Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210107


Dossier : IMM‑181‑20

Référence : 2021 CF 23

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

RISIKAT OMOLARA ADELANI

ADEFIKAYO MUJARB ADELANI

ADEFISAYO MURQSUUD ADELANI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) datée du 13 décembre 2019, qui a confirmé le refus de la demande d’asile des demandeurs, car il a été jugé qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, c 27, article 96 et paragraphe 97(1).

[2] Pour les motifs exposés ci‑après, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[3] La demanderesse principale (DP) et ses fils sont des citoyens du Nigéria et ils demandent l’asile en raison d’une menace à leur vie ou d’un risque de subir un préjudice grave de la part de la famille, de la collectivité et des autorités nigérianes en raison de l’orientation sexuelle et des activités homosexuelles de la DP.

[4] La DP allègue qu’elle sera persécutée au Nigéria parce qu’elle est bisexuelle.

III. Décision contestée

[5] La SAR a appliqué la norme de la décision correcte à l’égard de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), concluant qu’elle ne jouissait pas d’un avantage certain pour ce qui est de tirer des conclusions en matière de crédibilité. Elle a effectué sa propre analyse indépendante des éléments de preuve, y compris de l’enregistrement et de la transcription de l’audience, ainsi que des documents présentés.

[6] La SPR a rejeté la demande d’asile pour des raisons de crédibilité pour ce qui est de prouver qu’elle était bisexuelle. Même si la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur dans une conclusion défavorable concernant l’omission de fournir des photos ou d’autres éléments de preuve à l’égard de ses relations de longue durée au Nigéria, ce n’était pas suffisant pour empêcher la confirmation de la décision de la SPR.

[7] La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR, à savoir que la divulgation tardive de la relation actuelle de la DP au Canada à l’audience a permis une conclusion défavorable relative à la crédibilité au sujet de l’authenticité de la relation. L’incohérence entre la réponse de la DP et celle de sa partenaire à la question de savoir à quel moment elles s’étaient vues pour la dernière fois à la résidence de la DP a également soulevé des préoccupations quant à la crédibilité. La SAR a aussi jugé que l’absence de reçus d’hôtel au Nigéria et le fait que la DP n’a pas tenté de les obtenir une fois qu’elle était au Canada ont semé le doute sur son allégation selon laquelle elle rencontrait régulièrement son ancienne partenaire de même sexe. De plus, la déclaration de la DP selon laquelle des précautions ont été prises pour qu’elles ne se fassent pas prendre, mais que son ancienne partenaire et elle n’ont jamais discuté des préoccupations liées au fait d’être surprises par l’époux de la partenaire – étant donné qu’il avait embauché le chauffeur de la partenaire qui l’amenait aux hôtels – a également mené à la conclusion selon laquelle les rendez-vous à l’hôtel n’ont pas eu lieu.

[8] La SAR s’est aussi rangée à l’avis de la SPR, à savoir que les lettres non rédigées sous serment de membres de la famille, les registres de présence d’organisations LGBTQ à Toronto et le rapport d’un psychothérapeute dans lequel la DP a déclaré être bisexuelle ne permettaient pas d’établir que la DP était bisexuelle et étaient insuffisants pour l’emporter sur les préoccupations en matière de crédibilité soulevées par son témoignage.

[9] De même, la SAR a conclu que le trouble de stress post-traumatique (TSPT) décrit dans le rapport du psychothérapeute n’expliquait ou n’éliminait pas les préoccupations importantes au sujet des incohérences et du manque de détails dans le témoignage de la DP. La SPR avait tenu compte de ce diagnostic et conclu que la DP était claire et cohérente et qu’elle n’avait pas démontré des troubles cognitifs en répondant aux questions.

[10] En raison de l’effet cumulatif des nombreuses omissions et incohérences dans les éléments de preuve, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la DP n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était bisexuelle, ce qui était le fondement de la demande d’asile.

[11] Enfin, en l’absence de l’établissement de l’orientation sexuelle de la DP, la documentation nationale concernant la persécution des bisexuels au Nigéria ne s’appliquait pas.

IV. Questions en litige

[12] La Cour admet l’énoncé des questions en litige suivant des demandeurs :

  • 1) La SAR a-t-elle commis une erreur en se fondant sur les éléments de preuve recueillis dans le cadre d’une procédure de la SPR, où y a-t-il eu une violation de la justice naturelle et de l’équité procédurale?

