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Date : 20010828

Dossier : IMM-5771-00

Référence neutre : 2001 CFPI 957

ENTRE :

                                                  OLGA PAULA BOLIVAR GASPARD

                                                MARIA YSABEL CALLIRGOS BOLIVAR

                                                                                                                            Partie demanderesse

                                                                              - et -

                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                  Parti défenderesse

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié (ci-après le "tribunal") rendue le 6 octobre 2000 selon laquelle les demanderesses ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention.


FAITS

[2]                 Mme Maria Ysabel Callirgos Bolivar (la "demanderesse principale"), et sa mère, Mme Olga Paula Bolivar Gaspard, sont citoyennes du Pérou. Elles allèguent une crainte de persécution dans leur pays d'origine en raison d'opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social particulier.

[3]                 Les demanderesses sont nées à Callao, dans la banlieue de Lima, où elles ont toujours vécu. La demanderesse principale, aurait complété dix-neuf années de scolarité dont des études en droit, au terme desquelles elle aurait obtenu en 1992 le diplôme d'avocate et aurait été admise l'année suivante comme membre du Collège des avocats de Lima. Elle aurait surtout travaillé au sein d'une institution gouvernementale, la Fiscalité de la nation ("FDLN") de 1994 jusqu'à la fin de 1998.


[4]                 La demanderesse principale, demeurait chez sa mère, veuve depuis 1975 et mère de six fils, dont l'un a obtenu le statut de réfugié au Canada en 1992. Les problèmes des demanderesses proviendraient du travail que la demanderesse principale aurait exercé à compter de 1996 comme avocate-adjointe au Procureur d'enquête et de résolution des dossiers au sein de la FDLN. À ce titre, elle aurait été assignée à la révision complète des dossiers de quatre étudiants, membres du groupe terroriste du Sentier Lumineux, condamnés pour terrorisme, ainsi qu'à l'étude préliminaire de vingt autres dossiers de gens condamnés pour « terrorisme aggravant » .

[5]                 Dans le cas des quatre étudiants, la demanderesse principale prétend avoir constaté que ces derniers auraient été torturés en prison par la police ou le Service d'intelligence nationale ("SIN"), pour les forcer à faire des aveux de culpabilité. En dépit d'un appel anonyme d'une personne s'identifiant au SIN lui intimant de confirmer les décisions et les condamnations prononcées par les instances inférieures, la demanderesse principale aurait envoyé à la Cour suprême du Pérou un rapport dans lequel elle aurait réhabilité les quatre étudiants et proposait la révision immédiate des vingt autres dossiers en raison d'irrégularités décelées.

[6]                 Sans tenir d'audience, la Cour suprême du Pérou aurait rapidement suivi les recommandations de la demanderesse principale et aurait annulé les sentences des quatre étudiants qui auraient été libérés. La demanderesse principale ne sait pas ce qu'il serait advenu des 20 autres dossiers pour lesquelles elle avait recommandé une révision plus complète. Elle dit ne pas avoir eu de communication de la part des quatre étudiants libérés.


[7]                 La demanderesse principale prétend qu'à compter de la remise de son rapport à la Cour suprême, elle aurait vécu une multitude de problèmes: sa meilleure collaboratrice aurait été séquestrée, torturée et assassinée par des gens du SIN; ses supérieurs lui auraient retiré les dossiers des terroristes et auraient changé ses collaborateurs; sa tante aurait été blessée en octobre 1998 alors qu'elle prenait possession d'un colis piégé adressé par le SIN à la mère de la demanderesse principale; elle aurait été suivie et surtout harcelée constamment au téléphone au cours des années 1997 et 1998 par des gens du SIN - plus d'un millier d'appels- qui l'auraient incitée à remettre sa démission de la FDLN, ce qu'elle aurait effectivement fait en décembre 1998.

