution proposée         
     La Commission décide :
     conformément à l'alinéa 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de statuer sur la plainte (H33968) déposée par Gilles Charlebois de Plantagenet-Nord (Ontario) contre le Syndicat uni du transport le 3 avril 1996, et faisant état de discrimination dans la prestation de services fondée sur la déficience, même si l'acte reproché s'est produit plus d'un an avant le dépôt de la plainte         

     et

     conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte (H33968) déposée par Gilles Charlebois de Plantagenet-Nord (Ontario) contre le Syndicat uni du transport le 3 avril 1996, et faisant état d'une discrimination dans la prestation de services fondée sur la déficience parce que, selon la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée.         
     (daté du 29.7.96)

[29]      La CCDP a invité M. Charlebois à présenter d'autres observations sur le rapport d'enquête, ce qu'il a fait le 11 juillet 1996 [pièce Z, affidavit de Gilles Charlebois, T-2314-96]. Ce document est notamment rédigé en ces termes :

     [traduction] J'ai lu et relu le contenu du rapport d'enquête, et la façon déconcertante dont la Commission a perçu cette plainte légitime m'a sidérée vu l'erreur grave qu'elle a commise.         
     (La plainte que j'ai déposée contre le syndicat n'est pas fondée sur le fait qu'il a mal agi en tenant un seul vote relativement aux deux griefs; ma plainte repose sur le fait que le président du syndicat m'a personnellement attaqué (acte discriminatoire) au cours de l'assemblée mensuelle générale (de novembre) concernant mon registre de congés de maladie, attaque qui transparaît dans le procès-verbal de l'assemblée, qui a toutefois déjà été soumis à la Commission.         

[30]      Dans une lettre en date du 20 septembre 1996, la CCDP a informé M. Charlebois du rejet de sa plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne parce que, selon la preuve, l'allégation de discrimination n'était pas fondée [pièce AA, affidavit de Gilles Charlebois, T-2314-96].

     II. Analyse

A. Le critère de l'enquête suffisante

[31]      La Loi canadienne sur les droits de la personne autorise toute personne qui a des motifs raisonnables de croire qu'elle est victime d'actes discriminatoires à recourir à la procédure de règlement des plaintes.

[32]      Par application des paragraphes 41(1) et 43(1), la CCDP a le pouvoir discrétionnaire de renvoyer une plainte à un enquêteur en vue d'une enquête. Une fois que ce pouvoir discrétionnaire a été ainsi exercé en vertu du paragraphe 43(1), les dispositions du paragraphe 44(1) s'appliquent de la manière suivante :

     44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.         
     (2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :         
         a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;         
         b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.         
     (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :         
         a) peut demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer, en application de l'article 49, un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :         
             (i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,         
             (ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);         
         b) rejette la plainte, si elle est convaincue :         
             (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,         
             (ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).         

[33]      Les deux parties au présent contrôle judiciaire conviennent que la norme établie par la Cour pour considérer qu'une enquête est suffisante est la neutralité et la rigueur. S'agissant de ce critère, et de la retenue dont il convient de faire preuve envers la CCDP dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de mener une enquête, le juge Wetston a, dans l'affaire Jennings c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 97 F.T.R. 23, à la p. 29, cité le juge Nadon qui s'est exprimé en ces termes dans l'affaire Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne, [1994] 2 C.F. 574, aux p. 600 et 605 :

     Pour déterminer le degré de rigueur de l'enquête qui doit correspondre aux règles d'équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu: les intérêts respectifs du plaignant et de l'intimé à l'égard de l'équité procédurale, et l'intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif.         
     [...]
     Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.         

     [...]

     Le fait que l'enquêteuse n'ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l'enquêteuse ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n'ont pas non plus de conséquence absolue.         