  • 2) La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de l’identité sexuelle de la DP?

  • 3) La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve documentaire présentés?

  • 4) La SAR a-t-elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse de la demande d’asile sur place?

V. Norme de contrôle

[13] Conformément à l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, le cadre de détermination de la norme de contrôle repose sur la présomption qu’une décision contestée est raisonnable, sauf deux exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce. La Cour fédérale doit alors examiner la décision contestée selon la norme de la décision raisonnable. Les deux parties s’entendent pour dire que c’est la norme applicable.

[14] La principale question en litige concerne la conclusion de la SAR selon laquelle la DP n’était pas crédible, et qu’elle, et donc sa famille, ne sont pas exposées à une possibilité sérieuse de persécution ou à une probabilité de préjudice en raison de son orientation sexuelle en tant que bisexuelle.

[15] Par conséquent, la principale question en litige est celle du caractère raisonnable de l’appréciation des conclusions de fait concernant la crédibilité. En ce qui concerne les conclusions de fait appréciées, la Cour suprême a jugé qu’une cour de révision peut seulement intervenir dans des circonstances « exceptionnelles » (Ibid.; aux para 91 et 92). Une nouvelle appréciation de la preuve par la cour de révision est donc exclue. Cela signifie essentiellement que, tant qu’il y a des éléments de preuve probants à l’appui de la conclusion, sans erreurs claires ni spéculation, et qu’il n’y a aucune erreur de procédure lors de l’appréciation (p. ex., ne pas tenir compte d’éléments de preuve pertinents ayant été présentés), la Cour ne peut intervenir.

VI. Analyse

A. Observation préliminaire concernant l’iniquité et une demande d’asile sur place

[16] Le défendeur soulève une observation préliminaire, à savoir que les allégations des demandeurs concernant un manquement à l’équité procédurale et l’omission d’apprécier une demande d’asile sur place n’ont pas été soulevées devant la SAR et ne devraient pas être prises en considération dans le contrôle judiciaire, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c K(R), 2016 CAF 272 au para 6, Marinaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 548 au para 41, citant Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321. La Cour souscrit en général à ces observations. Néanmoins, elle tiendra compte des observations importantes des demandeurs sur ces questions.

[17] Les demandeurs ont fait valoir que les Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (Directives sur l’OSIGEG) reconnaissent expressément la question de la difficulté de témoigner en général. En l’espèce, ils soutiennent que la question est exacerbée par la présence à l’audience du fils de 18 ans de la DP et de l’inconfort que cela a causé à la DP dans son témoignage.

[18] Cependant, « [l]e demandeur d’asile ou son avocat ne devrait pas s’étonner que prouver l’identité sexuelle puisse nécessiter davantage que le simple témoignage sous serment du demandeur d’asile » (Fida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 784 au para 9). Les Directives sur l’OSIGEG ne sont pas une panacée contre des questions de preuve à cet égard (voir Okunowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 175 au para 66).

[19] La DP a été avisée du fait que, puisque son aîné était un adulte, il avait le droit d’être présent à l’audience. En outre, la SAR a mentionné qu’elle ne discuterait pas de détails intimes.

[20] À l’appui de l’observation, les demandeurs se sont reportés à l’article 7.3.1 des Directives. Le libellé pertinent de cette disposition est le suivant : « [l]es questions doivent être posées avec sensibilité et de manière non conflictuelle. Il y aurait lieu de poser des questions ouvertes, le cas échéant. » Aucun exemple de manquement à ces directives n’a été porté à l’attention de la Cour.

[21] Les demandeurs ont également soutenu que la SPR n’a pas pris de mesures d’adaptation à l’égard de la DP en ce qui concerne l’article 3.9 des Directives. Cette disposition prévoit la séparation des demandes d’asile ou des appels lorsqu’« une personne souhaite présenter une demande d’asile ou un appel indépendant fondé sur son orientation sexuelle, son identité de genre ou son expression de genre ». Il n’y a eu aucune demande de séparation des demandes d’asile ou des appels portée à l’attention de la Cour. Surtout, les demandeurs entremêlent l’observation par rapport aux Directives et un argument voulant que la SAR a commis une erreur en se fondant sur des éléments de preuve recueillis dans la procédure de la SPR, où il y a eu [traduction] « une violation de la justice naturelle et de l’équité procédurale ». Ils soutiennent que la DP n’était manifestement pas à l’aise de discuter des détails de sa relation avec une partenaire de même sexe devant ses enfants.

