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Date : 20210104


Dossier : IMM-7097-19

Référence : 2021 CF 8

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

CITLALLI GRISEL MIRANDA HERNANDEZ

(ALIAS CITLALLI GRISEL FERNANDA MIRANDA HERNANDEZ)

DANIEL ALEJANDRO MANZANO PINGARRON

FRIDA PAOLA MANZANO MIRANDA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés du Canada a annulé la décision de Section de la protection des réfugiés [la SPR], mais l’a confirmée pour d’autres motifs. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

I. Faits

[2] Les demandeurs sont une famille de trois personnes, une mère [la demanderesse principale], un père et leur fille [la demanderesse mineure]. Les demandeurs vivaient dans une ville au Mexique, en périphérie de Mexico, où la demanderesse principale travaillait comme avocate.

[3] La demanderesse mineure a reçu un diagnostic de microcéphalie, de retard du développement psychomoteur, de petite taille, de strabisme d’angle variable et de trouble du spectre de l’autisme.

[4] Entre le 11 janvier et le 9 février 2017, la demanderesse principale aurait reçu des messages textes menaçants d’un cartel, qui lui demandait 500 000 pesos et menaçait sa famille et elle s’ils ne payaient pas.

[5] Les demandeurs affirment qu’ils ont fui le Mexique le 11 février 2017 parce qu’ils craignaient d’être tués par le cartel. Les demandeurs sont arrivés au Canada et ont présenté leur formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) le 28 février 2017. Dans le formulaire FDA, les demandeurs ont ajouté un autre motif pour demander l’asile, à savoir que la demanderesse mineure serait victime de persécution au Mexique en raison de ses handicaps.

[6] Dans sa décision du 12 juillet 2018, la SPR a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à une sérieuse possibilité de persécution ou à un danger pour leur vie au Mexique, car ils pouvaient bénéficier de la protection de l’État. La SPR a également conclu qu’aucun élément de preuve fiable ne démontrait que la discrimination dont était victime la demanderesse mineure équivalait à de la persécution.

[7] Par conséquent, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. La SAR a avisé qu’elle examinerait s’il existe une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans plusieurs autres villes du Mexique, y compris Mexico. La SAR a rejeté la demande d’audience des demandeurs, mais a admis en preuve plusieurs nouveaux documents déposés concernant la question de la PRI.

[9] Dans sa décision du 30 octobre 2019, la SAR a conclu que la SPR « a analysé de manière inexacte la crédibilité des [demandeurs] et la disponibilité de la protection de l’État pour eux en tant que victimes d’extorsion » et que la SPR n’avait pas appliqué les Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié dans son évaluation de la demanderesse mineure. La SAR a annulé la décision de la SPR.

[10] Après avoir annulé la décision de la SPR, la SAR a ensuite effectué un examen détaillé de la question de la PRI à Mexico. Les demandeurs n’ont présenté aucune observation à la SAR concernant le risque qu’ils soient persécutés ou maltraités par le cartel à Mexico, ou dans n’importe quelle autre ville proposée comme PRI, même s’ils avaient été avisés que la SAR avait proposé des PRI. Les demandeurs ont toutefois présenté 19 documents sur la question de la PRI; l’un faisait déjà partie du dossier et les autres ont été admis par la SAR à titre de nouveaux éléments de preuve.

[11] La SAR a conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI à Mexico et qu’ils n’avaient pas établi que le cartel s’intéressait toujours à eux. De plus, la SAR a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la demanderesse mineure serait victime de discrimination et de mauvais traitements à l’avenir.

[12] Par conséquent, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

III. Question en litige

[13] La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

IV. Norme de contrôle

[14] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada], le juge Rowe a affirmé que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], avait établi un cadre d’analyse révisé pour déterminer la norme de contrôle à appliquer aux décisions administratives. Le cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit celle qui s’applique. Cette présomption peut être réfutée dans certaines circonstances, mais aucune ne s’applique en l’espèce. Par conséquent, la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable.

[15] Dans l’arrêt Postes Canada, le juge Rowe explique ce qui est exigé pour conclure qu’une décision est raisonnable et ce que doit faire le tribunal lorsqu’il effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). La cour de révision doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[16] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada précise qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. » La cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreintes des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

V. Analyse

[17] Les demandeurs soulignent que la SAR a commis une erreur en concluant que les demandeurs disposaient d’une PRI à Mexico et dans son évaluation de la preuve concernant la demanderesse mineure.

