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Date : 20201218


Dossier : T‑1071‑19

Référence : 2020 CF 1167

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2020

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

SUKHJIT SINGH DHILLON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur a présenté une requête, conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑103, afin d’interjeter appel de l’ordonnance du 1er septembre 2020 par laquelle la protonotaire Aylen [la protonotaire] a radié sa demande de contrôle judiciaire, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle était prématurée vu que les recours administratifs n’avaient pas été épuisés.

II. Contexte

[2] Monsieur Sukhjit Singh Dhillon [M. Dhillon], le demandeur en l’espèce, a travaillé comme agent de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] d’octobre 2000 au 31 mai 2019, date à laquelle il a été congédié dans une décision rendue de vive voix à l’issue d’une audience du Comité de déontologie. Son congédiement était dû à une contravention au Code de déontologie du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, DORS/2014‑281. Le 6 septembre suivant, il a reçu une copie de la décision écrite.

[3] Il agit pour son propre compte dans le présent appel.

[4] Le 2 juillet 2019, M. Dhillon a produit une demande de contrôle judiciaire en vue de contester la décision par laquelle le Comité de déontologie l’a congédié. Il demandait à ce que la décision de la GRC soit déclarée illégale et à ce qu’il soit enjoint à la GRC de le réintégrer, alors même qu’il attendait l’issue de l’appel qu’il avait déposé par le biais d’un recours interne de la GRC.

[5] Le 25 septembre 2019, il a déposé un appel auprès du Bureau de coordination des griefs et des appels [BCGA] sur le fondement de l’article 45.11 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 [la Loi], et des consignes du commissaire. Le 18 octobre suivant, il a reçu confirmation du dépôt de son appel par le BCGA. Au cours des mois suivants, le processus s’est poursuivi avec la présentation d’observations écrites et de réponses. Le défendeur s’est vu accorder deux prorogations de délai dans le cadre de l’appel.

[6] Le 17 août 2020, l’étape des observations a pris fin.

[7] Entre‑temps, le défendeur a présenté une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale en faisant valoir que l’acte de procédure était lacunaire, car :

  1. la demande était prématurée, car le demandeur n’avait pas épuisé les recours adéquats prévus sous le régime de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10, de ses règlements et des consignes applicables du commissaire;

  2. aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait de s’écarter de la théorie dite de l’épuisement des recours.

[8] Le 1er septembre 2020, la protonotaire a radié la demande de contrôle judiciaire sans autorisation de la modifier, estimant que cette demande n’avait aucune chance d’être accueillie vu que M. Dhillon pouvait se prévaloir d’un autre recours adéquat.

III. Questions en litige

[9] Voici les questions en litige :

  1. La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a radié la demande de contrôle judiciaire?

  2. La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a adjugé les dépens au défendeur?

IV. Norme de contrôle

[10] La norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique aux questions de fait ou aux questions de fait et de droit tranchées dans les appels interjetés à l’encontre des décisions de protonotaires (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 à la p 65‑66; Hospira Healthcare Corporation v Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 177 au para 6 [Hospira 2020]; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33). Les pures questions de droit sont soumises à la norme de la décision correcte; cependant, aucune question de ce type ne se pose en l’espèce (Hospira 2020, au para 6).

[11] D’après le juge Stratas, l’erreur « manifeste » s’entend d’une erreur évidente tandis que l’erreur « dominante » a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 aux para 62‑65).

[12] Les ordonnances relatives aux dépens sont également soumises à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Curtis v Canada (Canadian Human Rights Commission), 2020 CAF 149 au para 11‑12; Lessard‑Gauvin c Canada (Procureur général), 2020 CF 730 aux para 41‑42).

[13] En l’absence de ce type d’erreur, la décision de la protonotaire appelle la retenue.