[8]                 La demanderesse principale prétend avoir porté plainte sans succès auprès du commissariat du secteur où elle habitait et même être allée en personne au Département national des garanties personnelles, mais les responsables n'auraient pas pris sa demande d'aide au sérieux. Même si elle dit avoir changé de domicile en compagnie de sa mère à deux reprises, la demanderesse principale prétend que ses agents persécuteurs auraient continué à l'inquiéter, notamment en lui faisant parvenir, en mars 1999, une missive de menace de mort directe contre elle et sa mère. Cet incident ne l'aurait pas empêchée de compléter ses études, amorcées en octobre 1997, à l'Académie des juges. C'est ainsi qu'elle aurait subi, le 24 avril 1999, son examen final avec lequel, s'ouvrait la possibilité qu'on lui octroie une place de juge.

[9]                 Sans attendre les résultats de son examen, la demanderesse principale aurait décider de quitter sans tarder le Pérou en compagnie de sa mère. Toutes deux détentrices de passeports valides assortis de visas américains, les demanderesses se sont envolées du Pérou le 27 avril 1999 pour transiter par les États-Unis, où elles ont séjourné une dizaine de jours sans demander la protection nationale. Munies de visas canadiens obtenus à New York, les demanderesses ont gagné par train le Canada le 8 mai 1999. Deux mois plus tard, le 5 juillet 1999, elles ont demandé le statut de réfugié.

[10]            La demanderesse principale prétend qu'elle ne peut retourner au Pérou, où elle serait toujours recherchée par des agents du SIN qui pourraient la tuer et s'en prendre à sa mère. Elle fait également valoir que l'un de ses frères aurait été violemment interrogé à son sujet à peine deux semaines avant l'audience devant le tribunal.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]            1-        Le tribunal a-t-il appliqué le mauvais fardeau de preuve?

2-        Le tribunal a-t-il erré en concluant que les demanderesses n'avaient pas fait la preuve de leur crainte subjective?


ANALYSE

1-        Le tribunal a-t-il appliqué le mauvais fardeau de preuve?

[12]            Les demanderesses soulignent que le fardeau de preuve à rencontrer est la prépondérance des probabilités et non pas le critère subjectif utilisé par le tribunal, soit celui "de la satisfaction du tribunal". Ainsi, selon les demanderesses, le tribunal a erré chaque fois qu'il a indiqué que la demanderesse n'avait pas satisfait le tribunal.

[13]            La partie défenderesse indique pour sa part que le fardeau de preuve est celui d'une possibilité sérieuse de persécution ce qui signifie que la fardeau est moins onéreux qu'une probabilité de persécution.

[14]            Afin de déterminer si le fardeau de preuve imposé en l'espèce respecte les principes de l'arrêt Adjei c. Canada(M.E.I.), [1989] 1 C.F. 680 (C.A.F.), la partie défenderesse demande à la Cour d'examiner si l'application du test de la possibilité sérieuse a été utilisée à l'égard des faits en preuve et non seulement se limiter à considérer l'utilisation des termes ou de l'expression utilisée dans les motifs du tribunal.

[15]            La partie défenderesse s'appuie sur la cause Osei c. M.E.I., 12 Imm. L.R. (2d) 49 (C.A.F.) où la Cour d'appel fédérale a mentionné que l'important est d'appliquer le bon critère et non l'énonciation verbale de ce critère.

[16]            La partie défenderesse soutient qu'en l'espèce, il est loisible de constater que le critère appliqué par le tribunal est bon puisqu'il conclut sa décision en disant que « [l]es éléments de preuve qui nous ont été présentés sont insuffisants pour établir que la demanderesse principale, en cas de retour au Pérou, aurait une « possibilité raisonnable » de persécution, selon les termes de l'arrêt Adjei. »

[17]            Avec égards, je ne peux accepter la prétention des demanderesses quant à l'application du fardeau de preuve par le tribunal. Le fait que le tribunal ait indiqué que les demanderesses n'avaient pas satisfait le tribunal ne veut pas dire que le tribunal a appliqué le mauvais fardeau de preuve.