[34]      Le critère en ce qui a trait à la rigueur exigée d'une enquête menée par la CCDP est également exposé dans le passage suivant de la décision rendue par le juge Dubé dans l'affaire Miller c. Commission canadienne des droits de la personne (1996), 112 F.T.R. 195, à la p. 201 :

     Les principes de l'arrêt SEPQA ont été suivis et développés dans plusieurs décisions de la Cour fédérale. Selon ces décisions, le principe de l'équité procédurale exige que la Commission se fonde sur des éléments valables et objectifs pour déterminer si la preuve justifie la constitution d'un Tribunal. Les enquêtes que l'enquêteur mène avant la décision doivent respecter au moins deux conditions : la neutralité et l'exhaustivité. En d'autres termes, l'enquête doit être menée de façon qu'elle ne puisse être décrite comme une enquête empreinte de partialité ou d'iniquité et elle doit être exhaustive, c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte des différents intérêts des parties concernées. L'enquêteur n'est pas tenu d'interroger chaque personne que proposent les parties. Il n'est pas tenu non plus, dans son rapport, de commenter chacun des incidents de discrimination reprochés, surtout lorsque les parties ont la possibilité de combler les lacunes dans leurs réponses.         

B. La rigueur et la neutralité de l'enquête visant OC Transpo

[35]      Dans son argumentation, l'avocat d'OC Transpo a confirmé que l'un des principaux motifs du congédiement de M. Charlebois est qu'il était un employé difficile. Cependant, pour concrétiser son mécontentement, OC Transpo ne doit pas commettre un acte discriminatoire. La seule preuve des motifs qu'avait OC Transpo de congédier M. Charlebois se trouve dans la lettre de congédiement même. Au vu de cette lettre, on peut certainement se demander si la déficience légitime de M. Charlebois, qui l'a amené à prendre un congé de maladie, n'a pas été utilisée contre lui d'une manière abusive. De toute évidence, c'était aussi l'avis de l'enquêteur qui a posé les questions dans la lettre en date du 14 avril 1993 adressée à OC Transpo, puisqu'il termine sa lettre en ces termes : " Une fois de plus, nous vous saurions gré de bien vouloir nous communiquer les renseignements demandés étant donné leur importance pour mener une enquête complète sur la plainte de M. Charlebois. "

[36]      Pendant l'enquête, M. Charlebois a exprimé l'opinion que son congédiement était attribuable à une cause inexprimée sous-jacente. Selon la preuve, cette opinion a été invoquée comme motif de rejet de la plainte de M. Charlebois parce qu'elle minait de façon décisive son allégation de discrimination fondée sur la déficience. Toutefois, dans son argumentation, l'avocate de la CCDP a reconnu que l'opinion de M. Charlebois devrait simplement être considérée comme un fait dont il convient de tenir compte avec les autres éléments de preuve se rapportant aux motifs du congédiement. Je souscris à ce point de vue.

[37]      L'opinion de M. Charlebois est simplement une preuve de la motivation d'OC Transpo et n'est certainement pas une preuve concluante de ce qui s'est réellement passé. En d'autres termes, l'opinion de M. Charlebois n'empêche certainement pas qu'il faille mener une enquête sur les raisons du congédiement, vu la forte preuve que son congédiement pourrait avoir été décidé en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne, peu importe le motif véritable du congédiement.

[38]      À l'évidence, la situation doit être clarifiée. En fait, la Commission a commencé par demander des réponses à des questions fondamentales, mais n'a jamais rien obtenu. Elle a quand même continué et mené son enquête à terme. Le fait de ne pas avoir obtenu de réponses ne rend pas les questions moins pertinentes. À mon avis, comme il n'a pas été répondu aux questions qui ont été posées, l'enquête sur la plainte n'a pas été rigoureuse. Par conséquent, je conclus que la décision de la CCDP de rejeter la plainte constitue une erreur susceptible de révision.

C. La rigueur et la neutralité de l'enquête visant le SUT

[39]      En ce qui concerne la plainte déposée contre le SUT, M. Charlebois a été traité avec beaucoup d'attention par la CCDP. Il a même pu rencontrer personnellement le superviseur des enquêtes et obtenir une opinion non officielle de ce dernier. Pour ce qui est de la neutralité, toutefois, M. Charlebois soutient que l'opinion exprimée par M. Stewart constitue une preuve de parti pris préjudiciable de la part de l'enquêteur. Je ne suis pas de cet avis.