V. Analyse

A. La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a radié la demande de contrôle judiciaire?

[14] Voici les motifs avancés par M. Dhillon :

1) Madame la protonotaire Mandy Aylen (juge des requêtes) a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas examiné le caractère adéquat du processus d’appel de la GRC ni les circonstances exceptionnelles décrites par l’appelant lorsqu’elle a évalué la prématurité;

2) La juge des requêtes a commis une erreur de droit parce qu’elle a dérogé au principe judiciaire depuis longtemps établi selon lequel le contenu de la demande doit être tenu pour véridique dans le cadre d’une requête en radiation;

3) La juge des requêtes a commis une erreur de fait parce qu’elle a mal saisi le mécanisme propre au processus d’appel de la GRC et qu’en conséquence, elle a rendu une décision erronée en ce qui touche les lenteurs survenues dans l’appel sous‑jacent interjeté par l’appelant auprès de la GRC;

4) La juge des requêtes a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a adjugé au défendeur des dépens déraisonnables et excessifs.

[15] Je tiens à faire remarquer que M. Dhillon a renoncé à son deuxième motif; celui‑ci n’est toutefois pertinent qu’à l’égard de la radiation des demandes qui ne présentent aucune cause d’action valable, et non des demandes prématurées. Pour ces motifs, je ne l’examinerai pas davantage.

[16] La possibilité pour M. Dhillon de se prévaloir du processus d’appel interne de la GRC n’a fait débat ni devant la protonotaire ni en l’espèce. Ce processus consistait à faire appel de la décision du comité de déontologie suivant l’article 45.11 de la Loi et des consignes du commissaire. C’est toutefois la conclusion de la protonotaire portant que le processus interne de la GRC est à la fois adéquat et efficace qui divise les parties.

[17] Il est établi en droit que toutes les autres voies de recours adéquats doivent être épuisées avant qu’un contrôle judiciaire ne puisse être instruit en Cour fédérale (Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 aux para 30‑31 [ASFC c C.B. Powell]).

[18] Le critère que la protonotaire devait appliquer est énoncé dans l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc c Ministre du Revenu national, 2013 CAF 250 au para 91 [JP Morgan]. La Cour d’appel fédérale [la CAF] y a conclu que la Cour ne peut ordonner la radiation sauf si elle est certaine :

i. qu’un recours est possible ailleurs (maintenant ou plus tard);

ii. que le recours est approprié et efficace;

iii. que les circonstances invoquées sont d’une nature inhabituelle ou exceptionnelle reconnue par la jurisprudence ou qu’elles présentent des caractéristiques analogues.

[19] Dans ses motifs, la protonotaire a relevé l’absence de désaccord entre les parties quant à la possibilité d’engager un recours ailleurs. S’agissant des deuxième et troisième éléments, elle a estimé que la réintégration faisait partie de l’éventail des mesures susceptibles d’être ordonnées par le tribunal, et que les lenteurs alléguées avaient déjà été jugées raisonnables dans Kohl c Canada (Procureur général), (T‑1123‑19) [Kohl], une décision non publiée.

[20] Monsieur Dhillon a présenté des affidavits se rapportant à des instances engagées par d’autres individus qui alléguaient que les lenteurs dans le processus d’appel de la GRC attestent que ce processus n’offre pas de recours efficace. En réponse, la protonotaire a déclaré, en souscrivant aux propos du juge Lafrenière dans Xanthopoulos c Canada (Procureur général), 2020 CF 401 [Xanthopoulos], que même si d’autres affaires pouvaient donner lieu à de longues périodes d’attente, M. Dhillon n’avait pas prouvé que le règlement de son appel prenait un temps excessif.

[21] Le demandeur a également présenté son propre affidavit; après avoir examiné les lenteurs particulières en cause, la protonotaire a conclu qu’[traduction] « il n’a pas été démontré que le recours offert au demandeur par le processus d’appel interne de la GRC a été ou sera indûment lent et rendu ainsi inefficace ».

[22] Selon la protonotaire, le processus suivait son cours en vue d’une décision et [traduction] « [d]epuis la nomination du responsable de la gestion de l’affaire, l’appel avait connu de grandes avancées ».

[23] Elle a ensuite examiné les [traduction] « circonstances exceptionnelles » et le fait que M. Dhillon s’appuyait sur une preuve établissant l’[traduction] « injustice profondément ancrée » dans le processus. Elle a toutefois estimé que M. Dhillon n’avait relevé aucun problème d’injustice lié au processus particulier qu’il avait engagé et que les lenteurs indues, examinées précédemment, étaient le seul facteur dénoncé. Elle a conclu que le processus était efficace et adéquat.

