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Date : 20210106


Dossier : IMM‑7030‑19

Référence : 2021 CF 21

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

TUNDE ABIODUN OYEWOLE

MARY DASOLA OYEWOLE

ELIZABETH NINOLA OYEWOLE

ESTHER OLASUBOMI OYEWOLE

DANIEL OLAKANMI OYEWOGLE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 10 octobre 2019, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé le rejet de la demande d’asile des demandeurs, car il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Lagos, au Nigéria.

[2]  Le demandeur principal, son épouse et leurs trois enfants mineurs sont des citoyens du Nigéria. Ils demandent l’asile en raison d’une menace à leur vie ou d’un préjudice grave de la part de leur famille élargie et de leur communauté pour avoir refusé d’assumer la royauté d’Ajaba.

[3]  Le demandeur principal allègue que l’oracle d’Ifa l’avait choisi pour succéder à son défunt père comme roi d’Ajaba. Il avait affirmé son opposition aux rituels ordonnés pour ses enfants par l’oracle sur des motifs d’ordre religieux (ce qui comprenait l’initiation de son premier fils et l’excision de sa fille) et avait également renoncé à la polygamie, considérée obligatoire pour le roi d’Ajaba.

[4]  Le demandeur principal soutient que son refus d’assumer la royauté avait incité des menaces envers lui, son épouse et ses enfants de la part de sa famille étendue et de sa communauté, menaces qui avaient abouti à un ultimatum selon lequel il devait se présenter devant eux. Le 21 décembre 2017, les demandeurs avaient quitté le Nigéria. Le 20 février 2018, ils étaient entrés au Canada depuis les États‑Unis d’Amérique et avaient demandé l’asile.

[5]  La Section de la protection des réfugiés avait rejeté la demande d’asile, car les demandeurs avaient manqué de crédibilité et n’avaient pas démontré que la PRI était déraisonnable. La SAR a confirmé la décision, au motif d’une PRI viable à Lagos, au Nigéria.

[6]  Les parties conviennent que la SAR a appliqué le critère à deux volets approprié qui a été élaboré par la jurisprudence pour établir l’existence d’une PRI viable à Lagos. Il incombait aux demandeurs d’établir tout d’abord qu’ils étaient gravement à risque d’être persécutés dans tout le pays, et ensuite qu’il serait déraisonnable dans leur situation de déménager dans le lieu proposé comme PRI.

[7]  La principale question porte sur la conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs n’étaient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution ou de préjudice de la part de la famille étendue et de la communauté dans la PRI de Lagos, en raison du refus du demandeur principal d’assumer la royauté d’Ajaba. Cette conclusion de fait a efficacement réfuté les deux volets du critère relatif à la PRI.

[8]  De ce fait, la question principale est celle du caractère raisonnable de l’appréciation des conclusions de fait. En ce qui concerne les conclusions de fait appréciées, la Cour suprême du Canada a décidé qu’une cour de révision peut seulement intervenir dans des circonstances « exceptionnelles » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 91‑92. Une nouvelle appréciation de la preuve par la cour de révision est donc exclue. Cela signifie essentiellement que, tant qu’il y a des éléments de preuve probants à l’appui de la conclusion et qu’il n’y a aucune erreur de procédure lors de l’appréciation (p. ex., en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents ayant été présentés), la Cour ne peut intervenir.

[9]  Le demandeur principal soutient que la principale menace de préjudice provenait de son oncle. Il a allégué que son oncle était une personne influente qui possédait suffisamment de ressources pour retrouver les demandeurs, et ce, peu importe où ils résideraient à Lagos. De plus, le demandeur principal a déclaré dans son témoignage que le peuple d’Ajaba maintenait une présence importante à Lagos et que ses associations culturelles informeraient d’autres personnes de la présence des demandeurs, y compris lorsqu’ils assisteraient à des services religieux. Le demandeur principal a également fait valoir que les agents de persécution seraient motivés de le retrouver, parce que le roi par intérim ne pouvait exercer que des fonctions limitées du poste.

[10]  Le principal point de divergence quant aux faits concernait l’appréciation des éléments de preuve relatifs aux menaces de l’oncle. Le demandeur principal a déclaré que l’oncle lui avait dit que, si le demandeur laissait l’accession à la royauté échapper à la famille, il suivrait le demandeur à Ajaba, et celui‑ci [traduction« perdrait la vie ».

[11]  De même, le demandeur principal avait déclaré dans son témoignage qu’après sa nomination pour assumer la royauté, son oncle avait invité le conseil des aînés chez lui à Ibadan. Ils lui avaient dit qu’il avait sept jours pour accepter la nomination et que, s’il refusait, le demandeur principal ou ses enfants pourraient être atteints d’une maladie.