[18]            Il appert de la conclusion du tribunal que le tribunal connaissait le fardeau de preuve qui incombait aux demanderesses, soit qu'elles devaient démontrer une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour au Pérou, et le fait que le tribunal ait utilisé le terme satisfaire n'est qu'une façon d'indiquer que les demanderesses n'avaient pas démontré qu'il y avait une possibilité raisonnable de persécution. Il demeure que les demanderesses devaient « satisfaire » le tribunal qu'il y avait une possibilité raisonnable de persécution. Cette façon de s'exprimer ne démontre pas que le tribunal appliquait le mauvais fardeau et il n'y a rien d'incorrect, en l'espèce, à ce que le tribunal indique qu'il n'a pas été satisfait que la preuve démontrait une crainte subjective.

2 -       Le tribunal a-t-il erré en concluant que les demanderesses n'avaient pas fait la preuve de leur crainte subjective?

[19]            Les conclusions relatives à la crédibilité d'un demandeur relève de la compétence du tribunal. Dans l'affaire Aguebor c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a indiqué:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.

[20]            Les demanderesses soutiennent que le seul fait que la demanderesse principale n'ait pas produit des pièces montrant le résultat de son travail n'est pas une raison pour miner sa crédibilité puisque le fait qu'elle a juré que certaines allégations sont vraies crée une présomption qu'elles le sont.

[21]            Les demanderesses notent également que la preuve reçue après audience mentionnait spécifiquement que le nom des accusés des dossiers qui furent révisés ne pouvait être révélé et que par conséquent, la demanderesse ne pouvait fournir les preuves demandées. Ainsi, le tribunal ne pouvait pas demander à la demanderesse de fournir ce qu'elle n'était pas en droit de donner, et ce de l'aveu même d'une avocate du Ministère public travaillant au tribunal supérieur. Selon les demanderesses, le tribunal aurait dû se satisfaire, sur ce point du témoignage de la demanderesse.

[22]            Les demanderesses soulignent que le tribunal a erré en ne considérant pas les éléments et raisons soumis en preuve D-2, qui expliquaient les raisons pour lesquelles les documents ne pouvaient être fournis. Dans son affidavit, la demanderesse principale indique qu'elle a témoigné à l'audience que les décisions de la Cour n'étaient pas répertoriées mais qu'elles paraissent habituellement dans le journal de l'État. Elle a également mentionné qu'il lui serait peut-être difficile de trouver ces résolutions car elles ont eu lieu depuis un certain temps et les archives du journal sont détruites après un certain temps. Elle a également mentionné lors de l'audience, qu'elle ferait des efforts pour se procurer ces résolutions. Après l'audience elle a écrit afin d'avoir ces documents et son frère lui a répondu qu'il était impossible pour lui d'avoir accès à ces archives et de récupérer ces notes.

[23]            Le frère de la demanderesse principale a alors communiqué avec Me Zoraidas Avalos Rivera pour qu'elle ait accès à la documentation demandée par le tribunal. Me Riveira a alors envoyé une lettre certifiant que la demanderesse principale avait fait le travail qu'elle disait avoir fait et qu'il ne lui était pas possible, ni à la demanderesse principale, de révéler les noms des personnes dont la demanderesse principale avait traité le cas, incluant évidemment la documentation qui était relative à ce cas.

[24]            À ce sujet, il demeure que les commentaires du tribunal reflètent les commentaires de la demanderesse à l'audience. Cependant, le tribunal n'a pas discuté précisément de la preuve obtenue après l'audience qui explique que les noms des accusés ne pouvaient être révélés.    Néanmoins, le tribunal avait raison de dire, sur la base du témoignage de la demanderesse, que celle-ci n'avait pas fait d'efforts raisonnables pour obtenir les documents de la Cour suprême péruvienne. Elle n'a fait des efforts qu'après l'audience. Toutefois, je suis prêt à reconnaître que la preuve obtenue après l'audience démontre que la demanderesse a fait des efforts pour obtenir des documents expliquant pourquoi les noms des étudiants ne pouvaient être révélés. Je ne crois pas cependant que la conclusion entière du tribunal soit viciée par sa conclusion à l'égard des efforts de la demanderesse.

