Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20201221


Dossier : T-1434-14

Référence : 2020 CF 1176

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2020

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

demanderesse

et

PFIZER CANADA ULC

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Pharmascience Inc, sollicite des dommages-intérêts contre la défenderesse, Pfizer Canada ULC, en vertu du paragraphe 8(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133. Pharmascience allègue qu’elle a perdu des ventes de son médicament, la prégabaline, au cours de la période pendant laquelle elle a été tenue à l’écart du marché en raison de la demande présentée par Pfizer en vertu du Règlement pour faire interdire l’entrée de Pharmascience sur le marché. L’action a été inscrite au rôle en vue de son instruction par moi en février 2021.

[2]  En vue du procès, Pharmascience a sollicité une ordonnance enjoignant à Pfizer de produire des copies non expurgées des deux ententes de règlement intervenues entre Pfizer et Teva. Dans une ordonnance rendue le 25 août 2020, le protonotaire Kevin Aalto a ordonné à Pfizer de produire une copie non expurgée de la première entente une fois qu’elle aurait obtenu le consentement de Teva. En ce qui concerne la seconde entente, le protonotaire a refusé d’ordonner à Pfizer d’en produire une copie non expurgée. Les passages expurgés des deux ententes concernent des renseignements financiers et, en fait, le montant du règlement sur lequel les parties se sont entendues.

[3]  Pharmascience interjette appel de cette ordonnance et me demande d’infirmer l’ordonnance et d’enjoindre à Pfizer de produire des copies non expurgées des ententes.

[4]  En ce qui concerne la première entente, Pharmascience maintient que le protonotaire a commis une erreur en subordonnant la communication à l’obtention du consentement de Teva et en concluant que les renseignements demandés n’étaient pas pertinents. Pour ce qui est de la seconde entente, Pharmascience affirme que le protonotaire a commis une erreur en concluant que les renseignements expurgés n’étaient pas pertinents. Pfizer répond en invoquant le privilège relatif aux règlements en ce qui a trait aux sommes expurgées contenues dans les deux ententes.

[5]  J’estime que la question du privilège relatif aux règlements répond complètement aux arguments de Pharmascience. Je vais donc me limiter à cette seule question dans les présents motifs.

A.  Le privilège relatif aux règlements s’applique-t-il?

[6]  Le privilège relatif aux règlements vise à favoriser les règlements amiables en protégeant les communications relatives aux modalités du règlement. Il « entoure d’un voile protecteur les démarches prises par les parties pour résoudre leurs différends en assurant l’irrecevabilité des communications échangées lors de ces négociations » (Sable Offshore Energy Inc c Ameron International Corp, 2013 CSC 37, au paragraphe 2 [Sable]). Le montant du règlement est expressément protégé par le privilège, étant donné qu’il reflète « les admissions, offres et compromis faits au cours des négociations » (paragraphe 18).

[7]  Le privilège souffre de certaines exceptions, qui sont reconnues lorsque la partie qui réclame les renseignements protégés peut démontrer qu’un intérêt public d’une importance supérieure milite en faveur de leur divulgation. Parmi les exemples proposés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sable, mentionnons le risque d’une déclaration inexacte, d’une fraude ou d’un abus d’influence (paragraphe 19).

[8]  Pharmascience affirme que le montant du règlement apparaissant dans les deux ententes est visé par une exception. À titre subsidiaire, Pharmascience soutient que Pfizer a renoncé au privilège à l’égard de ces renseignements.

[9]  Je ne suis pas du même avis que Pharmascience. La jurisprudence sur laquelle Pharmascience se fonde portait sur des situations différentes de celle qui nous intéresse en l’espèce.

[10]  Pharmascience invoque principalement trois précédents : Alofs c Blake, Cassels & Graydon, 2016 ONSC 6907 [Alofs]; Dos Santos c Sun Life Assurance Co of Canada, 2005 BCCA 4 [Dos Santos] et Ministry of Correctional Services c McKinnon, 2010 ONSC 3896 [McKinnon].