A. PRI à Mexico

[18] Dans la décision Lawal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 301, j’ai énoncé ce qui suit en ce qui concerne le critère relatif à la PRI :

[8] D’abord, il est établi en droit que le critère à deux volets à appliquer pour décider s’il existe une PRI provient des décisions Rasaratnam c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589. Dans la récente affaire Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155, le juge Pamel a décrit ce critère de la façon suivante, au paragraphe 15 :

[traduction]

[15] Les décisions Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, ont établi un critère à deux volets à appliquer pour déterminer s’il existe une PRI : (i) il ne doit pas exister de possibilité sérieuse que l’individu soit persécuté dans la région de la PRI (selon la prépondérance des probabilités), et (ii) les conditions de la proposition de PRI sont telles qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, pour un individu d’y chercher refuge (Reci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 833, au paragraphe 19; Titcombe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1346 au paragraphe 15). Les deux volets doivent être remplis pour pouvoir conclure que le demandeur d’asile dispose d’une PRI. Ce critère à deux volets garantit que le Canada se conforme aux normes internationales relatives aux PRI (directives du HCR, aux paragraphes 7 et 24 à 30).

[19] Les demandeurs soutiennent que la SAR [traduction] « a mal interprété les faits » et que le cartable national de documentation [CND] sur le Mexique et les autres éléments de preuve sur les conditions dans le pays démontrent que [traduction] « les grands cartels confient aux petits gangs le rôle de gros bras ». Les demandeurs soutiennent que la SAR a eu tort d’affirmer que le cartel en question n’avait pas les moyens de les retrouver, puisqu’il est associé à d’autres cartels.

[20] Les demandeurs soutiennent que le cartel est toujours motivé à les retrouver. [traduction] « La motivation des cartels au Mexique a toujours été l’argent, puisque leurs victimes sont forcées de vendre de la drogue ou d’enlever des personnes contre une rançon, ou encore de faire des menaces pour obtenir de l’argent, et tout refus entraîne l’enlèvement et la mort. » Les demandeurs affirment que la demanderesse principale a reçu des messages textes menaçants entre le 11 janvier et le 9 février 2017, et qu’ils ont quitté le Mexique le 11 février 2017 en raison de leur crainte. Les demandeurs soulignent que, au vu de ces renseignements, la SAR a eu tort de conclure que le cartel n’avait pas la motivation de les retrouver.

[21] En outre, les demandeurs déclarent que le cartel a tenté de les retrouver au Mexique. La belle-mère de la demanderesse principale a affirmé que, le 23 février 2017, des [traduction] « hommes inconnus » étaient venus à la recherche des demandeurs et lui avaient dit de leur dire qu’un autre cartel les recherchait. Les demandeurs soulignent également que, le 22 février 2017, un ancien collègue avait affirmé qu’il avait reçu plusieurs appels téléphoniques pour savoir où se trouvaient les demandeurs. Les demandeurs soulignent que ces éléments de preuve démontrent que le cartel a tenté à plusieurs reprises de les retrouver après leur arrivée au Canada. Étant donné que le cartel savait que les demandeurs étaient entrés au Canada, il aurait été [traduction] « étonnant » qu’il continue à se présenter à leur domicile [traduction] « alors qu’en réalité, il a les moyens de les retrouver n’importe où au Mexique à leur arrivée ». Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en estimant que le cartel aurait continué de se présenter à leur domicile s’il avait été à leur recherche et qu’elle [traduction] « s’est servie de cette invraisemblance pour conclure qu’ils disposaient d’une PRI à Mexico ».

[22] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans sa conclusion relative à la PRI et que Mexico n’est pas une ville sûre pour eux. En effet, la SAR a reconnu que, au vu de la preuve, les déplacements des demandeurs étaient surveillés pendant qu’ils habitaient au Mexique et qu’ils recevaient des menaces du cartel.

[23] Le défendeur soutient que les éléments de preuve en l’espèce indiquent que le cartel avait recherché les demandeurs les 22 et 23 février 2017 et s’était fait dire qu’ils n’étaient pas disponibles. Le cartel a ensuite perdu intérêt et, depuis le 23 février 2017, rien ne prouve que le cartel a approché quiconque pour se renseigner au sujet des demandeurs. La SAR a estimé que le cartel n’avait pas les moyens ni la motivation nécessaires pour retrouver les demandeurs et que ces derniers n’étaient donc pas exposés à un risque sérieux à Mexico.