[22] La SAR a signalé à juste titre que, dans les situations où le manque d’éléments de preuve corroborants n’est pas rare, « il est non seulement correct mais nécessaire pour la SPR d'interroger de façon exhaustive une demandeure d’asile au sujet de son identité et de ses antécédents sexuels». On n’a renvoyé la Cour à aucune circonstance où des détails intimes étaient l’objet des questions posées par la SAR, ni où le tribunal s’est montré insensible à l’égard de la DP.

[23] Cela est largement confirmé par un échange où le conseil des demandeurs est intervenu comme suit :

[traduction]

CONSEIL : Je pense qu’elle… elle est préoccupée par le fait que le fils va entendre le fond de l’affaire et tous les détails de la relation et c’est ce qu’elle essayait de dire à l’interprète, qu’elle préférerait que le fils n’entende pas les détails complets de […] donc je ne sais pas si vous allez la questionner au sujet des détails intimes qu’elle ne veut pas que son fils entende.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Oui, à ce moment‑ci, nous n’avons pas de questions concernant quoi que ce soit d’intime.

CONSEIL : D’accord, très bien, oui.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Je vois que vous […] vous êtes bouleversée, je sais que cela peut être très difficile, aimeriez-vous prendre un moment pour […] reprendre vos esprits.

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Non.

[24] En se fondant sur la décision Mohajery c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 185 au para 32, les demandeurs ont fait valoir que la SAR a commis une erreur en ne procédant pas à une analyse de la demande d’asile sur place alors qu’elle n’a trouvé aucun élément de preuve crédible à l’appui d’une orientation bisexuelle en fonction des éléments de preuve dans le pays d’origine.

[25] La SAR a conclu que les éléments de preuve n’appuyaient pas une conclusion relative à l’existence d’une relation bisexuelle au Canada. De même, elle n’a pas commis d’erreur en faisant allusion à la valeur probante limitée des éléments de preuve sur place qui appuieraient sa relation bisexuelle, consistant en des lettres d’organisations LGBTQ à Toronto. Celles‑ci ne faisaient que dresser la liste des présences à un programme d’orientation et à des rencontres d’un groupe de soutien pour prouver l’orientation sexuelle de la DP.

[26] La Cour rejette l’observation des demandeurs selon laquelle ils ont été traités de manière injuste ou la SAR a agi à l’encontre des Directives sur l’OSIGEG.

B. Divulgation tardive de la relation actuelle

[27] La DP a entamé une relation avec une partenaire de même sexe au Canada en mars 2018; or, elle ne l’a divulguée que juste avant l’audience de la SPR, en novembre 2018. La SAR a conclu que, même si son conseil ne l’avait pas questionnée à l’avance à ce sujet, il s’agissait d’une omission grave, et elle a tiré une conclusion défavorable concernant sa crédibilité et l’authenticité de la relation actuelle.

[28] Il y a des éléments de preuve probants à l’appui de la conclusion de la SAR. La DP, une femme instruite, a fait des efforts considérables pour trouver des éléments de preuve à l’appui de sa bisexualité alléguée. Elle n’a pas expliqué pourquoi elle n’aurait pas informé son avocat des éléments de preuve très pertinents à l’égard d’une relation bisexuelle au Canada. En outre, comme un des commissaires de la SPR l’a fait ressortir lorsqu’il a questionné la demanderesse principale, elle avait modifié son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) le 30 octobre 2018 en y ajoutant des renseignements supplémentaires. Elle a décrit avoir assisté à 519 séances, où elle a obtenu un soutien pour sa bisexualité. Or, elle n’a pas mentionné sa relation actuelle.

[29] La décision Irivbogbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 710 au para 32 appuie la proposition selon laquelle l’omission de mentionner un partenaire de même sexe allégué a pour effet de miner la crédibilité. Cette affaire mettait en cause un demandeur qui avait entretenu une relation avec un partenaire de même sexe alléguée.