[11]  Dans la décision Alofs, le protonotaire Dash a jugé qu’une exception au privilège s’appliquait lorsqu’une partie réclamait les renseignements protégés pour permettre au tribunal de trancher correctement le litige (paragraphe 27). Pharmascience affirme qu’elle a besoin de connaître le montant du règlement pour comprendre les raisons qui ont motivé Teva à conclure un règlement. Elle maintient qu’elle a besoin de connaître toutes les modalités du règlement pour déterminer ce qui serait arrivé dans un monde hypothétique. Je ne suis pas convaincu que Pharmascience a besoin de connaître le montant effectif du règlement. Je constate que le protonotaire Dash a expressément déclaré que l’exception qu’il reconnaissait s’appliquait uniquement aux renseignements dont la partie qui les réclamait avait besoin pour les fins qu’elle avait précisées. Selon cette conception, le montant effectif du règlement n’est pas nécessairement visé par l’exception (paragraphe 40). J’estime qu’il en va de même en l’espèce. Pharmascience a déjà en main les ententes elles-mêmes et elle en connaît les principales modalités. Il n’est pas nécessaire selon moi que le montant effectif du règlement soit divulgué.

[12]  Dans l’arrêt Dos Santos, la Cour a jugé qu’il était nécessaire de connaître le montant effectif du règlement pour pouvoir calculer les prestations payables aux termes d’une police d’assurance-invalidité. Les documents protégés étaient pertinents et nécessaires à cette fin (paragraphe 37). Dans le cas qui nous occupe, rien ne permet de penser que le montant du règlement est pertinent et nécessaire pour calculer les dommages-intérêts.

[13]  Enfin, dans le jugement McKinnon, le tribunal s’est fondé sur l’arrêt Dos Santos pour conclure que les documents protégés étaient pertinents et nécessaires pour déterminer si le ministère défendeur n’avait pas agi de bonne foi en mettant à exécution des décisions antérieures rendues contre lui. Là encore, on ne trouve en l’espèce aucune prétention comparable de la part de Pharmascience.

[14]  Pharmascience affirme également, en se fondant sur la décision Kawartha Lakes c Gendron, 2018 ONSC 3498, que Pfizer a renoncé au privilège à l’égard du montant du règlement en communiquant en partie les ententes de règlement. Dans cette affaire, le tribunal a conclu qu’il y avait eu renonciation au privilège à l’égard des modalités du règlement dès lors que des renseignements détaillés portant sur des [traduction] « rencontres, négociations, offres et pourparlers » ayant mené au règlement avaient déjà été divulgués (paragraphes 73 et 74). Dans le cas qui nous occupe, Pfizer n’a communiqué aucun renseignement analogue qui nous justifierait de conclure qu’il y a eu renonciation au privilège relatif aux règlements.

II.  Conclusion et dispositif

[15]  Pharmascience n’a pas démontré que le montant du règlement dont elle réclame la divulgation est visé par une exception au principe du privilège relatif aux règlements. Elle n’a pas non plus démontré que Pfizer avait renoncé au privilège en ce qui concerne ces renseignements. Je dois donc rejeter la requête de Pharmascience avec dépens, quelle que soit l’issue de l’instance.


ORDONNANCE dans le dossier T-1434-14

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée avec dépens, quelle que soit l’issue de l’instance.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu, traductrice


 COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1434-14

 

INTITULÉ :

PHARMASCIENCE INC. c PFIZER CANADA ULC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par VIDÉoCONFÉRENCE À Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 OCTOBRE 2020

 

ordONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE O’reilly

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 DÉCEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Marcus Klee

Jonathan Giraldi

Jonathan Stainsby

 

POUR LA demanderesse

 

Orestes Pasparakis

David Yi

 

POUR LA défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

Norton Rose Fulbright Canada

S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.