[24] Selon le défendeur, le seuil pour établir qu’une PRI est déraisonnable est élevé. À l’appui de sa thèse, il renvoie à l’analyse de la norme de contrôle que j’ai énoncée dans la décision Ehondor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1143, au paragraphe 10 :

[10] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La Cour a établi que le contrôle de la décision de la Section d’appel des réfugiés sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur commande la déférence : Pidhorna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1, au paragraphe 39, par la juge Kane : « En matière de possibilité de refuge intérieur, le critère est bien établi. Le demandeur a la lourde charge de démontrer que la PRI qu’on lui propose est déraisonnable (Ranganathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164, [2000] ACF no 2118 (CAF)). » Voir aussi Olalere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385 par le juge Russell, au paragraphe 19 : « Les décisions prises par la SAR dans le contexte d’une analyse relative à une PRI sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable : Ugbekile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1397, aux paragraphes 12 à 14. » Par conséquent, la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à cette décision sur la possibilité de refuge intérieur.

[25] À mon humble avis, compte tenu de ces observations et d’autres observations, les demandeurs n’ont pas satisfait à ce critère élevé, et la SAR a raisonnablement conclu qu’ils disposaient d’une PRI viable à Mexico.

[26] À cet égard, la SAR a raisonnablement résumé le dossier en ce qui concerne les risques :

[37] Je reconnais que [la demanderesse] principale a reçu plusieurs messages texte de menace sur son téléphone cellulaire entre janvier et février 2017, lorsqu’elle vivait à [leur ville natale]. Il y a aussi des éléments de preuve montrant que les déplacements des [demandeurs] ont été surveillés lorsqu’ils vivaient en ville. Toutefois, après le départ des [demandeurs] du Mexique, rien ne prouve qu’un membre du cartel manifeste de l’intérêt à l’égard des [demandeurs] après le 23 février 2017.

[38] À l’audience de la SPR, [la demanderesse] principale a affirmé que ni ses collègues ni sa mère ne l’ont informée que des gens les recherchaient, elle et les autres [demandeurs], durant les 16 mois qui ont suivi leur arrivée au Canada. Lorsque le conseil a demandé [au demandeur] associé si quelqu’un le recherchait au Mexique, il n’a fait allusion qu’au dernier incident survenu le 23 février 2017, lorsque certains hommes du cartel ont demandé à sa mère où il se trouvait.

[39] Je suis d’avis que les [demandeurs] n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le [cartel] a les moyens ou la motivation pour les retrouver à Mexico. Ils n’ont fourni aucune preuve objective concernant le profil du [cartel], y compris son champ d’influence dans d’autres régions du Mexique ou sa capacité de retrouver les [demandeurs] n’importe où au pays. Rien ne laisse entendre que [cartel] sait que les [demandeurs] sont partis au Canada. Rien ne porte à croire que le cartel a tenté de communiquer avec des amis ou avec des membres de la famille après le 23 février 2017 (c.‑à‑d. pendant une période de deux ans et huit mois). Autrement dit, rien ne prouve que le [cartel] souhaite toujours poursuivre les [demandeurs], étant donné le temps écoulé.

[40] Puisque les [demandeurs] n’ont pas réussi à établir que le [cartel] a les moyens ou la motivation de les retrouver, j’estime qu’ils ne sont pas exposés à une possibilité sérieuse d’être persécutés par ce cartel s’ils déménagent à Mexico. J’estime aussi que les [demandeurs] ne sont pas, selon la prépondérance des probabilités, personnellement exposés à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités, à une menace à leur vie ou au risque d’être soumis à la torture de la part du [cartel] s’ils déménagent à Mexico.

[27] Ces conclusions de fait sont amplement étayées par les éléments de preuve dont disposait la SAR en l’espèce. Je ne suis pas convaincu que sa décision est déraisonnable.