[12]  La SAR a accepté les éléments de preuves décrivant les insinuations de telles conséquences. Néanmoins, ils ont été jugés insuffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que son oncle était motivé à trouver le demandeur principal afin de lui causer du tort. La SAR a plutôt conclu que la nature des propos de l’oncle était plutôt celle de menaces indirectes de maladie pour lui‑même ou les membres de sa famille, et que le raccourcissement de sa propre vie entraînerait des représailles de la part des divinités yoruba en conséquence. La SAR a décrit ces menaces comme étant [traduction« davantage un mauvais karma plutôt que de la violence ».

[13]  La Cour juge que les demandeurs n’ont pas tenté de contredire ces conclusions fondées sur la preuve dont disposait la SPR. Ils prétendent plutôt que la SAR a établi une définition ou un critère différent pour déterminer ce qui équivalait à de la persécution lorsqu’elle a décrit les menaces comme étant [traduction« davantage un mauvais karma ». La Cour n’est pas d’avis que les remarques de la SAR renvoyaient à un test de persécution plutôt qu’à une conclusion de fait basée sur la preuve. De même, la Cour juge que les menaces de la nature décrite dans la preuve, selon la conclusion de la SAR, étaient toutes deux spéculatives, et qu’il avait été raisonnablement conclu qu’elles n’équivalaient pas à de la persécution.

[14]  De plus, malgré le témoignage du demandeur principal, il n’y a aucun motif pour rejeter la conclusion que la SAR a tirée à partir de la réponse à une demande d’information et du cartable national de documentation, qui traitaient des conséquences du rejet de la royauté dans la tribu des Yoruba. Ils n’appuyaient pas une conclusion selon laquelle une branche de l’association communautaire d’Ajaba existait ailleurs au Nigéria et serait en mesure de retrouver les demandeurs, et encore moins de les cibler avec violence à Lagos. L’appréciation de la SAR a tenu compte de la preuve du demandeur principal, ainsi que des documents traitant des conditions dans le pays qui contenaient des informations contradictoires sur les conséquences du refus de la charge de chef traditionnel. Sur huit sources, sept d’entre elles donnaient à entendre que les conséquences du refus étaient mineures et n’incluaient pas la mort ou le préjudice physique. Ces conclusions factuelles étaient étayées par la preuve.

[15]  La SAR a indiqué que les demandeurs avaient été incapables de répondre aux questions de la SPR au sujet des documents susmentionnés traitant des conditions dans le pays, qui suggéraient de déménager après un refus de la royauté. L’épouse du demandeur principal n’avait pas non plus pu expliquer ce qui aurait motivé les agents de persécution à le tuer, ainsi que son épouse et leurs enfants, ou à leur causer préjudice.

[16]  Par conséquent, les éléments de preuve sur le pays ont été privilégiés et la preuve des demandeurs a été jugée insuffisante pour démontrer qu’il y avait un préjudice réel découlant d’un refus de la royauté à Ajaba ou que les agents de persécution formaient une entité capable de poursuivre les demandeurs et de leur causer préjudice, ou même motivée à agir de la sorte. La SAR a donc conclu qu’ils ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution à Lagos s’ils y déménageaient. Cela est raisonnable, ce qui ne donne aucune raison à la Cour de revenir sur la décision de la SAR.

[17]  De plus, la Cour juge que la SAR n’a pas commis d’erreur en déterminant que le deuxième volet du critère relatif à la PRI avait été largement satisfait par la conclusion selon laquelle les demandeurs pourraient mener une vie normale à Lagos, car il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’ils soient exposés à la persécution là‑bas. Il n’y avait aucune preuve indiquant que les demandeurs ne seraient pas en mesure de se rendre à Lagos de façon sécuritaire ou qu’ils ne pourraient pas subvenir à leurs besoins et s’y établir en tant que résidents de Lagos.

[18]  Enfin, la SAR n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur le guide jurisprudentiel de juillet 2018 pour le Nigéria. Comme il a été conclu dans la décision Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126 au para 171 (inf en partie pour d’autres motifs par 2020 CAF 196) :

Pour les raisons que j’ai évoquées, le guide jurisprudentiel sur le Nigéria n’entrave pas illicitement le pouvoir discrétionnaire des commissaires de tirer leurs propres conclusions de fait, et il ne porte pas indûment atteinte à l’indépendance des commissaires ni ne réduit leur impartialité présumée.

[19]  Les motifs de la SAR étaient fondés sur les faits tels qu’ils ont été appréciés à partir de la preuve en l’espèce. Les demandeurs n’ont pas démontré que la Commission avait commis une erreur, exceptionnelle ou autre, dans son appréciation de la preuve.

Conclusion

[20]  La Cour rejettera la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et aucune ne sera certifiée.

 


JUDGMENT DANS LE DOSSIER IMM‑7030‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7030‑19

INTITULÉ :

OYEWOLEY et al c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 DÉCEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2021

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Leanne Briscoe

Procureure générale du Canada

Ville (province)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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