[32] La SAR a également soulevé le fait, comme l’avait fait la SPR, que le demandeur n’a pas mentionné son présumé partenaire de même sexe sur son formulaire FDA. Comme toute la demande d’asile était fondée sur la bisexualité du demandeur, la SAR a conclu, suivant la conclusion de la SPR, qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur indique sur son formulaire FDA sa relation avec un partenaire de même sexe au Canada, s’il avait entretenu une telle relation, puisque cela aurait constitué une preuve directe de sa bisexualité. Je note que la jurisprudence a établi que des omissions dans le formulaire FDA peuvent justifier des conclusions défavorables en matière de crédibilité si ces omissions sont importantes ou substantielles ou si elles constituent un élément fondamental de la demande (Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 249, aux paragraphes 15 et 16 (C.F. 1re inst.); Samseen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 542, aux paragraphes 14 à 17). Bien que le demandeur ait raison lorsqu’il affirme que de légères incohérences ne sont pas des motifs pour miner sa crédibilité, il est clair que la SAR a estimé que ces incohérences étaient importantes. Comme l’a souligné la SAR, l’orientation sexuelle du demandeur est l’élément central de sa demande d’asile et, comme le demandeur était représenté par un avocat au moment de remplir son formulaire FDA, il aurait dû savoir l’importance d’étayer par des éléments de preuve cet aspect de sa demande. Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure ainsi et de conclure que cela mine la crédibilité du demandeur au sujet de sa présumée relation homosexuelle au Canada.

[30] La Cour ne voit aucun motif pour intervenir relativement à la conclusion de la SAR selon laquelle la divulgation tardive a une incidence défavorable sur l’authenticité de la relation bisexuelle alléguée au Canada.

C. Incohérence concernant la dernière fois où la demanderesse principale et sa partenaire se sont vues

[31] Les demandeurs soutiennent que les incohérences dans les déclarations de la DP et celles de sa partenaire s’expliquent par le fait qu’elles ne se sont pas fait poser des questions identiques par la SPR à ce sujet. La DP s’est fait demander à quel moment, [traduction] « sauf ce matin‑là », elle avait vu sa partenaire la dernière fois, ce à quoi elle a répondu que c’était la fin de semaine précédente, à son domicile. La partenaire s’est fait demander à quel moment elle avait rejoint la dernière fois la DP chez elle, ce à quoi elle a à son tour répondu que c’était le soir précédant l’audience, soit le lundi soir. La témoin a distingué cette visite de la fois où elle se trouvait au domicile de la DP la fin de semaine précédente, ce qui était la réponse de la DP à sa question.

[32] La SAR a reconnu que les questions étaient différentes, mais pas suffisamment pour expliquer les réponses incohérentes qui ont découlé des questions différentes. Le fait est que la DP a fourni une réponse différente de celle de la témoin quant au moment où elles avaient été ensemble la dernière fois, peu importe les différences dans les questions.

[33] Questionnée sur la différence dans les mots employés, la DP a expliqué qu’elle avait compris à tort que la question était [traduction] « quelle était la dernière fois où nous avons eu une relation sexuelle ». La question posée était [traduction] « quelle était la dernière fois où vous avez vu votre partenaire ». On ne peut reprocher à la SPR de n’avoir pas admis l’explication de la DP, à savoir qu’elle avait mal compris la question. La question n’était pas ambiguë, elle ne faisait état d’aucun rapport sexuel ni d’aucune relation sexuelle avec sa partenaire, ce qui, jusqu’ici, ne semble pas avoir été soulevé par la SPR.

[34] Les demandeurs semblent défendre l’idée qu’il incombait à la SPR de poser des questions de suivi quant à la raison pour laquelle la DP avait mal compris la question ou ce qui l’avait amenée à mal la comprendre. Cette tâche incombait à son avocat dans le cadre du réinterrogatoire.

[35] La SAR a jugé que les réponses différentes concernant un événement récent survenu juste avant l’audience étaient suffisamment importantes pour miner la crédibilité de la DP au sujet de l’authenticité de la relation. La Cour ne relève aucune erreur ni aucune mauvaise appréciation des éléments de preuve évidente en parvenant à cette conclusion de fait ni ne juge que les incohérences n’étaient pas suffisamment importantes pour jeter le doute sur la légitimité de la relation alléguée.