B. Demanderesse mineure

[28] Selon la preuve présentée par les demandeurs, la demanderesse mineure avait été retirée de l’école, car il semble qu’elle avait été victime de violence. Nous ne savons pas exactement ce qui s’est passé, car la demanderesse mineure ne parle pas; les demandeurs l’ont retirée de l’école, car [traduction] « ils ne voyaient pas l’utilité de se plaindre puisque personne ne s’en souciait, et ils savaient que cela ne ferait qu’empirer les choses pour [leur] fille. La seule option était de la retirer de l’école, ce [qu’ils ont] fait. »

[29] La SAR a reconnu que la demanderesse mineure avait été victime d’une certaine forme de discrimination et de mauvais traitements à l’école, mais a estimé que rien ne démontrait que cela se produirait à Mexico. Pour parvenir à sa conclusion, la SAR s’est appuyée sur des rapports montrant que la loi sur l’éducation avait été modifiée pour aider les enfants handicapés et que des services d’éducation ont été fournis dans des salles de classe à l’échelle du pays.

[30] Les demandeurs soulignent que rien dans le dossier ne démontre que les renseignements figurant dans les rapports ont réellement été mis en œuvre, et la question précise de la violence envers les enfants handicapés n’a pas été examinée par la SAR. Les demandeurs soutiennent que la SAR [traduction] « a mal interprété et déformé les faits concernant les enfants handicapés, qui sont exposés à des mauvais traitements et à de la persécution au Mexique ».

[31] Les demandeurs soutiennent que la source de la menace et l’agent de persécution en l’espèce sont le gouvernement lui‑même et que la demanderesse mineure continuera d’être personnellement exposée à un risque à l’avenir. Les demandeurs soutiennent que, [traduction] « pendant de nombreuses années, la demanderesse mineure a été exposée à un danger pour sa vie ou au risque d’être soumise à des traitements ou peines cruels ou inusités aux mains des enseignants, des élèves et de la société ».

[32] La condition de la demanderesse mineure ne soulève pas de préoccupations médicales, et il ne serait pas possible d’y remédier si le gouvernement pouvait fournir suffisamment d’aide médicale. Par conséquent, la demanderesse souligne que l’alinéa 97(1)iv) de la LIPR ne permet pas de réfuter la demande de la demanderesse mineure :

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[…]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

[…]

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[33] La demanderesse principale fait valoir que, même si la demanderesse mineure avait des problèmes de santé, notre Cour a établi qu’il y avait une distinction entre le refus d’un pays d’offrir des soins de santé et son incapacité à le faire. Le refus d’un pays d’offrir des soins de santé pour des raisons d’ordre public est une violation des normes internationales, en plus d’être précisément le type de menace à la vie qui est visé à l’article 97 de la LIPR (Covarrubias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CAF 365 [le juge Linden]).

[34] Les demandeurs soulignent que le sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR doit être interprété largement. Selon eux, il suffit de démontrer que [traduction] « le pays n’est pas incapable de fournir des soins médicaux adéquats au demandeur » et que [traduction] « le demandeur s’acquittera du fardeau qui lui incombe s’il peut démontrer qu’il serait personnellement exposé à une menace à sa vie en raison du refus injustifié de son pays de lui fournir des soins de santé adéquats lorsque ce pays a la capacité financière de les lui offrir, comme dans le cas de la demanderesse mineure ».

[35] À mon humble avis, la SAR s’est livrée à une analyse assez détaillée des allégations de la demanderesse mineure. La SAR a reconnu les difficultés auxquelles la demanderesse mineure avait été confrontée par le passé, mais a estimé que rien ne démontrait que cela se reproduirait à Mexico à l’avenir. La preuve démontrait que des cliniques offraient des services pour soigner les enfants ayant des déficiences intellectuelles à Mexico, et les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve qui tend à démontrer que ces services discrimineraient la demanderesse mineure. La SAR a estimé que les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve concernant les moyens d’existence futurs de la demanderesse mineure et a conclu que l’observation des demandeurs selon laquelle la demanderesse mineure était une cible facile pour divers types de violence était hypothétique. Je suis d’accord.

[36] La SAR a conclu, et je suis d’accord, que les demandeurs n’ont pas suffisamment établi le fondement objectif de la demande d’asile de la demanderesse mineure. La preuve démontrait qu’elle aurait accès à une éducation, à des soins de santé et à d’autres services.

