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Date : 20210106


Dossier : IMM-373-20

Référence : 2021 CF 17

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2021

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

SAUL ENRIQUE JAIMES IZQUIERDO

GENOVCVA SANCHEZ GONZALEZ

ALAN SAID JAIMES SANCHEZ

DANSA SOLANGE JAIMES SANCHEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Saul Enrique Jaimes Izquierdo, présente une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui se déclarait en accord avec une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Dans l’un et l’autre cas, la demande faite par le demandeur, son épouse et leurs deux enfants était rejetée. La demande de contrôle judiciaire est évidemment faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR].

I.  Les faits

[2]  Les faits qui donnent lieu à la demande d’asile sont relativement simples. Étant donné que la seule question qui est présentée à la Cour sur contrôle judiciaire est que l’on prétend qu’il y a eu une défectuosité dans une traduction, il n’est pas nécessaire d’en faire un long exposé.

[3]  Cette affaire trouve sa genèse au décès du grand-père paternel du demandeur principal qui, à son décès, léguait des terrains à ses enfants, dont le père du demandeur principal.

[4]  Ainsi, le père et ses frères (donc les oncles du demandeur principal) décidaient en 2008 de vendre des terres agricoles à un certain Jesus Zambada. Le frère de celui-ci était le propriétaire de terres adjacentes au terrain hérité.

[5]  Ayant découvert l’accointance de Jesus Zambada avec le cartel Sinaloa, les frères ont refusé de compléter la transaction.

[6]  Il semble qu’il y ait eu une deuxième tentative de faire l’achat de ces terres, en juillet 2016. De fait, les conditions offertes par la famille Zambada étaient moins avantageuses que celles offertes 8 ans plus tôt. S’en seraient suivies des menaces faites au père du demandeur principal de tuer tous les membres de la famille si les terres n’étaient pas vendues aux conditions alors proposées. Le demandeur principal témoigne avoir été la cible des membres de la famille Zambada puisqu’il aurait été celui mandaté pour vendre les terrains à des tiers en 2016.

[7]  Tant la SPR que la SAR ont conclu que la question déterminante était la crédibilité.

[8]  Procédant à sa propre analyse du dossier, la SAR répertorie essentiellement les mêmes omissions et contradictions entre le formulaire de demande d’asile (FDA) et le témoignage devant la SPR.

[9]  La première difficulté procède de l’explication que le demandeur principal tenait devant la SPR des raisons pour lesquelles il aurait été menacé. Ainsi, ce serait parce qu’il avait été mandaté pour procéder à la vente des terrains par son père. Or, cette explication ne se retrouve pas dans la FDA. La SAR ajoute que la FDA précisait que c’était l’oncle du demandeur principal qui était le mandataire pour procéder à la vente du terrain. Pour la SAR, cela contredit directement la prétention du demandeur selon laquelle c’est lui qui était le mandataire, ce qui servait à expliquer pourquoi il aurait été l’objet de menaces.

[10]  Deuxièmement, il est noté que le demandeur principal aurait eu une rencontre avec un acheteur potentiel mais qu’il aurait compris qu’il s’agissait d’une dame reliée à la famille Zambada. Une telle rencontre n’est pas indiquée au FDA et le demandeur principal a fait l’objet de questions à cet égard de la part de la SPR. Étant donné l’importance d’une telle rencontre dans un récit qui traitait de menaces faites, la SPR a conclu que telle rencontre était importante mais que ladite rencontre n’a même pas été mentionnée dans le FDA. Mais la SAR ajoute que, dans son témoignage, le demandeur principal déclare tantôt que les menaces ont été transmises par ses cousins, tantôt transmises par son père. Encore ici, non seulement s’agit-il d’une omission, mais il y a contradiction à l’intérieur même du témoignage livré devant la SPR.

[11]  Deux autres omissions ont été retenues par la SPR. D’abord, le demandeur dit que les menaces étaient transmises par ses cousins en juillet 2016. Selon son témoignage, le demandeur principal indique que ses cousins sont allés chez son père prétendant que des représentants de la famille Zambada exigeaient que les terrains soient vendus. Les menaces auraient été de l’ordre de tuer les membres de la famille et que les agresseurs avaient des moyens de les retracer. Mais le récit continue d’évoluer à même son témoignage. Ainsi, le demandeur principal dira que les cinq membres de la famille Zambada accompagnaient les cousins lors de la visite chez son père en 2016. D’une visite des cousins en juillet 2016, il appert que les cousins n’étaient pas venus seuls. En cours de témoignage il est prétendu que les membres de la famille Zambada étaient aussi présents. C’est loin d’être insignifiant. La SAR déclare d’ailleurs que « (n)on seulement cet élément est omis dans le récit de l’appelant principal, mais entre directement en contradiction avec ce qu'il avait affirmé plus tôt dans le témoignage selon lequel ce n’était que les cousins qui s’étaient présentés chez son père, et par rapport au récit [sic]. La crédibilité des appelants quant à leur histoire de persécution, risque et menaces est minée » (décision de la SAR, para 11).