[24] Ayant estimé que la demande était prématurée, elle l’a ensuite radiée parce qu’il était évident et manifeste qu’elle n’avait aucune chance d’être accueillie.

[25] La protonotaire a adjugé 1 500 $ au titre des dépens, montant qui correspondait à la moitié de la somme réclamée par le défendeur. Elle a refusé d’adjuger les dépens relativement à la requête visant à obtenir une ordonnance de confidentialité (rejetée précédemment par la Cour) ou à celle en production du dossier certifié du tribunal.

(1) Les lenteurs rendent inefficace le système de recours interne

[26] Monsieur Dhillon fait remarquer qu’au moment où il a présenté ses observations initiales dans le cadre du présent appel, environ 15,5 mois s’étaient écoulés et que cela ne témoignait pas d’un autre recours adéquat ou efficace. À son avis, la protonotaire a, pour cette raison, commis une erreur lorsqu’elle a radié sa demande de contrôle judiciaire en la jugeant prématurée, car le processus n’est pas efficace.

[27] Monsieur Dhillon affirme que les décisions Kohl et Xanthopoulos ne devraient pas être invoquées étant donné qu’elles reposent sur une [traduction] « analyse incomplète ». En particulier, il allègue qu’elles n’appliquaient pas correctement l’arrêt ASFC c C.B. Powell, au para 31, dans lequel la Cour fait remarquer que l’absence de recours efficace constitue une circonstance exceptionnelle.

[28] La décision Kohl est erronée, d’après M. Dhillon, car elle [traduction] « semble insister sur l’importance de la participation du responsable de la gestion de l’affaire », lequel n’est ni un arbitre ni un décideur. Il fait valoir en outre que dans Kohl, la Cour n’examine pas dans ses motifs le fait que les stades laborieux du processus d’appel de la GRC pouvaient avoir contribué aux lenteurs excessives dans l’appel interjeté par l’appelant devant la GRC. Tentant d’établir une distinction avec la décision Kohl, M. Dhillon soutient que l’évaluation dans cette affaire ne concernait qu’une période de huit mois et non de quatorze mois (à l’époque) comme en l’espèce. Je constate que la Cour ne cite ni n’impute à quiconque les périodes que mentionne M. Dhillon.

[29] Par ailleurs, il allègue que les conséquences des lenteurs sur lui n’ont pas été analysées; il fait remarquer que dans Boogaard c Procureur général du Canada, 2013 CF 267 [Boogaard], la Cour fédérale a déclaré, relativement à une période de 17 mois, que pour être adéquat, le recours doit pouvoir aboutir rapidement, et que dans Caruana c Procureur général du Canada, 2006 CF 1355 [Caruana], le mécanisme qui a duré huit mois a été jugé excessivement lent. Il soutient que dans ces décisions, les intéressés n’ont pas immédiatement été privés de leurs moyens d’existence, alors que lui l’a été.

[30] Je conviens que dans certains cas, le temps écoulé rendra le processus administratif déraisonnablement lent, et il s’agira dans ces cas, d’un recours inefficace.

[31] Ces arguments auraient pu convenir à un contrôle judiciaire où s’applique la norme de la décision raisonnable, mais non à celui visant la décision d’un protonotaire. Les lenteurs en l’espèce n’étaient pas anormales au point de rendre la décision manifestement et irrémédiablement erronée. Aussi, la protonotaire a expliqué pourquoi les lenteurs particulières survenues dans le cas de M. Dhillon n’étaient pas excessives; selon ses termes précis, le dossier de M. Dhillon suit son cours.

[32] Par ailleurs, la décision Boogaard ne portait pas sur un congédiement, mais sur un grief, et la décision Caruana ne concernait en aucune façon la GRC, mais le grief intenté par un détenu dans le cadre du système de griefs du Service correctionnel du Canada. La protonotaire n’était pas tenue d’établir une distinction explicite avec ces affaires pour que sa décision ne présente aucune erreur manifeste et dominante.