[37] S’agissant de l’accès à l’éducation, je suis d’avis que la SAR a raisonnablement évalué la preuve et conclu :

[66] Il incombe aux [demandeurs] de démontrer qu’il existe un refus soutenu et systématique de fournir de l’éducation aux enfants handicapés à Mexico. Ils ne l’ont pas fait. De même, ils n’ont pas consulté des éléments de preuve démontrant des mauvais traitements infligés de façon systématique ou continuelle aux enfants handicapés dans le système scolaire public à Mexico. J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que [la demanderesse] mineure aura accès à une éducation utile et inclusive à Mexico qui tiendra compte de son handicap. J’estime que les [demandeurs] ont les moyens de payer pour une aide individuelle, au besoin, car ils ont déjà utilisé des écoles et des services privés au profit de [la demanderesse] mineure.

[38] En ce qui concerne l’accès aux soins de santé, là encore, la SAR a examiné la preuve dans les moindres détails. Je ne suis pas convaincu que sa conclusion est fondée sur des éléments de preuve dont elle ne disposait pas, c’est-à-dire que, selon moi, les conclusions suivantes reposent sur la preuve au dossier et sont par conséquent raisonnables :

[67] Je ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants pour établir que [la demanderesse] mineure a fait l’objet de discrimination sur le plan des services médicaux. [La demanderesse] mineure a été évaluée par plusieurs médecins mexicains depuis sa naissance jusqu’à son départ pour le Canada, y compris des spécialistes en neurologie, en psychiatrie, en génétique, en pédiatrie, en ophtalmologie et en neurophysiologie. [La demanderesse] principale a témoigné avoir pu faire évaluer [la demanderesse] mineure dans le meilleur hôpital pour enfants du Mexique. D’après le témoignage de [la demanderesse] principale, [la demanderesse] mineure a aussi pu bénéficier d’un traitement continu par un psychologue et un orthophoniste. Mis à part le traitement grossier reçu de la part d’un neuropédiatre en 2005 et la croyance de [la demanderesse] principale, les [demandeurs] n’ont pas présenté d’éléments de preuve médicaux indépendants et objectifs montrant que le traitement qu’elle a reçu au Mexique laissait à désirer en raison de son handicap. Selon la prépondérance des probabilités, les [demandeurs] n’ont pas établi que [la demanderesse] mineure a reçu des services médicaux inadéquats en raison de son handicap.

[68] J’estime que [la demanderesse] mineure a accès à des ressources médicales à Mexico, y compris des cliniques publiques et privées spécialisées dans le traitement des enfants ayant un handicap intellectuel et des enfants autistes. Selon des sources, les services de santé mentale à Mexico sont bien meilleurs que ceux du reste du pays. Par exemple, le centre intégré de soins de santé mentale, un établissement public à Mexico, offre des soins spécialisés pour les enfants et les adolescents, en plus de fournir des thérapies et des ateliers de communication. Parmi les autres cliniques publiques de Mexico, mentionnons la clinique pour l’autisme, qui offre des services d’évaluation et d’intervention; le centre régional d’Ixtapaluca, qui fournit des services aux enfants ayant un trouble du développement; et l’hôpital psychiatrique pour enfants.

[39] En ce qui concerne la question des moyens d’existence futurs, là encore, la SAR a effectué un examen indépendant et détaillé des éléments de preuve, dont la plupart, comme l’a souligné le défendeur, étaient liés à des personnes qui sont placées dans des établissements. Elle a conclu ce qui suit :

[71] Selon les [demandeurs], si [la demanderesse] mineure retourne au Mexique, le refus par l’État de tenir compte de ses besoins uniques et spéciaux limiterait gravement et fondamentalement sa capacité de vivre une vie normale ou sécuritaire. Les [demandeurs] s’appuient en grande partie sur plusieurs rapports de mauvais traitements et de torture infligées à des enfants ayant des handicaps mentaux et physiques dans des orphelinats, des centres pour migrants, des établissements de soins et des établissements de santé mentale. Ces rapports portent sur les conditions horribles dans lesquelles les personnes handicapées vivent lorsqu’elles sont abandonnées par leur famille. Les enfants sans parent ni soutien familial ou dont la famille n’a pas les moyens financiers de s’occuper d’eux sont exposés au risque d’être institutionnalisés parce qu’ils n’ont pas d’autres options. Cela témoigne du manque d’aide que les familles obtiennent du gouvernement pour garder les enfants chez eux.