[12]  Finalement, la SAR conclut que la prépondérance des probabilités fait en sorte qu’elle ne peut conclure que le demandeur principal a été la cible de menaces alléguées, menaces qu’il dit qu’elles auraient été directes lorsque le demandeur principal relate une rencontre avec une acheteuse potentielle. Cette personne aurait été une membre de la famille Zambada mais les explications données sont dites vagues et non acceptables de la part d’une personne qui allègue craindre pour sa sécurité. L’omission d’en traiter dans le FDA est significative, mais est aussi significatif que le demandeur principal n’est pas en mesure de fournir des détails à l’égard de ce qui apparaissait comme étant une rencontre importante.

II.  La prétention des demandeurs et discussion

[13]  Les demandeurs plaident que le droit est fondé sur des formalités qui sont essentielles. Lorsque questionné à cet égard par la Cour, l’avocat n’a pu offrir aucune autorité à l’appui d’une telle allégation de formalisme. De fait, la seule assertion faite devant la Cour est que l’interprétation devant la SPR était défectueuse. Lorsque l’avocat des demandeurs a demandé au demandeur principal lors de son témoignage devant la SPR si les renseignements fournis dans son FDA étaient vrais, complets et exacts, la traduction en espagnol était que les documents sont vrais et exacts. Pour le demandeur principal, cela fait une différence puisqu’il dit que cela pourrait expliquer un récit incomplet tel que présenté dans le FDA.

[14]  À mon avis, cet argument est sans valeur. Que la traduction à l’audience devant la SPR ait omis le mot « complets » ne change rien au fait que le formulaire de demande d’asile était très court alors même qu’un demandeur d’asile doit fournir les renseignements qui supportent sa demande d’asile et que ces omissions sont devenues encore plus significatives lorsque la SAR a noté que le récit devant la SPR s’ajustait au fil du temps, menant même à des contradictions.

[15]  En fait, l’équité procédurale n’a pas été violée dans le cas d’espèce. Ce qui fait problème pour le demandeur principal, ce n’est pas sa déclaration devant la SPR que le récit dans le FDA est vrai et exact, en réponse à la question de son avocat au sujet du récit vrai, complet et exact; c’est plutôt que le FDA omet des éléments importants qui auraient dû y être. Dit autrement, l’absence de traduction du mot « complets » dans la question posée par l’avocat du demandeur à celui-ci n’est pas le problème qui se pose au demandeur principal. Le problème est plutôt que le FDA omet de nombreux éléments importants du récit qui sont relatés pour la première fois devant la SPR. De fait, il ne s’agit pas seulement d’omissions mais aussi de contradictions qui ont été relevées par la SAR. Si la SPR et la SAR ont toutes deux conclu à une crédibilité défaillante du demandeur principal, c’est parce que le FDA ne relate pas des éléments qui apparaissent lors de l’audience devant la SPR.

[16]  Personne ne prétend que la norme d’interprétation soit celle de la perfection. Depuis Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 CF 85 [Mohammadian], il est reconnu que l’arrêt R. c Tran, [1994] 2 RCS 951 [Tran] rendu en matière criminelle s’applique à la qualité de l’interprétation dans le contexte des demandes en matière d’immigration (paras 17 et 4). Or, la norme est celle de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance. Cette norme était rencontrée en l’espèce. La Cour d’appel fédérale dans Mohammadian, reprenait à son compte ce passage tiré de l’arrêt Tran, à la page 987, où le Juge en chef du Canada écrivait :

Il est cependant important de garder à l'esprit que l'interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s'exerce rarement dans des circonstances idéales. Par conséquent, il ne serait ni réaliste ni raisonnable d'exiger que même une norme d'interprétation garantie par la Constitution en soit une de perfection. […]

Ce qui est requis par le droit est la compréhension linguistique.

[17]  La jurisprudence rappelle que les erreurs d’interprétation doivent avoir une importance plus que négligeable (Huang c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2003 CFPI 326 ; Banegas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1997 CanLII 5304 ; Sherpa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 267 [Sherpa]). Ainsi, encore faudrait-il que la difficulté d’interprétation ait une incidence sur la disposition qui sera faite d’une affaire (Sherpa (précité), Roy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 768 ; Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) c Patel, 2002 CAF 55). Comme je l’ai indiqué plus haut, ce n’est pas tant la vérité ou la fausseté des déclarations du demandeur principal sur le caractère complet du narratif qui pose problème. C’est plutôt le fait qu’il avait produit un FDA qui néglige d’inclure des faits et des événements fondamentaux à sa demande d’asile. La SAR est explicite à cet égard. On lit au paragraphe 13 de sa décision :

[13]  Les appelants plaident à leur mémoire qu’il apparaît de manière évidente que l’appelant a écrit un résumé de son histoire, comme le font de nombreux demandeurs d’asile. Cet argument ne peut être retenu et la jurisprudence est claire sur ce sujet. L’appelant principal n’a pas écrit, dans son récit, les éléments au cœur de sa demande qui auraient pu expliquer pourquoi il serait personnellement [je souligne], advenant son retour au Mexique, exposé soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Son témoignage a bien tenté de pallier à ce manquement, mais les explications relatées ci-haut ont plutôt eu l’effet de miner sa crédibilité.

[18]  Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier. La Cour est du même avis.

 


JUGEMENT au dossier IMM-373-20

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale qui doive faire l’objet d’une certification.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-373-20

INTITULÉ :

SAUL ENRIQUE JAIMES IZQUIERDO ET AL

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (oNTARIO) ET mONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 décembre 2020

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 6 janvier 2021

COMPARUTIONS :

Manuel Antonio Centurion

Pour leS demandeurS

Renalda Ponari

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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