[33] La protonotaire a tenu compte de la jurisprudence et des faits particuliers de ces décisions, mais j’estime que la jurisprudence ne fixe pas des délais précis qui permettent de savoir si un processus est adéquat ou efficace. Chaque affaire est jugée selon ses faits propres. Les lenteurs peuvent être causées par l’appelant ou le décideur ou encore survenir indépendamment de la volonté de l’une ou l’autre des parties. L’analyse de lenteurs excessives ne dépend pas de leur durée précise, mais d’une myriade de facteurs, ce qui explique pourquoi les processus jugés lents dans la jurisprudence renvoient à autant de périodes différentes. C’est la raison pour laquelle chaque affaire est tranchée en fonction de ses faits propres.

[34] Il se peut que le processus d’appel vécu par d’autres personnes ait été lent, l’analyse de la protonotaire a porté sur le traitement de l’appel de M. Dhillon et sur la question de savoir si ce traitement était indûment lent. Selon la preuve qui lui a été présentée, l’appel suivait, malgré la pandémie de COVID‑19, son cours en vue d’une décision. La protonotaire a estimé que depuis la nomination du responsable de la gestion de l’affaire, l’appel avait connu de grandes avancées et que son renvoi devant le Comité externe d’examen [CEE] de la GRC était imminent. La protonotaire ne disposait d’aucune preuve démontrant que l’examen de l’appel par la CEE et la prise consécutive d’une décision définitive seraient indûment lents. Elle a tenu compte de tous ces facteurs et d’après elle, il n’a pas été établi que le processus d’appel interne de la GRC dont peut se prévaloir M. Dhillon se déroulait ou se déroulerait de façon indûment lente, le rendant ainsi inefficace.

[35] En l’espèce, la protonotaire a estimé que le dossier de M. Dhillon suivait son cours, et que cela justifiait de radier la demande. Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante.

(2) Incompréhension du processus d’appel de la GRC

[36] Dans sa réplique, M. Dhillon allègue que dans sa décision, la protonotaire a [traduction] « combiné » son incompréhension du mécanisme inhérent au processus d’appel et son analyse de la lenteur du processus. J’estime que les deux arguments de M. Dhillon sont les mêmes : à savoir que le processus d’appel comporte des lenteurs excessives qui le rendent inefficace. Pour ce motif, les arguments qu’il soulève quant à l’incompréhension du processus ont en grande partie été examinés précédemment, mais ils seront examinés de manière plus approfondie ci‑après.

[37] Monsieur Dhillon soutient que la protonotaire a commis une erreur due à son incompréhension du processus d’appel de la GRC qui s’explique par le fait qu’elle s’est appuyée sur l’évaluation effectuée dans Kohl, où, toujours d’après lui, le même processus a également été mal compris.

[38] Monsieur Dhillon soulève en réalité la question du stare decisis, c’est‑à‑dire celle de savoir si un protonotaire est lié par la décision rendue par un juge de première instance. Monsieur Dhillon affirme que les décisions Kohl et Xanthopoulos ne devraient pas être invoquées parce qu’elles reposent sur une [traduction] « analyse incomplète ». En particulier, il allègue qu’elles n’appliquent pas correctement les principes de l’arrêt ASFC c C.B. Powell, au para 31, dans lequel la Cour fait remarquer que l’absence de recours efficaces constitue une circonstance exceptionnelle. Il cite ensuite l’arrêt Wilson c Énergie atomique du Canada limitée, 2015 CAF 17 au para p 33 [Wilson], où la Cour a souligné que dans de rares situations, certaines décisions interlocutoires amènent à s’interroger sur le respect du principe de la primauté du droit.

[39] Pour M. Dhillon, la décision rendue dans Kohl est erronée, car elle [traduction] « semblait insister sur l’importance de la participation du responsable de la gestion de l’affaire » qui n’est ni un arbitre ni un décideur. Il allègue que la Cour n’examine pas dans ses motifs le fait que les stades laborieux du processus d’appel de la GRC pouvaient avoir contribué aux lenteurs excessives dans l’appel interjeté par l’appelant devant la GRC.