[36] Les demandeurs ont fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte du fait de savoir si la SPR avait respecté l’article 7.4.1 des Directives sur l’OSIGEG, qui prévoit que « [l]es décideurs doivent établir s’il y a des obstacles culturels, psychologiques ou d’autre nature susceptibles de constituer une explication raisonnable concernant l’incohérence ». La Cour conclut qu’il n’y a pas eu d’obstacle apparent s’appliquant dans les circonstances alors que les questions n’ont pas été formulées de manière à soulever des enjeux culturels ou psychologiques. En fait, les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve, ce qui n’est pas sa tâche.

D. Absence de reçus d’hôtel

[37] La SAR a conclu que, pendant qu’elle résidait au Canada, la DP aurait pu fournir des reçus d’hôtel ou des confirmations de réservation pour corroborer ses rencontres avec sa partenaire de longue date au Nigéria. La SAR a de même conclu que l’omission de déployer des efforts pour obtenir des reçus sème le doute sur son allégation selon laquelle elle rencontrait fréquemment son ancienne partenaire avec qui elle entretenait une relation.

[38] Les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas tenu compte de l’explication de la DP selon laquelle elle n’avait pas tenté d’obtenir les reçus parce qu’elle ne croyait pas qu’ils étaient nécessaires.

[39] Selon l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, « [l]e demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents ».

[40] La demanderesse a déclaré en réponse à des questions de son conseil qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir des documents du dernier hôtel où elle a été arrêtée. Même si elle le reconnaît, la conclusion de la SAR se concentre sur l’omission de déployer des efforts pour obtenir des reçus des autres hôtels. Comme l’a souligné la SPR, les demandeurs étaient représentés par un conseil d’expérience en immigration. La Cour conclut que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient le rejet de la conclusion à l’égard d’une omission de la DP de corroborer sa relation bisexuelle alléguée au Nigéria au moyen d’éléments de preuve objectifs ou d’expliquer la raison pour laquelle elle n’a pu le faire.

E. Omission de soulever des précautions concernant les rencontres à l’hôtel

[41] La SPR a mentionné que la DP avait affirmé que son ancienne partenaire au Nigéria et elle ont pris des précautions pour ne pas se faire prendre ensemble en restant dans des hôtels différents pour avoir des relations sexuelles. Or, la partenaire est arrivée à ces hôtels avec un chauffeur qui travaillait pour son époux. Le chauffeur l’attendait à l’extérieur des hôtels. Le chauffeur a aidé l’époux à découvrir la DP et sa partenaire ensemble, ce qui l’a amenée à s’enfuir au Canada.

[42] La partenaire a informé la DP qu’elle avait dit au chauffeur qu’elle allait rencontrer des amis. À la question de savoir si sa partenaire s’inquiétait du fait que son époux puisse avoir connaissance des rencontres, la DP a simplement dit que le sujet n’avait pas été abordé avec elle.

[43] Étant donné la nature sensible des rencontres de la DP et de sa partenaire et les risques importants associés aux rencontres extraconjugales entre partenaires de même sexe au Nigéria, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la DP avait démontré un manque d’inquiétude par rapport au fait d’être surprise. Il a été conclu que c’était incompatible avec son allégation selon laquelle elle avait pris des précautions pour qu’elles se rencontrent dans divers hôtels afin d’éviter que sa relation soit découverte. La SAR a conclu qu’une personne se préoccuperait du fait de rencontrer régulièrement une partenaire dans des hôtels et prendrait des précautions au sujet de la façon dont elle se rendrait là‑bas, par exemple en se faisant déposer à un autre endroit ou en se rendant elle-même à l’hôtel.

[44] Les demandeurs affirment que la crédibilité d’un demandeur d’asile ne peut être attaquée en raison des actes d’un tiers, tout particulièrement lorsque le demandeur d’asile n’était pas au courant du processus décisionnel du tiers, citant Fei Chan Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 683 au para 21 à l’appui. Les faits de la présente espèce se distinguent de ceux de cette affaire. En l’espèce, la partenaire et la DP se livraient à un certain type d’entreprise conjointe, où les risques de conséquences graves si elles étaient surprises étaient partagés. L’omission d’évoquer de telles préoccupations auprès de la partenaire fournit un autre motif à la SAR de conclure que la DP n’entretenait pas une relation bisexuelle avec des partenaires au Nigéria.