[…]

[73] J’estime que les éléments de preuve liés à l’institutionnalisation dans un établissement de santé mentale ne s’appliquent pas à la situation de [la demanderesse] mineure. Rien ne laisse entendre que [la demanderesse] mineure a déjà été exposée au risque d’institutionnalisation, étant donné les moyens financiers et le soutien de sa famille. [La demanderesse] mineure a une famille qui l’appuie et qui l’aime, y compris des grands‑parents, qui ont fait preuve de vigilance en lui fournissant les soins dont elle a besoin. Elle n’est pas exposée à un risque grave d’abandon et elle ne correspond pas au profil d’enfants exposés à un risque de mauvais traitements dans des établissements de santé mentale.

[74] Les [demandeurs] soutiennent qu’il est faux de présumer que [la demanderesse] mineure vivra de façon permanente avec sa famille, qui peut la défendre et la protéger. Toutefois, je n’ai aucune preuve qu’elle ne recevra pas l’appui de sa famille dans un avenir proche.

[75] Les [demandeurs] se fondent aussi sur un rapport qui montre comment les personnes ayant un handicap mental sont traitées dans le système de justice pénale. J’estime que cet élément de preuve a une faible valeur probante pour ce qui est de la situation des [demandeurs] mineurs, parce que rien ne montre qu’elle a été ou qu’elle sera accusée au criminel ou qu’elle se retrouvera dans le système de justice pénale.

[40] Bien que les demandeurs aient soulevé la question de la violence fondée sur le sexe dans leurs observations à la SAR, cette dernière a conclu que leurs arguments étaient hypothétiques :

[76] Même si les [demandeurs] soutiennent que les vulnérabilités de [la demanderesse] mineure font d’elle une cible facile pour divers types de violence, y compris la violence fondée sur le sexe, j’estime que cette observation s’appuie sur des conjectures. Par exemple, les [demandeurs] n’ont fourni aucune preuve à l’égard de mauvais traitements systématiques ou soutenus ni de violence sexuelle dans le système scolaire de Mexico ou dans le système de soins de santé, mis à part dans les établissements de santé mentale.

[77] Je ne peux souscrire aux observations des [demandeurs] selon lesquelles le manque de recherche ou d’articles sur le traitement des filles ayant un handicap intellectuel à Mexico reflète les attitudes envers les personnes handicapées. Selon les centaines de pages des documents sur les conditions dans le pays fournies par les [demandeurs] et figurant dans le CND, plusieurs organisations non gouvernementales se portent à la défense des personnes handicapées au Mexique, y compris Human Rights Watch et Disability Rights International. Si la violence et de mauvais traitements fondés sur le sexe sont perpétrés de façon systématique et continuelle à l’endroit des filles ayant des handicaps intellectuels, dans des circonstances semblables à celles de [la demanderesse] mineure, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’il existe certains éléments de preuve sur cette situation.

VI. Conclusion

[41] À mon humble avis, les demandeurs n’ont pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable. La question déterminante est la PRI. Les demandeurs ont déposé de nouveaux éléments de preuve, qui ont été admis. Ils n’ont présenté aucune observation à la SAR concernant le risque qu’ils soient persécutés ou maltraités par le cartel à Mexico, ou dans n’importe quelle autre ville proposée comme PRI. À mon humble avis, la SAR a effectué un examen détaillé des éléments de preuve se rapportant aux allégations des demandeurs sur les questions relatives aux articles 96 et 97 de la LIPR. Les conclusions de la SAR respectent les contraintes juridiques et factuelles. Les motifs de la SAR sont fondés sur une analyse rationnelle. Les motifs sont tout à fait justifiés au regard des faits et du droit et sont transparents et intelligibles. Les motifs découlent des faits et de la loi applicable. Aucune erreur fatale n’a été commise. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

VII. Question à certifier

[42] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7097-19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7097-19

 

INTITULÉ :

CITLALLI GRISEL MIRANDA HERNANDEZ (ALIAS CITLALLI GRISEL FERNANDA MIRANDA HERNANDEZ), DANIEL ALEJANDRO MANZANO PINGARRON, FRIDA PAOLA MANZANO MIRANDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 16 DÉCEMBRE 2020 À OTTAWA (ONTARIO) (COUR) ET À TORONTO (ONTARIO) (PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 JANVIER 2021

COMPARUTIONS :

Clement Osawe

POUR LES DEMANDEURS

Khatidja Moloo-Alam

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clement Osawe

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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