[40] Il n’est pas approprié qu’au moment de statuer sur le contrôle de la décision rendue par une protonotaire, notre Cour se prononce sur des décisions qu’elle a rendues dans de précédentes affaires. Ces décisions font toujours autorité, elles n’ont pas été infirmées en appel et le renvoi à des décisions antérieures est la pierre angulaire d’un système juridique fondé sur la common law. La règle de la primauté du droit se fonde sur la cohérence du droit, laquelle ne peut être obtenue s’il y a des incohérences dans les décisions judiciaires, indépendamment de la personne du juge ou de l’officier de justice qui les a prononcées :

Lorsque la décision dont l’autorité est alléguée a été prononcée par un juge devant lequel un appel pourrait être interjeté, des considérations supplémentaires, à caractère pratique, deviennent applicables. Il serait contraire aux exigences pratiques les plus élémentaires de prononcer une décision en sachant qu’elle serait infirmée en appel. En conséquence, il ne fait aucun doute que la décision d’un juge de la Section de première instance (devant lequel un appel peut être interjeté de la décision d’un protonotaire) devrait toujours être suivie par un protonotaire.

Flexi‑Coil Ltd c Rite Way Manufacturing Ltd, [1990] 1 CF 108 au para 2, 18 ACWS (3d) 167 (non souligné dans l’original)

[41] Les protonotaires sont liés par la règle du stare decisis ainsi que par les décisions de la Cour fédérale. Rien ne permet de croire que la protonotaire a mal compris le processus d’appel de la GRC. Ses motifs sont détaillés et réfléchis compte tenu des renseignements dont elle disposait. Elle n’a pas commis d’erreur manifeste justifiant annulation parce qu’elle s’est appuyée sur des décisions récentes qui font autorité.

(3) Incompétence du représentant Joel Welch

[42] Monsieur Dhillon fait valoir que la protonotaire n’a pas tenu compte des éléments de la preuve faisant état de l’incompétence de son représentant, le sergent Joel Welch. Ces éléments faisaient partie de la pièce B10 jointe à l’affidavit de Andy Yuen Hong, soumis à l’appui d’une autre affaire (Letnes c Canada, T‑642‑19).

[43] Les arguments concernant l’incompétence du sergent Joel Welch n’étaient pas pertinents puisqu’ils ont été présentés dans le cadre d’une autre instance et n’établissent pas ce qui est arrivé dans le cas de M. Dhillon. Il n’incombait pas à la protonotaire d’analyser cet argument, car il portait sur le fond de l’affaire et ne concernait pas le caractère prématuré de la demande.

(4) Communication

[44] Monsieur Dhillon soutient que les règles de la communication sont injustes, qu’elles doivent être élargies, et que les exigences en la matière doivent concorder avec l’arrêt Sheriff c Canada, 2006 CAF 139 au para 29. Il cite la décision Emam c Commandant de la Division E, 2020 DARD 09 au para 64 [Emam], et fait remarquer que le tribunal a reconnu qu’« une autorité disciplinaire doit divulguer toutes les preuves qu’elle possède qui pourraient aider le membre visé, même si la poursuite ne prévoyait pas les produire » (Emam, au para 65). D’après M. Dhillon, au moment de l’instruction de son affaire, ce sont les règles de communication énoncées dans l’arrêt May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, qui ont été appliquées. Il affirme n’avoir pas tiré profit de la nouvelle règle de communication adoptée par le tribunal et que ce refus de lui fournir des documents porte irréparablement atteinte à sa position.

[45] Même s’il affirme qu’il existe une [traduction] « injustice profondément ancrée dans le processus déontologique de la GRC », en particulier en ce qui concerne la communication, et se fonde sur l’expérience de différentes personnes ayant participé au processus d’appel interne de la GRC, M. Dhillon n’indique pas de façon précise à quoi son affirmation se rapporte. J’imagine qu’elle se rapporte à son argument selon lequel le processus ne constitue pas un recours efficace ou à celui que j’examinerai ci‑après, selon lequel il s’agit d’une affaire exceptionnelle.