[45] La confirmation de la SAR à l’égard de l’évaluation factuelle de la SPR selon laquelle la DP aurait dû manifester des préoccupations concernant l’omission de sa partenaire de prendre des mesures plus appropriées pour éviter les risques et exprimer ses préoccupations ne peut être décrite comme une conclusion exceptionnelle ou spéculative méritant le rejet.

F. Absence de documents à l’appui

[46] La SAR a fourni des explications raisonnables pour accorder peu de valeur probante aux documents à l’appui des demandeurs. Mis à part le fait que les lettres des membres de la famille de la DP n’ont pas été faites sous serment, il est généralement reconnu que de tels éléments de preuve manque d’objectivité, ce qui en diminue le poids. Quoi qu’il en soit, cela revient à demander à la Cour de soupeser à nouveau la preuve.

[47] De même, la SAR n’a pas commis d’erreur en réduisant au minimum la valeur probante du rapport du psychothérapeute, qui se fondait sur une entrevue de 60 à 90 minutes : voir généralement Moffat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 896, para 72 et suivants. Il n’a pas non plus été démontré comment le TSPT allégué pourrait expliquer les incohérences de la DP, comme son incapacité de se rappeler des situations récentes, par exemple la dernière fois où elle a vu sa partenaire actuelle alléguée avant l’audience. La conclusion de la SAR, à savoir que la DP était claire et cohérente lorsqu’elle a répondu aux questions sans montrer de troubles cognitifs, ne peut être écartée par des preuves d’expert sans références claires de la transcription démontrant une série d’aspects problématiques de son témoignage qui pourraient être considérés comme conformes aux opinions de l’expert.


G. Absence de détail au sujet des anciennes partenaires et de la partenaire actuelle

[48] Même si elle a dit garder à l’esprit les Directives sur l’OSIGEG, la SPR a néanmoins tiré une conclusion défavorable de l’omission de la DP de fournir une explication quant à la façon dont sa relation a évolué, passant d’une relation d’étrangères à une relation intime avec ses partenaires dans le contexte de l’interdiction au Nigéria contre les relations avec partenaires de même sexe.

[49] La SAR a exprimé une préoccupation semblable concernant le fait que la DP n’ait pas expliqué plus en détail certaines caractéristiques favorables de ses partenaires, particulièrement en ce qui concerne les partenaires nigérianes. Néanmoins, la SAR a reconnu que l’absence de tels détails ne serait pas suffisante pour conclure qu’il n’y avait aucune relation avec une partenaire de même sexe, mais cela corroborait simplement d’autres préoccupations au sujet de l’authenticité de son témoignage selon lequel elle était bisexuelle.

[50] Comme il a été décrit, la Cour a une compétence limitée pour s’intéresser à des questions qui supposent des conclusions à l’égard des éléments de preuve concernant leur poids ou leur suffisance, à moins qu’elles ne soient de nature exceptionnelle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, en atténuant l’effet défavorable de cette conclusion, la SAR veut dire que toute faute alléguée ne peut être considérée comme une erreur indépendante susceptible de contrôle. Au mieux, il s’agirait d’une conclusion à prendre en considération à l’appui de l’intervention de la Cour par rapport aux autres préoccupations sur des questions plus essentielles, dont aucune n’a été prouvée.


VII. Conclusion

[51] La Cour conclut que la décision de la SAR est raisonnable, comme il a été décrit dans les motifs précédemment. Par conséquent, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune n’est certifiée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑181‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑181‑20

INTITULÉ :

RISIKAT OMOLARA ADELANI, ADEFIKAYO MUJARD ADELANI, ADEFISAYO MURQSUUD ADELANI et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 décembre 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JANVIER 2021

COMPARUTIONS :

Jacqueline Lewis

POUR LES DEMANDEURS

 

Samina Essajee

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacqueline Lewis

Lewis and Associates

Toronto (Ontario)

pour les demandeurs

Samina Essajee

Procureure générale du Canada

Ville (Province)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.