[40]      Au cours de l'enquête officielle, M. Charlebois a été traité de la manière habituelle, sinon avec prévenance. Il n'existe absolument aucune preuve de mauvaise foi ou de parti pris de la part des personnes qui sont intervenues dans ce dossier. Par conséquent, je n'accorde aucun poids à l'argument fondé sur le parti pris.

[41]      Quant à la rigueur, M. Charlebois soutient qu'il ressort du rapport d'enquête que la CCDP a restreint indûment l'exercice de son pouvoir discrétionnaire à cause de l'importance qu'elle a accordé à la décision du CCRT. Je ne partage pas cet avis.

[42]      À mon sens, la décision du CCRT est un fait qui a son importance. Dans sa décision exhaustive et soigneusement rédigée, le CCRT a tiré des conclusions de fait importantes sur des questions visées par l'enquête menée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il me paraît tout à fait normal que l'enquêteur ait accordé de l'importance aux conclusions du CCRT relatives à la conduite de membres du personnel du syndicat lors des assemblées des 12 et 13 novembre 1991.

[43]      Selon moi, lorsqu'une évaluation complète de la preuve a été faite par un tribunal indépendant sur des questions de fait pertinentes bien précises, comme c'est le cas en l'espèce, il n'est pas nécessaire de refaire cette évaluation pour la seule raison que la compétence du tribunal est un peu différente. Il faut se demander quels faits ont été relevés, sur la base de quels éléments de preuve, indépendamment de la compétence de donner suite à de tels faits. Si les faits relevés reposent sur les mêmes éléments de preuve, et que les conclusions tirées sont crédibles, ces conclusions peuvent et devraient être acceptées afin de maintenir un service d'enquête efficace et rentable.

[44]      L'enquêteur a été saisi de déclarations de témoins, dont quelques-unes pourraient, au mieux, servir à prouver que M. Charlebois était très impopulaire auprès de certains membres du syndicat et a donc été traité sans ménagement. Il n'était pas nécessaire que l'enquêteur interroge ces témoins ou d'autres témoins pour étayer cette conclusion. De l'avis de M. Stewart, quelle que puisse avoir été l'attitude négative envers M. Charlebois, celui-ci n'a pas prouvé qu'il existait un lien entre cette attitude et sa plainte de discrimination. Je suis de cet avis.

[45]      Selon moi, il n'y a pas de faille dans la façon dont l'enquête a été menée, et la conclusion de l'enquêteur selon laquelle la plainte de discrimination de M. Charlebois n'est pas fondée n'est pas entachée d'erreur. Par conséquent, je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la CCDP de rejeter la plainte.

     III. Réparation

[46]      Pour les motifs qui précèdent, en ce qui concerne le contrôle judiciaire du rejet de la plainte d'OC Transpo par la CCDP [T-57-95], j'annule cette décision et je renvoie la plainte à un autre enquêteur en vue d'une nouvelle enquête et d'un nouveau rapport. S'agissant de cette nouvelle enquête, j'ordonne qu'on s'efforce d'obtenir des réponses aux questions formulées dans la lettre en date du 14 avril 1993 adressée à OC Transpo, et que toute recommandation faite et décision prise tiennent compte des réponses obtenues.

[47]      Également pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de contrôle judiciaire de

la décision de la CCDP de rejeter la plainte déposée contre le SUT [T-2314-96].

                                 Douglas R. Campbell

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      T-2314-96

INTITULÉ :                          Gilles Charlebois c. Commission canadienne des droits de la personne et Syndicat uni du transport, section locale 279
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 30 juin 1998

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

     EN DATE DU 17 SEPTEMBRE 1998

COMPARUTIONS :

Todd J. Burke                          pour le demandeur

M. Patricia Lawrence                      pour la défenderesse (CCDP)

Paula J. Chapman                          pour le défendeur (SUT, section locale 279)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson                  pour le demandeur

Ottawa (Ontario)

Direction des services juridiques                  pour la défenderesse (CCDP)

Commission canadienne des droits

de la personne

Jewitt & Associates                          pour le défendeur (SUT, section

Ottawa (Ontario)                          locale 279)

__________________

     1      À l'exception du premier paragraphe, cette pièce est en français. Seul le premier paragraphe est une traduction.

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