[25]            Les demanderesses allèguent que l'absence de connaissance de la demanderesse principale quant au comité ad hoc ne pouvait amener le tribunal à conclure à la non-crédibilité de la demanderesse sur cette seule absence de connaissance.

[26]            Les demanderesses soulignent également qu'il n'y a pas de lien rationnel entre la connaissance de la demanderesse relativement à une autre structure de révision et aux informations précises de la composition de cette structure et le fait que la demanderesse ait fait acquitter ou non des sentiéristes déjà condamnés et incarcérés.

[27]            À cet égard, je ne crois pas qu'il soit manifestement déraisonnable de la part du tribunal de conclure qu'une personne qui travaille à la révision de dossiers de personnes injustement condamnées comme terroristes soit au courant des autres recours qui existent pour ces personnes injustement condamnées. Force est de conclure que cela semble surprenant à prime abord.


[28]            Les demanderesses soutiennent que la conclusion du tribunal à savoir que la demanderesse a pu se rendre à son travail sans jamais être inquiétée est contraire à la preuve admise par le tribunal qui reconnaît que la demanderesse a témoigné avoir été suivie, avoir reçu des menaces téléphoniques pour quitter son travail, et avoir dû renoncer à son travail en décembre 1998.

[29]            Les demanderesses sont d'avis que les motifs du tribunal ne doivent pas être contraires au résumé des faits allégués énoncés par le tribunal lui-même.

[30]            Finalement, les demanderesses soutiennent que le tribunal a erré en concluant d'une part que la demanderesse a continué de se présenter régulièrement au travail en dépit du harcèlement téléphonique et des autres incidents dont elle aurait été victime de la part du SIN mais que deux paragraphes auparavant le tribunal avait déclaré qu'elle avait pu se rendre régulièrement soit à son travail, soit à ses cours sans jamais être inquiétée.


[31]            À mon avis, la conclusion du tribunal n'est pas déraisonnable et reflète le témoignage de la demanderesse à l'effet qu'elle a continué à travailler et à suivre ses cours pendant trois ans. Contrairement à ce que les demanderesses prétendent, le tribunal n'a pas conclu que la demanderesse avait été harcelée et avait été victime d'incidents de la part du SIN. Le tribunal n'a fait que reprendre les allégations de la demanderesse afin de s'interroger sur leur crédibilité. En fait, le tribunal a conclu, que la demanderesse n'avait pas établi qu'elle était bel et bien harcelée et même recherchée par le SIN. Le tribunal ne s'est pas contredit et sa conclusion n'est pas déraisonnable.

[32]            Même si le tribunal avait erré sur ces questions soulevées par la demanderesse, il demeure qu'au paragraphe 3, le tribunal a conclu que même en retenant l'hypothèse que la demanderesse principale soit crédible, elle n'avait pas affiché le comportement d'une personne qui craint pour sa vie ou sa sécurité. Cette conclusion est raisonnable et supporte la décision du tribunal à l'effet que les demanderesses ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention.

[33]            Cette demande de contrôle judiciaire est, par conséquent, rejetée.

[34]            Compte tenu du rejet de cette demande de contrôle judiciaire, la demande à l'effet que le nom des demanderesses soit gardé confidentiel sur l'intitulé de l'action de la décision à être publiée est également rejetée.

[35]            Aucun des procureurs n'a soumis de question à certifier.

                   Pierre    Blais                  

                         Juge

Montréal (Québec)

Le 28 août 2001

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