[46] Par ailleurs, M. Dhillon invoque à tort l’arrêt Sheriff. Cette décision visait une exception aux règles de communication énoncées dans l’arrêt May applicable dans le contexte des auditions portant sur les décisions relatives aux licences des syndics. Elle est sans rapport avec les recours administratifs dont M. Dhillon peut se prévaloir. Même si un parallèle est possible, il ne peut être dûment établi que dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision qui sera rendue au dernier niveau. Cette simple possibilité ne justifie pas de modifier l’ordonnance de la protonotaire étant donné que M. Dhillon n’a fourni aucun détail sur la communication qui affecte l’efficacité du système d’appel interne de la GRC.

(5) Nature exceptionnelle

[47] Monsieur Dhillon s’appuie sur l’arrêt Wilson pour affirmer qu’en raison de son congédiement immédiat, de la perte de son revenu et de la difficulté concernant son appel (dans l’attente qu’une décision écrite soit rendue), la présente affaire est exceptionnelle et la Cour fédérale devrait intervenir avant la fin du processus administratif. D’après lui, les trois mois d’attente avant d’obtenir sa décision écrite ont rendu le processus inéquitable.

[48] Évoquant la rareté des exceptions au principe de la prématurité au paragraphe 19 de sa décision, la protonotaire renvoie à l’arrêt ASFC c C.B. Powell, au para 33 :

Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle‑ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que les toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces […]

[49] La protonotaire a examiné les observations de M. Dhillon concernant la façon abusive dont la GRC a mené le processus d’appel et la manière dont ce processus aurait été rendu inopérant. Elle a estimé qu’il n’avait établi aucune iniquité ou absence de communication à l’égard de son propre appel et a conclu qu’aucune circonstance exceptionnelle ne lui permettait de se présenter devant notre Cour avant d’avoir épuisé ses recours.

[50] Je tiens à signaler que la décision de la GRC a été prise le 31 mai 2019, et que la demande de contrôle judiciaire a été déposée le 2 juillet suivant. Monsieur Dhillon pouvait certes affirmer qu’il savait que le règlement de son appel prendrait du temps, mais la demande de contrôle judiciaire n’a pas été présentée pour ce motif, et la période à peine supérieure à un mois n’était en aucun cas excessive.

[51] La protonotaire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a décidé que M. Dhillon n’avait pas établi que son dossier présentait des circonstances exceptionnelles.

B. La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a adjugé les dépens au défendeur?

[52] Monsieur Dhillon fait valoir que les dépens adjugés étaient excessifs. La protonotaire l’a condamné, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, à verser 1 500 $ au titre des dépens.

[53] Le défendeur réclamait des dépens de 3 000 $ pour la requête tranchée par la protonotaire, pour la requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité et pour la requête en production. La protonotaire a refusé d’adjuger des dépens à l’égard de l’ordonnance de confidentialité vu qu’aucuns dépens n’avaient été adjugés lorsque la décision a été rendue. Elle a également refusé d’adjuger des dépens à l’égard de la requête en production.

[54] Le fait d’avoir adjugé les dépens, dont le montant correspond à la moitié de celui qui était demandé et s’inscrit dans l’intervalle des montants alloués dans des affaires semblables, ne saurait constituer une erreur manifeste et dominante.

VI. Conclusion

[55] La décision de la protonotaire appelle la retenue et ne peut être infirmée que dans le cas où il y a eu une erreur manifeste et dominante. La protonotaire a choisi le bon critère, tel qu’il est énoncé dans l’arrêt JP Morgan, et l’a appliqué correctement. Un autre décideur aurait pu parvenir à une conclusion différente en ce qui concerne l’efficacité du tribunal; mais il ne s’agit pas du critère applicable et j’estime qu’aucune erreur manifeste et dominante n’a été commise.

[56] La requête est rejetée.

VII. Dépens

[57] Le défendeur a droit aux dépens d’un montant de 500 $ payables sans délai par le demandeur.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1071‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La requête est rejetée;

  2. Une somme globale de 500 $ comprenant les dépens est adjugée au défendeur. Elle est payable sur‑le‑champ par le demandeur.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1071‑19

 

INTITULÉ :

SUKHJIT SINGH DHILLON c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), AUX TERMES DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

Madame la juge mCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 décembre 2020

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Sukhjit Singh Dhillon

 

POUR LE DEMANDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

Cindy Ko

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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